Propédeutique
§ 1
L'objet de cet enseignement
est le vouloir humain, selon la rapport qui noue le vouloir particulier
au vouloir universel. A titre de vouloir, l'esprit se comporte sur un mode
pratique. Il faut distinguer de son comportement théorique le comportement
pratique par lequel, de lui-même, il impose une détermination
à l'indétermination du vouloir, c'est à dire qu'il
substitue d'autres déterminations à celles qui, sans qu'il
y soit pour rien, se trouvent déjà en lui.
§ 2
La conscience, absolument
parlant, est la relation du Je à un objet, soit intérieur
soit extérieur. Notre savoir contient, d'une part, des objets que
nous connaissons par des perceptions sensibles, mais d'autre part, des
objets qui ont leur fondement dans l'esprit même. Les premiers constituent
le monde sensible, les autres le monde intelligible. C'est à ce
dernier que ressortissent les concepts juridiques, moraux et religieux.
Philosophie de l’histoire
Nous ne pouvons du tout
renoncer à la pensée ; c’est ce qui nous distingue de l’animal
et il y a de la pensée dans la sensibilité, dans la science
et la connaissance, dans les instincts et dans la volonté en tant
qu’humains.
La seule idée
qu’apporte la philosophie est cette simple idée de la raison que
la raison gouverne le monde et que par suite l’histoire universelle est
rationnelle. 22
Qui considère
le monde rationnellement, celui-là est aussi considéré
rationnellement par lui. 23
La nature de l’esprit
se reconnaît à ce qui en est le parfait contraire : de même
que la substance de la matière est la pesanteur, nous devons dire
que la substance, l’essence de l’esprit est la liberté. Chacun admet
volontiers que l’esprit possède aussi, parmi d’autres qualités,
la liberté; mais la philosophie nous enseigne que toutes les qualités
de l’esprit ne subsistent que grâce à la liberté, qu’elles
ne sont toutes que des moyens en vue de la liberté, que toutes cherchent
et produisent seulement celle-ci; c’est une connaissance de la philosophie
spéculative que la liberté est uniquement ce qu’il y a de
vrai dans l’esprit.
Il faut dans la conscience,
distinguer deux choses : d’abord le fait que je sais et ensuite ce que
je sais. Ces deux choses se confondent dans la conscience de soi, car l’esprit
se sait lui-même : il est le jugement de sa propre nature; il est
aussi l’activité par laquelle il revient à soi, se produit
ainsi, se fait ce qu’il est en soi. D’après cette définition
abstraite, on peut dire de l’histoire universelle qu’elle est la représentation
de l’esprit dans son effort pour acquérir le savoir de ce qu’il
est ; et comme le germe porte en soi la nature entière de l’arbre,
le goût, la forme des fruits, de même les premières
traces de l’esprit contiennent déjà aussi virtuellement toute
l’histoire.
L’histoire universelle
est le progrès dans la conscience de la liberté - progrès
dont nous avons à reconnaître la nécessité.
27-28
Nous disons donc que
rien ne s’est fait sans être soutenu par l’intérêt de
ceux qui y ont collaboré ; et appelant l’intérêt une
passion, en tant que l’individualité toute entière, en mettant
à l’arrière plan tous les autres intérêts et
fins que l’on a et peut avoir, se projette en un objet avec toutes les
fibres intérieures de son vouloir, concentre dans cette fin tous
ses besoins et toutes ses forces, nous devons dire d’une façon générale
que rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion. 31
L’histoire universelle
n’est pas le lieu de la félicité. Les périodes de
bonheur y sont ses pages blanches.
L’activité est
le centre qui traduit en objectivité, le général et
l’intérieur.
Il résulte des
actions des hommes en général encore autre chose que ce qu’ils
projettent et atteignent, que ce qu’ils savent et veulent immédiatement.
