L'antimatière est d'actualité dans le
numéro de La Recherche (no 361, 02/03) qui fait le bilan de l'année
scientifique passée et consacre deux articles à ce sujet, d'une
part à cause de l'accélération de l'expansion de l'univers
(21/02/02) qui semble impliquer une étrange "énergie négative"
répulsive et surtout parce qu'on commence à fabriquer des anti-atomes
d'antihydrogène (CERN, 18/09/02). Mais qu'est-ce donc que cette mystérieuse antimatière
et que peut bien vouloir dire un temps négatif parmi d'autres propriétés
fascinantes ? Le lien indiqué plus haut vous en dira beaucoup plus
que la revue elle-même, mais il faut d'abord revenir sur ce que nous
croyons savoir de la matière, du moins ce que j'en ai compris, étant
absolument incompétent sur ces questions.
1. Qu'est-ce que la matière (brisure de symétrie)
La matière n'est qu'un défaut dans l'être, l'ombre
de la lumière avons-nous dit. Alors que rien ne devrait exister si
l'on se fiait aux lois de la physique dans leur mécanique continue,
toute existence, toute force, résulte de ce que les physiciens appellent
une "
brisure de symétrie" dont l'exemple est celui de la formation
de cristaux, reliée au phénomène de refroidissement,
de l'entropie de l'univers depuis sa naissance. S'il y a brisure de symétrie
c'est qu'une loi de symétrie n'a pas été respectée
(par effet de seuil ou saut quantique), ce dont la physique ne peut vraiment
rendre compte, seulement constater l'existence de diverses forces, diverses
propriétés de la matière, correspondant à autant
de défauts de symétrie qui ne sont pas déduits mais
doivent être pris en compte. Comme j'ai tenté de le montrer
dans mon texte sur
l'improbable miracle d'exister, toute existence est donc improbable dans sa différenciation, et notre
monde est bien celui de l'improbabilité malgré la rigueur des
lois physiques. J'ai montré aussi que c'est ce caractère incalculable de l'univers qui donne
toute son importance à l'information caractérisée elle
aussi par son improbabilité, sa nouveauté, ce qui permet d'interpréter
toute existence et tout événement comme information. L'entropie
ici est créatrice plus que destructrice. Par ses ratages même,
le travail du temps est créateur, par ses fractures, ses effondrements,
ses rencontres hasardeuses. Dès lors, matière et information tiennent entièrement
à leur imperfection et à leur surprise qui déchire
le silence du vide et la surface lisse des espaces infinis.
L'antimatière étant l'
envers de la matière et
de l'énergie, son image en miroir, constitue semble-t-il la première
symétrie qu'il faut briser pour qu'il y ait quelque chose plutôt
que rien et depuis Sakharov on essaie d'expliquer cet infime déséquilibre
en faveur de la matière. Ce n'est pourtant pas si sûr, ne faisant
sans doute qu'enregistrer plutôt une brisure de symétrie au niveau
électromagnétique et de la distribution de l'énergie.
Ce n'est pas un déséquilibre entre matière et antimatière
qui peut être vraiment responsable de l'existence de la matière
mais sans doute le phénomène de refroidissement et d'effet
de seuil, de ce qu'on pourrait appeler des erreurs d'arrondi impliqués
par le caractère quantique de l'énergie, le caractère
discret des quanta, arrondis qui laisseraient ainsi un reste (lorsque les
fluctuations quantiques ont lieu dans un espace-temps qui se modifie, de
virtuels certains photons deviennent réels). Le rapport matière/anti-matière
serait plutôt une conséquence, le reflet de la rugosité
de la matière.
Ce n'est pas
seulement l'émergence d'un reste qu'il faut expliquer cependant, mais sa solidité,
sa durée. C'est donc l'énergie de
liaison qui est la
véritable cause de la matière puisque cela implique qu'il faut
dés lors un apport d'énergie extérieur pour "briser
cette brisure de symétrie", c'est-à-dire que la force de liaison
empêche désormais la désintégration de la particule
malgré les fluctuations quantiques (en l'absence d'apport d'énergie).
Ce qui fait que les particules durent c'est d'entrer en interaction avec d'autres
en constituant de nouvelles symétries comme les liaisons électriques
entre charges opposées. La charge électrique est une brisure
de symétrie primordiale dont semblent découler les forces nucléaires
fortes et faibles qui se différencient à certaines étapes
du refroidissement initial et s'opposent à l'entropie et la désintégration.
