Transduction, information, individuation (Simondon)
Muriel Combes, Simondon. Individu et collectivité, pour une philosophie du transindividuel, PUF, 1999
- De la confusion entre énergie physique et signe biologique chez les physiciens
Alors qu'il y a tout un courant de physiciens, notamment autour des automates cellulaires (Wolfram, Fredkin) pour qui "ce sont des configurations d'informations (patterns of information), plus
que la matière ou l'énergie qui représentent les constituants
ultime de la réalité" (La Recherche no 360, janvier 2003), il semble d'autant plus important d'opposer à ce concept physique
d'information, simple avatar de l'énergie protéiforme, celui de signe biologique
(saillance) qui fait sens (prégnance) pour un récepteur.
Au-delà des mots, il faut comprendre en quoi
on a affaire à des conceptions radicalement différentes de
l'information selon qu'on l'identifie à une force physique continue,
analogique, dont les effets mécaniques ou géométriques
sont proportionnels à la cause, et donc mathématisables, ou
bien, au contraire, si on considère l'information numérisée
ou codifiée dans son aspect d'improbabilité, d'événement,
de signe, et dont la valeur ne tient pas à sa force de transmission mais au sens
qu'elle prend pour ses récepteurs, à son caractère décisif,
interactif et reproductible. L'effet d'une information n'a aucune proportionnalité,
c'est toujours un effet de seuil qui est difficilement prévisible
bien qu'on puisse l'aborder par les probabilités ou la théorie
des jeux. Ce qui caractérise l'information signifiante, en effet,
c'est qu'une information renvoie toujours à autre chose qu'elle même,
elle fait
signe pour quelqu'un (ou, pour reprendre la
définition du signifiant par Lacan, "elle représente un sujet
pour un autre signifiant"). Ce qui différencie l'information de toute
force ou énergie, c'est donc la non proportionnalité de ses
effets : une simple parole, soit trois fois rien, peut provoquer des catastrophes
ou renverser une situation. Une trace chimique infime de phéromone
peut attirer de très loin un insecte avec une force irrésistible.
Il faut distinguer flux quantitatif et signe qualitatif bien que le qualitatif
régule des flux et qu'il puisse lui-même avoir une intensité
(les mots nous motiver plus ou moins). L'écologie et la systémique
ont affaire à une régulation des flux mais par l'intermédiaire
d'informations échangées, de délibérations, de
boucles de régulations plus que de rapports de force (ou de lutte pour la survie). C'est un point
essentiel. Dès lors, le caractère immatériel et symbolique de l'information
possède de remarquables propriétés de traduction, reproduction,
rétroaction, apprentissage, sens, improbabilité qui l'opposent
complètement aux caractères physiques de la matière
ou de l'énergie. Un petit groupe, une minorité, un homme seul
peuvent avoir raison contre la masse et finir par convaincre tout le monde.
Il ne suffit pas que le réel soit morcelé, quantifié
et discret pour se réduire à une information, il faut qu'il
soit complètement discontinu, apériodique, imprévisible,
codifié, structuré, immatériel. Or la physique sera
toujours physique du
continu (René Thom) de la substance physique sur
laquelle des singularités peuvent se détacher, des fonctions
mathématiques dérivables derrière les phénomènes
singuliers et concrets. Certes "
l'espace, le temps, la matière sont nécessairement discrets
" comme l'affirme le prix Nobel Gérard t'Hooft (et ce que démontrait
déjà le sophisme d'Achille et la tortue). Malgré cette
réfutation du continu, d'une divisibilité infinie, on ne peut
mettre en doute qu'il y a des forces, des énergies, des ondes, des
champs, des lois sous-jacentes qui ont bien la forme de fonctions continues
derrière le fractionnement de ses particules élémentaires.
C'est une réalité massive, celle de la physique, mais il y
a aussi de l'information, l'empire des signes et de leurs dissémination,
le poids des mots, le pouvoir de la science. Là c'est la continuité
des flux qui recouvre les discontinuités historiques du sens. Cet
univers a d'autres lois que celles de la mécanique ou de la thermodynamique,
ce sont celles de l'apprentissage, de l'échange, de la morale et
de la logique qui sont des contraintes formelles et non pas matérielles,
la grammaire que toute parole doit respecter pour se faire entendre, mais
d'une certaine façon toute vie aussi pour s'adapter à son milieu
et se reproduire grâce aux signes biologiques.
