On arrête tout et on réfléchit sur la société et la vie que nous voulons (tout commence par la fin). L'écologie est notre avenir, tout est à construire encore et dépend de nous.Nous sommes à la veille de bouleversements considérables. Les anciennes institutions sont déconsidérées, le productivisme est remis en cause, les luttes sociales renaissent mais si les urgences se font de plus en plus pressantes en effet, nous n'avons pas à redouter cette révolution à venir qui peut apporter une véritable libération du travail avec la réalisation des droits comme droit à l'existence : passage de la marchandisation du monde à la valorisation de la personne, de la croissance au développement humain, du salariat productiviste au revenu garanti, de la justice patriarcale à un matriarcat providentiel.
Le simple fait de poser la question de la société que nous voulons est une contestation radicale de l'économisme dominant, de l'économie comme négation de la société et seul horizon de notre avenir. C'est passer de l'histoire subie à l'histoire conçue, affirmer notre liberté collective et donc notre responsabilité envers les générations futures, c'est enfin mettre les valeurs humaines avant les intérêts privés. Sans tomber dans l'utopie ou la planification autoritaire pour autant, c'est déjà une réfutation du libéralisme et l'affirmation du politique comme projet, finalité, idéal, au-delà d'un marché désorienté.
Bien sûr cet idéal peut se réduire pour certains à la conservation de nos avantages présents ou même au retour aux traditions du passé, mais se poser la question d'une société à construire pour l'avenir nous oblige à discuter de nos fondements, de ce qui nous importe dans la société et à quelle condition une société, pas seulement une économie, est soutenable.
Pourtant l'expérience historique catastrophique des divers totalitarismes et volontarismes, interdit encore à la plupart de soutenir cette question de notre destin commun, la liberté humaine se reniant pour ses fautes passées : c'est juré on ne l'y reprendrait plus, chacun cultive son jardin sans aller voir chez le voisin ! Cette haine de la pensée n'a produit qu'un post-modernisme sans consistance dans sa négation de la totalité alors que la tempête nous traite universellement, le climat nous totalise, que nous le voulions ou non. Le totalitarisme qui nous menace est plutôt celui de la marchandise, l'idéalisme qu'il faut combattre est celui du libéralisme, de la passivité spectaculaire.
Au nom d'anciens massacres, on prête main servile aux maîtres d'aujourd'hui et pour ne plus oser de nouvelles défaites, on préfère la honte ou même le mépris... Mais les comptes se tiennent sans pouvoir s'y soustraire. Chacun y tient sa place, y donne tout son dû et sans cesse en répond. Le rêve toujours aussi inaccessible, notre part pourtant reste sans égale et, au plus près de nous, au coeur de la bataille, suspendu à nos lèvres et sans aucun recours, le pire ou le meilleur dure ou meure.L'écologie n'est pas une utopie, c'est la poursuite du capitalisme productiviste qui est complètement utopique. C'est notre système de développement qui n'est pas durable. Il ne s'agit pas de prophéties d'avenir, "la catastrophe a déjà eu lieu !" On constate chaque jour un peu plus l'étendue du désastre.REVOCU 1987L'écologie est d'abord un savoir des limites, du possible et du nécessaire, mais surtout de notre ignorance (principe de précaution). C'est aussi un savoir des conséquences de nos actes, de notre industrie. Enfin, c'est le refus de devoir s'adapter à des conditions inhumaines par la médecine ou la génétique quand c'est la société qu'il faut changer. L'écologie est la seule réponse au totalitarisme massifiant aussi bien qu'aux désastres du productivisme par l'articulation de la totalité et de l'individu, de leur inter-dépendance, du global et du local, de la solidarité et de la diversité, de la responsabilité et de la prudence. Face au libéralisme qui triomphe sur la disparition du politique, seule l'écologie peut construire un nouveau projet de société crédible qui réponde aux limites planétaires comme aux leçons de l'histoire : une société ouverte et coopérative pour une planète limitée.
Ce livre qui tente de dissiper la plupart des confusions répandues sur l'écologie, a été élaboré dans l'action politique d'opposition à une écologie gouvernementale libérale, abandonnant toute radicalité pour l'illusion toujours démentie de limiter les dégâts. On peut suivre cette élaboration d'une Écologie Révolutionnaire sur mon site (http://jeanzin.fr/ecorevo/). C'est le résultat aussi de notre tentative de relance de la réflexion écologiste avec la création de la revue EcoRev', d'une élaboration collective de l'écologie-politique comme projet d'avenir pour une planète dévastée. Car si jamais l'écologie n'a été aussi nécessaire, nous voulons montrer qu'elle est déjà possible.
1. L'écologie-politique comme anti-productivisme
L'écologie-politique n'a rien à voir avec d'anciennes traditions, c'est bien plutôt la confrontation avec la réalité la plus actuelle, celle de la mondialisation achevée, des changements climatiques, des accidents industriels et des ressources limitées, dans un monde dominé par la technique, monde unifié de satellites, de réseaux, d'informations, de marchandises.
Pas de mystère, l'exigence écologique naît des désastres écologiques du productivisme, comme la sociologie et le socialisme étaient nés de la destruction de la société par le capitalisme libéral individualiste et massifiant. C'est l'exploitation intensive des ressources naturelles qui a ébranlé les rapports de l'humanité à la nature, outrepassant les limites vitales. Notre souci va vers ce qui nous menace, on ne connaît l'importance des choses ou des gens qu'au moment où ils viennent à manquer ! Réduire l'écologie-politique à une "société du risque" serait cependant bien insuffisant alors que c'est une prise de conscience planétaire, un nouveau paradigme, une inversion des valeurs, la responsabilité de l'avenir.
L'écologie-politique constitue ainsi l'émergence de nouvelles exigences en réponse aux impasses de l'industrialisation et de la marchandisation du monde. C'est d'abord la négation de la séparation de l'économie, de sa prétendue autonomie de la biosphère ou du social, et la nécessité donc de sa régulation, de la prise en compte de la nature et de la réappropriation de nos vies. L'Ecologie-politique est une nécessité matérielle, sociale, économique dont il faut simplement prendre conscience. C'est la limite qui s'impose au productivisme, responsabilité de notre avenir comme histoire conçue plutôt que subie, avec le souci de lier penser global et agir local. Cette responsabilité collective nous intérroge sur nos véritables fins : quelle société, quelle vie voulons-nous, quel avenir soutenable ? L'écologie scientifique n'a pas grand chose à voir, comme nous le verrons, avec ce qui est ici une contrainte politique et une radicalisation de la démocratie, l'intervention de l'avenir au coeur de nos décisions.
Au-delà de l'environnementalisme, l'écologie-politique, dans la lignée de Illich, Gorz, Bookchin, est bien un projet de société alternatif au capitalisme productiviste. Il s'agit de réorienter l'économie, la production, grâce à une véritable démocratie qui permette une préservation et une allocation des ressources matérielles au profit de la vie concrète de tous. Il y a ici continuité avec une tradition anti-capitaliste, celle des luttes sociales, de la démocratie et de l'intérêt général. Il y a aussi des ruptures avec les droits universels abstraits, trop souvent au service des inégalités marchandes, mais c'est pour réaliser enfin les droits de l'homme comme droit à l'existence et à l'indépendance financière afin d'achever l'abolition de l'esclavage industriel et mettre un terme à ses destructions. L'Ecologie-politique comme développement local et personnel est une réponse globale au totalitarisme marchand qui n'est pas durable et menace nos conditions vitales. Il se pourrait que notre époque non seulement rende possible ce qui n'était qu'un rêve inaccessible, mais qu'elle l'impose même avec l'autorité de l'urgence.
Il faut subordonner l'économie à la société mais aussi tirer parti de la révolution informationnelle déjà bien entamée, c'est tout le paradoxe de ce dépassement de l'économie dont l'économie fournit elle-même les instruments. De même, c'est le moment historique de la mondialisation achevée qui impose un point de vue global favorisant la coopération avec l'extension des réseaux. Comme nous le verrons, les évolutions économiques et techniques exigent aussi de plus en plus d'autonomie, un développement humain favorisant les services plutôt que les marchandises, la production de l'homme par l'homme plutôt que les consommations matérielles...
Il est absolument essentiel de clarifier d'abord les enjeux et distinguer l'écologie-politique comme alternative au productivisme et politique de l'avenir de tout ce qui peut se réclamer de l'écologie à différents titres. Il s'agit de la spécifier, de la réduire à son objectif, à sa nécessité, mais d'en tirer toutes les conséquences. Il faudra le répéter, contre l'idéologie dominante, l'écologie n'est pas du tout une utopie, c'est la poursuite du capitalisme productiviste qui est complètement utopique.
2. Ecologie-Politique et religions
L'écologie-politique étant une pensée globalisante (holiste), il peut y avoir une légitime confusion avec l'écologie comme mystique de l'unité ou comme mode de vie. Les mouvements New Age se veulent effectivement écologistes, recyclant la plupart du temps une mystique taoïste réduite à l'immédiateté de techniques spirituelles marchandisées ou bien à un positivisme crétinisant sans commune mesure avec la voie traditionnelle. Mais un parti politique n'est pas une secte et la pensée globale n'est pas la pensée unique car il n'y a pas d'unité sans la diversité qui la renie partiellement. D'un point de vue global cette diversité est une richesse, chaque point de vue partiel étant insuffisant. On ne doit pas chercher l'homogénéité mais le dialogue (même entre écologistes!), ne pas considérer les questions comme closes, ne pas ignorer sa propre ignorance.
