Voici un rapide aperçu de quelques modifications, après
le vote de l'Assemblée nationale :
Regroupement familial : léger assouplissement.
Certificats d'hébergement : remplacés par une simple attestation d'accueil.
Commission de séjour : rétablie à titre consultatif, sans voix délibérative ; retour à l'avant-Debré ! Un grand pas en avant.
Visas : obligation pour les consulats de motiver dorénavant leurs refus (mais seulement pour certains étrangers !).
Rétention administrative : pas de modification, le délai est maintenu à douze jours. Bravo, Monsieur Jospin, pour le maintien des centres de rétention ! L'enfermement resterait la seule réponse à tout ce désordre... A quand les rafles ?
Droit d'asile : tout étranger si sa vie est menacée, ou s'il se trouve exposé à des peines ou traitements inhumains ou dégradants peut se voir accorder un titre de séjour, au nom de l'asile territorial. Cette procédure, déjà existante de fait, le devient de droit (en s'officialisant).
Double peine : pas de modification.
Pour étayer le débat actuel, je vous propose un article d'Alain Badiou, Sylvain Lazarus et Natacha Michel paru dans Le Monde le 9 décembre 97.
Un gouvernement appelle des gens à se signaler en masse dans des bureaux, avec tous les documents qui les concernent : résidence, travail, visas d'entrée, etc. Il s'agit, dit ce gouvernement, de régulariser la situation de ces ouvriers de provenance étrangère. Les gens ont des raisons de croire ce que dit ce gouvernement : il y a eu, avec Saint-Bernard, où les irréguliers ont affiché leur existence personnelle et familiale, un grand mouvement. Il y a eu de vastes pétitions et démonstrations contre les lois répressives et policières, centrées sur l'expulsion, décidées par le gouvernement précédent. Tout cela a largement favorisé l'élection du nouveau gouvernement qui a, du reste, déclaré qu'il abrogerait les lois répressives et régulariserait les irréguliers.
Les gens vont donc dans les bureaux, en masse. Quelques mois plus tard, la situation est la suivante : les lois précédentes n'ont pas été abrogées ; une nouvelle loi continue à tout centrer sur l'expulsion, à définir des gens qui vivent ici par leur caractère d'expulsable ; une très faible partie de ceux qui se sont signalés dans les bureaux ont été régularisés. Les autres, peut-être plus de cent mille, attendent, ou le plus souvent - ont reçu, ou vont recevoir, un avis d'avoir à quitter promptement le territoire. Cet avis leur parviendra d'autant mieux que désormais, ils sont, très exactement, fichés. On sait tout d'eux. Pour faire bonne mesure, on avertit leur employeur, désormais connu, d'avoir à les licencier.
Comment nommer cette pratique gouvernementale ? Une pratique de mensonge et de fichier. Et quelles que soient les différences quant aux conséquences, il faut admettre qu'elle est dans la tradition fixée par le gouvernement de Vichy, quand il a appelé les Juifs à se faire enregistrer comme tels dans les préfectures. Le gouvernement Jospin aura, dans les faits, constitué un infâme fichier des Sans-papiers.
Une fois constitué le fichier, que va-t-il se passer ? On pourra aisément interdire le travail aux gens fichés. On pourra les arrêter. On pourra, dans de grandes descentes policières, trier ceux qui sont fichés et les emmener dans les centres de rétention, centres qui font exception à tout droit recevable. L'expulsion achèvera le processus. Comment appeler ces pratiques ? Des pratiques de rafle. Et quelles que soient les différences quant à l'étendue et aux circonstances, il faut dire qu'elles sont dans la tradition de ces rafles, ordonnées par exemple par un Papon, quand les policiers français emmenaient les Juifs dans des camps de transit.
Au demeurant, la rafle est la conséquence inéluctable du fichier. C'est ce qu'après Vichy on a vu dans les terribles années de la guerre d'Algérie. Fichier des Juifs, fichier des Algériens, fichier des Sans-papiers : le principe est le même.
Mais rien ne dit que tout va se passer si aisément. Lionel Jospin devrait se souvenir qu'Alain Juppé est tombé à cause des grèves de décembre 1995, à cause du mouvement des Sans-papiers et de leurs amis. Aujourd'hui se lèvent les ouvriers des foyers, qui disent : " Les papiers pour tous, la France pour tous ".
Et qui disent aussi : " Jospin trahison, Jospin caméléon ". Leur mouvement va s'amplifier. Il va durer. Et les amis des Sans-papiers disent que l'Etat est démocratique si, et seulement si, il est l'Etat pour tous, s'il compte chacun pour un, et non pas certains pour beaucoup et d'autres pour rien.
Il ne s'agit ici ni de la mythique " ouverture des frontières " ni des bavardages sur le Nord et le Sud ou le " nouvel ordre économique ". Il s'agit de savoir comment l'Etat traite des gens qui travaillent et vivent ici, souvent depuis de très longues années. Il s'agit de la politique intérieure, du rapport de l'Etat aux gens d'ici, et des principes qui organisent ce rapport. Il s'agit du contenu réel de la démocratie. Définir, sur le territoire, les étrangers par le fichier, la rafle et l'expulsion, n'est jamais que consoner avec la sinistre vision des " Français " que propage le Front national.
Etre, armé de quelques principes simples, un ami actif des Sans-papiers, est aujourd'hui ce qui identifie, dans la situation, une subjectivité démocratique. Ceux qui appellent cela de la " morale " ou de " l'angélisme " ne font que couvrir du manteau mité de leur abaissement les pratiques du fichier, de la rafle, et de l'expulsion.
Après les Rencontres nationales sur l'abus de drogues, à Paris les 12 et 13 décembre, les professionnels de la toxicomanie exigent une révision de la loi de 1970 et le professeur Henrion, président du collège scientifique de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, de s'écrier : " L'armée française a été réformée, la Sécurité sociale bouleversée, les lois sur l'immigration changent tous les six mois, mais la loi de 1970 reste en l'état ! [...] Le débat reste rigoureusement le même qu'il y a vingt ans " mais, invité de l'émission " Public " sur TF1, le ministre de l'Intérieur, J.-P. Chevènement, exclut encore toute forme de légalisation du cannabis : " Il n'est jamais sain qu'une loi ne s'applique pas. Il faut quand même voir que l'existence de cette loi a une signification sociale et permet aussi de remonter les réseaux. [...] Donc, ce n'est pas totalement inutile. "
Décidément, c'est toujours la même logique policière
qui régit les prises de position de Monsieur Chevènement
et du gouvernement actuel : surveiller, punir, enfermer, exclure.