Les libéraux veulent croire que l'intégration des contraintes
écologistes par le marché pourrait suffire à rendre
le productivisme durable. C'est la voie empruntée par les conférences
sur le climat (Kyôto, Buenos-Aires), c'est la logique des écotaxes
: valoriser la pollution. Il est pourtant évident qu'on ne
pourra continuer le rythme actuel de croissance des pays développés
et de destruction des ressources non renouvelables. Les mesures que n'arrivent
pas à mettre en place les États pour diminuer l'émission
de CO2 sont notoirement insuffisantes mais sont déjà antinomiques
avec une politique de croissance économique. Le capitalisme ne peut
renier son fondement productiviste et continuera, comme toujours, à
ignorer les menaces tant que les catastrophes ne se seront pas produites.
En fait le libéralisme n'est pas supportable dans tous les sens
du terme, il n'est pas défendable et ne peut prétendre être
ni l'économie naturelle, ni une réalité définitive.
Le capitalisme, le productivisme, l'individualisme, le salariat, le règne
de l'argent ne sont pas compatibles avec les limites planétaires
matérielles qui ont été atteintes. L'environnementalisme
libéral est une blague qui ne fait rien que d'endormir notre conscience
des limites avec sa prétention de s'attaquer aux causes alors qu'il
ne peut qu'en diminuer les effets et laisse se continuer la dégradation
de nos vies. Les tendances de l'économie à dépenser
moins d'énergie, par un net accroissement du rendement énergétique
ainsi que par le passage à une économie immatérielle
de l'information, ne sont trop souvent que de belles histoires qu'on nous raconte pour
surtout ne rien faire car la réalité actuelle, et pour longtemps
encore, est celle d'une énorme dilapidation de ressources qui ne
sert même pas à réduire la misère et expose
les générations futures à tous les dangers. Les écologistes
sont pour la liberté, l'autonomie, le marché, ils ne peuvent
être "libéraux" car la liberté des hommes vivants doit
être supérieure à la liberté des capitaux. Le libéralisme
écologiste se veut le plus souvent un libéralisme contrôlé (y
compris par la taxe Tobin par exemple) mais c'est bien cette illusion que
le système capitaliste soit réformable dans son productivisme
qu'il faut combattre. Cela ne signifie pas qu'on ne doit ni le réformer
ni le contrôler dans l'immédiat mais que cela ne peut être
un projet de société ; sinon le réformisme écologiste
libéral n'est qu'un conservatisme, une façon de rendre un
tout petit peu plus durable la domination aveugle de l'argent.
Les réformistes de gauche prennent plus au sérieux les
contraintes écologiques et savent ramener les problèmes écologiques
à leur origine sociale et économique. Ils remettent vraiment
en cause capitalisme et productivisme mais ne trouvent pas d'autres alternatives
qu'une étatisation générale de la société,
ce qui est bien une prise de conscience de la société comme
telle mais qui reste dominée (on prétend y introduire plus
de démocratie!). Les militants issus de la fonction publique ou
de monopoles d'État défendent naturellement le dépassement
du productivisme par un renforcement du politique et de l'État dans
la direction de l'économie et, concrètement, par des nationalisations.
L'horizon est celui de la gestion de l'existant, sans changement dans le
salariat, et d'un renforcement des garanties de revenu mais aussi un renforcement
du pouvoir, des réglementations, des contraintes. Il y a bien des
fantasmes d'économie idéale donnant à chacun un travail
mais on ne sait pas comment! C'est plutôt une position de sauvegarde
et qui n'est pas aussi incohérente que celle des écologistes
libéraux (les contraintes écologiques sont vraiment envisagées)
mais c'est ignorer par contre les leçons de l'histoire : les dangers
de la bureaucratie, de la corruption et de l'irresponsabilité tout
autant que le besoin d'autonomie dont nous avons besoin comme de l'air,
et, à l'évidence, l'économie et le marché aussi
(ce qui ne veut pas dire sans règles). Pour éviter les destructions
du libéralisme, on tombe dans les désastres écologiques
provoqués par des régimes autoritaires et centralisés
mais aussi par les entreprises étatisées (du nucléaire
EDF au trou du Crédit Lyonnais pour la France, Tchernobyl ou les
inondations chinoises ailleurs). On a du mal à choisir entre la
peste et le choléra. Surtout, ce réformisme étatiste
ne semble en fait guère plus ambitieux que l'écologie libérale
et se limite à un conservatisme à courte vue qui se sert
de l'État pour conserver le salariat et la production actuelle
comme service public, voulant simplement ajouter la protection de la nature
et l'intérêt social. Il semble bien que cela ne soit qu'une
version du capitalisme d'État bien qu'appuyé sur une plus
grande décentralisation. De nombreux régimes dits communistes
ont tentés vainement d'en diriger l'économie sans en changer
la base productive qui est le salariat, le processus de valorisation, de
substitution de la valeur d'échange à la valeur d'usage, c'est-à-dire
la réduction des rapports sociaux à des rapports entre des
choses, à une domination anonyme enfin. L'histoire nous a appris
que l'appropriation "collective" n'y change rien, sinon en pire, et qu'elle
n'a de collective que le nom, étant plutôt la propriété
de bureaucrates inaccessibles et de plus en plus corrompus. Je préférerais
que cela ne soit pas vrai, mais c'est ainsi. De toutes façons, ce
modèle étatique n'est, là encore, qu'une façon
de rendre notre mode de vie actuel un peu plus durable et en faire un modèle
satisfaisant pour l'avenir alors qu'il nous manque de tout.
