La beauté mathématique et la complétude
peuvent-elles suffire en l'absence de prédictions vérifiables
par l'observation ?
S.W. Hawking, La nature de l'espace et du temps, folio, p41
- La physique spéculative
Nous sommes entrés dans une phase de plus en plus spéculative
en physique et sans doute de façon irrémédiable car
les expériences décisives demandent des énergies
de plus en plus hors d'atteinte. Cette absence de sanction par l'expérience favorise
la multiplication des théories : "théories des cordes,
supersymétrie, gravitation quantique, géométrie non
commutative, etc. Toutes ces théories, ou ébauches de théories,
se placent sur des plans différents, avec parfois, cependant, quelques
points communs". C'est fascinant et problématique
à la fois. Fascinant car cela stimule l'imagination et manifeste l'étendue
de notre ignorance alors même qu'on s'imagine à deux doigts
d'une théorie ultime ! C'est problématique car la physique
n'est pas la métaphysique et on sait bien que, par le passé,
les plus beaux modèles, les plus convaincants a priori, ont été réfutés
par l'expérience. La dérive est parfois inquiétante
de la cosmologie à la cosmogonie, à la "création de l'univers à partir de rien" pour Hawking voulant y déchiffrer "la pensée de Dieu" ! On se croit
parfois revenu au temps de la scolastique, à discuter
sur des concepts ou des objets hypothétiques qui n'ont peut-être
aucune réalité. Le délire foisonne malgré tout
l'appareillage mathématique. La confusion est plus grande que jamais.
C'est sans doute une situation durable même si on peut s'attendre
à une dernière phase d'expérimentation prometteuse
avec le futur LHC (Large Hadron Collider) ou autres collisionneurs (on ne
dit plus accélérateurs de particules maintenant car ce sont
des collisionneurs de particules, accélérées en sens
inverse pour interagir. Les Hadrons, constitués de quarks, regroupent
les baryons de spin 1/2, proton et neutron, ainsi que les mésons de
spin entier). Ensuite les énergies requises pour aller plus loin
seront hors de notre portée pendant assez longtemps.
Nous allons surtout rendre compte ici des hypothèses de la Supersymétrie,
très bien exposées par le livre de Gordon Kane qui vient de
sortir (Supersymétrie, Le Pommier) et dont l'original anglais
date de l'année 2000. Pour faire contraste nous évoquerons
le débat de 1994 entre Stephen Hawking et Roger Penrose, intitulé
"La nature de l'espace et du temps", et qui vient de sortir en poche
(chez Folio), on se demande d'ailleurs bien pourquoi car c'est à
peu près illisible pour un profane, et souvent aventureux ! On frise
parfois le délire (surtout Penrose). Ce n'est pas que la Supersymétrie
soit beaucoup plus assurée, du moins elle est plus raisonnable et
offre une voie vers l'unification de la physique, ce que Gordon Kane croit
pouvoir appeler "la théorie ultime" (théorie des supercordes).
En tout cas, cela permet de constater comme la science en train de se
faire est bien différente de la science des manuels qui efface l'histoire
des découvertes. On éprouve toute l'étendue de ce qu'on
ne sait pas à formuler de nouvelles hypothèses que l'expérience
ne peut encore trancher. La recherche avance lentement car il faut avancer
pas à pas, échelle par échelle, mais aussi parce que les scientifiques restent pris dans
des modes de pensée, des paradigmes (Kuhn) qui bloquent l'imagination.
La science est un processus historique intersubjectif d'objectivation par
l'expérience et d'apprentissage collectif qui prend du temps (le temps pour comprendre).
- La grande unification
On ne sait pas encore si la Supersymétrie et les nouvelles particules
qu'elle implique existent vraiment. Ce n'est pas une expérience qui
a mis sur la voie de la supersymétrie mais uniquement des considérations
mathématiques, un peu comme Dirac avait déduit l'anti-matière
de l'existence d'une solution inverse à l'équation
relativiste de l'électron. La Supersymétrie est une hypothèse
simplificatrice, c'est ce qui en fait l'attrait car la science cherche le
simple et l'unité (voir Einstein). Pour l'instant, on ne peut savoir si elle ne relève que d'un préjugé
scientifique et d'une pure spéculation, bien qu'il y ait des indices
forts de sa pertinence. L'expérience seule pourra en décider.