- A la confusion entre pensée et être chez Simondon
Pour saisir la spécificité du signe et de l'information numérisée,
il est utile de cerner ce qu'elle n'est pas et ce qui dans l'individuation
des phénomènes physiques peut prêter à confusion
avec son caractère de signifiant qui lui donne sens. La vogue de Simondon
est récente, se réclamant surtout de Deleuze et de son vitalisme des pulsions, mais il est intéressant
de critiquer sa conception complètement énergétique de l'information ainsi que
sa réduction de l'individuation au plan d'
immanence d'un problème
social ou pré-individuel assumé individuellement, alors que la construction
de l'individu passe par la transcendance du langage et de ses représentations,
ses modèles, son nom, sa mise en récit, la prose du monde qui ne nous donne aucun
accès à la réalité sinon indirectement. On peut
lire cependant Simondon comme une reprise des philosophies de Rousseau,
Spinoza, Hegel et Heidegger où le commun n'est pas construit collectivement
mais préexiste dans sa dimension transindividuelle, pré-individuelle,
originaire. Cela fait apparaître l'insuffisance de ces philosophies.
En tout cas, ce que Simondon semble ignorer c'est la capacité d'apprentissage
et d'invention, de dialogue et d'interactions, d'identification et de conversion,
le caractère dialectique que le langage introduit, la dimension de
la fiction, de l'intersubjectivité et de la critique. Il fait de l'individuation
un processus passif, sans négativité, et plus proche du développement
d'une plante que de la construction de soi d'un "esprit qui se renie avec
la force infinie de l'esprit", d'une culture toujours contre-nature. On a
ici d'autant plus l'exemple d'une réduction de la vie, de la société
et de l'individu à une simple physique que les concepts d'information
et de transduction sont considérés par Simondon comme purement
physiques.
Mais l’information, plongée dans ce nouveau contexte
conceptuel, perd le sens que lui confère la technologie des transmissions
(qui la pense comme ce qui circule entre un émetteur et un récepteur),
pour désigner l’opération même de la prise de forme,
la direction irréversible dans laquelle s’opère l’individuation.
L’exemple pris est celui du processus de moulage d’une brique de terre (IG, pp. 37 à
49) Ainsi décrite, l’individuation d’une brique d’argile
apparaît comme un système énergétique en évolution,
bien loin de ce rapport de deux termes étrangers l’un à l’autre
auquel s’en tient l’hylémorphisme.
La transduction, en effet, est d’abord définie
comme l’opération par laquelle un domaine subit une information
- au sens que Simondon donne à ce terme et que nous avons explicité
dans l’exemple du moulage de la brique : “Nous entendons par transduction
une opération, physique, biologique, mentale, sociale, par laquelle
une activité se propage de proche en proche à l’intérieur
d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine
opérée de place en place : chaque région de structure
constituée sert à la région suivante de principe de
constitution” (IG, p. 30)
La confusion entre propagation d'une force et transmission d'une information
est donc totale. On est ici complètement dans une théorie du
signal et non du signe. L'
individuation aussi est prise sur son versant
physique comme résultat d'une contradiction de forces. Ce qui exprime
le mieux la conception de l'individuation comme problématisation chez
Simondon, c'est sans doute la citation de René Thom qui est passée
dans le dossier sur le stress du Transversales no 3 :
Les singularités
apparaissent lorsque l’on soumet en quelque sorte l’espace à une
contrainte. La manche de ma veste, si je la comprime, je fais apparaître
des plis. C’est une situation générale. Cela ne relève
pas de la mécanique des matériaux. J’énonce en réalité
un théorème abstrait : lorsque’un espace est soumis à
une contrainte, c'est-à-dire lorsqu'on le projette sur quelque chose
de plus petit que sa propre dimension, il accepte la contrainte, sauf en
un certain nombre de points où il concentre, si l’on peut dire,
toute son individualité première. Et c’est dans la présence
de ces singularités que se fait la résistance. Le concept
de singularité, c’est le moyen de subsumer en un point toute une
structure globale.