Il ne faudrait pas confondre non plus, l'Ecologie-Politique avec l'unité du vivant, ni avec "la défense de la vie" des mouvements anti-avortements qui ont des relents de fascisme, leur combat pour la vie justifiant les plus grandes violences. Bien sûr nous défendons la vie contre les destructions industrielles, nous voulons protéger la diversité biologique et nous protestons contre les dérives productivistes de notre alimentation ou le mépris des équilibres vitaux. Mais notre vie est politique et non pas seulement animale.
Malgré toutes ses bonnes intentions, la vie coûte que coûte a toujours quelque chose d'ignoble. Défendre la vie est une bonne intention, il n'y a rien de fasciste dans une bonne intention sauf si on en pave quelqu'enfer avec notre bonne conscience. Car lorsqu'on est trop sûr de ses principes supérieurs, on ignore la réalité de la domination qui s'exerce en leur nom. C'est le fanatisme qui est tout entier dans la bonne conscience des meilleures intentions du monde et qui ne s'embarrasse pas de l'avis des autres, de leur liberté. C'est d'ailleurs le point principal, la défense de la vie se situant sur un plan animal s'oppose à la liberté humaine qui représente ici le mal, ce qui n'est pas conforme aux lois de la nature. Pour certains écologistes, défendre la Terre c'est la débarrasser de la race humaine qui l'abîme. Il semble bien que ce soit une absurdité logique. Notre défense de la vie est d'abord une limite au productivisme capitaliste, une préservation de nos conditions vitales.
S'il faut insister, l'Ecologie-Politique n'est ni l'Ecologie profonde comme croyance religieuse, même si on ne peut s'arrêter à une écologie seulement sociale, ni une morale qui regarderait chaque conscience alors que nous devons changer nos pratiques collectives qui nous menacent tous, ni enfin un quelconque hygiénisme nous élevant scientifiquement, tout comme du bétail.
L'écologie-politique doit être complètement sécularisée comme politique démocratique. C'est une éthique de responsabilité, pas un retour en arrière à une fusion mythique avec la nature, ni un simple devoir moral. Elle a un objectif précis de transformation de la production pour un développement soutenable. Ce n'est pas une négation de toute l'économie mais une négation de la séparation de l'économie et de la société ou de la nature. Ce n'est pas une négation de l'individu mais de l'individualisme, de la séparation de l'individu et de son monde. Ce n'est pas une négation de la liberté mais du libéralisme, de la loi du plus fort qui nous prive de toute liberté collective. Ce n'est pas la foi dans l'au-delà, ni un salut individuel au ciel des idées, mais la sauvegarde matérielle de notre vie à tous ici-bas. Notre au-delà est notre avenir et notre responsabilité envers les générations futures.
3. La critique de la vie quotidienne
La position de l'écologie-politique par rapport à la vie quotidienne est plus contradictoire car, d'une part, en tant que politique elle ne devrait pas dépasser la sphère publique, d'autre part en tant qu'écologie elle affirme l'impossibilité de séparer complètement public et privé. On peut faire des situationnistes les précurseurs de l'écologie avec leur critique de la vie quotidienne nous ramenant aux réalités concrètes de la reproduction de la domination et de la passivité soumise. C'est une question préalable à celle de la qualité de la vie, à la critique de la marchandise comme pure apparence (ceci n'est pas une pomme).
La dénonciation de la Société du Spectacle met en cause la rationalisation du monde, la perte du monde vécu (notre fonction de "configurateur du monde"), l'autonomisation de la marchandise, son peu de réalité comme ersatz, une marchandise étant toujours substituable à une autre marchandise. C'est une esthétisation, une réduction aux apparences, au désir plutôt qu'à une satisfaction consistante. Le Spectacle est "le règne autocratique de l'économie marchande ayant accédé à un statut de souveraineté irresponsable et l'ensemble des nouvelles techniques de gouvernement accompagnant ce règne" (Debord), l'autonomisation de l'économie qui s'étend au monopole de la communication industrielle (publicité, médias) et qui nous réduit à la passivité du spectateur-consommateur isolé, séparé de sa propre vie.
La critique de la vie quotidienne est à la base d'un certain nombre de revendications écologistes d'origine libertaire contre la normalisation sociale et le biopouvoir salarial, notamment la critique du patriarcat (la revendication d'égalité entre hommes et femmes), mais aussi la libération sexuelle et la critique de la prohibition des drogues. Au-delà du "Métro, Boulot, Dodo" de l'aliénation sociale, il s'agit ici de la réappropriation de son corps, de sa liberté et de sa vie, on peut même dire une réappropriation de la vérité, de la réalité des faits contre les mensonges des représentations idéologiques et l'hypocrisie morale. Bien que ces aspects, qui demanderaient trop de développements, ne seront pas abordés dans cet ouvrage, ils ne sont pas du tout marginaux mais essentiels à la division du travail et au contrôle des populations. On ne peut tomber pourtant dans la dangereuse illusion que la libération sexuelle ou la fin de la répression des drogues étrangères (au nom d'un alcoolisme national) puissent apporter un quelconque bonheur, ce n'est pas la question. C'est la conquête d'une liberté, et c'est déjà beaucoup, une victoire sur l'idéologie dominante, la logique répressive et l'exclusion, un effet de la mondialisation aussi. Il faut faire la part du droit et du fait, entre la suppression d'une injustice et la réalisation d'un idéal quelconque ! Le féminisme pourrait servir d'exemple pour le partage entre les victoires considérables dans l'abolition des barrières juridiques ou l'introduction du féminin dans le Droit, et l'échec relatif des prétentions à corriger les pratiques dans l'utopie d'un quotidien réconcilié, d'une nouvelle norme "politiquement correcte".
Il y a enfin dans la critique de la vie quotidienne, le risque d'un repli sur le foyer ("Ainsi le papillon de nuit, quand s’est couché le soleil universel, cherche la lumière à la lampe du foyer privé. Marx 317") et d'une conception moralisante de l'écologie, voire d'une folie logique voulant prétendre à une cohérence totalitaire. Il faut certes reconnaître qu'il n'y a pas de vie quotidienne, seulement une existence politique qui détermine le moindre de nos actes en lui donnant sens (habitus, consommation comme reproduction). Il ne faut pas comprendre cette affirmation de travers, pourtant, en s'imaginant que nous devons politiser la moindre de nos pratiques, jusqu'à nos rapports sexuels, car il ne dépend pas de nous que ce soient effectivement des effets politiques, et notre résistance morale n'y changera rien même si elle est justifiée, c'est le système qu'il faut changer.
La critique de la vie quotidienne ne peut être qu'un préalable à la critique de la marchandisation du monde et non pas l'utopie d'une vie réduite au quotidien ou au "temps libre". Il n'y a pas de séparation avec notre entourage, le sens commun, les mouvements sociaux. Il ne peut y avoir de réappropriation de la vie qu'en retrouvant un projet et une solidarité collective au lieu de renforcer notre isolement. Non seulement il faut réfuter là aussi les rêves d'harmonie sans histoire, d'une société qui ne soit pas divisée, mais on doit même dénoncer l'idéal d'un bonheur conjugal dont la psychanalyse dévoile la fonction de chantage affectif et de refoulement. Il n'y a pas plus de paradis familial que de perfection politique, au contraire, il faudra toujours notre vigilance pour corriger les conséquences de nos actions, témoigner des injustices et réaffirmer notre communauté. Dans ce cadre, privilégiant l'engagement public, la transformation du monde, la vie quotidienne peut servir d'expérimentation ou d'exemplarité tout autant que de refuge, l'essentiel reste notre responsabilité sociale, le combat pour une alternative écologiste, pour "sauver la planète".
4. Écologie, science et démographie
Non seulement il ne faut pas confondre l'Ecologie-politique avec la science écologique alors que le principe de précaution vise explicitement les dangers de la science et de la technique, mais nous devons rappeler les proximités de l'écologie scientiste avec l'hygiénisme, le malthusianisme et surtout avec divers fascismes jusqu'à l'horreur insupportable de l'espace vital nazi. La "nouvelle écologie" qui sert de cache-sexe à la "nouvelle droite" se nourrit encore de ces vieilleries biologisantes et racistes.
Comme le montre Polanyi, Defoe, l'auteur de Robinson Crusoé, est à l'origine du mythe individualiste en même temps que du marché auto-régulateur, notamment dans son opuscule "Faire l'aumône n'est pas la charité", datant de 1704, date de la mort de Locke, avant la fable des abeilles de Mandeville. Il inspirera Spencer, Malthus et Darwin avec l'histoire d'une île où des chèvres importées se multipliant beaucoup trop, on introduisit des chiens pour réguler leur nombre. Cette écologie élémentaire est à la base du mythe du marché autorégulateur, d'un "darwinisme social" visant explicitement la régulation de la pauvreté par la faim, une dépossession totale comme aucune société n'en avait connue jusqu'alors sous prétexte que plus on aide les pauvres, plus on multiplie la pauvreté (la trappe à pauvreté est un concept fondamental du libéralisme). Il n'y a rien d'étonnant qu'Hayek identifie encore le marché aux lois de l'évolution. L'écologie animale est bien un fondement du laisser-faire, ce n'est pas dans ce cas la préservation de notre milieu mais tout au contraire notre adaptation à sa pression.