Certains prétendent que ses prédictions se sont déjà
vérifiées, mais c'est du même tonneau que ceux qui prétendent
que la théorie des cordes est vérifiée car elle prédit
la gravitation ! (on croit rêver). Ce qu'il faut souligner c'est que
la Supersymétrie s'inscrit dans les tentatives d'unir les forces de
gravitation avec les champs électro-magnétiques, la relativité
générale avec la mécanique quantique. C'est une étape vers une théorie
complète des interactions ("électriques, magnétiques, gravitationnelle, faible et nucléaire" 37), que certains appellent la théorie
du tout, et dont la théorie des cordes
pourrait être la préfiguration. Gordon Kane adopte plutôt
l'expression de "théorie ultime" car il sait bien qu'on ne tirera
pas les théories du chaos ou la biologie d'une physique des interactions
fondamentales, mais le terme d'ultime reste bien trop ambitieux. L'atome
déjà devait être un composant ultime de la matière...
Le bon terme semble celui de "théorie première", théorie unifiée ou théorie
fondamentale.
En l'absence de cette théorie fondamentale toutes les théories dont on dispose sont ce qu'on appelle des "théories effectives" qui ne sont valables qu'à une échelle
donnée des phénomènes
(échelle de distance et de précision), ce qui serait en fin
de compte la justification des procédures de renormalisation éliminant
les infinis des équations. Du coup chaque théorie effective
tient ses données initiales d'une théorie d'échelle
inférieure, tout en fournissant les données de base du niveau
supérieur. L'utopie de la Théorie du Tout est l'hypothèse
réductionniste d'une reconstruction complète, sans reste ni
émergence des quarks (ou cordes) aux particules, à l'atome,
aux molécules, jusqu'aux réactions chimiques. Or Gordon Kane
reconnaît qu'outre l'impossibilité d'isoler un système,
tout comme de prendre en compte tout l'univers, il y a bien des propriétés
émergentes à chaque niveau de réalité (et qui
peuvent venir du "bruit" en fonction de la distance, de la forme globale
ou de l'interaction avec d'autres éléments de même niveau).
On peut penser donc que l'unification des interactions aux distances de
Planck ne devrait pas apporter grand chose aux niveaux supérieurs,
sinon une plus grande cohérence sans doute. De toutes façons
la supersymétrie n'a pas la prétention d'être la théorie
ultime, que pourrait être une théorie des (super)cordes aboutie. Ce
n'est donc qu'une théorie effective supplémentaire mais qui nous
rapproche de l'échelle de Planck où les différentes forces
devraient s'unifier (gravitationnelles, électromagnétiques,
faibles et fortes) et qui pourrait constituer l'accès à la théorie fondamentale.
Vers les années 1930, les physiciens avaient
fini par comprendre que toute théorie doit être soumise à
de nouveaux tests, dès lors qu'on cherche à l'appliquer au-delà
du domaine de valeur pour lequel elle a été vérifiée.
23
Pour toute théorie effective, on trouve de nouvelles règles, et de nouvelles
propriétés surgissent qui n'étaient pas prédictibles, en pratique. On les
appelle souvent "propriétés émergentes". 80
Toutes les théories effectives s'appuient sur
d'autres : la succession des théories effectives, jusqu'à la
théorie ultime. 79
Chaque théorie effective fournit une compréhension
de comment une description du fonctionnement des phénomènes.
Mais elle explique tout, ou partie, des paramètres d'entrée
de la théorie effective valable à plus grande échelle.
De ce point de vue elle apparaît donc une compréhension du pourquoi.
80
Voilà plus de 200 ans, Charles Augustin de Coulomb a montré
que les interactions électriques et gravitationnelle dépendaient toutes deux
de l'inverse du carré de la distance séparant les objets en interaction.
Les formules qui les décrivent ont donc la même forme. 37
Supersymétrie, Gordon Kane, Le pommier
Il faut savoir pourtant que cette unification elle-même n'est
pas forcément légitime. Certes, il y a de grandes analogies
entre la gravitation et l'électro-magnétisme, dont Kaluza
avait dès 1919 montré l'équivalence dans un espace-temps
à 5 dimensions dont une dimension minuscule (de l'ordre de la longueur
de Planck) et que la théorie des cordes élargira à 11
dimensions. "La force gravitationnelle dans cette petite dimension engendre notre électromagnétisme". Il y a autant de dimensions que de forces. "En un certain sens, on pourrait
dire qu'en devenant petites, les dimensions
supplémentaires se manifestent comme des forces" 254. Dans ce cadre, il est donc raisonnable de penser que toutes les forces s'unifient au
niveau de la plus petite longueur possible, celle des cordes, la longueur
de Planck (10-35 m), bien que je n'ai pas compris comment on
passe d'une force universelle d'attraction comme la gravitation à
une force bipolaire comme l'électromagnétisme impliquant une brisure
de symétrie.
