1.1 Responsables du monde
Aujourd'hui, encore plus qu'hier, ce sont les cycles fondamentaux de
la vie, l'eau, le climat, les sols, etc. qui sont déréglés
pour des siècles ; ce sont encore des quantités incroyables
de déchets (chimiques, radioactifs) qui sont amassées irréversiblement
; c'est enfin, les inégalités sociales, écologiques,
technologiques qui se creusent entre le Nord et le Sud. Face à ces
menaces, les élections européennes demeurent bien marginales
et les espoirs que porte l'écologie sont traduits, y compris par
nos dirigeants, en une social-démocratie molle et sans ambition.
Être responsable, c'est refuser de soutenir ce monde de la marchandise
et du salariat qui n'est pas "durable". C'est refuser aussi les dangereuses
illusions de la force et défendre les principes d'une non-violence
active (illustrée par Gandhi), la prévention des conflits,
la négociation, la justice. Il ne peut y avoir de démocratie,
ni d'écologie de guerre. Nous devons nous réclamer des positions
des Verts européens contre les dérives bellicistes de la
plupart de nos dirigeants nationaux.
Le résultat des Verts aux dernières européennes n'est pas notre meilleur score, ni aussi bon que certains voudraient nous le faire croire (abstention importante, rejet dans les zones rurales). La stratégie des Verts, d'alliance avec une social-démocratie libérale (3ème voie) dans un gouvernement de cohabitation, nous fait perdre notre capacité à représenter une véritable alternative alors que nos résultats politiques sont nuls jusqu'à présent. Même si notre participation gouvernementale renforce Les Verts sous l'aspect du produit politique, la situation apparaît désastreuse pour les principes de l'écologie : de la non-violence, aux 35H, aux emplois-jeunes, sans-papiers, minima sociaux, OGM, nucléaire, etc. Nous n'avons pas le droit de jouer ce jeu, qu'on nous impose, du réalisme conservateur qui ne conserve ni ne préserve rien. Nous devons combattre la croissance et défendre une économie et un mode de vie non productiviste respectant la vie et l'environnement.
1.2 Solidaires dans la vie comme dans la production
Il ne s'agit pas de rendre notre agonie un peu moins cruelle par un
accompagnement de la destruction industrielle, nous voulons nous réapproprier
notre vie. Nous n'avons pas besoin de plus de "richesses" marchandes, dans
nos sociétés déjà trop "développées",
mais bien d'une meilleure répartition des ressources et de la préservation
des richesses naturelles, au Nord comme au Sud. La mondialisation de notre
type de développement n'est pas généralisable. Il
y a urgence à résister au libéralisme mondial et à
sa logique dévastatrice au profit d'activités autonomes.
Avant de produire, nous devons poser la question des raisons de notre production,
en privilégiant la vie sur le profit à court terme, ce qui
implique la capacité collective à se réapproprier
la machine économique et scientifique.
1.3 Le droit à l'autonomie
Il nous faut gagner le droit à l'existence de chaque
individu, qui se traduit par l'autonomie financière (qu'on soit
homme ou femme), le droit à un logement, une nourriture saine, de
l'eau, de l'air pur, mais aussi le droit au développement de toutes
les subjectivités, les identités individuelles et collectives,
face aux normalisations autoritaires des cultures dominantes ou du marché.
Cette conquête d'un droit effectif à l'existence et à
l'autonomie financière doit se concrétiser symboliquement
et matériellement dans le Revenu d'Existence. Celui-ci est la base
nécessaire d'une économie réellement écologique,
délivrée de la pression du court terme, inaugurant un mode
de production plus économe et plus humain, en rupture avec le salariat
comme activité dominée et instrument du productivisme. Hors
de ce revenu d'autonomie, "l'autogestion" ou la propriété
de son entreprise, laissant intact le mode de production salarial, ne seraient
rien de plus qu'une intériorisation des contraintes. Cette réorientation
de l'économie devra s'accompagner d'un partage massif des emplois
et des richesses (32H vite!) ainsi que d'une plus grande autonomie locale
permettant le contrôle de l'environnement économique par les
collectifs locaux, nationaux ou européens.
