Sans-papiers : rien n'est régléCatherine Alcouloumbré
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Les projets de loi sur immigration et nationalité avancent :
transmis le 15 septembre 97, pour avis, aux Conseil d'État, Commission
nationale consultative des droits de l'homme et Haut Conseil à l'intégration,
ils devraient arriver le 15 octobre 97 en conseil des ministres, pour adoption,
avant d'être étudiés par les parlementaires. Le vote
de ces deux textes est espéré pour le 15 janvier 1998. Le
temps presse.
Malgré les vives critiques de nombreuses associations, de certains Verts, de quelques P.C.F., et au mépris des récents engagements du gouvernement Jospin, ce projet de loi ne rompt en rien avec la logique de discrimination et de suspicion qui est à l'origine du mouvement des Sans-papiers, et reste dans la continuité des textes successifs qui ont fondé notre législation sur les étrangers depuis la célèbre ordonnance de 1945. Nulle réelle réflexion sur les délicates questions de l'immigration et de l'identité, nulle ouverture vers une libre circulation des personnes, aucune réforme nouvelle de la législation sur le statut de l'étranger : ce projet de loi reprend dans l'ensemble les dispositions anciennes, du moins de façon telle que même Debré ne l'a pas désapprouvé ! Il fait suite à la circulaire de régularisation du 24 juin 97, de Chevènement, et s'inspire du rapport Weil du 31 juillet 97. La notion d'intérêt national vient justifier l'ensemble de ce projet... Référence à un capitalisme national dont il faudrait préserver les intérêts ! Derrière ce texte règne encore l'idée implicite d'un droit de l'Etat-nation à contrôler entrées et sorties de son territoire, droit qui constitue toujours une des bases du " consensus républicain " : par contre rien sur le fondement des politiques européennes en matière de migrations et de développement ! Le temps presse. En quelques points : - régularisations : pinaillages et promesses pas tenues. Le combat continue ! Sur 90.000 demandes déjà parvenues, combien de régularisations déjà effectives ? Les dossiers doivent être remis avant fin octobre... Au cas par cas, bon nombre de dossiers sont réglés favorablement, avec le répit d'une carte temporaire d'un an, mais en cas d'échec de cette procédure de régularisation, les reconduites à la frontière se pratiquent. Parfois agressions, expulsions et violences continuent, et il y aura beaucoup de laissés pour compte. * La circulaire du 24/06/97 maintient un refus possible en cas de " menace pour l'ordre public ", vague critère laissé à l'arbitraire administratif... * Les anecdotes ne manquent pas pour illustrer la perversité du parcours du " candidat à la régularisation " : les obstacles et malentendus semblent devenir insurmontables quand il s'agit de fournir des justificatifs à son propre nom, tels factures EDF et de téléphone à défaut de quittance de loyer, références d'un employeur, passeport chinois quand l'ambassade ne délivre aucun document aux Chinois en situation irrégulière, etc. La circulaire pose aussi comme condition de recevabilité que le candidat soit en règle avec les obligations fiscales et financières : il s'agit de produire les avis d'imposition/non-imposition sur les revenus pour les exercices 1994/1995/1996. - rétention judiciaire renforcée : allongement de dix à quatorze jours (plus pratique pour pallier aux contraintes techniques des transports aériens et aux difficultés de la police de recherche d'état-civil, d'identité, etc.). Des grèves de la faim ont actuellement lieu dans les centres de rétention. - maintien de la double peine, des certificats d'hébergement, et du super filtre des visas (sans motivation pour la plupart des refus). - titres de séjour : une carte de séjour temporaire d'un an avec mention " scientifique " (sic !) ou " situation personnelle et familiale" (des dispositions de la loi Debré facilitent ensuite la carte de résident de 10 ans). C'est la première fois qu'une carte de séjour pourra être délivrée au seul titre de la situation personnelle et familiale : un pas sensible vers une légère libéralisation pour faciliter la vie familiale ? - droit d'asile : le rapport Chevènement est discret sur cette question, peu de changement ; il est question de " combattant de la liberté " et d'une proposition d'aller chercher les réfugiés sur place, plutôt que de s'occuper d'abord de l'asile en France même, maquillage légal du refoulement aux frontières... La notion d'asile territorial s'inscrit dans ce projet de loi, pour élargir le cadre d'application de la Convention de Genève de 1951, en particulier quand le demandeur d'asile n'est pas sous la menace directe de son propre Etat, par exemple en ex-Yougoslavie, ou pour des démocrates algériens. - nationalité : le droit du sol n'est toujours pas rétabli, la nationalité française ne devient automatique qu'à 18 ans (ou 16 ans sur dérogation), ce qui fait disparaître la notion de parents d'enfants français.