33
Les acteurs ont pour
leur activité des buts finis, des intérêts particuliers,
mais ils savent et pensent. La matière de leurs buts montre les
linéaments des déterminations générales, essentielles
du droit, du bien, du devoir, etc. Car la simple convoitise, la barbarie
et la brutalité du vouloir se trouve en dehors du théâtre
et de la sphère de l’histoire universelle. Car quelque chose d’aussi
vide que le bien pour l’amour du bien n’a généralement pas
sa place dans la vivante réalité. Si l’on veut agir, il ne
faut pas seulement vouloir le bien, mais il faut savoir ce qu’est ce bien.
34
Les grands hommes de
l’histoire sont ceux dont les fins particulières renferment les
facteur substantiel qui est la volonté du génie universel.
On doit les nommer des héros en tant qu’ils ont puisé leurs
fins et leur vocation non seulement dans le cours des événements,
tranquille, ordonné, consacré par le système en vigueur
mais à une source dont le contenu est caché, et n’est pas
encore parvenu à l’existence actuelle, dans l’esprit intérieur,
encore souterrain qui frappe contre le monde extérieur comme à
un noyau et le brise parce qu’il n’est pas l’amande qui convient à
ce noyau ; - ils semblent donc puiser en eux-mêmes et leurs actions
ont produit une situation et des conditions mondiales qui paraissent être
uniquement leur affaire et leur oeuvre.
C’étaient aussi
des gens qui pensaient et qui savaient ce qui est nécessaire, et
ce dont le moment est venu.
Car l’esprit qui va
plus avant, c’est l’âme intérieure de tous les individus,
mais l’intériorité inconsciente que les grands hommes leur
rende consciente. 35
L’intérêt
particulier de la passion est donc inséparable de la mise en action
du général ; car le général résulte
du particulier et du déterminé, et de la négation
de celui-ci. 37
Le sceau de la haute
destination absolue de l’homme c’est de savoir ce qui est bien et ce qui
est mal et qu’elle consiste précisément en la volonté
soit du bien, soit du mal, en un mot c’est qu’il peut être cause.
Ce qui rend les hommes
mécontents moralement (et c’est un mécontentement dont ils
se font gloire), c’est qu’ils ne trouvent pas que le présent corresponde
à des fins qu’ils considèrent comme justes et bonnes ; ils
opposent à une telle condition le devoir selon eux de ce qui serait
le droit en l’affaire. Ce n’est point ici l’intérêt particulier,
ni la passion qui demandent satisfaction, mais la raison, le droit, la
liberté.
Si d’ordinaire l’histoire
paraît se présenter comme une lutte des passions, elle montre,
à notre époque, quoique les passions ne fassent pas défaut,
soit comme élément dominant la lutte réciproque d’idées
justificatrices, soit le combat des passions et des intérêts,
mais essentiellement sous le couvert de ces justifications d’ordre plus
élevé. 38
Seule la volonté
qui obéit à la loi est libre; car elle obéit à
elle-même, se trouve en elle-même et libre. 41
Mais tandis que, pensant,
je sais et je veux, je veux l’objet universel, le substantiel du rationnel
en soi et pour soi. 47
D’ailleurs d’une façon
générale, on a déjà défini la transformation
abstraite qui se produit dans l’histoire, savoir qu’elle présente
aussi un progrès vers le mieux, le plus parfait. Les changements
dans la nature, quelle qu’en soit la diversité infinie montrent
un cycle qui toujours se répète ; sous le soleil, il ne se
produit rien de nouveau dans la nature et, en cette mesure, le jeu polymorphe
de ses formations n’est point sans monotonie. Il ne se produit du nouveau
que dans les changements qui se passent dans le domaine spirituel. Ce phénomène
du spirituel a montré d’une façon générale
dans l’homme une détermination différente de celle des objets
simplement naturels - dans lesquels se manifeste toujours le même
caractère stable où revient tout changement - à savoir
une véritable aptitude au changement, en mieux d’ailleurs, un instinct
de perfectibilité. 50
Le passage de sa détermination
à sa réalisation a lieu grâce à la conscience
et à la volonté, lesquelles sont tout d’abord plongées
dans leur vie naturelle immédiate ; pour objet et fin, elles ont
d’abord la détermination naturelle comme telle, qui, du fait que
c’est l’esprit qui l’anime, est elle-même infinie quant à
sa prétention, sa puissance et sa richesse. Ainsi l’esprit s’oppose
à lui-même en soi ; il est pour lui-même le véritable
obstacle hostile qu’il doit vaincre ; l’évolution, calme production
dans la nature, constitue pour l’esprit une lutte dure, infinie contre
lui-même. Ce que l’esprit veut, c’est atteindre son propre concept
; mais lui-même se le cache et dans cette aliénation de soi-même,
il se sent fier et plein de joie.