Ce n'est pas un détail car c'est bien cette absence de polarité qui permet de géométriser
l'espace gravitationnel et cette grande unification des forces semble faire
perdre à la gravitation son privilège dans la relativité générale.
Ce qui fait dire à Hawking : "Je pense pour ma part qu'elle est radicalement différente, parce
qu'elle façonne elle-même la scène sur laquelle elle
joue, contrairement aux autres champs qui jouent dans un décor d'espaces-temps
fixe" 42. On pourrait peut-être dire au contraire
que la gravitation garde sa primauté, puisqu'il n'y aurait plus que
ça et qu'il faudrait étendre la déformation de l'espace
riemannien aux petites dimensions invisibles ? En tout cas, il ne semble
pas que la réduction de la gravitation à un champ soit vraiment
compatible avec la relativité générale telle que la
concevait Einstein, c'est-à-dire comme extension de la constance
de la vitesse de la lumière aux accélérations et pas
seulement aux différentes vitesses (relativité restreinte).
En effet, si la gravitation est une conséquence géométrique
de l'inertie, déformation de l'espace engendrée par les masses,
il n'y a pas de champ gravitationnel comme on le suppose dans les tentatives
d'unification. L'unification pourrait obliger au contraire à remplacer
la notion de champ par une déformation géométrique des
dimensions supplémentaires comparable à celles de la relativité
générale, mais dans ce cas on perd la notion de quanta du
champ (qu'on pourrait retrouver comme quanta d'interaction et non plus du
champ, ce qui semble plus conforme à la réalité) et
surtout la transmission à la vitesse de la lumière serait remplacée
par une transmission géométrique immédiate, ce qui ne
correspond pas à l'expérience. D'un autre côté,
Richard Feynman a montré dans ses "leçons sur la gravitation"
(Odile Jacob) qu'on pouvait abandonner la représentation géométrique
pour celle d'un champ gravitationnel et il semble bien que les forces de
gravitation se propagent à la vitesse de la lumière plutôt
que d'être une déformation immédiate de l'espace géométrique,
mais la gravitation n'a plus alors le même sens et perd sa primauté,
sa spécificité dans la construction de l'espace-temps. Ce
qui pose problème aussi, c'est qu'un champ dissipe de l'énergie
en rayonnant ce qui n'est pas le cas de la gravitation, ce que souligne aussi
Feynman. La recherche de l'unification entre la gravitation et les autres
forces est donc tout-à-fait légitime mais il faut savoir qu'elle
n'est pas encore acquise et qu'elle pourrait échouer. Par contre,
il faudra bien rendre compatible théorie quantique et relativité
générale, ce qu'elles ne sont pas aujourd'hui. Penrose remarque
que la relativité générale étant vérifiée
plusieurs ordres de grandeurs au-delà de la précision quantique
déjà extraordinaire (10-11), ce serait à la théorie quantique,
théorie du discontinu, des champs quantifiés, d'intégrer
la topologie, l'hypothèse du continu exprimé par la relativité générale
et ses déformations géométriques. Hawking va plus loin
dans l'affirmation de la primauté et de la spécificité
de la gravitation puisqu'il en fait l'origine du temps dans son irréversibilité,
ce qu'il appelle "l'entropie gravitationnelle".
L'entropie gravitationnelle et le fait que le temps ait un commencement
et puisse avoir une fin, tels sont les deux thèmes que je traiterai
dans mes conférences car c'est sur ces deux modes que la gravité
est un champ radicalement différent des autres champs physiques. 60
La gravité enroule l'espace-temps en boucle, de sorte que ce dernier a un commencement et une fin. 24
S.W. Hawking, La nature de l'espace et du temps, folio
Tout cela est bien contestable. On a vu qu'interpréter les autres forces comme l'effet de la gravitation
dans les dimensions supplémentaires ne remet pas en cause sa primauté
puisqu'on peut dire qu'il n'y a plus que ça. Pas d'autre force que
la gravitation, donc, ou les conséquences géométriques de l'inertie
(de la masse, de l'énergie confinée, d'une interaction localisée).
