La solidarité historique
De même qu'il suffit de lire Marx pour savoir qu'aucun penseur
sérieux ne peut faire l'économie de ses enseignements, qu'il
doit corriger évidemment par les jugements de l'histoire et des
faits, de même, on ne peut ignorer la tradition révolutionnaire
qui, de la révolution française à la commune, de 1936
à 1968, a su porter les exigences de démocratie et de justice
qui sont forcément les nôtres, d'un pouvoir du peuple et pour
le peuple. Une rupture totale avec cette tradition pose tout simplement
la question de la légitimité qui devient alors facilement
celle de l'urgence absolue de la survie, de la terreur d'une nécessité
qui ne tolère plus aucune liberté, ni de véritable
égalité, encore moins d'une réelle fraternité.
Cependant, l'histoire est à la fois continuité et rupture.
La reconnaissance d'une continuité du mouvement social ne doit pas
occulter les vrais points de divergences qui nécessitent une recomposition
et une rupture ne pouvant se faire, comme Dominique Voynet l'a bien dit,
que sous la bannière de l'Écologie-politique. Mais les autres
composantes devraient-elles se fondre dans un marais dénommé
les "Verts" alors que ceux-ci regroupent des partisans de la nature bien
éloignés de l'Écologie-politique indispensable ?
Les forces historiques : quelles alliances ? Il faut d'abord une clarification de l'Écologie elle-même, que les différentes tendances de l'Écologie s'expriment dans des mouvements distincts : (1) la défense fascisante des lois de la nature, (2) le label dévoyé de la qualité de la vie libérale mais sans moyens et, enfin, (3) la maîtrise de l'économie et de l'environnement d'une Écologie-politique. Cette dernière tendance, seule, rejoint la tradition révolutionnaire en dépassant ses pesantes impasses. On ne voit pas pourquoi ce parti devrait prendre pour emblème la couleur de l'herbe que les autres peuvent réclamer avec plus de raisons. C'est bien plutôt une nouvelle organisation qui doit se fonder sous le nom d'Écologie-politique avec la capacité de regrouper les forces de gauche au nom d'une doctrine claire de la démocratie comme prise de pouvoir sur notre environnement, de tous et pour tous, un penser global (dont le symbole ne peut être que la planète) et un agir local. Sinon, la limitation à des thèmes environnementaux déconnectés des enjeux sociaux ne peut permettre un véritable développement politique, tout au plus, comme en Allemagne, un groupe de pression influent.
La critique historique du marxisme. Une fois cette clarification achevée, l'adhésion des marxistes et révolutionnaires à ce mouvement nécessite des critiques précises et fermes, qui sont une rupture avec le léninisme et non pas avec Marx :
Idéologie révolutionnaire et démocratie (1) D'abord réfuter cette prétention encore lisible dans les derniers écrits de Marx d'une réconciliation de l'homme, d'un homme nouveau offert à toutes les dictatures et dont le fondement est le mythe de l'abolition des classes et de l'État. Notre but d'abolition de la séparation de l'économie, du salariat, de la valorisation du monde ne saurait constituer un retour à une harmonie préétablie, ni une Fin de l'histoire paradisiaque. La société idéale qui réaliserait le bien suprême de l'homme n'est pas à notre portée, sinon d'y prétendre dans un idéal révolutionnaire aveugle à de sanglants démentis du réel. Mais il y a des progrès possibles. Nous devons seulement améliorer continuellement notre monde, corriger nos erreurs, nos insuffisances, les reconnaître, abolir des injustices. Nous devons savoir que chaque principe se retourne contre lui-même, chaque progrès manifeste une nouvelle contradiction vivante. Ce n'est pas une raison pour ne rien faire mais au contraire pour ne pas s'arrêter de se corriger et de résister à notre propre pouvoir, pour ne jamais s'endormir du sommeil dogmatique et ne jamais s'arrêter de vivre. La révolution est une prise du pouvoir par les citoyens et non la prise d'un pouvoir sur les citoyens. C'est donc un commencement, là commence l'Écologie, ce n'est pas un aboutissement mystique. Ce point est fondamental, avec ses conséquences sur la prise de pouvoir, et justifie à lui seul de remplacer le drapeau de la Révolution par celui de l'Écologie qui donne un contenu à notre action au-delà de la violence protestataire.
Le contrôle de l'économie (2) Le deuxième point que le marxisme doit réformer est la conception de la propriété collective des moyens de productions. La propriété collective ne supprime pas la contradiction du producteur et de l'investisseur (ni celle du producteur et du consommateur), ne faisant que transformer le capitaliste en bureaucrate. Ce qui compte n'est pas le propriétaire des moyens de production mais les bases productiviste du système de production, l'économie comme séparée de la société sous la domination anonyme de l'argent. Il faut, par le Droit, changer la logique du marché, lui imposer les coûts sociaux réels, orienter le développement économique selon une autre logique que celle de la marchandise mais surtout il faut, conformément à ce que dit Marx lui-même, transformer les rapports sociaux de production, dépasser le salariat, le processus de valorisation, de quantification, de substitution de la valeur d'échange à la valeur d'usage, de négation de la vie enfin. L'erreur est, au fond, la même que la première : on ne découvre pas les lois de la pesanteur pour les nier abstraitement mais bien pour les orienter concrètement, s'en servir et les maîtriser. Ce n'est pas la négation autoritaire de l'intérêt privé qui suffit à changer la logique productive ou l'empêche d'envahir la bureaucratie proclamant ces vertus.
Écologie et développement : la libération du travail (3) Après ces critiques d'essence démocratique et libérale, il y a une critique essentielle spécifique à l'Écologie-politique et qui justifie un changement de combat radical par rapport au marxisme (mais qui retrouve le véritable Marx). Il n'est plus acceptable de défendre une augmentation de la production et de la consommation pour tous, même dans une phase transitoire. Au contraire, il faut en rationaliser la répartition et les destructions massives dont elles sont responsables. C'est le point qui demandera sans doute le plus de temps à pénétrer une société assiégée par le chômage. C'est pourtant le point qui doit nous séparer de l'irresponsabilité actuelle pour gagner l'avenir. Nous devons réduire le travail et le partager plutôt que de multiplier les besoins, c'est tout l'enjeu des décennies à venir (et non de la prochaine campagne électorale). Mais surtout, nous devons abandonner les bases productivistes du salariat et du capitalisme en détachant le travail du processus de valorisation. Nous devons remplacer le rapport entre choses de l'économie marchande par une économie plus humaine et qualitative, centrée sur le produit et non sur sa valeur.
A défaut d'accord sur tous ces points, l'Écologie ne sera qu'un fantasme des sondages, une demande sociale rêvée et fluctuante. Une vue claire du but est déjà un gage de victoire.