De cette manière,
l’évolution n’est pas simple éclosion, sans peine et sans
lutte, comme celle de la vie organique, mais le travail dur et forcé
sur soi-même ; de plus elle n’est pas seulement le côté
formel de l’évolution en général mais la production
d’une fin d’un contenu déterminé. Cette fin, nous l’avons
définie dès le début ; c’est l’esprit et certes, d’après
son essence, le concept de liberté. 51
L’animal ne pense pas
mais seulement l’homme, de même celui-ci seul est libre et seulement
parce qu’il pense ; sa conscience contient ceci que l’individu se saisit
comme personne, c’est-à-dire dans son être singulier, comme
une chose universelle en soi, capable d’abstraction, de tout renoncement
à l’individuel, par suite comme quelque chose en soi d’infini. 61
Encyclopédie
Aux représentations
la philosophie substitue des pensées et plus précisément
des concepts. Absolument parlant, l’on peut envisager des représentations
comme des métaphores de pensées et de concepts. 76
La première attitude
est le procédé ingénu, lequel, n’ayant pas encore
conscience de l’opposition du penser en lui-même et face à
lui-même, implique la croyance que, grâce au re-penser, la
vérité serait connue.
Ce n’est cependant que
dans sa relation avec l’histoire de la philosophie que cette métaphysique
est quelque chose d’ancien; pour elle-même elle est, absolument parlant,
toujours présente. 100
Le penser réussit
à faire du penser son objet. De la sorte il va à lui-même,
au sens le plus profond de l’expression, car son principe, son ipséité
sans mélange, est le penser. Mais il advient que, dans ce travail
qui est sien, le penser s’embrouille en des contradictions, c’est-à-dire
se perd dans la ferme non-identité des pensées, que, ce faisant,
il ne s’atteint pas lui-même mais bien plutôt reste captif
de son opposé. Le besoin supérieur va contre ce résultat
du penser qui reste au niveau de l’entendement, et il est fondé
sur le fait que le penser ne renonce pas à lui-même, que,
jusque dans cette perte consciente de son être-chez-soi, il demeure
fidèle à lui-même, "afin d’en triompher" , que, dans
le penser même, il réussit à résoudre ses propres
contradictions. 84
La science elle-même
doit saisir le concept de la science et, ce faisant, le concept premier,
- et puisqu’il est premier, il inclut la séparation consistant en
ce que le penser est objet pour un sujet. 90
Discerner que la nature
du penser même est la dialectique, que, comme entendement, il ne
peut aboutir qu’au négatif de lui-même, à la contradiction,
tel est un aspect capital de la logique. 84
En fait le penser est
essentiellement la négation de quelque chose qui-se-trouve-présent
de façon immédiate. 85
En tant qu’il est activité,
le penser est donc l’universel actif, l’universel qui se met-en-acte. 94
Je est l’universel auprès
de et pour lui-même, Je est la pure relation à soi-même,
c’est pourquoi Je est le penser à titre de sujet. 96
Le penser contient immédiatement
la liberté, parce qu’il est l’activité de l’universel. 97
Ce que signifie ici
objet de raison, l’inconditionné ou l’infini, n’est rien d’autre
que ce qui est identique-à-soi, c’est-à-dire l’identité
originaire du Je dans le penser. Raison est le nom de ce Je ou penser abstrait
qui se donne pour objet ou pour but cette pure identité. 110
Dans ma conscience,
je me découvre toujours a) comme le sujet déterminant, b)
comme un singulier ou abstraitement simple, c) comme l’un et le même