L'antimatière ayant une charge électrique opposée à
celle de la matière (positons opposés aux électrons),
il ne peut plus y avoir d'
annihilation semble-t-il lorsque l'électron
est neutralisé par son couplage à un proton. Normalement la
collision de matière et d'anti-matière symétrique provoque
l'annihilation des particules, rétablissant la symétrie en produisant
l'énergie retenue dans la matière sous forme de rayons gamma
(longueur d'onde plus courte que les rayons X). C'est même ce phénomène
qui serait à l'origine d'un "rayonnement fossile" encore détectable
aujourd'hui dans tout l'univers, image de cet immense carnage dont surnageront
de rares survivants, assez tout de même pour peupler l'immense univers
de toute sa matière. Par contre lorsqu'il y a rencontre d'une charge
positive et d'une charge négative, non seulement il n'y a pas annihilation
mais la force de liaison s'oppose à la désintégration,
exigeant un apport extérieur d'énergie. Comme une collision
électron/anti-électron produit 2 photons, ce qui est empêché
ainsi, c'est bien la conversion de matière (fermions) en énergie
libre (bosons), accentuant les défauts de répartition de l'énergie.
En effet, qu'est-ce que la matière ? Selon la formule bien connue, E=mc
2, c'est de l'énergie emprisonnée, de l'inertie, caractérisée
par une longueur d'onde ultra-courte qui ne se propage plus mais s'enferme
dans sa masse en produisant sa gravité. Ce qu'il faut comprendre,
c'est la transformation d'énergie en matière, d'une interférence
en inertie localisée. Certains ont pu dire que les particules se comportent
comme des trous noirs piégeant l'énergie, produisant un retrait,
une brisure de symétrie. Pour Einstein (en 1905) "le rayonnement transfère
de l'inertie entre les corps qui émettent et les corps qui absorbent".
Les constituants de la matière sont les quarks et les électrons
qui forment les
fermions et s'opposent aux bosons. Les bosons (spin
1 ou 0) sont de simples véhicules des interactions comme le photon, c'est
de l'énergie libre qui se transmet à des vitesses proches de
celles de la lumière, émission ou absorption d'énergie,
alors que les fermions (spin 1/2) constituent l'inertie, la matière,
sa localisation (principe d'exclusion de Pauli), sa résistance, sa
gravité, les interactions réelles. C'est, semble-t-il, le caractère
impair des fermions, leur incomplétude qui les rend réactifs
et manifeste leur existence matérielle. En effet, les fermions ont
tendance à se lier par paire et les paires liées se comportent
alors comme des bosons. Ceux qui restent fermions solitaires, donc incomplets,
forment des fermions composites qui peuvent se décrire comme une assemblage
de n bosons + 1 fermion, le "plus-un" constituant le défaut de transmission,
la brisure de symétrie de la matière, ce que Aristote appelait
sa privation déterminant son orientation, sa cause finale.
A cette analyse de la matière comme improbable brisure de symétrie,
à ses interactions et son caractère incomplet, Il faut ajouter
que les particules (ou les cordes) se caractérisent par un certain
nombre de
dimensions qui rendent compte des types de liaison des
particules, de leurs complémentarité, leurs symétries.
Ce sont ces dimensions que la théorie des cordes ajoute à
notre espace-temps comme modes de vibration des cordes, multiples brisures
de symétrie dans différentes dimensions qui sont sans doute,
selon la théorie quantique : charge, masse, isospin, hypercharge,
étrangeté, couleur (types de quarks). Avec les 4 dimensions
de l'espace-temps, on en est donc déjà à 10. De quoi
prendre conscience de l'étendue de notre ignorance encore.
2. Qu'est-ce que l'anti-matière (le gant retourné)
En définitive, l'antimatière est donc une vue de l'esprit,
une lacune dans une mer de matière.
Si l'antimatière
n'est bien, comme le pense Feynman, qu'un point de vue inversé sur une seule
et même réalité, elle ne peut être à l'origine de la rugosité de la matière
qu'elle ne fait que refléter. C'est Paul Dirac qui a déduit l'antimatière
de ses équations relativistes du comportement de l'électron. L'équation admettant
des solutions négatives il a pu prédire ainsi les propriétés de l'antimatière
comme inversion des propriétés de la matière, son image symétrique, en
miroir. On obtient alors l'inversion des charges électriques, de la couleur
(des quarks), de la charge faible mais aussi une énergie négative
et sans doute une antigravité et même un temps négatif
!