L'écologie-politique en tant qu'alternative au productivisme capitaliste n'a rien à voir avec tout cela (pas plus qu'avec l'opposition à la chasse) et ne se limite pas du tout à la défense de l'environnement ! C'est la pensée politique de la mondialisation achevée, conscience de nos ressources limitées et de notre responsabilité collective envers les générations futures, exigence d'une société humaine et solidaire.
C'est donc une confusion dangereuse de maintenir l'ambiguïté d'une référence à l'écologie animale ou à une agronomie malthusienne. Il faut le dire tout net, la démographie n'a rien à voir avec l'Ecologie-politique : c'est l'économie qu'il faut maîtriser, notre production plus que la population. Il ne faut pas confondre écologie et biopouvoir. Cela n'implique nullement de refuser toute régulation démographique, pour autant que ce soit vraiment possible, cela ne peut être une alternative. Il vaut mieux un développement humain qui fait de la population une richesse tout en étant la seule stratégie efficace de stabilisation démographique. L'écologie réduite à la gestion des populations ou à l'environnementalisme est la meilleure façon de faire durer ce qui n'est pas durable, de ne rien changer au système économique destructeur en s'y adaptant (médicalement, génétiquement, démographiquement). Même si ce sont les pays les plus pauvres qui souffrent de surpopulation dramatique, la simple gestion des populations n'est pas autre chose qu'une façon de préserver la domination des privilégiés. L'Ecologie-politique se veut, à l'inverse, une radicalisation de la démocratie, une réappropriation de nos vies, une démocratie participative, le pouvoir "de" la population et non pas "sur" elle.
C'est pour cela, par exemple, qu'il faut défendre le "choix thérapeutique". Qu'on aille pas jusqu'à s'imaginer qu'il faut être contre la médecine scientifique mais il ne faut pas sous-estimer ses "effets secondaires", ni l'efficacité des différentes thérapies traditionnelles dont la composante psychologique est essentielle, et trop négligée par la médecine justement. Ce n'est pas une raison suffisante pour soutenir particulièrement telle ou telle pratique, toujours à la limite de l'escroquerie (comme la psychanalyse l'avoue elle-même) qu'une garantie ne ferait qu'aggraver. Ce que nous défendons, c'est le droit de chacun de choisir en fonction de ses croyances du moment. L'homéopathie, au moins, pourrait être encouragée pour son innocuité, sauf traitement d'urgence nécessaire, encore faut-il y croire !
L'Ecologie-Politique ne saurait être "pour ou contre la Science" mais pour son contrôle démocratique. Il ne peut être question de rejeter la Science mais simplement, selon l'éthique scientifique elle-même, ne jamais trop s'y fier, tenir compte des marges d'erreur et des modes du temps, ne jamais l'identifier à une vérité révélée qui déciderait pour nous. Le principe de précaution est la limite de la science, là où elle doit laisser place au choix démocratique, on peut soutenir cependant, contre un scientisme dépassé, que c'est un principe scientifique, essentiel à toute recherche, le principe d'incertitude.
B. Leur écologie et la nôtre
- Les trois écologies
L'écologie a des significations radicalement différentes selon l'utilisation politique qui en est faite. Plutôt que de vouloir rassembler des stratégies antagonistes, elle doit se scinder ainsi en 3 tendances contradictoires.
1. L'écologie fondamentaliste et réactionnaire, dont le mot d'ordre est "respectons les lois de la nature" reprend les argumentations des droites traditionnelles (légitimistes, royalistes, autoritaires, fascistes) sur l'ordre naturel, inégalitaire, la division des fonctions, la ségrégation des populations, l'hygiénisme, le biologisme et la normalisation. La liberté humaine y représente le mal absolu contre la loi naturelle et contraignante d'une harmonie originelle et non discutable.
2. L'écologie environnementaliste libérale et centriste dont le mot d'ordre est "la qualité de la vie" se réduit à préparer les futures industries de l'environnement, l'intégration de la gestion des déchets de l'économie et la sauvegarde de parcs de loisirs, d'ensembles touristiques, de musées d'espèces rares, destinées aux cadres privilégiés d'un capitalisme sauvage qui sait qu'il doit séduire, par l'artifice d'une nature reconstituée, les meilleurs diplômés assurés qu'il pourront profiter idéalement des avantages matériels qu'on leur fait miroiter (la Vraie Vie!) et d'une liberté naturelle garante de prospérité. Pour le libéralisme, la liberté est instrumentalisée, ravalée au rang de moyen pour le marché. Liberté du plus fort et loi du possédant.
3. L'écologie-politique enfin dont le mot d'ordre est
de "prise en compte de la totalité et maîtrise de notre environnement,
des conséquences de nos actions sur nous-mêmes et notre avenir",
reprendre le contrôle de l'économie, imposer la prise en compte
des besoins réels et des nuisances indésirables, globaliser
les problèmes au niveau mondial, corriger la force mécanique
de l'évolution par la volonté d'un développement contrôlé,
démocratique, équilibré, rationnel et diversifié.
La liberté est, de ce point de vue, un idéal, la dignité
de l'homme qui doit être reconnue supérieure à toute
autre rationalité (économique, géopolitique, biologique)
et doit atteindre à l'effectivité qui ne peut plus être
que mondiale, à la mesure des enjeux du temps. Il ne s'agit pas
de protéger une nature originelle, ni de protéger et rentabiliser
les richesses naturelles mais de prendre possession de notre monde, s'opposer
aux logiques inhumaines d'un développement tyrannique et aveugle,
fonder un nouvel être-ensemble, de nouvelles solidarités contre
la société marchande et ses intérêts à
courte vue.
- L'écologie réformiste libérale (pollueur payeur)
Les libéraux veulent croire que l'intégration des contraintes écologistes par le marché pourrait suffire à rendre le productivisme durable. C'est la voie empruntée par les conférences sur le climat (Kyôto, La Haye), c'est la logique des écotaxes : valoriser la pollution. Il est pourtant évident qu'on ne pourra continuer le rythme actuel de croissance des pays développés et de destruction des ressources non renouvelables. Les mesures que n'arrivent pas à mettre en place les États pour diminuer l'émission de CO2 sont notoirement insuffisantes mais sont déjà antinomiques avec une politique de croissance économique. Le capitalisme ne peut renier son fondement productiviste et continuera, comme toujours, à ignorer les menaces tant que les catastrophes ne se seront pas produites. En fait le libéralisme n'est pas supportable dans tous les sens du terme, il n'est pas défendable et ne peut prétendre être ni l'économie naturelle, ni une réalité définitive. Le capitalisme, le productivisme, l'individualisme, le salariat, le règne de l'argent ne sont pas compatibles avec les limites planétaires matérielles qui ont été atteintes. L'environnementalisme libéral est une blague qui ne fait rien que d'endormir notre conscience des limites avec sa prétention de s'attaquer aux causes alors qu'il ne peut qu'en diminuer les effets et laisse se continuer la dégradation de nos vies. Les tendances de l'économie à dépenser moins d'énergie, par un net accroissement du rendement énergétique ainsi que par le passage à une économie immatérielle de l'information, ne sont que de belles histoires qu'on nous raconte pour surtout ne rien faire car la réalité actuelle, et pour longtemps encore, est celle d'une énorme dilapidation de ressources qui ne sert même pas à réduire la misère alors qu'elle expose les générations futures à tous les dangers. Les écologistes sont pour la liberté, l'autonomie, le marché, ils ne peuvent être "libéraux" car la liberté des hommes vivants doit être supérieure à la liberté des capitaux. Il n'y a pas d'écologistes néo-libéraux, le libéralisme écologiste se veut un libéralisme contrôlé (y compris par la taxe Tobin par exemple) mais c'est bien cette illusion que le système capitaliste soit réformable dans son productivisme qu'il faut combattre. Cela ne signifie pas qu'on ne doit ni le réformer ni le contrôler dans l'immédiat mais que cela ne peut être un projet de société sinon le réformisme écologiste libéral n'est qu'un conservatisme, une façon de rendre un tout petit peu plus durable la domination aveugle de l'argent.
