Et maintenant, quelle politique monétaire ?


En attendant que les mauvais perdants reprennent leurs esprits et calment un peu une hargne qui témoigne de la profonde fracture entre "technocrates" et "populistes", entre ceux qui décident et ceux qui subissent, les riches et les précaires, les retraités et les actifs, nous devons sans plus tarder essayer de trouver une issue favorable au rejet d'une constitution et d'une Europe trop libérales en répondant aux revendications sociales exprimées et surtout, en continuant le débat ! La victoire du NON nous oblige à un débat (difficile) sur les alternatives économiques possibles, très loin de la planification étatique à laquelle on voudrait scandaleusement réduire l'opposition au néolibéralisme !

Ainsi, la première réaction européenne, d'un Oskar Lafontaine notamment, a été logiquement d'appeler à une politique moins rigoureuse de l'Euro et une relance keynésienne qui semblent bien s'imposer pour faire reculer le chômage de masse. Seulement, outre le fait que cette croissance, dont le système ne peut se passer en effet, soit fort peu écologique, il n'est pas sûr que la recette soit aussi efficace qu'elle a pu l'être dans le passé. Les marges sont assez étroites et il faudrait en débattre entre nous plutôt que de se précipiter aveuglément dans de vieux réflexes et de fausses solutions. Ce qui compte ici, ce ne sont pas les bonnes intentions ni les grandes idées, mais les résultats, qu'il faut donc essayer d'examiner.

On sait bien que la création de l'Euro, ainsi que les politiques précédentes du Franc fort et de lutte contre l'inflation, ont été responsables en leur temps pour une très grande part du niveau de chômage et de l'aggravation de la pauvreté. Actuellement, nous souffrons encore d'une surévaluation de l'Euro face au Dollar qui réduit notre compétitivité et nos emplois mais, d'une part, le rejet de la constitution a provoqué une baisse salutaire de l'Euro (1%), d'autre part, c'est surtout dû à la politique monétaire américaine qui profite de sa position de monnaie de référence pour financer ses déficits et améliorer la compétitivité de ses produits. Il est un fait pourtant qu'avec des taux directeurs à 2%, la Banque Centrale Européenne (BCE) n'a pas tellement de marges de manoeuvre (un demi point tout de même, ce qui n'est pas rien). Pas beaucoup d'espoir de ce côté et il serait donc préférable, pour diminuer le chômage, de s'engager vers de grands programmes d'investissement ciblés, et si possible écologiques, plutôt qu'une baisse des taux.

En effet, l'exemple du Japon montre qu'il n'est pas bon d'avoir des taux d'intérêt trop bas, proches de zéro, ce qui provoque une déflation pernicieuse peu favorable à l'investissement productif. En-dessous de 3% on peut même considérer que les taux d'intérêts sont insuffisants. Il semblerait surtout que des intérêts trop réduits encouragent l'inflation immobilière, tout aussi bien que les réductions d'impôt aux USA. Pour une part cette inflation résulte du fait qu'il n'y a pas de profit industriel prometteur qui s'offre dans l'immédiat, mais aussi du fait qu'on n'est plus dans une économie de survie, on est dans un pays riche, une société de consommation, une économie de prestige où le niveau des revenus détermine le prix des biens rares convoités. Ce serait ainsi l'état permanent de surproduction qui rendrait (définitivement?) inutilisable la politique keynésienne d'injection de liquidités dans l'économie ouverte actuelle car, plus les revenus montent, plus l'immobilier monte aussi et pompe les excédents ("trappe à liquidité").

Il me semble d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire que tous les revenus augmentent pour se répercuter sur le prix des logements, il suffit qu'une part significative des revenus élevés augmente pour creuser l'écart entre propriétaires et locataires, ce qu'on peut effectivement constater. Une inflation limitée aux revenus supérieurs provoque ainsi des bulles immobilières, ce qui se traduit mécaniquement par une baisse du pouvoir d'achat des revenus inférieurs, appauvrissant les plus pauvres (il faudrait le chiffrer). A l'inverse, seul l'argent donné aux plus pauvres aurait un effet de relance sur l'activité économique.

