En effet, commencer la Phénoménologie par la certitude
sensible immédiate semblera à tout le monde naturel, sauf
pour un phénoménologue justement qui demandera qu'on " revienne
aux choses mêmes ". Partir du plus simple et du plus immédiat
est de bonne méthode cartésienne, c'est la méthode
scientifique, celle du savoir qui s'auto-examine. En tant que phénoménologie
du savoir scientifique, cette description peut garder toute sa validité
mais elle se distingue à peine de La Logique elle-même
qui en reprend les principales articulations. Par contre, il n'est pas
question d'une véritable phénoménologie de la conscience,
seulement du savoir (ce que Marx dénoncera). Ce que la philosophie
phénoménologiste a montré, en effet et grâce
à Hegel en fait, c'est que la conscience n'était pas analytique,
elle ne part pas du détail pour reconstituer la situation mais projette
au contraire d'abord la totalité de la situation (intentionnalité),
s'inquiétant ensuite de ce qui n'y correspond pas, y fait événement.
La conscience ne commence jamais à partir de l'immédiat,
elle est toujours déjà-là, en situation, insérée
dans une histoire, des rapports sociaux, des discours, toujours déjà
conscience pour l'Autre et langage. C'est l'introspection du savoir
qui s'interroge sur ses fondements qui doit commencer par donner sens aux
sens, comme ouverture à l'extériorité. Cette démarche
logique n'est, donc, pas historique. La phénoménologie
de la conscience réelle a été plutôt l'affaire
de la psychanalyse. Ici nous avons affaire à une reprise de la dialectique
du Moi et du Non-moi héritée de Fichte plus
qu'une véritable description de l'expérience vécue.
Cette confusion ne permettra pas à Hegel de donner toute sa dimension
ontologique au temps, le traitant plutôt comme un donné de
l'expérience tout comme l'espace, alors que la dialectique exige
de l'identifier à la négativité même comme il
le fera d'ailleurs dans l'Encyclopédie.
Le temps est l'être qui, en étant, n'est pas, et qui,
en n'étant pas, est...
Comme l'espace, le temps est une pure forme de la sensibilité...le
premier serait l'objectivité abstraite, le second la subjectivité
abstraite.
Or, ce n'est pas dans le temps que tout naît et périt,
mais le temps lui-même est ce devenir, ce naître et ce périr...Le
concept n'est pas non plus dans le temps, ni un temporel, mais c'est lui
qui est bien plutôt la puissance du temps (Enc. §258)
Là encore, et interprété comme négativité,
le temps est envisagé comme passé sur lequel portera
la négation et non pas comme avenir projeté à
partir de ses possibilités.
La phénoménologie de la conscience commence donc par le
savoir subjectif isolé, la certitude immédiate de la sensation
qui sera mise en cause par la conscience elle-même en sa vérité
jusqu'à ne laisser d'autre réalité que la conscience
de soi comme dialectique négative, scepticisme qui réduit
le savoir au processus où il se défait.
Sartre a bien repris la leçon de Hegel en identifiant le sujet
de la conscience à un néant comme opposé à
l'objet de la conscience. Pour le sujet de la sensation, la sensation est
le non-moi, l'objet dont j'ai conscience (La conscience est toujours
conscience de quelque chose) et que je ne suis pas, mais la négation
suivante oblige à reconnaître le moi lui-même comme
faisant partie du monde de la sensation avant de reconnaître cette
représentation comme représentation pour la conscience.
La véritable dialectique commence ainsi à la conscience
de soi.