René Thom, Expliquer n'est pas prédire
Ainsi, d’une manière générale, on peut considérer
les individus comme des êtres qui viennent à exister comme autant
de solutions partielles à autant de problèmes d’incompatibilité
entre des niveaux séparés de l’être.
On pourrait dire que
l'individu est une information qui s'engendre dans une communication !
Nul
individu ne saurait exister sans un milieu qui résulte en même temps que lui
de l'opération d'individuation et qui est son complément. L'individuation
ne fait donc pas que produire l'individu, elle produit aussi un milieu associé,
absolument nécessaire au développement de cet individu.
Le concept de milieu est décisif dans la philosophie
de Simondon (et donnera lieu à sa célèbre analyse de la technique comme milieu
pour le vivre humain).
La grande force de Simondon est de rompre avec le raisonnement
sur le terme préconstitué : individuation veut dire que les
"termes" se constituent dans la relation, ne lui pré-existent pas.
Pas de plante en-dehors de la relation entre soleil et terre, pas de
brique en-dehors de la relation entre argile et moule, etc.
Une fois individué, l'individu possède une consistance qui lui est propre
: c'est pourquoi Simondon parle de structure. Mais cette structure est toujours
débordée par le processus, qui, en aval, en a constitué la genèse et qui,
en amont, rend possible sa future transformation. Dans un être individué réside
toujours un plus d'être. C'est là un acquis conceptuel essentiel.
Il ne fait pas de doute que toute physique du continu produit
des singularités, individuations matérielles qu'on peut assimiler
à une bifurcation ou un pli. La théorie des catastrophes ne
dit pas autre chose mais avec moins de simplisme sans doute. C'est loin,
en effet, d'épuiser la notion d'individu comme nom, position dans
une structure ou mémoire historique, encore moins de rendre compte
du processus historique de construction de l'individu. Il faut reconnaître
qu'il est malgré tout fondamental d'aborder l'individuation comme
processus en devenir et non comme
simple résultat. C'est en quoi sa philosophie peut être qualifiée d'hégélienne
et d'historique, assimilant toute connaissance à la généalogie
des êtres, à l'ontogénèse et l'inachèvement.
Exactement de la même façon que dans la préface à la
Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, la vérité
est comprise par Simondon comme genèse, sujet historique dans son développement
:
“Toute pensée, dans la mesure précisément où elle est réelle, [...] comporte
un aspect historique dans sa genèse. Une pensée réelle est auto-justificative
mais non justifiée avant d’être structurée” (IG, p. 82). Comme tout être
réel, comme tout fragment de réel qui s’individue, une pensée s’enracine
dans un milieu, qui constitue sa dimension historique ; les pensées ne sont
pas anhistoriques, étoiles dans le ciel des idées. Elles émergent d’un environnement
théorique d’où elles tirent les germes de leur développement
Toute pensée est située, tout
énoncé renvoie à son énonciation. On peut dire,
en effet, avec René Thom que "ce qui limite la vérité,
ce n'est pas le faux mais l'insignifiant". D'autre part, et proche en cela
d'Heidegger, Simondon insiste sur la distinction entre l'être en tant
qu'être (processus en devenir, constituant) et l'être en tant
qu'individu (résultat constitué). Tout individu résultant
d'une singularisation, d'une bifurcation, d'une brisure de symétrie,
on devrait sans doute l'appeler "dividu" plutôt, comme Lévinas
pour qui l'individu est toujours sous le regard d'un autre, mais pour Simondon,
il est en tout cas "plus qu'un". En fait, pour lui l'être n'est pas autre chose que relation, ce qui lui permet d'identifier la pensée à l'être et,
notamment, de postuler qu'il y a bien de l'être en soi, indépendamment
de l'observateur, dès lors qu'il y a relation effective, et donc qu'on
peut le connaître réellement. L'observation ou la pensée
ne font que rajouter une relation (analogie) entre des relations préalables,
qui ne sont pas figées mais actualisent une structure dynamique de
différenciation du sujet et de l'objet.
La démarche des théories de la connaissance
inspirées de Kant, qui consiste à fonder la possibilité
de la connaissance sur l’activité constituante du sujet connaissant,
s’en trouve ruinée. Partir de l’opération d’individuation,
c’est se placer au niveau de la polarisation d’une dyade préindividuelle
(formée par une condition énergétique et un germe structural)
qui est aussi bien prénoétique, c’est-à-dire qui précède
aussi bien la pensée que l’individu, la pensée n’étant
elle-même qu’une des phases de l’être-devenir. Car l’opération d’individuation ne saurait admettre d’observateur déjà constitué.