- L'écologie réformiste étatiste (un État fort contre l'argent fort)
Les réformistes de gauche prennent plus au sérieux les contraintes écologiques et savent ramener les problèmes écologiques à leur origine sociale et économique. Ils remettent vraiment en cause capitalisme et productivisme mais ne trouvent pas d'autres alternatives qu'une étatisation générale de la société, ce qui est bien une prise de conscience de la société comme telle mais qui reste dominée (on prétend y introduire plus de démocratie!). Les militants issus de la fonction publique ou de monopoles d'État défendent naturellement le dépassement du productivisme par un renforcement du politique et de l'État dans la direction de l'économie et, concrètement, par des nationalisations. L'horizon est celui de la gestion de l'existant, sans changement dans le salariat, et d'un renforcement des garanties de revenu mais aussi un renforcement du pouvoir, des réglementations, des contraintes. Il y a bien des fantasmes d'économie idéale donnant à chacun un travail mais on ne sait pas comment! C'est plutôt une position de sauvegarde et qui n'est pas aussi incohérente que celle des écologistes libéraux (les contraintes écologiques sont vraiment envisagées) mais c'est ignorer par contre les leçons de l'histoire : les dangers de la bureaucratie, de la corruption et de l'irresponsabilité tout autant que le besoin d'autonomie dont nous avons besoin comme de l'air, et, à l'évidence, l'économie et le marché aussi (ce qui ne veut pas dire sans règles). Pour éviter les destructions du libéralisme, on tombe dans les désastres écologiques provoqués par des régimes autoritaires et centralisés mais aussi par les entreprises étatisées (du nucléaire EDF au trou du Crédit Lyonnais pour la France, Tchernobyl ou les inondations chinoises ailleurs). On a du mal à choisir entre la peste et le choléra. Surtout, ce réformisme étatiste ne semble en fait guère plus ambitieux que l'écologie libérale et se limite à un conservatisme à courte vue qui se sert de l'État pour conserver le salariat et la production actuelle comme service public, voulant simplement ajouter la protection de la nature et l'intérêt social. Il semble bien que cela ne soit qu'une version du capitalisme d'État bien qu'appuyé sur une plus grande décentralisation. De nombreux régimes dits communistes ont tentés vainement d'en diriger l'économie sans en changer la base productive qui est le salariat, le processus de valorisation, de substitution de la valeur d'échange à la valeur d'usage c'est-à-dire la réduction des rapports sociaux à des rapports entre des choses, à une domination anonyme enfin. L'histoire nous a appris que l'appropriation "collective" n'y change rien, sinon en pire, et qu'elle n'a de collective que le nom, étant plutôt la propriété de bureaucrates inaccessibles et de plus en plus corrompus. Je préférerais que cela ne soit pas vrai, mais c'est ainsi. De toutes façons, ce modèle étatique n'est, là encore, qu'une façon de rendre notre mode de vie actuel un peu plus durable et en faire un modèle satisfaisant pour l'avenir alors qu'il nous manque de tout.
- L'écologie révolutionnaire (revenu garanti et libération du travail)
Il n'est pas question de nous satisfaire de cette société qui n'est pas supportable et on ne peut se contenter d'un réformisme mou devant les menaces planétaires. Nous devons affirmer le caractère révolutionnaire d'une écologie qui ne se borne pas à entretenir les pelouses ou à rendre un peu plus durable l'exploitation de la planète, mais porte le seul projet à l'horizon de ce troisième millénaire. Nous devons dire clairement que nous sommes déterminés à lutter pour des mesures radicales à la hauteur de notre misère sociale, les exclus ne sont pas obligés de se fier à la démagogie fasciste et raciste aggravant le désastre.
Il faut redonner aux gens la certitude qu'ils peuvent peser sur les événements et ainsi, formuler ce qu'ils veulent, ce qu'ils refusent vraiment. Être révolutionnaire c'est vouloir transformer le monde et pour cela prendre le parti du négatif, de la critique et de l'amélioration infinie, plutôt que s'illusionner de quelque utopie positive idéale et trompeuse. Ce n'est pas se contenter d'un réformisme qui adapte les règles et pare au plus pressé, il nous faut changer les règles elles-mêmes pour les rendre conformes à notre avenir. Être révolutionnaire, c'est vouloir être un véritable Citoyen et non pas un simple administré.
On est loin d'une révolution léniniste ou du mythe du grand soir révolutionnaire (qu'il y en ait une multitude !). L'écologie révolutionnaire ne veut pas "prendre le pouvoir" par la violence mais changer notre base productive radicalement. Il ne s'agit pas d'instaurer une dictature mais de s'engager dans la sortie du salariat. L'écologie révolutionnaire veut sortir du productivisme et abolir le salariat, conscience des contraintes planétaires, des transformations du travail et des possibilités de l'avenir. Cette sortie du processus de valorisation, de l'économie séparée de la société, est le début de la réappropriation de notre vie.
La transformation du travail en cours est comparable aux débuts de la révolution industrielle : passage de la "force de travail" à la "résolution de problème". Ainsi, il n'y a plus de séparation entre le temps de travail, de formation, d'information, de loisir ou de repos. La résolution de problème ne se mesure pas comme la dépense physique ou la simple permanence de service en heures de travail. Le besoin de flexibilité et de créativité dans un monde complexe doit privilégier les créations d'activités et les temps protégés mais aussi la diminution du temps de travail. Le temps libéré permet des activités non marchandes correspondant mieux à la civilisation de l'information et du savoir que la marchandisation de toutes les activités communicationnelles qu'on nous promet. Ces changements radicaux dans l'activité de base du citoyen annoncent une nouvelle démocratie participative. La Réduction du Temps de Travail ne peut pas être suffisante pourtant. D'une part elle ne change pas le mode de production, qui reste toujours aussi productiviste, elle ne prétend qu'en répartir les postes, ce qui est déjà beaucoup, en postulant que cela diminue la croissance ce qui est très douteux. D'autre part, c'est la notion de temps de travail qui perd sa signification dans les activités créatrices ou de résolution de problèmes.
La libération du travail est à notre portée, le chômage plus l'automatisation le permettent à brève échéance si on sait dépasser les intérêts à court terme des néo-libéraux. Il faut organiser la sortie du salariat et du processus de valorisation du temps de travail, passage du quantitatif au qualitatif. Concrètement, il faut d'abord augmenter les minima sociaux, puis obtenir un revenu d'existence cumulable avec un emploi et favorisant les activités libres. Grâce à ce revenu d'existence, c'est un nouveau modèle de développement qui va se mettre en place, donnant une égale dignité à tous les choix d'existence et favorisant les projets de développement personnel et artistique, l'artisanat, les professions libérales, le "service aux personnes", le tiers-secteur, la vie associative et citoyenne. C'est une subvention aux activités écologiquement souhaitables (bien supérieure aux emploi-jeunes) et la transition avec un nouveau mode de production. C'est l'aspect le plus positif et qui donne le plus d'espoir dans l'avenir. Une production centrée sur le produit peut remplacer une production guidée par le seul profit. Sur cette nouvelle base, une production écologique est possible et l'avenir retrouvé.
Il y a toutes sortes d'écologistes révolutionnaires. Ils peuvent être "marxistes", libertaires, alternatifs ou de simples opposants à la "croissance" et à la destruction de la société, c'est-à-dire de véritables écologistes, mais pour nous l'écologie n'est pas une simple amélioration de l'existant, ce qui permettrait de rendre un peu plus durable le monde actuel et son développement inégal et destructeur, rendre un peu plus supportable ses souffrances et ses injustices. Au contraire, pour nous l'écologie est la dénonciation d'un monde qui se fait contre nous. L'écologie est pour nous l'urgence de l'avenir.
C. Continuités et ruptures
- Écologie et mouvement social
Il faut y insister encore, il ne s'agit pas d'utopie ni d'un extrémisme romantique mais bien de la plus stricte nécessité, d'un véritable matérialisme, du réalisme le plus concret. Il ne s'agit pas de rêver, c'est la société qu'il faut changer, maintenant ! Il nous faut ainsi tenir compte de l'expérience historique et puiser dans la tradition révolutionnaire et socialiste, au sens large, l'essentiel des exigences de justice et de solidarité ainsi que la critique de la logique du profit, de la domination et de l'exploitation.
Dans cette continuité historique, l'écologie introduit malgré tout une rupture essentielle avec le modèle productiviste et massifiant. Le paradigme écologiste met en cause les fondements de l'économie, pas seulement sa répartition, en mettant en avant notre responsabilité, notamment avec le principe de précaution, mais aussi les limites planétaires, le négatif du progrès et de la production, l'épuisement des ressources et la prise en compte des cycles biologiques. Il y a passage du quantitatif au qualitatif, à la conscience de soi de la production, à notre responsabilité planétaire. Le point de vue global de l'écologie fonde enfin la valorisation de la diversité et de la coopération, de l'autonomie et de la décentralisation dans une société largement autogérée qui n'est pas le lieu du combat pour la survie mais d'une assistance mutuelle, d'une communauté humaine et conviviale. Si l'écologie doit réduire les inégalités réelles, elle ne prétend pas à un égalitarisme individualiste abstrait mais valorise la diversité qualitative (et donc la division du travail), la complémentarité et la solidarité sociale, plutôt qu'une équivalence quantitative. Contrairement au communisme ou au libéralisme, l'écologie veut préserver liberté individuelle et liberté collective donnant autant d'importance à la personne qu'à notre communauté de destin. Ce ne sont pas des problèmes secondaires mais bien réels dans nos rapports avec la gauche, au même titre que l'étatisme ou le rapport à la violence. L'opposition la plus forte se concrétise pourtant entre la défense du salariat et la critique écologiste du travail.