2. L'enjeu central : une alternative au salariat
2.1 L'idéologie libérale
Ce n'est pas le marché qu'il faut combattre mais l'idéologie
du marché. Le marché libre sans règles n'existe
pas. L'offre et la demande y sont toujours dissymétriques, c'est
pourquoi il s'appuie, au contraire, sur des conventions sociales, des contrôles,
des garanties, des normes. La mondialisation qui se présente comme
une libéralisation de la concurrence n'est, en fait, qu'un renforcement
du monopole des Multinationales et des concentrations d'entreprises. Le
libéralisme ne défend que la loi du plus fort et sert de
justification idéologique au maintien des inégalités
et à leurs accentuations. La rhétorique libérale permet
ainsi de renforcer la position des dominants au détriment des salariés.
Ce que nous devons refuser, c'est bien notre soumission à un marché
du travail nous transformant en marchandise.
2.2 Le salariat comme activité dominée, fondement du
productivisme
Le salariat, c'est la vente de sa force de travail durant un
temps donné au profit d'un employeur qui en dispose autant que du
produit qui en résulte. Ce n'est pas le "travail" qui est payé
mais le temps de travail qui est un temps de soumission à
une hiérarchie (si le travail intègre l'individu, c'est souvent
en désintégrant sa personnalité). Soutenant tous les
processus de domination de l'école à l'armée, ce temps
de travail dominé ancre quotidiennement cette domination même
dans les modes de fonctionnement individuels en dehors du travail. Travail
et marché font entrer les dominations jusqu'au plus intime de notre
vie, jusqu'à la famille et aux relations sexuelles. Pour le salarié,
la visée réelle n'est pas le produit mais le salaire. Pour
l'employeur, la visée n'est pas plus le produit mais bien le profit,
afin de maintenir sa position dominante. En l'absence de profit, il n'y
a plus de production (d'où les crises). Le salariat est ainsi la
base du productivisme et de la perpétuation d'un travail dominé,
de la concurrence de tous contre tous, de la domination totale des marchés
sur notre vie, de l'absence de souci pour la qualité des productions
et l'absence de réflexion sur le sens et la qualité de notre
vie, sur notre rapport au monde, notre absence d'intérêt pour
la vie de la cité et de la planète.
2.3 La sortie du salariat
Les menaces s'amoncellent sur le salariat du fait de la transformation
profonde du travail vers l'immatériel (de la force de travail
à
la résolution de problèmes ou au relationnel) qui
ne se mesure plus avec le temps passé. Le salariat se trouve soumis
ainsi plus intensément à la flexibilité et au chômage,
les salariés perdant toute maîtrise sur leur vie. La mauvaise
réaction est de réclamer plus de croissance et de défendre
pied à pied un salariat de plus en plus élitiste. C'est un
modèle de développement qui est dépassé et
menace notre équilibre écologique alors que le chômage
est le signe concret de la possibilité de produire moins et de mieux
partager les richesses. La demande croissante de moins travailler, le développement
du monde associatif et citoyen, le retour de dynamiques de quartier, le
développement de revendications à la première personne
(gays, usagers de drogue, nouvelles familles), la persistance de modes
de vie communautaire (squats, éco-villages), montrent qu'une part
croissante de la population ne croit plus au mythe du "travail libérateur"
et pense que "la vraie vie est ailleurs". Nous devons en profiter pour
sortir du salariat, non pour relancer la course à la croissance.
Une grande partie de nos consommations est liée à notre emploi
(ainsi un tiers des revenus des Français sert à payer l'automobile
qui leur sert pour aller travailler et, au passage, polluer notre atmosphère...).
Si nous sommes véritablement responsables de notre monde, nous devons
remettre en cause à la fois notre modèle de production et
de consommation.
2.4 Vers une autre économie : du Revenu d'Existence au Tiers-secteur
La seule alternative est une économie qui nous permette de changer
nos modes de vie, de troquer le "plus" contre le "mieux", de nous libérer
du
travail et dans le travail. Nous libérer du travail, c'est
réduire autant que possible le temps de travail contraint grâce
à la RTT. Mais seul le Revenu d'Existence, c'est-à-dire un
revenu minimum garanti et cumulable avec une activité, pourrait
permettre une véritable appropriation de notre vie, donner toute
son autonomie au producteur et centrer son travail sur le produit ou bien
l'ouvrage. Le Revenu d'Existence permet de nous libérer du
travail en assurant le quotidien, mais aussi dans le travail. Cette
sortie progressive du salariat, complémentaire aux Systèmes
d'Échange Locaux, relance les activités artisanales autonomes
et les activités locales du Tiers-secteur ainsi que toutes les activités
artistiques, politiques, créatives, en phase avec les nouvelles
technologies de production. C'est retrouver le temps, le goût de
s'émerveiller, de s'aimer, de créer sa propre vie.
