La stratégie du putois
L'action politique dans la société de l'information
Certains se croient encore dans la jungle,
dans un monde dominé par la force, l'énergie ou le nombre alors
que nous sommes dans la société du spectacle et de l'information
. Nous sommes passés depuis quelques temps d'une société
de la peine à une société de la panne. Ce n'est pas
pour rien que le terrorisme rencontre un tel écho en manifestant
la faiblesse des plus grandes puissances face à la force du sacrifice
et de son message. Le terrorisme croit pourtant encore un peu trop au spectacle
et aux forces de destruction, témoignage d'une violence intériorisée,
comme si les acteurs devaient mourir vraiment pour jouer leur rôle
avec pour résultat d'exacerber encore plus la violence du pouvoir.
Le mouvement des intermittents du spectacle pourrait être l'occasion
de comprendre, à la suite des situationnistes, les caractères
de représentation et de communication dans l'action politique, de
formulation d'une vérité qui se cherche, trouve difficilement
à se dire mais dévoile aux yeux de tous, une fois dite, les
mensonges et la faiblesse du pouvoir. Le monde biologique étant déjà
le règne de l'information bien plus que de la force brute, contrairement
à ce que croient certains darwiniens attardés, la stratégie
la plus économe est certainement celle du putois qui éloigne
bien plus puissants que lui grâce à son odeur nauséabonde
et fait place nette sans coup férir. Les systèmes de communication
sont fragiles et leur perturbation désorganise facilement l'adversaire
avec une dépense infime d'énergie. De tels systèmes
impliquent la participation active de chacun, comme pour la circulation routière,
et ne peuvent fonctionner en accumulant des exclus et des perdants qui représentent
une menace diffuse de blocage que la contrainte ne suffit pas à repousser.
C'est ce dont il faut faire la démonstration en acte, ne pas laisser
de répit à ceux qui n'ont pas de pitié pour les gueux.
Bien plus que la grève ou la manifestation dont la force du nombre
est de moins en moins convaincante par rapport aux événements
de masse ou aux mass-média, notre pouvoir est un pouvoir de nuisance
totale, de blocage du système ou de la circulation, d'arrêt
du spectacle. Pour cela, pas besoin d'être nombreux, juste quelques
activistes bien placés, des bruits incongrus ou quelques boules puantes
pour choquer le bourgeois et vider une salle, mais l'important ce n'est pas
le vacarme qu'on fait pour troubler les foules spectatrices, ni même
l'importance de la perturbation ou de la couverture médiatique. La
stratégie du putois n'est pour nous qu'une image, permettant de mesurer
la force de l'information et des moyens en notre possession dans une sorte
de Judo avec le pouvoir permettant de retourner sa force contre lui-même
; mais il ne suffit pas de se rendre insupportable, c'est le caractère
insupportable du monde qu'il faut manifester, sa véritable puanteur,
"rendre la honte encore plus honteuse". Il ne suffit pas de perturber les
systèmes de communication, il faut utiliser toutes les ressources
de la parole et la puissance d'une vérité partagée.
Ce qui importe c'est le sens que l'événement est capable
de porter, sa dimension collective. Tout est dans la formulation et le symbole,
pas dans l'héroïsme des acteurs. C'est ce travail sur le contenu
qui est le plus décisif, de dénonciation du sort qui est fait
aux plus faibles ainsi que de construction collective d'un discours révolutionnaire
crédible et d'un projet alternatif réaliste.
Il faut mettre plus d'intelligences et de réflexions dans nos actions
publiques, leur donner plus de visibilité, les rendre plus lisibles,
ne pas s'enfermer dans une routine protestataire trop bien canalisée.
Ce ne sont pas les troupes désorientées qui manquent, mais
les perspectives pratiques.
C'est le temps des artistes
et de la création populaire, du retour de l'art subversif, de la dénonciation
des mensonges de l'information et de l'arrogance des pouvoirs. Il est temps
de se déchaîner, déballer tout ce qu'on n'a pas pu dire
pendant toutes ces années dévouées à la "libération"
des marchés financiers et la destruction des solidarités sociales.
L'enjeu de la rentrée, c'est l'unité et la convergence
des luttes qui doivent s'universaliser au-delà de la culture, de
l'enseignement, de la recherche, des agriculteurs, des chômeurs, des
retraites et de la sécurité sociale, en exigeant notamment
une garantie du revenu pour tous et sur toute la vie, de nouvelles protections
sociales contre la précarité envahissante qui nous prive de
tout avenir et sacrifie de précieuses compétences inemployées.
Cette unification des luttes est à la fois évidente, la convergence
est bien réelle, et malgré tout improbable encore tant que chacun reste
enfermé dans son corporatisme et ses intérêts immédiats,
hésitant à remettre en cause un système dont la croissance
n'est pourtant manifestement pas durable. L'enjeu c'est de refaire société
et sortir de notre coquille, retrouver notre communauté de destin,
une parole commune, un objectif qui nous rassemble, de nouveaux rapports sociaux
plus adaptés aux nouvelles forces productives de plus en plus immatérielles
et coopératives, permettre enfin un véritable développement
humain refusant l'exclusion.
Ce n'est pas gagné pour l'instant, mais avec un
bon slogan, de simples graffiti sur un mur (Mané, Thecel, Pharès), un pouvoir peut être ridiculisé
et renversé avec la force de l'évidence. C'est le moment de
faire preuve de génie, nous en avons besoin plus que de coutume,
on n'en est plus aux répétitions. La guerre de l'information
bat son plein, tous les professionnels de la communication conspirent contre
nous. Le rideau se lève. A vous les artistes !
Jean Zin 05/08/03
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