Il n'est pas question de nous satisfaire de cette société qui n'est pas supportable et on ne peut se contenter d'un réformisme mou devant les menaces planétaires. Nous devons affirmer le caractère révolutionnaire d'une écologie qui ne se borne pas à entretenir les pelouses ou à rendre un peu plus durable l'exploitation de la planète, mais porte le seul projet à l'horizon de ce troisième millénaire. Nous devons dire clairement que nous sommes déterminés à lutter pour des mesures radicales à la hauteur de notre misère sociale, les exclus ne sont pas obligés de se fier à la démagogie fasciste et raciste aggravant le désastre.
Il faut redonner aux gens la certitude qu'ils peuvent peser sur les événements et ainsi, formuler ce qu'ils veulent, ce qu'ils refusent vraiment. Être révolutionnaire c'est vouloir transformer le monde et pour cela prendre le parti du négatif, de la critique et de l'amélioration infinie, plutôt que s'illusionner de quelque utopie positive idéale et trompeuse. Ce n'est pas se contenter d'un réformisme qui adapte les règles et pare au plus pressé, il nous faut changer les règles elles-mêmes pour les rendre conformes à notre avenir. Être révolutionnaire, c'est vouloir être un véritable Citoyen et non pas un simple administré.
On est loin d'une révolution léniniste ou du mythe du grand soir révolutionnaire (qu'il y en ait une multitude !). L'écologie révolutionnaire ne veut pas "prendre le pouvoir" par la violence mais changer notre base productive radicalement. Il ne s'agit pas d'instaurer une dictature mais de s'engager dans la sortie du salariat. L'écologie révolutionnaire veut sortir du productivisme et abolir le salariat, conscience des contraintes planétaires, des transformations du travail et des possibilités de l'avenir. Cette sortie du processus de valorisation, de l'économie séparée de la société, est le début de la réappropriation de notre vie.
La transformation du travail en cours est comparable aux débuts de la révolution industrielle : passage de la "force de travail" à la "résolution de problème". Ainsi, il n'y a plus de différences entre le temps de travail, de formation, d'information, de loisir ou de repos. La résolution de problème ne se mesure pas comme la dépense physique ou la simple permanence de service en heures de travail. Le besoin de flexibilité et de créativité dans un monde complexe doit certes privilégier les créations d'activités tout comme la diminution du temps de travail quand c'est possible. Le temps libéré peut effectivement permettre des activités non marchandes correspondant mieux à la civilisation de l'information et du savoir que la marchandisation de toutes les activités communicationnelles qu'on nous promet. Ces changements radicaux dans l'activité de base du citoyen annoncent aussi une nouvelle démocratie participative. La Réduction du Temps de Travail ne peut pas être suffisante pourtant. D'une part elle ne change pas le mode de production, qui reste toujours aussi productiviste, elle ne prétend qu'en répartir les postes, ce qui est déjà beaucoup, en postulant que cela diminue la croissance ce qui est très douteux. D'autre part, c'est la notion de temps de travail qui perd sa signification dans les activités créatrices ou de résolution de problèmes.
La libération du travail est à notre portée, le chômage plus l'automatisation le permettent à brève échéance si on sait dépasser les intérêts à court terme des néo-libéraux. Il faut organiser la sortie du salariat et du processus de valorisation du travail, passage du quantitatif au qualitatif. Concrètement, il faut d'abord augmenter les minima sociaux, puis obtenir un revenu d'existence cumulable avec un emploi et favorisant les activités libres. Grâce à ce revenu d'existence, c'est un nouveau modèle de développement qui va se mettre en place, donnant une égale dignité à tous les choix d'existence et favorisant les projets de développement personnel et artistique, l'artisanat, les professions libérales, le "service aux personnes", le tiers-secteur, la vie associative et citoyenne. C'est une subvention aux activités écologiquement souhaitables (bien supérieure aux emploi-jeunes) et la transition avec un nouveau mode de production. C'est l'aspect le plus positif et qui donne le plus d'espoir dans l'avenir. Une production centrée sur le produit peut remplacer une production guidée par le seul profit. Sur cette nouvelle base, une production écologique est possible et l'avenir retrouvé.
Il y a toutes sortes d'écologistes révolutionnaires.
Ils peuvent être "marxistes", libertaires, alternatifs ou de simples
opposants à la "croissance" et à la destruction de la société,
c'est-à-dire de véritables écologistes, mais pour
nous l'écologie n'est pas une simple amélioration de l'existant,
ce qui permettrait de rendre un peu plus durable le monde actuel et son
développement inégal et destructeur, rendre un peu plus supportable
ses souffrances et ses injustices. Au contraire, pour nous l'écologie
est la dénonciation d'un monde qui se fait contre nous. L'écologie
est pour nous l'urgence de l'avenir.