- Entropie et information
Avant d'en venir à la Supersymétrie, on ne peut quitter
le débat Penrose-Hawking sans en souligner quelques faiblesses (au-delà
de la technicité). D'abord que la quasi-totalité des théories
de Hawking (et de Penrose) ne sont que de pures spéculations. Ainsi
de son célèbre "rayonnement des trous noirs" qui s'appuie sur
la théorie quantique pour affirmer qu'en vertu du principe d'incertitude
et des fluctuations quantiques, il y a malgré tout une infime évaporation
ou radiation d'un trou noir. Cela semble raisonnable mais la démonstration
nécessite une "euclidisation" sans véritable fondement pour
en éliminer les singularités et les infinis. Il pourrait y
avoir recapture de ce rayonnement par exemple. Quand on construit des hypothèses
sur une base aussi mince on peut friser le ridicule comme dans ce "théorème
d'absence de poil" (sic!) qui exprime simplement qu'un trou noir n'a aucune
autre propriété observable, aucune information en dehors de
sa masse, sa rotation et sa charge (il n'y a rien d'autres, pas de détails,
pas de poils !). Du fait du rayonnement supposé des trous noirs, qui
auraient donc une température, Hawking croit pouvoir faire une thermodynamique
des trous noirs, les trous noirs étant une conséquence de la
gravitation et de la relativité générale, ce serait donc
une thermodynamique gravitationnelle, ce qui permet d'unifier entropie et
gravitation sous le terme d'entropie gravitationnelle, interprétée
comme une perte d'information due à la gravitation (dans les trous
noirs au moins car ce qui en sort n'a rien à voir avec ce qui y est
entré).
L'imprécision du concept d'information est ici très
préjudiciable. En l'identifiant à celui d'entropie, cela mène
à interpréter le deuxième principe de la thermodynamique
comme énonçant que "de l'information peut être perdue mais jamais créée à partir de rien" 16. Il est absurde d'identifier entropie et information,
bien qu'ils soient
à l'évidence reliés, puisque l'information c'est le
contraire de l'entropie, mais seulement pour un sujet vivant pour qui elle fait sens. C'est
pour nous que l'information est perdue, pas forcément à l'intérieur
du trou noir si cela avait un sens, mais de toutes façons, même
une perte d'informations est une information nouvelle pour un observateur.
La quantité d'information n'est pas égale à l'entropie
d'un système, sauf à parler d'information intrinsèque
ce qui ne veut rien dire. Plutôt que d'information il faut parler à
ce niveau d'improbabilités (ou de probabilités) de configuration, de degré
de liberté (K) et du nombre de complexions (W) permettant de calculer
l'entropie (S = K log W), ce qui n'est pas tout-à-fait la même
chose que de l'information. Passer directement au concept d'information engendre simplement des confusions
de niveaux derrière les confusions de vocabulaire.
Refuser toute possibilité de création d'information
me semble extraordinaire, comment l'entropie et la destruction pourraient-ils
régner en maître s'il n'y avait pas création préalable,
qui ne se limite pas au Big bang où il n'y avait pas grand chose
en dehors de la chaleur ? Il n'y a pas besoin de faire intervenir la gravitation,
seulement l'entropie elle-même, le rayonnement, le refroidissement,
pour expliquer des brisures de symétrie (cristallisation, bifurcation,
effet de seuil), des créations d'ordre et d'informations (diversification).
Le temps irréversible est dans l'expansion de l'univers et son refroidissement,
indépendamment de la gravitation bien qu'elle y participe avec la
création d'étoiles. Le temps ou l'entropie ne sont pas seulement
destructeurs et homogénéisants mais produisent aussi des différenciations,
des brisures de symétrie, des constructions de constructions, évolutions
qui prennent du temps (le temps est fractal, plus l'échelle est grande,
plus il faut du temps, pour la constitution d'amas de galaxies par exemple
beaucoup plus lente que pour les galaxies elles-mêmes, mais la gravitation
s'accélère au cours du temps, comme l'expansion semble-t-il,
ce qui se comprend beaucoup moins bien, serait-ce lié ?). Boltzmann
a d'ailleurs admis face aux objections de Loschmidt et Zermelo que la décroissance
de l'entropie n'était pas impossible mais seulement improbable. L'entropie
est une loi probabiliste et non pas mécanique.