La constitution transductive des êtres requiert une description elle-même
transductive. C’est pourquoi Simondon appelle également transduction une “démarche de l’esprit qui découvre. Cette démarche
consiste à suivre l’être dans sa genèse, à accomplir la genèse de la pensée en même temps
que s’accomplit la genèse de l’objet” (IG, p. 32). Contrairement
au but assigné par Kant à la théorie de la connaissance,
il ne s’agit pas ici de définir les conditions de possibilité et les limites de la connaissance, mais d’accompagner par la pensée la
constitution réelle
des êtres individués. C’est seulement après la stabilisation
de l’opération d’individuation, lorsque l’opération, incorporée
à son résultat, disparaît, qu’apparaît l’objet
de connaissance. Dans cet inévitable “voilement” de l’opération
constituante par son résultat constitué, Simondon voit la cause
de l’oubli de l’opération, caractéristique de la tradition
philosophique. Ayant oublié de prendre en compte l’opération
de constitution réelle des individus, la philosophie a pu s’intéresser
à la constitution idéale de l’objet de la connaissance.
On retrouve ici la critique du fétichisme
de la marchandise chez Marx ou la conception hégélienne de
la dialectique comme descriptive, ontogenèse, objectivation, déploiement
temporel de contradictions concrètes. L'individu serait ainsi tout entier
constitué des
questions qu'il doit résoudre lui-même
(la conscience étant définie par Laborit comme manque d'information),
et donc des questions que la société, le pré-individuel
n'a pu encore résoudre pour nous. Dans cette conception l'individuation
résultant d'un problème social, pré-individuel, ne peut
avoir que des solutions sociales. Aucune transformation individuelle ne peut
suffir à y répondre, éprouvant plutôt dans l'angoisse
le caractère transindividuel de la question.
Or le sujet peut être tenté - il serait sans doute plus juste de dire contraint
- de résoudre cette tension de manière intrasubjective. Tentative
vouée à l'échec, mais qui constitue selon Simondon une
expérience à part entière qui mérite description
: l'expérience de l'angoisse.
- De l'histoire subie à l'histoire conçue (de la nature à la culture)
Tout ceci est bien séduisant, permettant de rendre compte des
problèmes posés par l'individualisation (Ulrich Beck), mais
escamote malgré tout la véritable construction de l'individu
et le véritable caractère de l'information ainsi que l'incidence
du langage qui donne fixité à l'être en nommant les
choses et les gens. On peut admettre qu'une singularité physique existe
"en soi", mais à condition de se situer à une échelle
donnée (voir le paradoxe de la longueur des côtes de la Bretagne
qui dépend de l'unité de mesure choisie). Cela n'empêche
donc pas la constitution de l'objet par l'intentionalité qui le vise,
comme l'a montré la phénoménologie, ou par le mot qui
le nomme comme l'a montré le structuralisme. Surtout, il est illusoire
de vouloir identifier la pensée et l'être puisque la pensée
est la
séparation de l'être, c'est ce qui en fait toute
la souplesse et la productivité avec le risque de l'erreur et de la
folie. Il faut, au contraire, bien marquer leurs domaines respectifs même
s'ils proviennent d'une même source et que toute existence résultant
d'un processus est bien produite par son milieu. Nous ne nous réduisons
pas à un noeud de relations sans consistance et anonyme alors que
nous nous construisons depuis l'enfance dans une histoire, un sens, une vision
du monde nourrie de savoirs et d'expériences même si elle reste
à chaque fois remise en question par l'action. Tout l'effort de Simondon
semble de vouloir abolir la séparation entre milieu intérieur
et milieu extérieur alors que la connaissance et le langage sont justement
cette séparation même, le détour du savoir et du concept
par lequel nous n'avons qu'un accès indirect au réel. Le mot
n'est pas la chose. Montaigne le disait déjà, "Nous n'avons
aucun accès à l'être". Il n'y a pas d'immanence du langage,
il faut l'apprendre, ni du réel sur lequel il faut se cogner. Le langage
nous coupe de nos origines comme il coupe le mot de l'émotion (le
mot chien n'aboie pas). Pour un être parlant, le monde est transcendant,
monde d'événements qui font trou dans le savoir et remettent
en cause nos préjugés, ce qui est l'existence même (Vivre
c'est être un autre et sentir aujourd'hui comme hier c'est ne pas sentir
nous dit Pessoa).
