Foulard et laïcité

Dialectique et écologie

1. Dans mon texte sur universalité et parité, je ne récuse pas du tout l'universalité comme certains ont cru le comprendre, ce que je condamne c'est "l'universalisme abstrait" (assimilé à l'argent, à l'économisme, à la négation des différences) et j'y oppose l'universalisme concret de l'écologie (dont je prenais l'exemple de la parité) qui consiste, comme dit Bourdieu, à assurer concrètement à tous l'accès à l'universel. Sans universel il n'y a pas de liberté par rapport à son groupe, il n'y a pas de langage, il n'y a pas d'hommes. Mais un universalisme abstrait est une religion, une idéologie qui contredit ses principes dans la réalité (la non-violence n'est pas plus répandue en Inde que la charité chez nous), un simple spectacle social ou une véritable dictature. Il faut transformer les droits de l'homme abstraits du capitalisme (qui ont, pour l'instant, plus dévastés la Russie que la dictature soviétique) en droit concret à l'existence. C'est un progrès de l'universel, sa réalisation. L'écologie ne peut se comprendre sans le global, mais pas plus sans le local dans sa singularité.

2. Ceci a une portée générale, c'est ce qu'on nomme depuis Hegel la dialectique et je pense que l'écologie est une forme de la dialectique qui va au-delà du discours jusqu'à ses conditions de possibilité (limites et solidarités).

Hegel :

Je nomme dialectique le principe moteur du Concept en tant que non seulement il résout les particularisations de l'universel, mais les produit. Droit §31

La démarche dialectique, telle que nous la comprenons ici : la saisie des opposés dans leur unité... La dialectique n'est pas une activité extérieure d'une pensée subjective, mais l'âme propre du contenu qui produit organiquement ses branches et ses fruits. Logique I, 38

Toutes les choses sont contradictoires en soi. Logique II, 58
 

Il faudrait que tout le monde, et surtout ceux qui font de la politique, lisent la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel où tous ces conflits de la raison avec elle-même sont exposés. C'est bien sûr impossible même si j'ai essayé d'en donner un résumé accessible ("La formation de l'esprit" sur mon site). Hegel nous présente ainsi la position universaliste de Kant (agis de telle façon que tu puisses faire de ton acte une loi universelle) comme une loi qui est faite pour ne pas être respectée car elle devrait ignorer tout sentiment (appelé par Kant pathologique). Ne pouvant s'égaler à ses exigences, cette loi se contredit et, à la "raison législatrice" qui décide de la loi universelle succède "la raison examinant les lois" qui réalise l'universel en se compromettant avec la réalité (tout comme un juge interprète la loi et ne l'applique jamais aveuglément). Marx qui a commencé comme juriste a montré comment le droit abstrait de l'égalité a permis les plus grandes inégalités. Il voulait faire descendre le ciel sur la terre en tenant compte de la misère réelle et en contestant le bonheur idéologique officiel. Tout ceci est tout-à-fait écologiste : tenir compte du local, des particularismes, du négatif, de la réalité matérielle.

3. Donc, rester à une position universaliste dogmatique est réactionnaire. D'un autre côté on ne peut renier l'universel au prétexte de le réaliser. Ma position est donc identique à celle de la commission immigration pour la pratique mais, par contre, je maintiendrais plus fermement les principes sans avoir peur de les contredire dans la pratique. Il est utile de pouvoir s'appuyer sur un principe républicain universel pour échapper aux contraintes familiales mais il faut garder les filles mêmes voilées. Ce n'est pas seulement une question de religion. L'athéisme est souvent une religion aussi et plutôt simpliste. On ne peut réduire les religions à l'endoctrinement, à l'hypocrisie, c'est une culture et on n'y échappe pas simplement à ne plus y croire : ce n'est pas la même chose qu'un athée chrétien et un athée bouddhiste, musulman, etc. Le seul bon athéisme (quoique celui de Lévinas est très bien aussi) c'est celui de l'histoire des religions. La Turquie laïque a partiellement échouée à imposer ces cours d'histoire des religions qui n'existent véritablement nulle part. C'est pourtant cette connaissance que les laïcs devraient revendiquer (il y a aussi une histoire des religions sur mon site) plutôt que de s'offusquer d'une liberté de religion qui est à la base des Droits de l'Homme. Si l'athéisme c'était ne pas se poser de questions et ignorer les autres, ce serait une dangereuse secte.

4. La question du foulard semble bien une question difficile, comme la question de la parité ou d'autres, et ce pour les mêmes raisons de contradiction de l'universel et de la particularité. Mais avec le foulard il semble plutôt qu'on cherche la bagarre, une bonne polémique où s'affrontent des logiques irréconciliables et indécidables. Ceci n'est pas contingent, la politique notamment démocratique est basée depuis Aristote sur l'indécidable de la raison pratique qui ne peut atteindre la certitude théorique, donnant à chacun le pouvoir de décider de la vérité commune, dignité de chaque homme. Si des sages omniscients pouvaient nous diriger, comme dans la République de Platon, nous ne serions plus que des singes de notre destinée, ce n'est pas une raison pour rester idiots. Mais depuis Socrate pourtant, le savoir commence avec le savoir de notre ignorance, de nos limites. Trop de fois de prétendus sages se sont trompés bien plus que les plus ignorants. C'est l'esprit qui se trompe lui-même et renie son histoire dans une certitude anticipée à laquelle il s'arrête obstinément, en parti pris qu'il faut tenir (voir les 4 idoles de Bacon). La vérité politique en tout cas dépend de tous et de chacun dans une responsabilité impossible à tenir mais à laquelle on tient plus que tout. Voilà tout ce qui nous importe, décider de la vérité ! C'est là où nous mettons notre honneur politique et pourquoi on se frotte aux autres. Morale et politique ne font que réaliser les conditions de ce dialogue par lequel s'élabore le bien commun. D'abord débattre et déchirer ce voile pour comprendre l'autre, ce qu'il veut dire, non pour le rejeter dans l'enfer des bonnes intentions.
 

10/03/1999

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