Non seulement on voudrait qu'il ne puisse y avoir de création d'informations
mais certains prétendent même qu'on ne pourrait pas en perdre
! "En relativité (non quantique) comme en physique quantique à
l'échelon microscopique, aucune information ne peut jamais être
perdue" 20. Cela paraît incroyable, comme s'il n'y
avait jamais aucune singularité (ou catastrophe) ! Il y a bien sûr
quantité de pertes d'informations (par le bruit ou la fureur).
On a même bien du mal à cause de cela à tester "l'inséparabilité"
(qui elle, est pourtant géométrique, immédiate quelque
soit la distance, ce qui contredit la théorie quantique des champs).
On parle d'ailleurs de "décohérence" pour les interférences
ou mesures quantiques, notion qu'il faudrait mieux intégrer à
une théorie du signal (et pas de l'information!). Ce qui ne se perd
pas, et se conserve toujours, même en se dissipant sous forme de rayonnement,
c'est l'énergie, il ne faut pas confondre. L'information n'est pas
réductible à l'énergie ni à une force car elle
exprime une improbabilité, une différence, un caractère
non linéaire (significatif) et n'a aucune proportionnalité.
Il y a donc bien conservation de l'énergie mais pas du tout de l'information
(ce qui ne veut rien dire car l'information change avec le temps, elle s'use,
il y a une entropie de l'information mais aussi une création à
jet continu dans les phénomènes chaotiques au moins).
- Conservation, invariances et symétries
Laissons Hawking et venons-en à la Supersymétrie qui est
une nouvelle symétrie hypothétique. Il faut donc comprendre
d'abord l'importance des symétries en physique. La conservation de
l'énergie est une condition de la physique et de sa mathématisation,
de l'égalité des équations. L'invariance des lois de
la physique quelque soit le référentiel ou la vitesse est une
condition de l'universalité de ses lois et justifiera la relativité
galiléenne des vitesses puis la relativité restreinte (non
relativité de la vitesse de la lumière par rapport à
la vitesse de référence) et la relativité générale
(non relativité de la vitesse de la lumière quelque soit l'accélération).
Conservation et invariance sont deux conditions de possibilité
très fortes d'une théorie physique. La troisième est
presque aussi fondamentale, c'est l'existence de symétries (positif/négatif)
mais cette fois la contrainte n'est pas aussi absolue puisque ces symétries
n'apparaissent qu'à être brisées, se manifestant comme
forces. Sans forces de symétries, il n'y aurait tout simplement pas
de lois physiques (sauf la gravitation ou la gravitation serait symétrique
à l'expansion ?).
Nous avons compris que les forces ne sont
pas des ingrédients qu'il faut introduire de façon arbitraire
dans nos théories, aux côtés des particules qui y sont
soumises. Au contraire, nous comprenons aujourd'hui qu'elles résultent
des propriétés de symétrie auxquelles obéissent
ces particules.
Pour la Science no 300, octobre 2002
Cela signifie que "La charge électrique moyenne de l'univers est nulle" 191, de même sans doute que la somme de l'énergie négative
(gravitationnelle) et positive (cinétique) donnerait une énergie
totale nulle ou presque. L'énergie est un différentiel qui
ne se distingue pas des forces de symétrie. L'énergie est une
pression, une compression de l'espace produisant des singularités
(des plis résultant de la projection d'un espace "sur quelque chose
de plus petit que sa propre dimension" René Thom). On sait bien que
la symétrie entre matière et anti-matière a été
brisée, sinon nous ne serions pas là, mais sans vraiment comprendre
pourquoi ni quelle force en résulte. Ce n'est pas parce qu'une symétrie
est brisée qu'elle ne joue plus, au contraire. C'est même la
raison de la stabilité de
la matière malgré les fluctuations quantiques, les forces de liaison empêchant
la désintégration des particules car pour se désintégrer
elles doivent conserver énergie et charge électrique. La recherche
de symétries est bien fondamentale en physique. C'est ce qui
situe la démarche de la supersymétrie dans le droit fil de
son développement mais alors que jusqu'ici ce sont des forces physiques
qu'on a interprété comme effets d'une brisure de symétrie,
cette fois-ci c'est l'hypothèse d'une nouvelle symétrie qui cherche des observations qui pourraient la confirmer !