dans tout divers de ce dont j’ai conscience, - comme identique, d) comme
un me différenciant, en tant que pensant, de toutes choses hors
de moi. 111
L’être peut être
déterminé à titre de Je = Je, d’indifférence
ou identité absolue. 143
Or cet être pur
est la pure abstraction, par conséquent ce qui est absolument négatif,
c’est-à-dire, si on le prend aussi de façon immédiate,
le néant. 144
A l’inverse le néant,
en tant qu’il est cet immédiat, identique à soi-même,
n’est pas moins la même chose que ce qu’est l’être. La vérité
de l’être comme du néant est donc leur unité; cette
unité est le devenir. 145
Le devenir est l’expression
vraie du résultat de l’être et du néant, en tant qu’il
est leur unité; il n’est pas seulement l’unité de l’être
et du néant, il est l’inquiétude en elle-même, l’unité
qui n’est pas simplement, comme relation à elle-même, immobile,
mais qui grâce à la distinction entre être et néant
que contient le devenir, s’oppose elle-même à elle-même.
147
La contradiction n’appartient
pas à l’objet auprès de lui-même et pour lui-même,
mais à la seule raison connaissante. 112
Le penser est seulement
l’unité indéterminée et l’activité de cette
unité indéterminée. 118
L’idée n’est
le vrai que par la médiation de l’être, et inversement, l’être
ne l’est que par celle de l’idée. 133
La réflexion
est tout d’abord l’acte par lequel on dépasse la déterminité
isolée et par lequel on la met en relation. La dialectique, au contraire,
est cet acte immanent de dépassement, où le caractère
unilatéral et limité des déterminations qui relèvent
de l’entendement se représente tel qu’il est, c’est-à-dire
comme leur négation. 140
Cette détermination-progressive
(dialectique) est à la fois un acte par lequel le concept qui est
auprès de lui-même se situe hors de lui même et de la
sorte se déploie, et, en même temps, l’acte par lequel l’être
va en lui-même, s’approfondit en lui-même. 142
Mais les nombreux sont
l’un ce qu’est l’autre, chacun est unique ou tout aussi bien l’un des nombreux;
ils sont donc uniques et semblables. Autrement dit, considérée
auprès d’elle-même, la répulsion, en tant que comportement
négatif des nombreux uns les-uns-à-l’égard-des-autres.
Ainsi la répulsion n’est pas moins essentiellement attraction. 152
C’est à dire
que chacun n’a sa détermination que dans sa relation à l’Autre,
qu’il n’est réfléchi en lui-même que comme il est réfléchi
dans l’Autre, et vice versa; chacun est ainsi l’Autre de l’Autre. 165
Esthétique
En philosophie, rien
ne doit être accepté qui ne possède le caractère
de nécessité, ce qui veut dire que tout doit y avoir la valeur
d’un résultat. 15
C’est par l’universel
qu’on doit commencer. 21
Fuyant la rigueur des
lois et le sombre intérieur de la pensée, nous recherchons
le calme et l’action vivifiante des oeuvres d’art ; nous échangeons
le royaume des ombres où domine l’idée contre la sereine
et robuste réalité. 22
L’esprit, loin de se
rendre infidèle à ce qu’il est réellement, loin de
s’oublier et de s’effacer ou de se montrer incapable de saisir ce qui diffère
de lui-même, appréhende au contraire et lui-même et
son contraire. Le concept est en effet l’universel qui subsiste dans ses
manifestations particulières, qui déborde sur lui-même
et sur l’autre que lui-même et possède ainsi le pouvoir et
l’activité nécessaires pour supprimer l’aliénation
qu’il s’est imposée. 26
