Le Revenu d'Existence devrait être versé à tous puisque c'est un droit universel, chacun peut y prétendre, mais il n'est pas nécessaire de le verser à ceux qui n'en ont aucun besoin. La caractéristique principale du revenu d'existence, qui le différencie du RMI, est son caractère inconditionnel, ce qui signifie d'abord qu'on peut le cumuler avec un travail. Ce cumul avec un travail rémunérateur est même fortement encouragé (mais sans être obligatoire), l'impôt sur le revenu s'appliquant ensuite progressivement au revenu total (revenu d'existence + revenu du travail). L'autre différence avec le RMI est le caractère individuel du revenu d'existence, donnant l'autonomie à chaque sexe.
Ce n'est donc pas une mesure contre le travail mais, au contraire, une incitation à compléter son revenu, afin de favoriser les activités peu rentables mais agréables, créatives, artistiques ou artisanales, plutôt écologiques (tiers-secteur). C'est une réorientation de la production, une sortie du salariat et du productivisme au profit d'un nouvel artisanat, passage au qualitatif. Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas (comme le voudraient certains libéraux avec un revenu d'existence complémentaire trop faible de 1600 F) pour favoriser les travaux stupides et mal payés (qu'il faudra au contraire mieux payer). C'est une question de niveau. Le Revenu d'Existence doit assurer l'autonomie permettant de refuser un travail mal rémunéré mais c'est aussi une subvention de 4000 F aux activités artisanales ou eco-sociales trop peu rentables.
Le Revenu d'Existence a 4 avantages principaux :
Il faut d'abord assurer un travail salarié au plus grand
nombre, le plus rapidement possible, mais la baisse du temps de travail
ne peut pas aller dans l'immédiat au-delà de 32 heures, ce
qui est par contre absolument nécessaire au plus vite. La baisse
du chômage dans un contexte de krach mondial ne sera pas encore suffisante.
Il faut explorer aussi toutes les possibilités du contrat d'activité
(indemnisant, au Danemark, les périodes d'inactivité choisies
au même taux que le chômage, voir Gorz). Le Revenu d'Existence
ne
fait que compléter et simplifier un arsenal de mesures organisant
le travail de la société et protégeant de la misère.
Car ce n'est pas la fin du travail, mais peut-être la fin d'un productivisme
effréné, peut-être la fin de l'humiliation d'un travail
dominé.
Le montant est objet de débats, mais ne devrait pas être inférieur à 4000 F, comme le réclament aussi quelques libéraux. Le mouvement des chômeurs (AC!) revendique le SMIC comme revenu garanti. Les mécanismes de financement sont multiples mais réalistes (du moins jusqu'à 4000 F actuellement) comme l'admettent la plupart des économistes.
La répercussion du revenu d'existence sur le coût du travail dépend du financement retenu. Il n'est pas aussi évident qu'on le soutient actuellement que le coût de la main-d'oeuvre doit absolument baisser. Une main-d'oeuvre élevée favorise la qualification et l'automatisation, ce que nous devons soutenir et pas seulement parce qu'on gagne ainsi en compétitivité (Duboin aussi avait commencé par vouloir taxer les machines avant de s'y opposer).
Il doit être bien évident que la proposition libérale s'oppose complètement à la proposition progressiste. Ainsi les 1500 F des libéraux, insuffisants pour vivre, sont destinés à rendre possibles des travaux très mal payés (working poor). Au contraire, en se rapprochant du SMIC, le revenu d'existence doit détourner des emplois mal payés et non créatifs, mettant au premier plan le travail comme épanouissement et projet collectif (un emploi c'est un droit) ou bien exigeant un salaire à la mesure de la peine. Le montant du revenu d'existence est fonction du rapport social et du moment économique, il n'est pas décidé une fois pour toute et il vaut mieux se ménager des étapes.
Le revenu d'existence est dit inconditionnel, il ne peut être réservé seulement aux "pauvres" mais il est inutile aux "riches", immédiatement récupéré par l'impôt. Il y a différentes versions de l'inconditionnalité (faible ou forte). Il vaut mieux commencer par une version faible, c'est-à-dire ne s'appliquant pas à tout le monde, et il faut même commencer immédiatement par l'augmentation des minima sociaux. L'inconditionnalité a le sens précis que nul n'est forcé à travailler en contrepartie du revenu d'existence mais surtout, et c'est le plus difficile, que nul n'est empêché de travailler, au contraire chacun étant encouragé à une activité socialement utile rémunérée. Il ne faut pas que le revenu de base disparaisse dès qu'on gagne un peu plus que le minimum, il doit être "additif". C'est le point le plus important puisqu'il doit déboucher sur une production plus écologique mais un bon écologiste juge aux résultats, il faudra donc piloter le revenu d'existence pour qu'il remplisse au mieux tous ses objectifs sans prétendre tout savoir a priori.
Il ne me semble pas pensable d'imaginer une société écologique sans revenu d'existence. C'est l'argument écologique qui est déterminant pour moi, la sortie du salariat (et pas la fin du travail malgré les regrets de Robert Castel pour le paradis perdu du fordisme à la chaîne). Il faudra prendre d'autres mesures encore pour assurer à tous un emploi et une place dans la société mais on devrait se rendre compte que cela vaut bien mieux que les déplorables expériences comme les emplois-jeunes ou les associations de réinsertion entre autres (je reviens d'une réunion de chômeurs...)