Malgré ces ruptures, nous sommes clairement du côté du mouvement social, à gauche si ce mot a encore un sens, en tout cas opposés à une écologie libérale autant qu'à l'écologie de droite des hiérarchies naturelles. Mais nous ne pouvons nous réduire à une troisième gauche qui lorgne plutôt à droite et ne prend pas la mesure de ces ruptures dont nous voulons au contraire souligner l'urgence. Nous ne pouvons nous contenter d'une écologie réformiste alors que c'est la logique productiviste que nous devons dépasser.
Il nous faut tenir les deux bouts, l'ancrage dans l'histoire de l'émancipation sociale mais aussi la nécessité d'une nouvelle approche globale et multidimensionnelle de la politique, respectant les singularités locales et refusant de prendre les moyens pour fins ou de traiter les sujets vivants en simple objet. On peut dire que l'écologie se confond souvent avec ce qu'on a appelé les nouveaux mouvements sociaux, nouveaux en ce qu'ils ne portaient plus des revendications quantitatives de revenu mais des revendications qualitatives, des conditions de travail aux minorités sexuelles ou à l'égalité féministe, sans parler des mobilisations environnementales, contre la malbouffe ou pour une autre mondialisation. S'ils témoignent bien d'une pluralité de dominations et de champs d'action, ce n'est pas pour en disculper le capitalisme salarial mais plutôt pour montrer toute l'étendue de ses conséquences (ça craque de partout) et la nécessité d'un changement complet de logique économique. La domination ne se réduit pas du tout à la lutte des classes pourtant mais s'appuie sur la domination masculine comme sur les rigidités sociales, les privilèges particuliers, les intérêts de la classe moyenne et de la génération majoritaire, la ségrégation sociale et la division de l'espace, tout ce qui soutient la reproduction de l'ordre établi. La domination ne se réduit pas à l'exploitation, au rapport capital/travail qui détermine le profit mais ne remet pas en cause un système qui attaque notre dignité et nos conditions vitales. Le salariat n'est pas homogène, la partie la plus intégrée soutien l'ordre établi alors que les plus pauvres sont rejetés aux marges du salariat. Ce qui compte ce sont les perdants, les minorités, les opprimés, ceux qui souffrent de la domination, ceux qui résistent à l'ordre marchand et refusent ses règles. L'écologie-politique n'est ici que la théorie qui donne cohérence à ces nouveaux mouvements sociaux plutôt qu'elle ne prétendrait les diriger.
- Écologie et marxisme
On ne peut ignorer la tradition révolutionnaire qui, de la révolution française à la commune, de 1936 à 1968, a su porter les exigences de démocratie et de justice qui sont forcément les nôtres, d'un pouvoir du peuple et pour le peuple. Une rupture totale avec cette tradition pose tout simplement la question de la légitimité qui devient alors facilement celle de l'urgence absolue de la survie, de la terreur d'une nécessité qui ne tolère plus aucune liberté, ni de véritable égalité, encore moins d'une réelle fraternité. Cependant, l'histoire est à la fois continuité et rupture. La reconnaissance d'une continuité du mouvement social ne doit pas occulter les vrais points de divergences qui nécessitent une recomposition et une rupture ne pouvant se faire que sous la bannière de l'Écologie-politique.
Utopie révolutionnaire et démocratie participative (1) D'abord réfuter cette prétention partagée par de nombreux écologistes et encore lisible dans les derniers écrits de Marx d'une réconciliation de l'homme, d'un homme nouveau offert à toutes les dictatures et dont le fondement est le mythe de l'abolition des classes et de l'État. Notre but d'abolition de la séparation de l'économie, du salariat, de la valorisation du monde ne saurait constituer un retour à une harmonie préétablie, ni une Fin de l'histoire paradisiaque. La société idéale qui réaliserait le bien suprême de l'homme n'est pas à notre portée, sinon d'y prétendre dans un idéal révolutionnaire aveugle à de sanglants démentis du réel. Mais il y a des progrès possibles. Nous devons seulement améliorer continuellement notre monde, corriger nos erreurs, nos insuffisances, les reconnaître, abolir des injustices. Nous devons savoir que chaque principe se retourne contre lui-même, chaque progrès manifeste une nouvelle contradiction vivante. Ce n'est pas une raison pour ne rien faire mais au contraire pour ne pas s'arrêter de se corriger et de résister à notre propre pouvoir, pour ne jamais s'endormir du sommeil dogmatique et ne jamais s'arrêter de vivre. La révolution est une prise du pouvoir par les citoyens et non la prise d'un pouvoir sur les citoyens. C'est donc un commencement, là commence l'Écologie, ce n'est pas un aboutissement mystique. Ce point est fondamental, avec ses conséquences sur la prise de pouvoir.
Le contrôle de l'économie (2) Le deuxième point que le marxisme doit réformer est la conception de la propriété collective des moyens de productions. La propriété collective ne supprime pas la contradiction du producteur et de l'investisseur (ni celle du producteur et du consommateur), ne faisant que transformer le capitaliste en bureaucrate. Ce qui compte n'est pas le propriétaire des moyens de production mais les bases productiviste du système de production, l'économie comme séparée de la société sous la domination anonyme de l'argent. Il faut, par le Droit, changer la logique du marché, lui imposer les coûts sociaux réels, orienter le développement économique selon une autre logique que celle de la marchandise mais surtout il faut, conformément à ce que dit Marx lui-même, transformer les rapports sociaux de production, dépasser le salariat, le processus de valorisation, de quantification, de substitution de la valeur d'échange à la valeur d'usage, de négation de la vie enfin. L'erreur est, au fond, la même que la première : on ne découvre pas les lois de la pesanteur pour les nier abstraitement mais bien pour les orienter concrètement, s'en servir et les maîtriser. Ce n'est pas la négation autoritaire de l'intérêt privé qui suffit à changer la logique productive ou l'empêche d'envahir la bureaucratie proclamant ces vertus.
Écologie et développement : la libération du travail (3) Après ces critiques d'essence démocratique et libérale, il y a une critique essentielle spécifique à l'Écologie-politique et qui justifie un changement de combat radical par rapport au marxisme (mais qui retrouve le véritable Marx). Il n'est plus acceptable de défendre une augmentation de la production et de la consommation pour tous, même dans une phase transitoire. Au contraire, il faut en rationaliser la répartition et les destructions massives dont elles sont responsables. C'est le point qui demandera sans doute le plus de temps à pénétrer une société assiégée par le chômage. C'est pourtant le point qui doit nous séparer de l'irresponsabilité actuelle pour gagner l'avenir. Nous devons réduire le travail et le partager plutôt que de multiplier les besoins, c'est tout l'enjeu des décennies à venir (et non de la prochaine campagne électorale). Mais surtout, nous devons abandonner les bases productivistes du salariat et du capitalisme en détachant le travail du processus de valorisation. Nous devons remplacer le rapport entre choses de l'économie marchande par une économie plus humaine et qualitative, centrée sur le produit et non sur sa valeur.
A défaut d'accord sur tous ces points, l'Écologie ne sera qu'un fantasme des sondages, une demande sociale rêvée et fluctuante. Une vue claire du but est déjà un gage de victoire.
Il y a bien contradiction de l'analyse de Marx avec l'idéologie salariale des syndicats et des communistes. Pour Marx, salariat et capitalisme sont les deux faces d'un même rapport : du capital qui utilise le travail vivant pour produire du capital (profit). Ce n'est donc pas à cause des conditions indignes du prolétariat paupérisé que l'abolition du salariat était revendiqué par les syndicats révolutionnaires mais bien comme anti-capitalisme. L'amélioration du statut salarial pendant les 30 glorieuses (fordisme) ne change pas la question du dépassement du capitalisme et donc du salariat. Par contre le partage du profit, les avantages acquis, le "sursalaire" introduisent une division dans le salariat entre un salariat intégré qui protège ses privilèges et son niveau de salaire, sans remettre en cause le système ("Adieu au prolétariat" de Gorz) et une partie de plus en plus importante de précaires, de chômeurs, d'exclus de plus en plus prolétarisés qui n'ont guère de moyens d'exprimer leur révolte mais fragilisent le rapport salarial.
Le prolétariat révolutionnaire ne s'identifie plus au salariat mais à tous les perdants, les exclus, les étrangers, les minorités, ceux qui souffrent du système ou de sa répression, tous les sans droits, sans papiers, sans revenu, sans avenir, sans plus rien à perdre (que leurs haines).
D. Les principes de l'écologie-politique
- Autonomie, solidarité, responsabilité
Nous avons vu qu'il y a de nombreux malentendus au sujet de l'Ecologie-politique, du "retour à la nature" aux écotaxes, cela ne diminue pas l'urgence d'une politique écologiste. Pour éviter les effets de mode confusionnels de la vogue écologiste, il faut donc toujours ramener l'Ecologie-politique à sa cause, les destructions du productivisme, et le projet écologiste à la construction d'une véritable alternative au capitalisme salarial. Rien à voir avec une quelconque nostalgie pour ce qui est la responsabilité de l'avenir et la politique nécessaire de la nouvelle économie globalisée. L'écologie-politique n'est pas un conservatisme si ce n'est pas non plus évidemment un progressisme béat.
