Apocalypse now

On ne peut pas dire que ça s'arrange, les choses tournent au pire. Guattari disait qu'il fallait toujours s'attendre au pire mais là, Dieu sait où ça va s'arrêter ! On dira sans doute que je joue encore les oiseaux de malheur (après avoir annoncé le déluge puis la chute de la bourse quelques années trop tôt) mais Jean-Pierre Dupuy a raison de redonner toute sa dignité au catastrophisme dès lors que des catastrophes s'annoncent réellement et qu'on pourrait peut-être les empêcher, si on pouvait y croire avant.

La force est aveugle, c'est sa faiblesse. Plus la puissance est sûre de sa domination, plus elle outrepasse ses pouvoirs et provoque des désastres. On peut le constater avec Sharon qui s'imagine qu'une politique de force et de terreur suffira à réduire les palestiniens à ses conditions et sa politique d'apartheid. Si la force pouvait arrêter les attentats, elle serait justifiée sans doute, mais on sait bien qu'elle les multiplie au contraire, c'est un fait qu'on le veuille ou non. Les armes modernes sont impuissantes contre un ennemi sans armée. C'est même pourquoi les palestiniens gagneraient rapidement s'ils renonçaient à la violence dont le monopole serait laissé alors à leurs occupants, plutôt que de se laisser prendre dans une escalade mortifère. Hélas il semble qu'on ne puisse pas arrêter cette fuite en avant, cette course à l'abîme, pas plus qu'on n'a pu empêcher les folies boursières.

On a presque toujours une guerre de retard. C'est aujourd'hui on ne peut plus dangereux. Il ne semble pas que les Etats-Unis aient pris toute la mesure de la nouvelle donne stratégique depuis le 11 septembre. On sait depuis Clausewitz qu'une fois un seuil dépassé dans la violence des armes, on ne revient pas en arrière, toute arme nouvelle sera réutilisée et on sait depuis le 11 septembre que, si on ne peut rivaliser avec la puissance américaine, on peut très facilement l'atteindre sur son sol. En 1991 Saddam Hussein voulait amener les troupes alliées au combat terrestre. Aujourd'hui, la logique militaire serait plutôt qu'il porte les représailles sur le sol américain (ou allié, Israélien éventuellement) mais la menace n'est plus celle d'un missile nucléaire, ni d'empêcher les militaires irakiens de faire une bombe atomique, il est trop tard. Un militaire français s'interrogeait d'ailleurs ces jours-ci sur le risque qu'il pouvait y avoir d'attaquer un pays qu'on soupçonne de posséder l'arme atomique supposée pourtant dissuasive !

D'une certaine façon peu importe quelle arme de destruction massive sera employée contre des civils, qui sont les victimes principales des guerres depuis 1940, mais il faut se faire à l'idée que l'hypothèse d'une guerre atomique n'est effectivement plus à écarter, quoiqu'on dise, nous faisant entrer peut-être cette fois vraiment dans le troisième millénaire, hélas ! En tout cas, jamais nous n'en avons été aussi près depuis la crise des missiles de Cuba, mais les protagonistes ne sont plus les mêmes, c'est vraiment à faire peur. En effet, alors qu'il était très difficile jusqu'à maintenant de concevoir des missiles armés de têtes nucléaires, et beaucoup trop dangereux, étant donné le risque de vitrification en retour, de risquer une attaque nucléaire, il est par contre très facile désormais de s'introduire dans un pays (par bateau au moins) et d'y faire exploser une petite bombe nucléaire artisanale. Pas besoin d'un Etat, ni même d'une organisation trop imposante, juste de quelques connaissances disponibles sur Internet. On sait bien que depuis la chute de l'URSS, ce n'est pas le plutonium qui manque sur le marché noir. Le risque est réel, dénoncé par Jacques Attali depuis longtemps, mais qui ne devient vraiment actuel qu'aujourd'hui. Cela ne veut pas dire qu'on ira jusque là cette fois-ci, mais il faut savoir que c'est possible et surtout il faudrait en tenir compte.