- Fermions et bosons
La Supersymétrie n'est rien d'autre qu'une symétrie supposée
entre fermions (spin 1/2 ou 3/2) et bosons (spin entier = 0, 1 ou 2), "elle associe à chacun de ces états de l'électron un partenaire qui ne s'en distingue que par son spin"
109. C'est une symétrie
que rien ne suggère dans l'expérience pour l'instant mais seulement
dans les formules mathématiques. Le spin est mal compris encore, c'est
une sorte d'axe de rotation dont l'orientation peut changer. La valeur donnée
représente le nombre d'orientations par lesquelles il faut passer pour revenir à
l'état initial (un électron, qui est un fermion de spin 1/2, peut prendre 2 orientations up ou down). Un boson est une particule d'interaction qui transporte
de l'énergie (la plupart du temps à des vitesses proches de
celles de la lumière), c'est simplement la transmission d'une force, le quanta d'un champ dont
le meilleur exemple est le photon. Les fermions (quarks ou électrons)
constituent la matière elle-même, localisée (deux fermions
ne peuvent occuper la même place) contrairement aux bosons que tout
semble opposer (entre inertie locale et transmission d'un signal). Pour
compliquer le tout il faut savoir qu'une paire de fermions (spin 1/2) est l'équivalent
d'un boson (spin 1) ! (ce qu'on vérifie avec les condensats de Bose-Einstein).
Postuler une symétrie des équations entre bosons et fermions
ne va donc pas de soi, surtout que les superparticules supposées brillent
par leur absence dans l'état actuel de nos expériences (tout
comme les antiparticules qui ont été déduites avant
d'être observées). On comprendrait mieux, peut-être,
si on parlait de symétries entre paires de particules mais la supersymétrie
est l'hypothèse entièrement spéculative que s'il existe
un fermion, comme l'électron, il doit pouvoir exister un boson ayant
les mêmes propriétés (énergie et charge), à
l'exception du spin (ou de la masse), et qu'on nomme sélectron (ou
squark pour les quarks) en faisant précéder la particule existante
d'un "s". De même pour tout boson, comme le photon, devrait pouvoir
exister un équivalent fermion appelé photino (en utilisant
le suffixe "ino"). Si tout cela reste à prouver, il y a bien une liaison
nécessaire entre fermions et bosons, interaction matérielle
et particule médiatrice, mais c'est entre l'électron et le
photon, pas entre l'électron et le sélectron (les photons ne
servent pourtant pas seulement aux interactions électriques puisqu'ils
transmettent de l'inertie comme dit Einstein, mais ils transmettent aussi
de l'énergie cinétique et de la chaleur, participant à l'équilibre
thermodynamique de l'univers).
Si une particule porte une charge, alors, pour
construire une théorie quantique cohérente, il faut nécessairement
introduire un champ supplémentaire qui interagisse avec cette particule
[...] Les photons existent parce que les électrons existent. L'existence
du photon a trouvé son explication. Grâce au modèle standard,
nous comprenons enfin d'où vient la lumière. 57
Il vaut la peine de souligner que la supersymétrie
est l'idée que les lois de la nature restent inchangées sous
la permutation fermions - bosons. Cela ne signifie pas que l'électron
devienne un sélectron dans les équations constitutives de la
théorie fondamentale mais plutôt que les équations doivent
contenir à la fois les symboles de l'électron et du sélectron
et que les équations demeurent invariantes sous la permutation de
ces symboles. L'existence même des sparticules serait la prédiction
la plus spectaculaire pour tester cette idée. 111
Exiger des équations qu'elles soient invariantes sous la permutation
de ces particules impose des contraintes strictes à la théorie,
et donc à ses prédictions. 56
Pour qu'elles soient interchangeables, les particules d'une même paire
doivent avoir la même masse, car les équations en dépendent.
Or pour des raisons techniques, il se trouve que cela n'est possible que
si toutes les particules sont de masse nulle [...] Malheureusement cela ne
colle pas avec les données : toutes les particules ont bel et bien
une masse. C'est ici que le boson de Higgs entre dans la danse. 56
Dans notre espace-temps habituel, bosons et fermions se comportent différemment,
mais il se trouve qu'en associant à nos quatre dimensions d'espace-temps
usuelles quatre autres "dimensions" (sans aucune extension!), on peut inclure
les différences entre fermions et bosons dans la structure de "l'espace".