Attention ! La mobilisation a nettement du mal à se constituer face
à la gauche au pouvoir ! L'expectative semble de rigueur. Une fois
de plus, rien ne change. Le temps presse. Attention au risque d'anesthésie
ambiante...
Actuellement : - le combat des Sans-papiers lancés par ceux de Saint-Bernard, des actions avec les collectifs, des manifestations, des pétitions, de nombreuses permanences pour les dossiers de régularisation, des conseils juridiques, etc. mais ça ne suffit pas ! - après les promesses données et les engagements pris
par le gouvernement Jospin, il est facile de se démobiliser : beaucoup
croient que la convocation sera une régularisation. Et tout le monde
de penser que tant bien que mal le problème des Sans-papiers est
en train de se régler. Pourtant rien n'est réglé :
Debré aurait fait aussi bien le travail actuel.
Alors : - Les Sans-papiers et associations de soutien relancent un appel au renforcement de la vigilance et de la mobilisation, exigeant à nouveau : * l'abrogation des lois Pasqua-Debré, l'abandon du projet Chevènement pour une refonte de la législation sur les étrangers ; * la régularisation juste et rapide de tous les Sans-papiers ; * la libération des personnes emprisonnées pour défaut de papiers ; * l'arrêt des expulsions et le retour des expulsés. - Il faut imposer un débat public, une ouverture lors des discussions parlementaires, sur des points précis, pas à pas, petits compromis sans compromission. Un important travail d'information, de pression auprès des parlementaires et de l'opinion publique reste à faire : il est encore temps " de se coller au boulot, chacun-e dans son coin et collectivement", au lieu d'attendre que tout cela se règle tranquillement et sans nous. L'atteinte aux droits des étrangers menace les droits de tous
et de toutes. Et demain ce sera toi.
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Né le 9 mars 1939 à Belfort, J-P Chevènement poursuivit des études à l'Ecole Polytechnique. Il dédia son mémoire d'études " la Droite nationaliste face à l'Allemagne " à Raoul Girardet (responsable de la propagande de l'OAS-Métro), avec remerciements à Pierre Debray (militant royaliste orléaniste, aujourd'hui éditeur de l'Insurgé). Mobilisé en 1961-62, il se bat avec conviction pour " l'Algérie française " comme sous-lieutenant. Il continue ses études à l'ENA (promotion Stendhal), où il fréquente Patrie et Progrès, un groupe nationaliste-social, issu de la Synarchie, prônant l'élitisme technocratique, dirigé par l'énarque Philippe Rossillon et financé par les beaux-parents de celui-ci, René Seydoux et Geneviève Schlumberger. Il s'y lie notamment à d'autres énarques comme Alain Gomez et Didier Motchane. Simultanément, il adhère à la SFIO en 1964 où il devient un collaborateur de Mitterrand, ancien fonctionnaire de Vichy défenseur des intérêts des Synarques après la Libération. En 1971, Chevènement joue un rôle décisif au congrès d'Epinay pour écarter les anciens SFIO (Guy Mollet, Alain Savary) au profit de l'énigmatique François Mitterrand. Mis sur la touche en 1972, il fait son retour au congrès de Metz, en 1979, et rédige en grande partie le programme socialiste qui assure la victoire de 1981. Il est ministre d'état de la Recherche, puis de l'Industrie, dans les gouvernements Mauroy, dans lesquels il tente d'imposer un capitalisme d'état où la décision économique revient à une technocratie publique, mais il démissionne en 1983 pour manifester son désaccord avec la " politique d'austérité " de Jacques Delors. Il