Le but final n’est pas
un état qui attend le prolétariat au bout du mouvement, indépendant
de ce mouvement et du chemin qu’il parcourt, un "État de l’avenir"...Ce
n’est pas un "devoir", une " idée" qui jouerait un rôle de
régulateur par rapport au processus "réel". Le but final
est bien plutôt cette relation à la totalité (la totalité
de la société considérée comme processus),
par laquelle chaque moment de la lutte acquiert son sens révolutionnaire...par
là, ce moment de la lutte quotidienne est élevé du
niveau de la facticité, de la simple existence, à celui de
la réalité. Lukács p43
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"Tout est souffrance"
Comment ramasser plus encore ce que je voudrais dire ?
N’allez pas croire que j’annonce comme une vérité l’insatisfaction
en ce monde, ce serait fonder une nouvelle religion. De même
on ne peut annoncer comme une vérité (révélée
par quelle divinité) le ratage du rapport sexuel, ou même
la mort prochaine (l’être-pour-la-mort quelle blague !). Il y a une
satisfaction dans ce monde, celle de l’action révolutionnaire
qui transforme le donné et le modèle sur l’idéal qui
manque, sans pouvoir cependant abolir la division (producteur/consommateur)
mais en la surmontant (il vaut mieux contrôler socialement l’ensemble
de la production plutôt que de s’imaginer supprimer la contradiction
simplement par la propriété des moyens de production). La
contemplation religieuse s’abîme dans son humiliation, sacrifiant
la satisfaction en ce monde pour la satisfaction dans l’Autre monde. Le
refus de cette passivité dans le projet révolutionnaire
ne peut mener qu’à l’analyse des contradictions réelles et
leur régulation par la liberté humaine, la force collective
qu’elle peut décider pour plier les "lois objectives" aux intérêts
de cette communauté humaine.
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Le dur désir de durer
Est-ce que, pour cela, nous pourrions accéder à la véritable
satisfaction du sage qui consiste à se savoir digne d’être
heureux, voyant son estime de soi objectivée. Je ne le pense pas,
la satisfaction ne s’éprouvant qu’en acte et ne pouvant dispenser
l’avenir de témoigner de son implication dans une énonciation
toujours nouvelle, dans une situation inter-subjective actuelle. Comme
Lacan le souligne dans L’éthique de la Psychanalyse "Réaliser
son désir ça ne peut signifier que le réaliser à
la fin" (car c’est le projet de supprimer le temps lui-même.
Seel p188). Le mot d’ordre un peu ambigu de "ne pas céder sur
son désir" est clairement, dans la référence à
l’Oedipe de Sophocle, l’exigence de garder sa dignité, sa
rivalité même, son désir de reconnaissance et son estime
de soi, sa responsabilité. On y ajouterait bien sa capacité
de changement, de négativité, de configurateur de
l’avenir où se joue l’actualité de l’esprit, dans une pratique
révolutionnaire où l’objectivation mondaine est dépassée
par l’intentionnalité du sujet. Ce rapport à la totalité
n’est pas une promesse de bonheur, ni de service des biens et l’histoire
du siècle nous contraint à une critique préalable
de l’idéologie révolutionnaire qui est une idéologie
totalitaire et conservatrice étouffant sous sa phraséologie
extrémiste toute action réellement révolutionnaire
et toute liberté individuelle.
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Mauvaises humeurs
Qu’on n’aille pas croire, donc, que cette rigueur théorique
me procure quelque avantage, ou quelque jouissance d’exception,
que ce savoir se transforme en pouvoir comme partout ailleurs. On ne peut
s’installer dans le négatif mais la négativité est
un projet exigeant travail et souffrance ("le travail du négatif"),
dimension proprement temporelle de l’existence. N’allez pas plus croire
que l’artiste jouisse de son art dont il se défie plutôt et
livré à d’infinies souffrances, payant de sa chair pour risquer
un éclair ou un cri qui porte au-delà de lui. Si je ne suis
sans doute pas à plaindre, et prêt à rire au nez de
tous les puissants, je ne suis en rien un modèle, ni de réussite
sociale, ni de réussite privée, je ne suis sain ni de corps
ni d’esprit, ma vie est terne et solitaire, je suis souvent égaré
et sans joies, exilé dans un monde qui m’est hostile, et malgré
ma rage et quelques trouvailles, plutôt inadapté, écrasé
par la tâche. Il n’y a certes rien à gagner à
laisser ses naïves croyances de réussite pour une clairvoyance
révolutionnaire sinon à supporter sans répit l’insatisfaction
qui nous ronge et qui restera notre seule compagne, notre seule substance,
jusqu’à la fin, sans autre richesse que notre poésie
malhabile et obstinée, notre force de protestation qui nous rassemble
par moments au sommet du monde.
Je m’en vais. Ô
fin amère !... Et c’est vieux et vieux c’est triste et vieux c’est
triste et las je m’en retourne vers toi, mon père froid mon père
fou et froid mon père furieux et fou et froid, jusqu’à ce
que sa taille si haute que je vois de si près, ses crilomètres
et ses crilomètres, ses sangloalanglots, me malselle et me mersalle,
et je me rue, mon unique, dans tes bras... Avelaval...