C'est ainsi que l'on définit le "superespace". Il s'agit d'une structure
géométrique dans laquelle bosons et fermions admettent une
description parfaitement symétrique [...] Dans le superespace, bosons
et fermions s'envisagent comme deux projections différentes d'un même
objet, un peu comme l'électron et le neutrino dans un espace interne
bien choisi. 115
Aussitôt le superespace formulé, les chercheurs ont tenté
de le transposer à la théorie géométrique de
la gravitation et ont imaginé la "supergravité". Celle-ci inclut
la théorie d'Einstein et la généralise. 116
Toutes ces hypothèses aventureuses semblent
bien étranges étant donné les si grandes différences
de comportement entre bosons et fermions. Elles ne sont justifiées
qu'à promettre de résoudre certaines énigmes du modèle
standard comme celui de la masse qui reste encore mystérieuse et que pourrait
expliquer l'interprétation supersymétrique du mécanisme
de Higgs (où la masse des particules résulterait de l'interaction
avec un supposé champ de Higgs). Le problème de la matière
noire aussi serait résolu par l'existence de ces superparticules,
puisqu'il semble nécessaire de découvrir des particules nouvelles
qui interagissent très peu pour expliquer les mouvements des galaxies.
Les particules superpartenaires sont supposées instables car trop
lourdes (c'est pour cela qu'on ne les observe pas), sauf la plus Légère
des SuperParticules appelée pour cela LSP (car on ne sait pas encore
laquelle) qui ne peut donc plus se désintégrer. "Les neutrinos et la LSP, si elle existe, représenteraient une forme
de matière présente partout dans l'univers. Parce qu'ils ne
subissent que les interactions faibles et gravitationnelle, et pas les interactions
fortes et électromagnétiques, ils ne font pas partie de la
matière stellaire. Ils représentent de la "matière noire".
La supersymétrie prédit qu'il existe de la matière noire
composée de LSP" 102. Enfin, si la supersymétrie
n'est pas la théorie première mais seulement une nouvelle théorie
effective, elle devrait ouvrir la voie d'une physique aux très courtes
échelles de distance, de l'ordre de l'échelle de Planck, et
"relier la théorie des cordes en 10 dimensions, avec supersymétrie
non brisée, autour de l'échelle de Planck, et le modèle
standard en quatre dimensions, avec supersymétrie brisée" 215.
- Le mécanisme de Higgs
De même que la plupart des particules
interagissent entre elles, les particules du modèle standard interagissent
avec le champ de Higgs. Seuls les photons, les neutrinos et les gluons n'interagissent
pas directement avec lui. Interagir avec le champ de Higgs revient à
peu près à marcher dans l'eau plutôt que dans l'air :
on se sent plus lourd. Autrement dit, c'est comme si l'on portait de la masse
en plus, ce qui pour les particules, revient à acquérir une
masse. 246
La supersymétrie produit également
le mécanisme de Higgs. Le signal caractéristique qui assure
que le mécanisme de Higgs fonctionne est qu'un certain paramètre
de la théorie devient négatif, alors qu'on l'interpréterait
normalement comme le carré d'une masse (m2) et qu'il devrait
donc être positif. Bien que cela apparaisse plutôt comme une
complication à première vue, il se trouve que ce paramètre
fait bien ce qu'il faut pour doter les autres particules d'une masse [...]
Dans le modèle standard supersymétrique, m2 prend
une valeur positive à l'échelle de Planck. Ainsi, tous les
quarks, tous les leptons et les bosons faibles W et Z sont dépourvus
de masse à cette échelle. 120
m2 décroît jusqu'à s'annuler puis devient
négatif aux grandes distances, ce qui déclenche le mécanisme
de Higgs. 121
Cette explication implique donc que ces particules étaient
dénuées de masse lors du big-bang - qui aurait eu lieu à
des distances minuscules, c'est-à-dire à très haute
énergie, de l'ordre de l'échelle de Planck - et le restèrent
encore quelque temps, jusqu'à ce que l'univers ait suffisamment refroidi
pour atteindre les énergies typiques du modèle standard et
de nos collisionneurs, après un millième de seconde environ.