2.5 Étatisme ou autonomie
Il n'y a aucun moyen de donner à tous un travail salarié
sans transformer la société en caserne alors qu'on peut immédiatement
lutter contre la misère par un Revenu d'Existence, redonner sens
à notre solidarité et encourager l'autonomie de tous. Aucun
modèle de production écologiste ne saurait se passer d'un
tel Revenu minimum, et aucun ne saurait supporter le marché concurrentiel
du salariat, ni un État trop puissant. Le modèle étatique
n'est effectivement pas plus souhaitable que le libéralisme, tombant
aux mains d'une bureaucratie irresponsable. La collusion du pouvoir et
de l'argent est trop puissante, les liens de l'État et de l'Industrie
créent des monstres comme le lobby nucléaire bloquant les
énergies renouvelables. Même sous la forme minimale de l'État
fiscal ayant le monopole du commun dans une société individualiste,
l'État est l'instrument essentiel de notre destin collectif, mais
il n'a pas vocation à produire et il ne peut se contrôler
lui-même sans tomber dans de dangereuses vérités officielles.
Cela ne signifie pas du tout qu'il doit s'interdire toute intervention
directe dans la production lorsque l'intérêt général
l'exige, mais ce ne peut être que de façon transitoire et
sans une centralisation excessive (le "service public" ne doit pas être
confondu avec un monopole public centralisé). Le citoyen devrait
être plus puissant que l'État pour en garder le contrôle
: pas de pouvoir sans contre-pouvoir équivalent. L'Étatisation
n'est pas une alternative à l'économie de l'irresponsabilité
salariale qu'elle ne fait que reproduire tout en renforçant la domination.
Nous voulons un modèle ni étatique, ni libéral, mais
basé sur l'autonomie de chacun, la décentralisation, le fédéralisme,
la démocratie participative. L'organisation de la société
doit partir des citoyens eux-mêmes et non pas d'un simple espace
de subsidiarité concédé par l'État.
3. De la Politique à la stratégie, privilégier le long terme
3.1 Revendications économiques et sociales
Ces analyses fondamentales de notre temps présent et de notre
projet écologiste ont des conséquences immédiates
dans le débat politique, notamment à travers une réduction
radicale du temps de travail mais surtout par l'augmentation des minima
sociaux, la possibilité de cumuler un RMI avec un travail. Nous
devons privilégier tout ce qui nous rapproche d'un Revenu d'Existence
et non pas la revendication d'une croissance keynésienne coûteuse
écologiquement, incapable de diminuer sensiblement le nombre de
chômeurs. C'est aujourd'hui qu'il faut venir en aide aux 5 millions
de pauvres et de chômeurs. Dans la gestion des Assedic, par exemple,
la parole des salariés en place ne doit plus primer sur celle des
chômeurs. Il faut surtout étendre les protections à
tous plutôt que de défendre un statut transitoire (les salariés
ne restent plus dans la même entreprise). Il faut aussi privilégier
le développement local sur le développement industriel, grâce
à l'artisanat, la culture, l'agriculture biologique, tout ce qui
améliore la vie et la rend plus durable. Il est enfin urgent que
l'Europe gagne une autonomie économique et politique qui permette
une voie originale face au rouleau compresseur de la mondialisation : Taxe
Tobin, harmonisation sociale européenne et Revenu Social Garanti,
protectionnisme solidaire pour soutenir le développement soutenable
du Sud, ...
3.2 Pour une nouvelle radicalité
Politiquement, nous devons marquer notre refus du modèle occidental
de développement ainsi que de la politique social-libérale,
en nous appuyant sur la fédération mondiale des partis Verts,
même si l'ambiguïté de la position politique des Verts
français ne permet pas la nécessaire clarification idéologique
du paysage politique. Ainsi, la confusion actuelle sur la distinction entre
droite et gauche pousse certains à refuser le jeu institutionnel.