Ce n'est pas le milieu intérieur qui caractérise le vivant
mais l'échange d'informations et d'énergie avec le milieu extérieur
dans une boucle de régulation auto-adaptative. L'important n'est pas
que le processus de perception s'oublie dans le perçu (ou
qu'on dise reste oublié dans ce qui s'entend) mais bien que cette régulation ne soit pas mécanique ou énergétique
comme dans les structures dissipatives, basée au contraire sur des rétroactions, des transductions
d'informations et des stratégies préétablies résultant
d'un apprentissage. Si le vivant se définit par sa capacité de parer à l'
imprévu, le réel auquel il
est sensible lui est extérieur et d'abord inconnu. Il s'y adapte en tâtonnant
à partir de ses préjugés plutôt qu'il ne le connaît d'abord en développant des
forces préalables ou d'obscures réminiscences.
Politiquement, les conséquences du ravalement de l'information à une nature physique sont bien connues : c'est le libéralisme
et l'individualisme, le rejet de tout projet humain, en tout cas la négation de la politique puisque
le citoyen exprime, comme chez Rousseau d'ailleurs, une part de la volonté générale
qui lui préexiste. Le sujet est pré-individuel, nation ou race.
C'est le contraire d'une démocratie délibérative où
le consensus qui rassemble une diversité initiale se construit par
la rencontre, la parole et la raison.
"Ce n'est pas véritablement en tant qu'individus que les êtres
sont rattachés les uns aux autres dans le collectif, mais en tant que sujets,
c'est-à-dire en tant qu'êtres qui contiennent du pré-individuel"
C'est la porte ouverte à une politique des émotions
ou du subconscient en tant que porteur du "plus d'individu", porteur
de l'originaire et du devenir commun, mais d'un "progrès" qui se
déploie désormais à une échelle collective
tout en nous échappant complètement, ne pouvant que le laisser
nous traverser. Il faudrait y réintroduire le langage, la rétroaction,
les régulations et l'idée de projet collectif qui nous réunit
dans l'action (comme de porter une armoire à plusieurs). J'espère
avoir fait sentir les conséquences d'un ravalement du signe au signal,
de l'information à l'énergie, des phénomènes vitaux
ou des sociétés humaines aux phénomènes physiques.
Ce n'est pas dire que les phénomènes physiques n'existent pas
(brisures de symétrie, catastrophes, énergie, entropie), mais qu'avec l'information,
l'organisation, l'échange, la parole, la science, nous disposons d'autres ressources
et même d'une puissance démesurée par rapports aux moyens
matériels. Plutôt que de nous enfermer dans nos singularités
et laisser nos sociétés et nos vies exposées à
l'entropie physique, nous devons utiliser les informations disponibles pour
préserver notre avenir, résoudre ensemble les problèmes
collectifs, construire un projet politique qui nous rassemble dans
nos diversités et permette un véritable développement
humain. L'enjeu on le voit est considérable, contre le monde des
causes, des lois naturelles et d'un obscur originaire, le retour aux finalités humaines, aux lumières
de la raison et du dialogue politique, mais délestés de l'idéologie
du progrès : passage de l'histoire subie à l'histoire conçue,
de l'irresponsabilité au souci des conséquences de nos actes, investissement dans l'avenir
pour donner sens à notre existence et rendre notre monde durable,
donner forme à l'humanité à venir, sauver cet improbable miracle d'exister
. Il faut cesser de croire au progrès pour prendre en main notre destin
et préserver notre avenir, résister à l'entropie au-delà
de notre vie.
Livres de Gilbert Simondon :
L’Individu et sa genèse physico-biologique, PUF
L’Individuation psychique et collective, Aubier
Du mode d’existence des objets techniques, Aubier
Voir : http://perso.orange.fr/philippe.zarifian/page66.htm
02/01/03
Index