Même à s'en tenir à la définition de l'Ecologie-politique comme négation de la séparation de l'économie, on peut tirer déjà un certain nombre de principes, constituant ce qu'on appelle un nouveau paradigme dans l'abord des questions. Ainsi, l'écologie-politique s'oppose fortement au libéralisme comme au post-modernisme par une pensée globale (conscience de soi comme totalité, finitude, diversité, relations) qui réintroduit la nécessité politique, et l'agir local (démocratie participative, développement local, réappropriation de la vie), valorisant l'autonomie des personnes et l'action citoyenne. C'est un progrès de la liberté collective de préserver notre avenir, tout autant que de la liberté de chacun de choisir sa vie (occupons nous de nos affaires). On peut résumer cela aux principes d'autonomie, de solidarité et de responsabilité (ou apprentissage, communication, soutenabilité).
Ce n'est pas parce que la reproduction est une limite matérielle au productivisme que nous devons nous limiter à la reproduction de ce qui existe ou au caractère reproductible d'un mode de production. L'impossibilité d'un développement durable du capitalisme condamne globalement ce système et nous oblige, au lieu de laisser faire en toute irresponsabilité l'évolution darwinienne des marchés, à construire un nouveau projet global qui n'est pas la reproduction de l'ancien et qui soit soutenable car nous en serons responsables cette fois. Il nous faut donc inventer du nouveau. Notre critique du productivisme ne doit pas s'arrêter à son caractère non durable mais attaquer sa logique quantitative inhumaine et aveugle. Notre projet ne doit pas être seulement soutenable matériellement mais aussi soutenable socialement ce qui implique le passage de la logique du profit à la valorisation de la personne. Enfin, l'Ecologie-politique comme penser global se veut une alternative au productivisme capitaliste mondialisé pris comme système totalitaire et non comme simple juxtaposition de champs autonomes, ce qui implique un changement idéologique global, un changement de paradigme, de mode de pensée.
Par la simple prise de conscience de notre destin commun et de nos limites vitales, l'Ecologie-politique se doit d'être une réponse aux insuffisances du libéralisme comme du communisme en développant les libertés individuelles et collectives. Je n'ai jamais compris ce que pouvait bien être l'anarchisme comme refus des institutions, à part la domination des marchés ou des plus forts, car il n'y a pas de liberté naturelle. Le Droit est la liberté objective, s'opposant à l'arbitraire du prince (État de Droit). Si l'Ecologie-politique ne peut être anarchiste ou libérale, elle ne peut pas non plus être Étatiste ayant appris les ravages du pouvoir et de la domination, l'écologie est décentralisatrice, basée sur l'autonomie de chacun. Ni totalitarisme, ni individualisme, donc. S'il faut un État, il faut tout autant un contre-pouvoir citoyen qui implique la plus grande décentralisation vers le local, c'est ce qu'on appelle la démocratie participative dont les droits de l'opposition et des minorités sont les premiers principes. Pour l'écologie comme pour Amartya Sen, la démocratie s'impose au moins comme contre-pouvoir face au marché ou à l'État. Cette vigilance dont chacun reste responsable est inséparable de notre responsabilité collective sur notre environnement, l'utilisation de nos ressources et la répartition des richesses qu'on ne peut plus renvoyer à la main invisible des marchés. Comme le montre Castoriadis, l'autonomie comme conscience de soi et autofondation de la société implique l'autolimitation. Avec l'Ecologie-politique, nous devenons responsables de notre monde, questionnés sur nos fins mais cette totalité est vivante et divisée, jamais achevée.
Loin de toute utopie d'harmonie sociale, les principes politiques de l'écologie sont bien ceux d'un contrôle démocratique ne faisant confiance ni aux institutions, ni à la démocratie directe mais à leur dialectique, à leurs corrections réciproques. Contrairement à la conception de la démocratie comme lutte pour l'hégémonie d'une classe sur d'autres, l'écologie est une culture du consensus, du vivre ensemble, conscience de notre destin commun, le consensus lui-même appelant un nécessaire dissensus, l'intervention de minorités agissantes et le partage du pouvoir (droits de l'opposition, proportionnelle). Enfin, c'est une société d'assistance, plutôt que de sélection, qui semble annoncer la fin du patriarcat patrimonial et du travail dominé, d'une vie qu'on ne doit plus gagner mais qui reste à produire.
- Écologie et totalité
On peut rapprocher la pensée écologiste du structuralisme génétique (Piaget, Goldmann, Braudel, Bourdieu). Comme le structuralisme, c'est une pensée holiste qui part de la totalité pour comprendre l'individu dans sa position relative (complémentarité et diversité) au sein de champs qui ne sont que partiellement autonomes, mais conformément à la théorie évolutionniste, l'écologie considère un processus vivant et "dialectique" d'apprentissage et de régulation, lutte sans fin contre l'entropie qu'illustrent les cycles de la vie : de la graine à la fleur, cycle des saisons et des générations ou cycle du carbone... Il y a bien sûr des totalités objectives comme la totalité planétaire et un dérèglement du climat qui ne se divise pas. Il y a aussi des totalités actives, qui peuvent être immatérielles comme celle des échanges, division interne (division du travail, contradiction, conflit) ou bien intentionalité, regard, projet. L'écologie introduit une totalité réflexive, à la fois prise de conscience de la totalité objective ainsi que souci du long terme et jugement de l'avenir.
Il est essentiel de comprendre que le capitalisme se totalise au moins par la circulation. Pas moyen de comprendre langage ou monnaie sans les considérer comme totalités, ce que l'inflation démontre en acte. Des institutions comme la Bourse sont des processus de totalisation. Il ne s'agit en aucun cas d'idéalisme, mais bien du matérialisme le plus concret à l'opposé d'un scientisme abstrait. René Thom a bien montré contre tout réductionnisme qu'un gaz ne devait pas ses mouvements au mouvement de ses particules mais bien à la direction du vent ! Un corps ne se réduit pas à ses parties, ni une maladie à ses symptômes. Il y a aussi une forte réticence à l'idée de cycle, pourtant si courante en économie. Une bonne partie des résistances à une détermination cyclique recouvrent exactement les mêmes arguments, protestant de notre liberté, que les résistances aux probabilités et aux statistiques rencontrées au XIXème siècle, il s'y ajoute une certaine répugnance pour les cycles agricoles. Bien sûr, il ne faut pas tout réduire aux cycles biologiques mais simplement reconnaître leur rôle qui n'est pas aussi assuré qu'une loi physique.
Du point de vue de l'histoire de la philosophie, la conception écologiste du monde, caractérisée par l'unité sujet/objet, leurs interdépendances, peut se réclamer de Hegel tout autant que de la remise en cause de la métaphysique par Heidegger, de l'être de l'étant, contestation de la conception onto-théologique d'un être consistant en soi et de l'individu isolé (Descartes, Locke). Le structuralisme est encore plus proche ou la pensée systémique. Alors que l'individualisme construit la fiction d'un individu autonome, indépendant de toute société, l'écologie définit la personne par ses relations, ses dépendances, sa formation, son statut social. Comme logique des relations et des interactions (Bateson) c'est une subjectivation, une désobjectivation, une dé-sidération restituant les rapports sociaux derrière le fétichisme de la marchandise. C'est aussi une subversion du pouvoir qui nous traite en objet. Cette restitution du sujet vivant n'est pas du tout un subjectivisme pourtant, ni un relativisme mais bien plutôt le réalisme le plus concret, un matérialisme biologique et social qui réintroduit le sujet comme acteur, comme singularité concrète et non pas universalité abstraite interchangeable. L'écologie comme totalité fonde aussi une répartition équitable, là où le libéralisme ne connaît que l'égalité de l'échange. C'est enfin la pensée des réseaux, de la coopération, de la non-violence, de la communication au-delà de l'homo hiérarchicus ou de l'homo economicus. La non-violence est essentielle dans une société de l'information, pour rompre avec la domination (pour Sloterdijk c'est par l'information seulement qu'une régulation peut éviter la violence de l'évolution - tout autant que celle du moralisme).
- La dialectique écologiste : la parité
Rien ne vaut un exemple comme la parité pour illustrer l'opposition complète de la conception écologiste de la totalité avec un quelconque totalitarisme ou avec les conceptions républicaines abstraites. L'écologie revendique un abord concret des problèmes, un changement de paradigme, un penser global qui n'est pas un jugement homogénéisant, prononcé de loin, mais un agir local attentif au contexte.
Il est évident que la parité est une aberration, une contrainte impossible à satisfaire qui trouble les élections démocratiques. C'est même absolument ridicule de mettre la parité dans la constitution. Tout cela est parfaitement vrai. Le problème c'est qu'il y a un scandale plus grand que de déroger aux principes universels, il y a la réalité qui est celle de la discrimination raciale, sexuelle ou économique. Il y a la réalité de notre démocratie fracturée. Il y a plus ridicule que la parité, il y a le nombre ridicule de femmes au parlement. Ce qui doit être inscrit dans la constitution, c'est bien le devoir de rendre son universalité effective.
