Les compte-rendus que nous avons fait, sur le forum economie
des Egep, de Norbert Elias, Hannah Arendt et Marcel Gauchet posent la question
du pouvoir dans les sociétés modernes, question intimement
liée à celle de l'individu et de son autonomie. Pour Elias
on ne peut qu'aller dans le sens de la "civilisation", en profitant tout
au plus de l'occasion, Pour Arendt la politique sert surtout a montrer
"qui on est" alors que pour Gauchet la politique perd toute légitimité
dans une société de marché réduite à
la gestion des conflits et la simple représentation de la pluralité.
Quel sens peut donc garder l'engagement politique dans ces conditions ?
Mais reprenons.
- Impuissance du politique
Pour
Norbert Elias notre liberté
est réelle mais reste marginale car restreinte par toutes sortes
de contraintes. En premier lieu par l'
imprévisibilité
des actions et réactions d'une multitude d'acteurs mais aussi
bien par les rigidités sociales et le poids du nombre, enfin surtout
par la dynamique concurrentielle de l'empire (ou du marché) et de
la civilisation des moeurs. Aussi bien la mondialisation (Europe, OMC,
etc.) que l'augmentation des exigences sociales (employabilité)
ou la multiplicité des liens de dépendance réduisent
nos marges de liberté (tout en renforçant notre sentiment
d'autonomie et de responsabilité personnelle). Nous ne pouvons guère
que saisir l'occasion ou perdre nos chances.
Hannah Arendt insiste sur la pluralité
comme essence de la démocratie mais elle voit surtout le risque,
au-delà de l'imprévisibilité, d'une dispersion des
individus, condamnant la politique à l'impuissance et à la
représentation des intérêts privés. Si elle
plaide pour l'engagement, sans lequel il n'y a pas d'avenir, c'est au mieux
pour être des
acteurs de l'histoire pour montrer "qui on est",
mais personne ne peut s'en prétendre l'
auteur car l'histoire
nous échappe toujours. Au-delà de cette limitation de l'action,
pour elle c'est le politique même comme dimension du monde commun
et de la reconnaissance qui est menacé. En effet, le domaine public
de la délibération est remplacé par le calcul, la
rationalisation, la
richesse (le social) étant devenu l'unique
souci collectif. Dès lors, on assiste à la suppression de
la distinction des sphères privé et public par la réduction
du public (décision politique) au privé (production de richesse).
Or, pour elle, le totalitarisme se définit par cette abolition de
toute barrière entre public et privé (entre citoyen libre
et peuple, race ou richesse). Au lieu d'une démocratie basée
sur les citoyens et la délibération publique, seul compte
désormais le
processus de l'histoire et de la production
de richesse où la vie des individus ne compte pas, encore moins
ce qu'ils pensent mais seulement l'accélération du mouvement
de l'histoire qui les dépasse, les broie, éliminant inaptes,
inutiles et incapables qui freinent notre progression : tout à la
croissance !
Marcel Gauchet systématise
ces analyses dans sa théorisation de la "
société
de marché" qui reste l'idéologie dominante sinon la pensée
unique du pluralisme dont le "politiquement correct" représente
la face "positive". L'éloignement du religieux nous aurait permis
de quitter son dernier refuge avec les idéologies de la fin de l'histoire
désormais dépassées. La perte de légitimité
de la religion se propage à toutes les institutions et nous serions
désormais dans un temps véritablement historique, d'un changement
sans fin dont personne ne peut plus décider et où il ne reste
plus à la politique qu'à gérer les conflits privés
; temps où plus rien n'est possible comme si la démocratie
avait atteint sa perfection éternelle. Sans fin dernière,
il ne reste plus qu'une pluralité de finalités en concurrence
au marché de l'histoire. On peut tout dire mais cela n'a aucune
importance, on peut dire n'importe quoi car personne n'entend. L'un décide
ceci, l'autre cela et leurs actions s'annulent sans laisser de traces,
la pluralité des fins interdisant de privilégier une quelconque
direction. On ne peut que laisser faire, se limiter à la gestion
des conflits par lesquels la société se modifie, s'auto-configure
et doit s'adapter à un changement continuel que personne ne peut
maîtriser. L'avènement d'une véritable autonomie (subie)
de l'individu se confond avec le libéralisme avancé où
chacun devrait ne s'occuper que de soi dans son coin. Ce qui n'est d'ailleurs
pas une
sinécure car le grand paradoxe c'est que "Plus l'homme
est libre extérieurement, plus il est conçu comme intérieurement
asservi". Plus l'individu est autonome, plus on exige de lui. Où
l'on retrouve comme un envers du totalitarisme qui continue à nous
hanter en délégitimant toute politique identifiée
à sa violence.
Le rejet du totalitarisme devrait ainsi faire communier dans la même
défense des libertés libéraux, démocrates,
socialistes, libertaires et toutes les minorités, condamnés
à la médiocrité pour ne pas succomber à la
folie du pouvoir identifié à la violence. Cette pensée
unique de l'
impuissance (
TINA, There Is No Alternative) s'apparente
pourtant à une sorte de totalitarisme (
Spectaculaire intégré)
renvoyant chacun à son isolement, le privant de parole, le transformant
de citoyen en administré (travailleur/consommateur), en spectateur
passif de sa propre vie à mesure qu'on l'incite à plus d'initiative
et d'autonomie. La culpabilisation libérale des pauvres et des exclus
ressemble à s'y méprendre aux procès soviétiques
où "l'accusé ne cesse d'être inclus dans le
nous
qui l'exclut" au nom d'une Loi sans tiers qu'elle soit celle du profit,
de l'histoire ou de la race.