Il me semble utile d'attirer l'attention sur ces risques, étant donné les taux d'intérêt historiquement bas de l'Euro (et du Dollar encore plus). Dès lors, cela veut dire qu'on ne peut attendre grand chose de la BCE, même si ses statuts doivent être révisés. Ce n'est pas parce qu'on a besoin d'une autre Europe, plus solidaire et protectrice, que l'Europe est la solution magique à tous les maux. Paradoxalement, le débat sur l'Europe aura fait ressortir la responsabilité des Etats dans leurs politiques sociales. Des écologistes réclamant une politique monétaire plus incitative risqueraient non seulement de déconsidérer leur discours écologiste mais d'obtenir surtout un résultat contraire à la baisse attendue du chômage et de la pauvreté.

J'en tire quatre conclusions sur la politique monétaire et budgétaire à mener, au niveau national et local, se rapprochant des pays nordiques et pouvant servir de base à nos revendications :

- qu'il ne faut pas trop se focaliser sur la BCE ni sur l'Euro pour l'instant (très heureusement l'Euro baisse un peu grâce au référendum) et ne pas attendre de l'Europe la résolution de tous nos problèmes sociaux (qu'elle ne les aggrave pas ne serait déjà pas si mal!)

- qu'on ne peut pas tolérer des écarts trop importants entre les revenus car ce sont les pauvres qui payent l'aggravation de la fracture sociale, par l'augmentation des loyers entre autres (impôts sur le revenu plus progressif).

- que seule une politique sociale, tout d'abord l'augmentation des minima sociaux et des bas salaires, peut relancer l'activité (Revenu Social Garanti).

- qu'on peut injecter enfin des liquidités malgré tout mais uniquement par le biais de monnaies locales car elles n'auront qu'un impact indirect très faible sur l'immobilier. Les monnaies locales sont un moyen de se libérer des contraintes de l'Euro, avec la garantie que l'argent investi ne sera pas absorbé par la spéculation mais dynamisera les échanges locaux (SEL). La gestion décentralisée du RMI devrait rendre les municipalités plus sensibles à ces nouvelles ressources.

Je précise que les monnaies locales sont des monnaies de proximité sur le modèle des SEL. Les monnaies plurielles sont défendues depuis longtemps par Transversales, d'autres encouragent des monnaies virtuelles, pour ma part je défends l'idée de monnaies municipales associées à des coopératives municipales permettant de compenser au niveau local le déficit de politique monétaire national ou européenne, en particulier pour les emplois de proximité. Voir mon article "La relocalisation de l'économie par les monnaies locales".

On voit que c'est exactement le contraire de ce qu'on se croit obligé de faire en haut lieu. Au fond, il s'agit à chaque fois de privilégier les politiques qui partent du local et du bas (bottom/up) sur les politiques globales qui viennent du haut (top/down), que ce soit pour la construction de l'Europe, la question sociale, la résolution du chômage et même la régulation monétaire. Il faut s'engager dans une reconquête démocratique, inséparable d'une relocalisation de l'économie qui nous redonne pouvoir sur notre avenir. Il n'y a que des alternatives locales à la globalisation marchande. On ne pourra sortir du capitalisme et du néolibéralisme d'un seul coup mais en construisant pas à pas un autre monde sur d'autres bases et d'autres rapports de production. La constitution pouvait y faire obstacle mais l'Europe ne peut faire la révolution anti-libérale à notre place. Il ne suffit pas de voter, ni de créer de la monnaie, ni de nationaliser ni même de faire des lois ! Il faut organiser la fédération européenne à partir de la base.

Jean Zin 01/06/05
http://jeanzin.fr/ecorevo/politic/bulimmob.htm


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