Dans tout ce qui se veut "discrimination positive", il faut qu'il y ait d'abord une discrimination effective, et même massive, sinon c'est bien évidemment une mesure insensée (si la discrimination disparaît, la positive n'a plus de sens). Il ne s'agit pas d'une mesure abstraite éternelle, mais, au contraire, qui dépend complètement de la réalité concrète du moment. Refuser de "favoriser les défavorisés" c'est justifier la domination des dominants au nom d'une égalité abstraite, de droits, refoulant l'inégalité sociale, de fait. C'est le principe de l'idéologie de couvrir la réalité effective avec une abstraction idéale, permettant de justifier l'esclavage ou la misère au nom du libéralisme (l'idéologie de la fin des idéologies n'est encore qu'une idéologie de droite, idéologie de la résignation justifiant l'ordre dominant et visant à détourner de la misère réelle, des prétentions de la réalité à contester la vérité officielle).
Marx qui a commencé comme juriste a montré comment le droit abstrait de l'égalité a permis les plus grandes inégalités et l'a dénoncé comme pouvoir de l'argent. Car il n'y a rien de plus universel et abstrait que l'argent, rien de plus égalitaire qu'un échange marchand mais c'est par ces principes abstraits que se sont formés des inégalités de richesses impensables auparavant. Le droit de l'égalité abstraite est le droit de l'inégalité concrète. Dans sa critique de l'idéologie, Marx voulait faire descendre le ciel sur la terre en tenant compte de la misère réelle et en contestant le bonheur idéologique officiel. Tout ceci est tout-à-fait écologiste : tenir compte du local, des particularismes, du négatif, de la réalité matérielle.
C'est donc la même chose de défendre la parité (en France, pas en Suède qui la réalise déjà) ou de lutter contre le libéralisme, la technocratie et la démocratie formelle. Nous devrons toujours lutter contre l'universalisme abstrait au nom de notre singularité concrète. Il ne s'agit pas de réfuter les droits de l'homme mais, au contraire, de les rendre effectifs.
La parité ne récuse pas du tout l'universalité comme certains ont cru le comprendre, mais "l'universalisme abstrait" (assimilé à l'économisme, à la négation des différences) en y opposant l'universalisme concret de l'écologie (dont la parité est un exemple) qui consiste, comme dit Bourdieu, à assurer concrètement à tous l'accès à l'universel. Sans universel il n'y a pas de liberté par rapport à son groupe, il n'y a pas de langage, il n'y a pas d'hommes. Mais un universalisme abstrait est une religion, une idéologie qui contredit ses principes dans la réalité (la non-violence n'est pas plus répandue en Inde que la charité chez nous). Il faut transformer les droits de l'homme abstraits du capitalisme (qui ont, pour l'instant, plus dévastés la Russie que la dictature soviétique) en droit concret à l'existence. C'est un progrès de l'universel, sa réalisation.
L'écologie ne peut se comprendre sans le global, mais pas plus sans le local dans sa singularité. Ceci a une portée générale, c'est ce qu'on nomme depuis Hegel la dialectique et je pense que l'écologie est une forme de la dialectique qui va au-delà du discours jusqu'à ses conditions de possibilité (limites et solidarités).
Hegel :
Je nomme dialectique le principe moteur du Concept en tant que non seulement il résout les particularisations de l'universel, mais les produit. Droit no 31Il faudrait que tout le monde, et surtout ceux qui font de la politique, lisent la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel où tous ces conflits de la raison avec elle-même sont exposés (voir plus bas). C'est bien sûr impossible même si j'ai essayé d'en donner un résumé accessible ("La formation de l'esprit"). Hegel nous présente ainsi la position universaliste de Kant comme une loi qui est faite pour ne pas être respectée car elle devrait ignorer tout sentiment (appelé par Kant "pathologique"). Ne pouvant s'égaler à ses exigences, cette loi se contredit et, à la "raison législatrice" qui décide de la loi universelle inapplicable succède "la raison examinant les lois" qui réalise l'universel en se compromettant avec la réalité (tout comme un juge interprète la loi après un débat contradictoire entre procureur et avocat, loi qu'il n'applique jamais aveuglément). C'est ce réalisme attentif aux singularités du contexte, aux conditions matérielles et subjectives que défend l'écologie-politique.La démarche dialectique, telle que nous la comprenons ici : la saisie des opposés dans leur unité... La dialectique n'est pas une activité extérieure d'une pensée subjective, mais l'âme propre du contenu qui produit organiquement ses branches et ses fruits. Logique I, 38
Toutes les choses sont contradictoires en soi. Logique II, 58
La phénoménologie de l'esprit de Hegel montre, par exemple, comment se contredisent et s'engendrent les divers rationalités morales : du traditionalisme qui échoue à se justifier face aux autres traditions, à l'égoïsme qui lui répond mais aspire à une morale d'abord éprouvée immédiatement comme loi du coeur qui s'oppose au monde et finit en délire de persécution avant de renier sa subjectivité pour se soumettre à la discipline de la vertu, vite réduite au mérite se mesurant à la peine, avant d'exiger des oeuvres qui tombent pourtant à la simple occupation, avant de se ressaisir en loi morale universelle inapplicable pour accepter finalement d'être toujours la conscience qui examine la loi dans son application concrète, en faisant de son mieux dans une pratique incertaine qui devient politique car elle dépend de nous.
E. La responsabilité du climat
- Totalisation de l'activité humaine
Il faut bien le dire, nous n'avons guère le choix. L'écologie-politique n'est pas une vision du monde mais s'impose à notre inconscience avec violence. La colère du ciel, les tempêtes, le dérèglement climatique en sont les signes les plus visibles si ce ne sont certes pas les seules catastrophes écologiques du productivisme, les journaux en sont pleins. Il faut le répéter, ni les écotaxes, ni les quotas, ni les "marchés des droits à polluer" ne peuvent espérer être à la hauteur du problème.
On peut admettre qu'il était raisonnable aux débuts du capitalisme, de considérer que les prélèvements sur la nature étaient gratuits et profitables à tous comme valorisation des ressources. Aujourd'hui que les équilibres de la biosphère sont en jeu, la globalisation rencontre la limite planétaire au niveau des ressources aussi bien que des pollutions, des externalités positives comme des externalités négatives qu'on ne peut plus rejeter à l'extérieur d'un monde fini. La course au profit et à la croissance n'est plus tenable. Malgré l'individualisme triomphant de la marchandise, la tempête nous traite universellement et nous devenons responsables collectivement du climat, que nous le voulions ou non, car il est désormais lié à notre production, effet de la totalisation de l'activité humaine au moment où s'achève la marchandisation du monde.
Ce n'est pas nouveau, dira-t-on puisque c'est un phénomène naturel, mais ce qu'il y a de nouveau, c'est que, cette fois-ci, c'est vraiment la faute des hommes. Dans les mythologies antiques, le déluge était vécu comme la suppression de la création par son dieu créateur reniant sa créature à cause des péchés des hommes, de leurs disputes, leur égoïsme, leur éloignement du Dieu. Ce sentiment de culpabilité a fait progresser la conscience de soi en produisant le travail humain, l'agriculture, d'abord comme service aux dieux (faire le travail de la nature à sa place pour être utiles aux dieux et "gagner sa vie"). Pourtant, je peux vous l'assurer, l'homme n'était pour rien dans les précédents déluges alors que c'est bien sa faute réelle, sa démesure qui le menace lui-même cette fois. Faudra-t-il la colère du ciel pour comprendre enfin qu'on ne peut continuer à gaspiller nos ressources dans une vie d'enfer ? Chaque cyclone menaçant sera désormais chargé de notre culpabilité et les déluges à venir accuseront longtemps notre insouciance irresponsable. Il ne s'agit pas seulement d'un "réchauffement", non, après-nous le déluge!
- La marchandisation du monde
L'extension de la marchandisation
Il y a dans cette fin de l'irresponsabilité, une condamnation
de notre mode de développement au moment où la marchandisation
a tout envahi du gène au lien social et au savoir. Si nos conditions
vitales planétaires sont menacées par notre industrie, notre
époque de globalisation se caractérise aussi par un totalitarisme
de la marchandise envahissant toutes les dimensions humaines. Ce n'est
plus seulement la nature, mais toutes les ressources de la personnalité
et de la culture qui sont exploitées, manipulées comme moyens
pour la production. En dehors des contraintes matérielles rencontrées
avec les pollutions et le dérèglement climatique, les "externalités"
sont ainsi de plus en plus immatérielles, notamment sociales (formation,
flexibilité). Ce qui nous menace avec la production immatérielle,
c'est l'extension de la marchandisation à de nouveaux domaines affectifs
et culturels, la matière humaine exploitée dans tous ses
aspects, devenue gisement de profits, du gène à la connaissance,
jusqu'à devenir étranger à nous-mêmes, à
tout ce que nous sommes.
La lutte contre la marchandisation
Il y a donc bien un retour violent de la totalité dans le réel,
au nez et à la barbe du post-modernisme, comme totalitarisme marchand
menaçant toutes nos bases vitales et auquel nous devons opposer
une résistance totale, écologique. C'est bien ici qu'il y
a le plus grand danger actuel (OGM, brevetabilité du vivant et des
logiciels). Ainsi, ce qui pouvait paraître un progrès pour
le climat, d'une consommation plus immatérielle, constitue une nouvelle
menace de notre existence. C'est contre cette marchandisation du monde
que nous devons nous dresser, contre la globalisation productiviste et
pour une économie du développement local et personnel. Cette
production de l'homme par l'homme doit reposer sur d'autres bases
que l'appropriation, l'exploitation, le profit individuel et la rente.