Bien sûr, ce n'est pas du tout une certitude, ni même sans doute le plus probable car c'est une réaction extrême, sans retour, difficile à exploiter politiquement, mais qui est possible en réponse à une humiliation trop forte qui donnerait l'impression de jouer son existence même ou pour "finir en beauté". Pour pouvoir tirer avantage de l'arme nucléaire il faut sans doute d'abord faire un coup d'essai (un nouvel Hiroshima ? ou bien plutôt un désert américain avant d'en menacer les villes ?). Il faudrait sans doute être fou mais il y a dans chaque guerre au moins un fou, surestimant son pouvoir, et parfois les deux ! La situation actuelle est explosive. Cette guerre vient au plus mauvais moment avec l'écrasement des palestiniens par les Israéliens, le sentiment d'injustice de tous les pays arabes si mal gouvernés et fracturés par la modernisation.

On sait que les raisons de la guerre sont largement électorales et pétrolières, plus que de bonne stratégie anti-terroriste. C'est aussi selon Emmanuel Todd parce que l'Empire est beaucoup plus fragile qu'on ne le pense qu'il a besoin de la guerre. C'est bien ce qui doit nous inquiéter, une illusion de puissance poussée par les premiers signes de faiblesse (économiques). Dans un monde de plus en plus alphabétisé et industrialisé, la domination des USA n'est plus nécessaire et perd de son importance relative par rapport à l'Europe ou l'Asie. L'hyperpuissance américaine tient au bon vouloir de ses partenaires qui y trouvent avantage. On doit craindre son aveuglement à mener des guerres à l'ancienne, transformées s'imagine-ton en simples jeux vidéos, alors que la globalisation technique et marchande rend plus facile que jamais de porter le feu sur la terre ennemie, avec toute la puissance de la science moderne, sans comité d'éthique ou accord international qui puisse peser dans l'affaire. Encore une fois, on passera peut-être à travers cette fois-ci mais il faudra dans un avenir proche abandonner la voie de la violence, devenue bien trop dangereuse désormais, et sans prise sur les véritables questions qu'on ne peut traiter que par la négociation et la justice. Nous avons changé d'époque et nous allons être obligés de devenir plus intelligents et plus justes ! La puissance est une illusion, une bêtise, un manque d'information...

Quoi fallait-il donc laisser faire des dictateurs comme Hussein ? Il y aurait beaucoup à faire contre tous les dictateurs, mais plus subtilement, en soutenant efficacement leur opposition notamment. Répétons-le, il ne suffit pas d'utiliser la force pour imposer sa volonté, encore moins pour résoudre des problèmes. Il ne suffit pas de vouloir supprimer la drogue, la prostitution, les délinquants et les terroristes, même en y mettant le paquet. Le point sur la table n'y change rien, ni de s'agiter comme un cabri, ni de tirer sur tout ce qui bouge ! Les discours peuvent être plus efficaces, mais ils ne peuvent rien contre une bonne conscience qui se croit invincible alors même qu'elle vient d'apprendre le contraire, comme pour se prouver que ce n'est pas vrai !

Il n'est pourtant pas de l'intérêt de l'Amérique de tenter le diable en se présentant comme la cible désignée des victimes d'une politique impériale de plus en plus dominatrice et prédatrice, protectionniste, unilatérale. Le prix qu'elle aura à payer sera bien trop lourd (si ce n'est cette fois, ce sera un peu plus tard) et signera sans doute le déclin de sa puissance en même temps que son économie devrait subir durement une fuite des capitaux qui lui permettaient jusque là de vivre au-dessus de ses moyens. Il va falloir régler les comptes des années folles et réorganiser le monde pour un nouveau cycle mais nous avons besoin de révolutions sociales, de nouveaux droits (un revenu garanti), d'un développement humain, pas de ces immenses et folles destructions qui s'annoncent !

En attendant, dormez bien, nous avons encore quelques mois devant nous sans doute où les jours sembleront immobiles comme s'il ne pouvait jamais rien se passer, chacun occupé de ses petites affaires. Une déclaration de guerre, ce n'est d'abord qu'une nouvelle comme une autre sur les ondes, dans un ciel serein que rien ne vient apparemment troubler.

13/09/02

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