2. Il n'y a certes pas besoin d'une théorie de la valeur pour justifier le RSG ou un Revenu d'Existence. En revanche, aucune théorie de la valeur-travail ne saurait réfuter la possibilité de cette forme de redistribution sociale, sauf à croire que le salaire est le "prix de travail". la représentation morale qu'on peut en donner est purement idéologique dans un capitalisme qui est bien loin de toute justice (les devoirs c'est toujours pour les pauvres, pas pour les rentiers).
3. Pour ceux qui pensent qu'il y a une transformation de la production dans le passage à l'immatériel, cela constitue pourtant un argument supplémentaire puissant en faveur d'un revenu garanti, car c'est bien alors un instrument de la "production" sociale et non pas seulement une mesure sociale. Ce n'est donc pas le travail productif qui est en cause mais bien le salariat. Le terme de tiers secteur ne convient pas pour cet ensemble de productions immatérielles et culturelles, d'artisanat et de services locaux, d'activités autonomes, mais en constituant une alternative au salariat, c'est bien la sortie du capitalisme qui est envisagée.
4. La proposition de simple réduction du temps de travail s'oppose à ce projet sur plusieurs points : supposant l'extension du salariat à tous c'est étendre son empire et son contrôle sur la société (biopouvoir, publicité, Spectacle etc.) même à se réduire à quelques heures par jour laissant intact la domination du capitalisme, son productivisme et son gâchis de ressources. Réduire au-delà des 32H le temps de travail, c'est ne pas prendre au sérieux la nécessité anthropologique de l'activité valorisante alors que la revendication d'un Revenu Garanti favorise ce que les américains appellent New Work qui est un travail passionné et autonome s'identifiant à la vie (mais d'autres diraient qu'ils s'auto-exploitent!) L'utopie de la RTT ce sont les loisirs qui sont un appel à la servitude (Spectacle) alors que le travail immatériel porte en lui la puissance de la liberté et de l'autonomie (dont le RSG est un instrument). De toutes façons, je pense ce projet de RTT très irréaliste au-delà des 32H (et on n'y est pas du tout), bien plus qu'un Revenu d'Existence. Par contre je pense qu'on va retrouver le plein emploi dans peu de temps conformément au Kondratieff mais ce n'est guère souhaitable écologiquement et ce ne sera pas du tout l'emploi dont on pourrait rêver sans les mesures sociales appropriées dont le Revenu Garanti n'est qu'un élément (fondamental et urgent).
5. Pour reparler malgré tout de la valeur, on ne peut prétendre que je confonds valeur d'usage et valeur d'échange alors que je les articule justement en prétendant que la valeur d'échange ne peut atteindre vraiment l'objectivité de la valeur-travail. D'abord, je réfute le terme de valeur d'usage que je remplace par "valeur subjective" ou simplement par Demande car on ne peut réduire le désir à l'utile, lui-même problématique. Ensuite je prétend que la "valeur objective" ou "valeur-travail" reste dépendante de la valeur subjective qui ne fait pas que la valider secondairement (de même que la science reste dépendante de l'observateur). C'est pourquoi la valeur ne se réduit pas au processus de valorisation capitaliste, comme la liberté ne se réduit pas au libéralisme. Ce n'est pas une question de définition ou de délimitation de l'économique (rêve d'une langue technique univoque) mais le fait d'une subjectivité inéliminable.
6. Marx ne défend pas la valeur-travail, il la critique comme
fétichisme, réification, équivalence des marchandises
mais surtout par le concept de plus-value qui n'est pas autre chose qu'une
critique de la valeur-travail (malgré son efficience, sa nécessité
pour l'échange) de même qu'il critique le droit et son égalité
formelle. Comprendre les bases scientifiques de la norme sous-jacente aux
échanges marchands n'est donc aucunement les approuver, justifier
la domination du capitalisme et de l'équivalence généralisée.
Défendre l'objectivité de la valeur-travail, c'est de l'économisme,
vouloir qu'il n'y ait de travail que salarié et prendre pour réel
ce qui n'est qu'une représentation, un modèle, une norme,
forme de scientisme alors que l'économie ne peut prétendre
à être une science, toujours incapable de prévoir les
ruptures de l'histoire humaine, les effets de seuil et la force de libération.
L'économie c'est plutôt une institution, une "religion industrielle"
universelle même si sa force de reproduction est matérielle
(le bon marché des marchandises est la grosse artillerie qui abat
toutes les murailles de Chine). Croire à l'objectivité de
la valeur-travail est donc évacuer le sujet, comme le droit commercial
qui transforme les relations humaines en relations entre choses. Cette
domination de l'abstraction est la "nature" même du libéralisme
qui, au nom des droits de l'homme, de l'égalité abstraite
et de l'équivalence "objective", n'est rien d'autre que la négation
de la société (se développant surtout dans la non-société
américaine) au profit de la "vérité des prix", des
plus grandes inégalités et de la liberté des marchandises.
Etre anti-économiste, c'est contester cette négation de la
subjectivité (toujours sociale) alors que la subjectivité
est l'origine de la valeur autant que du travail. Cette subversion de l'objectivité
est favorisée par le nouveau mode de production qui valorise encore
plus l'autonomie et ne permet plus d'homogénéiser le temps
de travail, passage au qualitatif et, espérons-le, de l'économie
à l'écologie, réappropriation du vivant et retour
à des valeurs humaines qui ne se réduisent pas à l'équivalence
des choses.