Les logiciels libres notamment illustrent la productivité de la
mise en commun du savoir, de la coopération et du partage dans la
"nouvelle économie". La totalité a sa propre réalité
qui ne se réduit pas à la somme des parties et c'est aussi
pourquoi elle s'impose bien au-delà de ce que nous pesons face aux
marchés. Il est donc bien prioritaire de combattre l'extension du
marché notamment à la pollution, encore faut-il examiner
précisément l'articulation des contraintes écologiques
et du marché, à court et à long terme.
Externalités et valeur
La rente prétend donner une valeur aux ressources communes mais
la notion d'externalité devrait être comprise d'abord comme
une contestation de la valeur marchande au nom de ses conditions extérieures,
de ses conditions matérielles de reproduction, ses contraintes écologiques.
A partir de là se pose la question de savoir si les externalités
vont continuer à contester la valeur à partir de leur extériorité,
éprouvée comme une crise de la mesure, ou bien si
elles peuvent être chiffrées et valider au contraire une valeur
impliquant leur internalisation. La question est de savoir si la
prise de conscience de la priorité de la société et
de la vie sur l'économie mène à un autre mode de développement
ou bien s'il ne s'agit que de rendre celui-ci à peine un peu plus
durable en intégrant seulement dans ses comptes la reproduction
du milieu productif.
- Pollueurs payeurs : écotaxes ou plan global de réduction
Les limites de la reproduction
On ne peut mettre sur le même plan les externalités sociales
et les externalités naturelles ou vitales. Si pour toute société,
la reproduction du travailleur doit être assurée globalement
par le salaire et les charges sociales, il n'est pas si facile d'assurer
la reproduction de la nature ravagée par notre industrie grâce
à des "écotaxes". On peut toujours déterminer la valeur
d'une qualification car c'est une valeur relative, il n'en est pas de même
avec nos conditions vitales qui ont une valeur absolue, donc infinie.
L'internalisation des externalités
La prétendue internalisation des coûts de reproduction
est largement illusoire au-delà du coût de reproduction du
travailleur. Elle participe plutôt à l'extension du secteur
marchand en légitimant la transformation des externalités
en gisements de profits, des déchets jusqu'à la vie elle-même.
Les tentatives de chiffrage sont trop arbitraires et dépendantes
du point de vue adopté, car on ne peut vraiment quantifier le qualitatif
et la plupart des pollutions ont des effets de seuil plutôt qu'un
effet continu, ou bien il y a combinaison de différents facteurs.
On peut bien sûr, comme les assurances, donner un prix à tout,
puisqu'on en donne même à la vie, et on peut suivre le glissement
du Droit romain de la sanction à l'évaluation d'une équivalence
des peines jusqu'à la simple amende dans une logique assurantielle
qu'on peut trouver inacceptable pour ce qui s'attaque à nos vies.
On n'arrivera pas à calculer le coût de la route par exemple,
indiscernable du système de production, on ne chiffrera jamais que
sa reproduction. On ne peut chiffrer enfin les perturbations du monde car
le monde comme totalité n'a pas de valeur puisqu'il ne s'échange
pas (L'échange impossible, Baudrillard). Il ne peut y avoir
une appropriation du climat, qui ne se divise pas contrairement à
la Terre vendue entièrement morceaux par morceaux. Il faut donc
renoncer à internaliser la folie d'un système de production
qui n'est pas durable. Ce n'est pas une raison pour laisser le climat à
son sort d'épave.
La valeur des taxes
Le seul coût réel est celui de la reconstitution du milieu
quand c'est possible (eau) mais, la plupart du temps l'objectif des écotaxes,
loin de tout "permis de polluer", d'un "coût" social ou écologique,
ne peut être qu'une diminution réelle de la pollution. Sans
avoir à se justifier en dehors de leur efficacité, taxes,
réglementations, subventions, investissements doivent viser une
diminution rapide des pollutions et une réorientation de la production
vers les énergies renouvelables et le développement durable.
Ce qui compte, ce n'est donc pas l'écotaxe mais la cohérence
d'un plan global de réduction des pollutions et de réorientation
des techniques, différencié secteur par secteur, loin de
toute logique financière quasiment magique. On ne s'en sortira pas
pourtant sans prendre le problème à la racine en offrant
une alternative au salariat productiviste et plutôt que de calculer
le coût de la dégradation de nos vies nous devrions viser
la plus grande amélioration faisable. C'est à un changement
de système de développement que nous devons nous confier
et non à des taxes.
Écotaxes ou écologie
D'Illich à Gorz, la logique des écotaxes a toujours été
dénoncée par les écologistes, transformant une inégalité
environnementale en inégalité sociale sans nous préserver
des destructions industrielles. C'est dénoncer une vision libérale
de l'écologie confiant aux mécanismes de marché nos
enjeux vitaux. Ce n'est pas refuser toute écotaxe mais refuser qu'on
se serve de l'écologie qui doit "penser globalement" pour des recettes
fiscales faciles, refuser de considérer qu'on a commencé
à résoudre l'effet de serre sous prétexte qu'on a
augmenté le carburant alors que les ventes de véhicules battent
des records. Il ne suffit pas de se faire du mal pour que ça nous
fasse du bien ! Il faut faire payer les pollueurs mais sans jamais considérer
qu'ils payent le juste prix (le droit de continuer à polluer) et
que cela suffit. Il faut surtout engager des plans globaux de réduction
des pollutions et de régulation des prélèvements sur
nos ressources, sans se fier aux seuls mécanismes de marché
mais par une réorganisation collective.
Penser globalement
Comme écologistes nous devons défendre des solutions
globales dans lesquels les écotaxes peuvent avoir un rôle
mais ne peuvent remplacer des objectifs beaucoup plus indispensables comme
l'amélioration et la gratuité des transports publics, les
subventions aux énergies renouvelables, l'isolation, etc. Ni surtout
remplacer la critique nécessaire du système lui-même.
Nos combats écologistes devraient être là plutôt
que de nourrir le ressentiment des pauvres contre nous. Il ne s'agit pas
de s'opposer à la taxation des multi-nationales qui trouvent toujours
de bonnes raisons de ne pas payer la taxe, mais de s'opposer à un
impôt indirect injuste pour les plus pauvres et à l'efficacité
douteuse. Il est trop facile de prendre l'argent des taxes en remettant
à plus tard la fin de l'injustice sociale et les investissements
nécessaires. Faire de l'écotaxe un facteur de régulation
des prix est déjà beaucoup plus positif car nous sommes condamnés
à une approche globale intégrant la dimension sociale et
la garantie du revenu (ainsi nous devons réduire le transport par
camions mais il serait irresponsable de ne pas assurer la reconversion
des routiers).
- Pour un projet alternatif
Il est sans doute important de commencer à planifier la production mondiale et la diminution des quotas d'émission, mais les objectifs sont encore notoirement insuffisants, ne prenant de surcroît qu'un aspect de la question. Pour gagner ce pari contre l'effet de serre, on ne pourra se limiter à ces bricolages et il faudra bien sortir de la société de marché telle que nous la connaissons, défendre une nécessaire alternative, profiter des potentialités de l'économie immatérielle pour réorienter l'économie sur le développement local et personnel. Le jour où l'écologie ne sera plus assimilée aux écotaxes mais à une réappropriation de nos vies, à un monde plus humain, nous aurons fait beaucoup plus pour l'avenir de la planète qu'en augmentant le prix de l'essence (ce pour quoi il n'y a pas besoin de nous). S'il faut dès maintenant réduire nos pollutions, il ne s'agit pas de rendre un peu plus durable le pillage de nos ressources mais bien de défendre un projet alternatif, véritablement soutenable dans lequel garantie du revenu et régulation des marchés seront indispensables à une production plus économe. Pour cela, nous devons commencer par comprendre le productivisme lui-même et les potentialités de notre situation historique.
L'AN 01 (Introduction)
I. Pour une écologie-politiqueA. Qu'est-ce que l'écologie-politique ?
1. L'écologie-politique comme anti-productivisme
B. Leur écologie et la nôtre
2. Ecologie-Politique et religions
3. La critique de la vie quotidienne
4. Écologie, science et démographie- Les trois écologies
C. Continuités et ruptures
- L'écologie réformiste libérale (pollueur payeur)
- L'écologie réformiste étatiste (un État fort contre l'argent fort)
- L'écologie révolutionnaire (revenu garanti et libération du travail)- Écologie et mouvement social
D. Les principes de l'écologie-politique
- Écologie et marxisme- Autonomie, solidarité, responsabilité
E. La responsabilité du climat
- Écologie et totalité
- La dialectique écologiste : la parité- Totalisation de l'activité humaine
- Après nous le déluge
- La marchandisation du monde
- Pollueurs payeurs : écotaxes ou plan global de réduction
- Pour un projet alternatif