participe néanmoins au gouvernement Fabius comme ministre de l'Education (1984-86). Bien qu'adversaire de Michel Rocard, il participe aussi à son gouvernement comme ministre de la Défense (1988-91). Il démissionne lors de la guerre du Golfe, officiellement pour protester contre l'alignement de la France sur les Etats-Unis, officieusement en raison de ses liens personnels persistants avec Saddam Hussein. Il continue en effet d'animer l'Association franco-irakienne de coopération économique (AFICE) de Gilles Munier (militant pro-arabe et anti-israélien issu du groupe national-révolutionnaire Jeune Europe). Lors du congrès de Rennes, en 1990, il soutient Lionel Jospin contre Laurent Fabius, ce dont il est remercié aujourd'hui. S'étant toujours conservé une autonomie d'action, en 1966, il avait fondé un club, le Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste (CERES), devenu, en 1986, un courant du P.S. sous la dénomination Socialisme et République, puis en 1993, un parti politique anti-maastrichien, sous le titre Mouvement des citoyens. C'est toujours par nationalisme qu'il s'associe en 1996 à un appel d'une association d'extrême-droite " l'Alliance Population et Avenir ", présidée par Philippe Rossillon (déjà cité comme fondateur de " Patrie et Progrès "). Aux côtés de Christine Boutin, Philippe de Villiers, Jean Foyer et Clara Gaymard-Lejeune, il affirme que l'Etat doit s'immiscer dans la vie privée des citoyens pour développer une politique nataliste. Il récidive en publiant un article dans la revue Population et Avenir à l'occasion du centenaire de l'Alliance. Toujours par nationalisme anti-maastrichien, il multiplie également les passerelles avec la mouvance royaliste, associant des personnalités comme Philippe de St-Robert aux initiatives du MDC ou accordant un entretien à Insurrection royaliste. Il est membre du Siècle depuis 1978. Il est le beau-frère d'Hermann Grunberg, directeur du crédit chez Lazard-Frères, directeur général de la Compagnie de crédit. Source " Réseau Voltaire " (informations non
vérifiées par la rédaction de la Feuille verte.)
Ouest-France, dans son édition du lundi 8 septembre 97 : " Le ministre de l'Intérieur, parallèlement aux régularisations (90000 demandes à ce jour, le double de ce que prévoyait le ministère de l'intérieur et selon des sources bien informées, il faudra des mois pour examiner ces dossiers dont une partie seulement connaîtra une conclusion favorable aux intéressés), prône une législation " ferme, mais digne et respectueuse de la personne humaine " contre les immigrés illégaux. " Cessons d'être hypocrites ", a lancé le ministre de l'Intérieur en clôture de l'université d'été du MDC. " Aucune des formations de l'actuelle majorité n'a proposé de supprimer le contrôle des flux migratoires. Les tenants des papiers pour tous auraient tôt fait de ruiner les acquis sociaux de notre pays, tout en poussant les couches populaires vers l'extrême-droite. Quand la France compte cinq millions de chômeurs réels, faut-il, au nom du libéralisme sans frontière, accroître le nombre de chômeurs en Seine-St-Denis ou ailleurs. " Libération, du mercredi 27 août 97,
rapporte les propos de Debré : " Je me réjouis, même
s'ils m'ont profondément attaqué tout l'hiver dernier, même
s'ils ont organisé des manifestations contre moi, de voir aujourd'hui
le PS revenir sur ses engagements et considérer que la législation
de 1993 comme la législation de 1997 sont bonnes pour notre pays.
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