Le refus du politique, dont le symptôme le plus évident est
le fort taux d'abstention, se traduit par un déclin des partis politiques
au profit d'engagements associatifs tels ATTAC, Act-Up, qu'il ne s'agit
surtout pas d'instrumentaliser mais de placer dans une perspective plus
globale. Il ne peut y avoir ainsi de participation à des exécutifs
sans des contrats clairs, appuyés sur des rapports de force réels,
permettant des avancées radicales. Mais actuellement, on ne peut
que constater l'incapacité de nos "partenaires de la gauche plurielle"
à respecter un contrat quel qu'il soit. Face à cette troisième
voie, nous dénonçons toujours aussi fortement notre alliance
gouvernementale, malgré l'amélioration de notre score électoral,
afin de continuer à représenter une alternative nécessaire.
Il faut faire le pari du mouvement social et associatif dans ce qu'il a
de plus vivant et libérateur, encourager la résistance non-violente
partout. PACS, mouvement des chômeurs, lutte anti-OGM : l'actualité
montre que dans un monde mou et sans conviction, où les média
se font piéger dans leur propre construction spectaculaire, il faut
des minorités actives et radicales qui sachent s'allier pour obliger
la société à prendre conscience d'elle-même,
de sa diversité et de ses solidarités. A la majorité
plurielle, à la troisième gauche mondaine, nous devons opposer
une alliance informelle, mouvante et turbulente mais consciente des enjeux
globaux, qui irait des gays et usagers de drogues en lutte, aux chômeurs
et aux syndicats radicaux, en passant par la jeunesse régionaliste,
les réseaux culturels alternatifs, tous ceux qui n'attendent rien
des lendemains d'élection mais ont décidé de prendre
leur vie en main, de préserver l'avenir de la planète, ici
et maintenant. C'est d'en bas, notamment par la démocratie participative,
les résistances locales, qu'il faut réinventer la Politique.
Comme aile radicale, c'est ce projet écologiste que nous devons
défendre au sein et en dehors des Verts.
3.3 Subvertir la politique
Notre but politique devrait suffire à disqualifier toute pratique
politicienne. Aucun poste d'élu ou de responsable ne peut faire
avancer seul la contestation nécessaire de la totalité de
notre système de production et de distribution des richesses. Dans
notre action politique, nous ne pouvons accepter d'être en contradiction
avec nos principes sans réagir résolument (cumul des mandats,
professionnalisation, parité). Notre combat est pratique, pour changer
la vie par nos luttes de tous les jours et le développement d'alternatives
vécues. Il est idéologique : il nous faut défendre
publiquement nos convictions écologistes aussi bien à l'intérieur
qu'à l'extérieur des Verts, ouvrir des espaces de contestation,
de contre-pouvoir pour les Citoyens au lieu de conforter un pouvoir local
illusoire et devenir une caution écologiste du libéralisme
en nous attaquant simplement aux nuisances les plus visibles. Enfin, l'enjeu
est d'inventer entre-nous les pratiques collectives d'un avenir écologiste,
délivré de la concurrence de tous contre tous.
A l'intérieur des Verts, nous devons défendre nos idées d'anti-productivisme, de solidarité Nord-Sud, d'autonomie en participant activement au débat idéologique et politique, ce qui nécessite la clarification que nous sommes en train d'effectuer. Celle-ci permettra de nous identifier par notre projet et non comme de simples opposants. Nous devons convaincre tous les écologistes par un travail local et à travers des moyens d'expression collectifs.
Il nous faut aussi une existence publique, à l'extérieur des Verts pour montrer qu'il existe encore une écologie radicale représentant une véritable alternative au productivisme et à la "croissance". Les élections peuvent nous servir de tribune mais, surtout, il faut nous ouvrir vers les diverses luttes, mouvements sociaux et associatifs, en France et ailleurs, qui émergent dans la société (ATTAC, Réseau pour Sortir du Nucléaire, Chômeurs, Sans-Papiers, Conseils de quartier...). Nombre de Verts participent ou sont à l'initiative de mouvements proches de nos idées, nous-mêmes participons à des actions variées de résistance locale. Ces mouvements temporaires de l'action citoyenne ne peuvent être institutionnalisés sans perdre leur force de contre-pouvoir mais nous devons leur fournir une traduction politique, une perspective globale, les constituer en prise de conscience de notre communauté de vie et de destin, de nos responsabilités humaines envers l'avenir, et du rôle de chacun.