D’un côté,
il y a la liberté, de l’autre la nécessité. La liberté
est essentiellement un attribut de l’esprit ; la nécessité
est la loi de la volonté naturelle. L’entendement maintient l’opposition
entre les deux, et la liberté elle-même n’existe que pour
autant qu’elle est en lutte avec son contraire.53
La philosophie montre
que la conciliation s’effectue de toute éternité. 53
Il en résulte
une situation malheureuse et contradictoire, le sujet aspirant bien à
la vérité et à l’objectivité, mais étant
impuissant à s’arracher à son isolement, à sa retraite,
à cette intériorité abstraite et insatisfaite. Le
sujet tombe alors dans une sorte de tristesse langoureuse dont on trouve
des symptômes dans la philosophie de Fichte. L’insatisfaction résultant
de ce repos et de cette impuissance qui empêchent le sujet d’agir
et de toucher à quoi que ce soit, alors que sa nostalgie du réel
et de l’absolu lui fait sentir son vide et son irréalité,
rançon de sa pureté, engendre un état morbide, qui
est celui d’une belle âme mourant d’ennui. Une âme vraiment
belle agit et vit dans le réel. Mais l’ennui provient du sentiment
qu’a le sujet de sa nullité, de son vide et de sa vanité,
ainsi que de son impuissance à échapper à cette vanité
et à se donner un contenu substantiel. 101
Bien que, même
de nos jours, tout ce qui est vrai soit considéré comme inconcevable
et que seules la finitude du phénomène et son occasionnalité
temporelles se laissent concevoir, c’est au contraire, pensons-nous, le
vrai seul qui est concevable.139
L’esprit est une activité
grâce à laquelle il est à même de se différencier
de lui-même. 140
L’esprit appréhende
la finitude elle-même comme étant sa négation et atteint
ainsi l’infini [..] La nature disons-nous, retourne à sa vérité,
et celle-ci est l’esprit [..] Ceci est l’esprit pratique, qui réalise
le bien, le vrai et puise sa propre vérité dans l’esprit
infini, absolu. 142
L’esprit en tant que
conscience se différencie de lui-même, et c’est par cette
différenciation, par cette division de sa subjectivité, qu’il
devient esprit fini.
L’esprit absolu s’oppose
à lui-même, dans sa communauté, comme esprit fini ;
il n’est esprit absolu que pour autant qu’il est reconnu comme tel dans
la communauté.143
L’esprit, en tant qu’esprit
véritable, existe en soi et pour soi ; il est donc, non pas une
essence abstraite, extérieure au monde des objets, mais se trouve
à l’intérieur même de ce monde où il entretient
dans l’esprit fini le souvenir de l’essence de toutes choses, souvenir
qui permet à ce fini d’appréhender le fini, c’est-à-dire
lui-même, d’une façon essentielle et absolue. La première
forme de cette appréhension est un savoir direct et, par conséquent,
"sensible", un savoir qui envisage toutes choses au point de vue sensible
et objectif et dans lequel l’Absolu est appréhendé par l’intuition
et saisi par le sentiment. La deuxième forme est celle de la "représentation
" consciente, la troisième celle de la "pensée libre" qui
est la pensée de l’esprit absolu. 151
La religion dans laquelle
Dieu apparaît tout d’abord à la conscience comme un objet
extérieur, puisqu’on doit commencer par apprendre ce qu’est Dieu,
comment il s’est révélé et se révèle,
constitue bien un élément intérieur qui stimule et
remplit la communauté, mais l’intériorité qui caractérise
la piété de l’âme et de la représentation n’est
pas la forme la plus élevée de l’intériorité.