Bien qu'au final cela peut sembler être la même chose, il faut distinguer ce qu'on appelle Revenu d'Existence, de ce qu'on appelle Allocation Universelle. Selon le terme choisi la stratégie au moins sera différente. Ainsi l'Allocation Universelle souligne l'aspect universel (ce qu'on appelle inconditionnalité forte), simplificateur et rationnel, économiste enfin. C'est pour cela qu'on peut commencer à mettre en place une allocation universelle même de 200 F, passant par étape au niveau possible actuellement (3000-4000 F). Pour moi ce qui importe c'est d'abord que le Revenu d'Existence assure le minimum décent, qu'il réintègre les exclus, permette un travail et un développement plus humain en changeant nos modèles périmés qui ont atteints leurs limites. C'est pourquoi ma priorité c'est l'augmentation des minima sociaux et leur cumul avec un salaire (mesure déjà mise en place, de manière bien insuffisante, dans la loi sur l'exclusion - on attend toujours les décrets). Il faut que l'existence soit assurée, puis l'étendre au plus grand nombre dans un deuxième temps (c'est ce qu'on appelle inconditionnalité faible). On ne peut même pas dire que ce n'est qu'une différence de stratégie pour aboutir au même but car rien ne s'oppose à ce que des aides spécifiques complètent le Revenu d'Existence, ce qui semble exclu par définition dans l'Allocation Universelle. L'écologie se réclame de l'universalité mais en se distinguant nettement d'un universalisme abstrait par l'intégration de la diversité locale dans le global. Le simplisme rationalisateur de la technique est l'opposé du foisonnement de la vie (il semble qu'une application plus intéressante de l'allocation universelle soit de distribuer directement aux populations l'aide aux pays pauvres sous forme de revenu individuel).
Il faut expliquer aussi la différence entre le revenu "additif" et le revenu "substitutif". Le revenu additif vient en plus du salaire gagné (thèse défendue par les libéraux avec des allocations universelles faibles de 1800 F), le revenu substitutif remplace un salaire et disparaît quand on gagne sa vie. C'est la thèse défendue par Lipietz dans sa postface avec un niveau de 3000 F si j'ai bien compris. Seulement comme l'intérêt du RE est de pouvoir se cumuler avec un autre revenu, Alain trouve le compromis d'appliquer le RE au pro rata du temps de travail et de verser 1/2 RE aux travailleurs à mi-temps. Si je peux avoir une opinion en l'affaire, je suis pour l'augmentation de 1500F des minima sociaux, donc je mets le RE à 4000 F mais je le maintiens en plus de la rémunération pour les activités à développer durablement comme le tiers secteur, le soin aux personnes, les artisans, les artistes, jusqu'à un certain niveau de ressources et pondéré par l'impôt. En clair, c'est une subvention de 4000 F à des activités écologiquement souhaitables. Pour moi l'intérêt principal est la réorientation de la production, c'est donc un pilotage des deux logiques additives et substitutives qui doit obtenir les meilleurs résultats, loin d'une simple allocation universelle aveugle à ses effets .
La plupart des critiques contre le Revenu d'Existence ont la forme du sophisme "Le travail est obligatoire car le travail c'est la liberté" (René Clair). On ne répétera jamais assez que le Revenu d'Existence n'est pas la fin du travail mais la possibilité d'un travail libéré. Le Revenu d'Existence donne les moyens à une activité d'exister, au contraire du RMI actuel. Il s'agit de tenir compte du fait que le travail est devenu désormais désirable, lien et position sociale, et non plus cette contrainte qu'il était encore au temps tellement regretté du salariat fordiste. Mais il ne suffit pas de souhaiter donner à tous le statut de salarié, mieux vaut donner à chacun les moyens de trouver sa place. Pourtant le plus difficile, sans doute, est de faire son deuil de l'illusion que le revenu est la juste contrepartie méritée d'un travail effectif, qui justifie notre existence à nos yeux (gagner sa vie), alors que la réalité est plutôt que le revenu dépend largement de la position sociale, voire de la chance, beaucoup plus que de la productivité ou qu'une "valeur objective". Les chômeurs et les exclus qui ont droit à l'existence, ne "profitent" pas de l'assistance de la société, ils payent durement leur exclusion par la société.
[1] Le Revenu
d'Existence a été défendu par certains ultra-libéraux,
comme Friedmann, mais surtout par le "distribuciste" Jacques Duboin dès
1934, plus récemment, le BIEN (Basic Income European Network) qui
a regroupé en 1986 des économistes, de toute l'Europe, attachés
à un revenu de base (basic income). Il faut signaler, entre
autres, parmi les partisans récents du revenu d'existence : Alain
Caillé (du MAUSS - Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences
Sociales) depuis 1996 et André Gorz (Misères du présent,
richesse du possible 1997) qui y était opposé auparavant.
Depuis le mouvement des chômeurs, beaucoup ont rallié cette
revendication dont Alain Lipietz (voir Chimères et postface
de La Société en sablier) ainsi que la commission
"social" des Verts (mais aussi la revue Alice, Guy Sorman etc.)
Comme indiqué je recommande le livre d'André
Gorz Misères du présent, richesse du possible, (galilée)
mais aussi le numéro de Chimères du printemps 1998
ainsi que la revue Alice de novembre 1998 (toni-négristes
très actifs sur ce thème). Il y a un livre sur Jacques Duboin
et Le socialisme distributif à l'Harmattan. Voir aussi, La
Revue du MAUSS no 7 (1996) Vers un revenu minimum inconditionnel.