On assiste en effet à la première lutte de la reprise de l'inflation, à la fois pour en atténuer les effets, et pour pouvoir en répercuter les hausses. Tout ceci aurait paru fort incongru il y a ne serait-ce que 2 ou 3 ans. Pourtant c'est inévitable si on pense qu'on est bien au début d'un cycle de croissance. La croissance de l'économie se traduit en effet par une croissance des quantités consommées et donc de la demande de matières premières ou d'énergie. Cette pression de la demande pousse les prix à la hausse comme on le vérifie à chaque cycle, au point que c'est par la reprise de l'inflation que Kondratieff* a pu révéler les cycles longs de l'économie.
N'en déplaise à la Banque Centrale Européenne qui n'arrête pas d'être à contre-temps, la lutte contre l'inflation n'est plus de mise, du moins elle ne peut plus être aussi rigide et n'est plus aussi prioritaire. L'inflation vient d'abord des matières premières mais elle se transmet ensuite sur toute la chaîne commerciale. Dès lors, le souci principal devient celui de la garantie du revenu, de son indexation au moins sur les prix, et de la régulation des marchés, au moins des prix des produits de base. Plutôt que se braquer contre des petits patrons qui ne sont pas de notre monde, c'est cet événement considérable qu'il faudrait reconnaître, annonçant d'autres luttes à venir. La garantie du revenu qui est le principal enjeu de la nouvelle économie est beaucoup plus nécessaire encore dans un contexte inflationniste, exigeant une véritable "refondation sociale" collective dont on devrait attendre beaucoup plus pour notre responsabilité écologiste que d'une taxe sur les carburants.
Que le problème apparaisse avec le pétrole ne fait qu'affirmer son rôle fondamental dans notre société de la circulation. L'énergie est devenue la première matière. Dès lors apparaît aussi notre dépendance et une revendication de justice dans l'accès à cette liberté de base. Beaucoup plus qu'une TIPP sans aucun effet, on peut voir là un mouvement naissant vers les énergies alternatives et la libération de la dépendance pétrolière plutôt que de se livrer aux purs mécanismes de marché du libéralisme où seuls les plus forts survivent. Il faut y voir le signe d'un comportement plus écologique car plus social. Je terminais une motion contre cette logique libérale des écotaxes par cette phrase : "Ainsi nous devons réduire le transport par camions mais il serait irresponsable de ne pas assurer la reconversion des routiers".
Aujourd'hui les Verts sont des alliés rêvés pour une "gauche" de plus en plus libérale. Sans véritable projet ils acceptent tous les compromis voire les compromissions mais par contre se révèlent intraitables sur l'augmentation du prix de l'essence comme tout horizon et quelqu'en soient les conséquences sociales. André Gorz dénonçait déjà cet éco-libéralisme en 1974, lors du choc pétrolier. Il faudrait tout-à-coup célébrer les bienfaits du marché qui fait payer la rareté à son prix et refuser toute régulation permettant une transition plus douce à une augmentation il est vrai inévitable à long terme. Les écologistes servent ainsi à justifier toutes les hausses de taxe, toutes les contraintes supplémentaires qui s'imposent pourtant sans commune mesure avec leur influence, tête-de-Turc toute trouvée et fort utile pour leurs partenaires.
Plutôt que de croire à une grande victoire écologiste devant l'envolée des prix, il faudrait plutôt se rendre compte que la raison en est l'accélération de la croissance mondiale et l'augmentation des ventes de véhicules, c'est-à-dire l'augmentation de la consommation de pétrole. L'urgence serait plutôt de construire une alternative à cette croissance qui n'est pas durable. Les mécanismes de marché ne nous dispenseront pas d'une mutation de l'économie qui doit être conduite collectivement. Il ne suffit pas de se faire mal pour que cela nous fasse du bien.
Les écotaxes ne sont pas écologistes, tout simplement. Gorz, Illich et bien d'autres l'ont affirmé en leur temps, il ne s'agit pas de transformer un problème écologique en problème social, permettre aux riches seulement de se déplacer et de manger bio en continuant la logique productiviste (le fait que les pauvres pourraient équilibrer cette perte en étant plus économes étant scandaleuse et fausse). Les écologistes ne devraient pas être assimilés aux écotaxes, pas plus qu'aux catastrophes climatiques mais à un changement radical du mode de production, à une alternative au productivisme. Il faudrait que l'écologie ne soit pas réduite à une contrainte supplémentaire mais à une libération de la vie et du travail. Ce n'est pas avec des taxes qu'on va changer le monde, cela ne veut pas dire renoncer à faire payer les pollueurs ou à toute écotaxe mais refuser de s'y réduire et défendre un programme global de réduction des pollutions, secteur par secteur, plutôt que céder à la financiarisation en se focalisant sur les écotaxes (ce qui est la meilleure manière pour être instrumentalisé par le ministère des finances). La taxe n'est rien, seul compte le plan global de réduction, aux objectifs chiffrés et cohérents. Il n'y a pas ici de vérité des prix mais une efficacité à réorienter la consommation. L'effet sur les bas revenus comme les perturbations, dues au marché, de l'augmentation des prix du pétrole sur un certain nombre de professions montre qu'on ne peut séparer techniquement les écotaxes d'un contexte global. C'est l'organisation des transports et la fiscalité toute entière qui sont à repenser, c'est pour cela qu'on a besoin des Verts.
Ce à quoi nous devrions être attentifs, ce n'est au le prix mais à l'augmentation de la consommation de pétrole. Il faut absolument obtenir des contreparties en économies d'énergie à l'augmentation de la consommation pétrolière. Il ne s'agit donc pas d'être pour un prix maximum de l'énergie, coûte que coûte et quelles qu'en soient les conséquences, mais de planifier une véritable décroissance de la consommation à long terme, prévoir les adaptations et la réorientation vers les énergies renouvelables ou le rail sans se fier aux fluctuations du marché qu'il faut réguler au contraire pour faciliter la transition (en baissant par exemple momentanément les taxes) même si l'augmentation du prix du pétrole est inévitable et souhaitable à long terme (pour ne pas décourager les énergies alternatives).
Ce serait une erreur historique d'obtenir des compensations simplement financières comme la TGAP (plutôt que des engagements concrets sur le rail ou les transports en commun) sans tirer parti de la prise de conscience sociale de notre dépendance du pétrole, ni comprendre que la garantie du revenu et la régulation des prix sont la condition d'une économie délivrée de la pression productiviste et de l'irresponsabilité libérale.
* Sur les cycles de Kondratieff voir :
http://jeanzin.fr/ecorevo/politic/capital.htm