C’est la pensée libre qui est la forme la plus pure du savoir. 154
Quelle que soit la valeur
propre d’un contenu, nous ne pouvons nous contenter de son caractère
abstrait, mais nous exigeons autre chose. Il s’agit d’un besoin insatisfait,
d’un sentiment d’insuffisance éprouvés par le sujet et qui
cherchent à se supprimer pour se changer en satisfaction. C’est
en ce sens que le contenu peut être considéré avant
tout comme "subjectif", comme purement intérieur ; à lui
s’oppose l’ "objectif", et de cette opposition découle l’exigence
d’"objectiver le subjectif" [..] Le subjectif éprouve en lui-même
et pour lui-même un manque, une négation qu’il cherche à
nier à son tour. Par lui-même, et d’après son concept,
le sujet représente le Tout, c’est-à-dire non seulement l’intérieur,
mais aussi la réalisation de celui-ci dans et par l’extérieur.
145
Or le contenu le
plus élevé que le subjectif soit capable de concevoir est
celui de la liberté, qui est la détermination la plus haute
de l’esprit. Au point de vue formel, d’abord, en ce que le sujet ne voit
dans ce qui l’entoure rien qui lui soit étranger, aucune limite
ni barrière, mais s’y retrouve lui-même. Déjà
envisagée à ce point de vue, purement formel, la liberté
signifie la disparition de toute misère et de tout malheur, la conciliation
du sujet avec le monde, devenu une source de satisfactions, et la disparition
de toute opposition ou contradiction. Mais la liberté a aussi un
contenu rationnel : la moralité, par exemple, dans les actes, la
vérité dans la pensée. Mais tant que la liberté
reste subjective, sans s’extérioriser, le sujet se trouve en présence
de ce qui n’est pas libre, de ce qui n’est qu’objectivité et nécessité
naturelle, d’où le besoin de concilier cette opposition. Une opposition
analogue se trouve, d’autre part, à l’intérieur du sujet
lui-même. En parlant de liberté, il faut tenir compte, d’une
part, de ce qui est en soi universel et indépendant, telles les
lois générales du juste, du beau, du vrai, etc., et, d’autre
part, des instincts de l’homme, de ses sentiments, de ses dispositions,
de ses passions, bref, de tout ce qu’abrite le coeur concret de l’homme
individuel. Entre ces termes opposés se poursuit une lutte incessante,
source de désespoirs, de profond sentiment d’insatisfaction. Les
animaux vivent en paix avec eux-mêmes et avec les choses qui les
entourent, mais la nature spirituelle de l’homme fait qu’il vit dans un
état de dédoublement et de déchirement et se débat
au milieu des contradictions engendrées par cet état. 146
Dans le domaine spirituel,
l’homme recherche la satisfaction et la liberté dans le vouloir
et le savoir, dans les connaissances et les actions. L’ignorant n’est pas
libre, parce qu’il se trouve en présence d’un monde qui est au-dessus
et en dehors de lui, dont il dépend, sans que ce monde étranger
soit son oeuvre et qu’il s’y sente comme chez lui. La recherche du savoir,
l’aspiration à la connaissance, depuis le degré le plus bas
jusqu’au niveau le plus élevé, n’ont pour source que ce besoin
irrésistible de sortir de cet état de non-liberté,
pour s’approprier le monde par la représentation et la pensée.
D’autre part, la liberté dans l’action consiste à se conformer
à la raison qui exige que la volonté devienne réalité.
Cette réalisation de la volonté, conformément aux
exigences de la raison, s’effectue dans l’État. Dans un État
organisé conformément aux exigences de la raison, toutes
les lois et institutions ne sont que des réalisations de la volonté,
d’après ses déterminations les plus essentielles. Lorsqu’il
en est ainsi, la raison individuelle ne trouve dans ces institutions que
la réalisation de sa propre essence, et lorsqu’elle obéit
à ces lois, elle n’obéit en définitive qu’à
elle-même. On confond souvent la liberté avec l’arbitraire
; mais l’arbitraire n’est qu’une liberté irrationnelle, les choix
et les décisions qu’il provoque étant dictés, non
par la volonté raisonnable, mais par des impulsions accidentelles,
par des mobiles sensibles extérieurs. 147
[Bréviaire hégélien]
[Index]