Il s'agit de donner
une interprétation de cette énergie négative et encore
plus d'un temps inversé, interprétation qui est loin de faire
l'unanimité. Le texte "
La symétrie
CPT et L'antimatière" dont l'adresse est donnée plus haut et dont sont extraites les citations
qui suivent, en donne une interprétation purement
géométrique, celle de Feynman,
qui me semble séduisante mais à laquelle il ne semble pas se
tenir. Tout cela semble bien étrange, en effet,
sauf à considérer qu'il s'agit simplement d'un point de vue inversé, dans
le cadre des transformations de Lorentz de la relativité, selon qu'on se
situe à un point fixe ou à la vitesse de la lumière (qui n'est pas relative,
c'est cela la théorie de la relativité). Dès lors, ce qui est creux pour
la matière est bosse pour l'antimatière, la présence de matière est absence
d'anti-matière selon une contrainte géométrique qui ne peut être brisée. Le
monde de l'antimatière est vraiment notre monde en miroir.
Il faut bien dire que cette interprétation rend problématique
qu'on puisse fabriquer de l'antimatière (ce qu'on fait), s'en servir
éventuellement de carburant un jour lointain ou dés maintenant
en cancérologie. Ce n'est pas impossible pourtant car, dans cette
optique, les fermions sont des trous d'énergie positive et l'antimatière
une lacune de la matière, un manque d'électron. L'antimatière,
c'est le défaut symétrique, la matière vue d'un point
de vue inversé, inversion du temps, entre vide et plein, positif et
négatif. La matière qui se fait est de l'anti-matière
qui se défait, l'entropie croissante de l'un est entropie décroissante
de l'autre (chaleur de l'un, froid de l'autre ?). L'image du Big bang devient
l'image fascinante d'un gant retourné (ou d'un anneau de Moebius)
qui fait rêver.
L'inversion du temps est en fait plus complexe que le simple changement de
t en -t : elle consiste à étudier l'évolution d'un
système depuis un état final vers un état initial.
Ce phénomène
se traduit par un univers ayant toujours existé, dont l'entropie a
décru jusqu'à l'instant zéro, date à laquelle
l'univers s'est retourné comme un gant (!), produisant une symétrie
P et est reparti dans le sens des t positifs.
Dans les descriptions évoquées ci-dessus,
l'antimatière est apparue comme de la matière vue après
(ou à travers) un "retournement" d'espace-temps. Dans ces conditions,
la neutralité matière - antimatière pourrait
être finalement issue de considérations géométriques
ou topologiques. Par exemple, si l'univers subissait un tel retournement
"en cours de route" (qu'il soit comme un ruban de Moebius spatio-temporel),
et qu'il se rebouclait sur lui-même (des théories sont en cours
de formalisation sur ce thème), il y aurait neutralité globale
sans qu'on puisse mettre en évidence de l'antimatière à
un instant donné, la matière se retournant de manière
imperceptible au cours de l'expansion - contraction. Ceci
créerait le Big Bang en finale, comme en un magistral "choc en
retour".
En fait, on ne voit pas bien pourquoi il y aurait un retournement réel
s'il s'agit simplement d'une différence de point de vue entre matière
et antimatière mais cela me dépasse un peu même si je
suis sensible à beauté de l'image. Il faut préciser
en effet les caractéristiques que pour Dirac, ses équations
semblaient impliquer. Ainsi inertie négative, énergie négative
signifient qu'on part, comme minimum d'énergie, d'une grande vitesse
qui "
doit absorber de l'énergie pour atteindre l'état de repos". Dans les citations qui suivent, expliquant le comportement de l'antimatière
comme précurseur de la matière, il semble qu'on s'éloigne
de l'interprétation géométrique en faisant cohabiter
matière et antimatière, l'énergie négative devenant
un minimum d'énergie par rapport à l'énergie positive,
une sorte de fondation de la matière, son arrière-plan plutôt
que son reflet. L'antimatière est-elle donc notre profondeur, notre
socle ou notre envers ou encore notre négation ? Si l'on avait la réponse,
cela paraîtrait sans doute plus simple. Il est intéressant d'évaluer,
ici comme ailleurs, l'étendue de notre ignorance avant que de nouvelles
expériences ne tranchent peut-être cette mystérieuse question
qui n'est pas métaphysique malgré les apparences mais débouche
sur des applications très concrètes.