L'univers se trouva ensuite dans un état de plus basse énergie,
avec un champ de Higgs non nul qui interagit avec les particules pour les
rendre massives. 249
L'explication du mécanisme de Higgs par
le modèle standard supersymétrique n'a de sens que si les masses
des superpartenaires sont très supérieures à celles
des particules du modèle standard. 122
On attend, pour la superparticule la plus légère, une masse
de l'ordre de celle du boson W, déjà très lourd par
comparaison au proton ou aux noyaux légers, de sorte que l'essentiel
de son énergie serait dédiée à sa masse plutôt
qu'à son mouvement. 164
Les particules interagissent quand leurs champs se rencontrent
avec une intensité proportionnelle à leur charge (de couleur,
électrique, faible) et leur distance. Le boson de Higgs est le quanta
d'un champ de Higgs. Il serait responsable de la masse (de l'inertie, du
ralentissement), du moins à partir d'un certain refroidissement et
d'une certaine distance. Ce serait le type d'interaction des particules avec
le champ de Higgs qui leur donnerait leur masse en leur ajoutant de l'énergie,
c'est-à-dire un boson de Higgs (selon la formule E=m2H2+AH4 où H
représente le champ de Higgs et A une constante). Ainsi la masse du
boson Z, se matérialisant par une orientation supplémentaire
du spin (la 3ème), serait due au fait que le boson Z aurait "mangé" le boson de Higgs et qu'il a donc pris du poids, c'est-à-dire de la masse
! (p178).
Je dois dire que je suis bien dubitatif. L'inertie ne me semble pas
être due à un champ particulier mais à n'importe quelle
interaction locale, au spin 1/2 sans doute ou comme le pensait Einstein lorsque
la longueur d'onde de la particule est inférieure à son rayon
(pour exhiber ses propriétés ondulatoires, dans un laser de
matière par exemple, on refroidit un condensat de Bose-Einstein pour
augmenter sa longueur d'onde). Si la masse est reliée à la
longueur d'onde, comme dans la formule de Louis de Broglie (mC2=hf), aucun champ extérieur n'y intervient, seulement le niveau d'énergie
interne (plus il y a d'énergie plus la longueur d'onde est petite
comme l'illustre Jean-Pierre Petit avec une corde qu'on fait onduler plus
ou moins fort). On peut même dire que c'est l'absence de champ lié
à cette longueur d'onde qui constitue la matière et son inertie.
En tout cas, pour une fréquence donnée, la masse dépend
bien de la vitesse relative (de l'inertie par rapport à C2) et non d'un champ de Higgs. Enfin on sait qu'avec l'expansion de l'univers les photons (champs) s'allongent
et perdent de l'énergie alors que les particules matérielles
ne se dilatent pas, il y a donc conservation de la masse, ce qui ne renforce
pas le rôle d'un champ dans ce phénomène. L'attribution
de la masse par un champ semble plutôt une solution ad hoc, plaquant des mécanismes connus, ceux des champs, sur un phénomène
qu'on ne comprend toujours pas. Sinon ce champ de Higgs ressemble beaucoup
à l'éther d'antan, une matérialisation de l'espace, et sa résistance au mouvement pourrait
peut-être rendre compte de la gravitation, mais à l'ancienne...
On voit qu'il n'y a rien de sûr et beaucoup d'hypothèses
à discuter et approfondir alors que les investissements requis pour
tester ces théories sont de plus en plus considérables et que
les forces en jeu nous dépassent de plus en plus justifiant l'application
du principe de précaution (par exemple vouloir créer des petits
trous noirs expérimentaux est certainement aventureux dans l'état
actuel de nos connaissances). Non seulement ces recherches sont malgré
tout complètement justifiées, puisqu'elles témoignent
bien de ce qu'on ne sait pas, mais on gagnerait sans doute pas mal d'argent
à financer beaucoup plus le travail théorique, voire la critique épistémologique. On sait que le software coûte incomparablement moins
cher que le hardware qu'il permet d'optimiser à moindre frais
(voilà bien un domaine où le travail immatériel peut
économiser beaucoup d'énergie et d'argent).
Je n'ai pas abordé la théorie des cordes, traitée précédemment, mais j'espère avoir donné
une idée des questions que posent la physique théorique d'aujourd'hui,
et ne pas avoir dit trop de bêtises, étant donné mon
incompétence totale en ce domaine. L'intérêt de ces excursions
dans la physique est surtout de mesurer son caractère très
spéculatif et l'étendue de notre ignorance afin de bousculer
un peu nos certitudes.