- Nécessité du politique
Il faut prendre toute la mesure de la crise du politique qui ne nous
est pas extérieure, c'est un préalable, ce n'est pas pour
s'y arrêter. La question est donc celle d'un scepticisme paralysant
l'action jusqu'à menacer nos vies. Pour trouver un projet qui nous
rassemble, il faut sans doute terminer l'oeuvre de destruction du scepticisme,
ébranler nos dernières vérités pour se constituer
en processus de fondation sur cette part d'ignorance que nous partageons
et qu'exprime le principe de précaution.
On ne peut, bien sûr, négliger les leçons de l'histoire
et la tyrannie du pouvoir mais d'une part il faut reconnaître que
ce pouvoir se transforme, d'autre part cela n'enlève rien à
la nécessité du politique comme pouvoir d'action collective.
Il n'y a aucune légitimité de l'absence de politique mais
seulement une insuffisance de légitimité du politique.
Claude
Lefort dénonce les idéologies de l'impuissance et s'il
fait du conflit le fondement de la démocratie, il refuse de se considérer
battu, condamné à la société de marché,
appelant au contraire à l'invention de l'histoire.
Cornélius
Castoriadis de son côté donne un contenu immanent à
la démocratie : le projet d'autonomie pour lequel nous avons besoin
d'un esprit révolutionnaire permanent.
Il est intéressant d'éclairer les positions de Lefort
et Castoriadis par leurs oppositions et impasses respectives. tout se passe
comme s'ils s'étaient partagé les dépouilles du marxisme
pour l'un la "lutte des classes" et l'idéologie, pour l'autre la
révolution et l'autonomie Lefort n'est pas dupe de l'institution
d'un collectif qu'il ramène à l'institution d'un lieu de
conflit et de représentation de la pluralité sociale. La
loi peut être admise par tous mais c'est la loi de la classe dominante
que renforce son idéologie unifiante (qui n'est qu'une idéologie).
La division de la société est primordiale, son unité
restant toujours problématique, usurpée, elle ne saurait
plus être un
corps unifié désormais. S'il refuse
de voir dans cette société de marché réduite
à ses conflits la fin de l'histoire, c'est de se fier à l'
invention
qui renvoie la réponse à plus tard, mais on ne voit pas
bien ce qui pourrait nous faire sortir de l'indétermination du conflit
social. Pour Castoriadis, au contraire, l'
auto-nomos exige la fiction,
instituée, d'une unité véritable, un sujet du collectif
qui se donne sa propre loi, un corps constitué mais qui ne prend
vraiment consistance qu'à viser l'autonomie des personnes. Toujours
prêt à se remettre en cause, le sujet collectif en tant qu'"instituant"
peut s'élancer soudain vers des avenirs lointains, mais s'en détourner
tout autant, dès le lendemain. Il faudrait donc compter sur sa constance
alors qu'on l'exhorte à une totale mobilité. Avec Lefort
comme avec Castoriadis, on ne voit pas ce qui pourrait nous sortir de l'impuissance
d'une discussion sans fin pour l'un ou d'un monde sans promesses ni consistance
pour l'autre. C'est comme si la division du social bloquant toute tentative
de refondation pour l'un, se reportait pour l'autre en division temporelle
(révolution), division du sujet qui remet en cause son autonomie
justement comme fondation toujours éphémère. Il nous
faudrait attendre comme le messie l'invention ou la nouveauté qui
nous sauverait d'une société absente et d'un monde qui n'est
pas durable, mais on ne voit pas en quoi ils nous permettraient de sortir
de leurs postulats de base. Du moins, avec Castoriadis, nous avons un
contenu
pour notre politique, le
projet d'autonomie.
On a là le passage d'une autonomie comme délégitimation,
à l'autonomie comme projet alors même que l'exigence d'autonomie
augmente sans cesse ; saut qualitatif qui devrait permettre de fonder enfin
une nouvelle politique délivrée du religieux, fondée
sur l'individu et ouverte à l'avenir. C'est cette "inversion de
la dette" et le déclin de la société disciplinaire
qu'
Alain Ehrenberg enregistre dans ses
manifestations
dépressives, l'insuffisance de l'individu
autonome, la pression sociale d'exigence d'autonomie, la contradiction
d'une autonomie subie, devenue norme. On ne peut nier que Cornélius
Castoriadis participe au renforcement de la norme sociale d'autonomie,
Ehrenberg le rejoint pourtant quand il met en évidence la nécessité
d'institutions de l'autonomie, d'un support de l'individu, d'une articulation
au politique de l'autonomie individuelle.
Nous reprenons ainsi le projet d'autonomie de Castoriadis mais nous
l'inscrivons dans les limites d'une écologie du futur et des équilibres
présents, de la résistance des choses et de l'inertie des
gens, du réalisme vital d'un
processus de production d'autonomie
enfin, avec toutes ses contradictions, ses errances ; une démocratie
participative contradictoire plutôt qu'une démocratie totale
rêvée, un absolu inhumain de conscience et de liberté.
Nous avons besoin pour cela de l'esprit révolutionnaire tout
autant que de la prudence écologiste. Evitant tout point de vue
unilatéral, il nous faut savoir que nous ne sommes pas des dieux
mais ne pas se laisser faire, "se savoir mortel et agir en immortel" dit
Aristote. Si l'autonomie est nécessaire, elle n'est pas suffisante.
Nous avons un rôle à jouer. Héritiers de l'histoire
et solidaires de l'avenir, notre autonomie mesure en fin de compte notre
responsabilité devant ce que le monde a d'insupportable,
d'injuste et de destructeur, elle mesure ce que nous pouvons faire.
Avec
Michel Foucault, nous avons essayé
de faire la part du pouvoir comme domination et du pouvoir comme
production.
Contrairement à ce qu'on croit d'ordinaire, Foucault ne fait pas
du pouvoir le "mal" comme pour Sartre, ni la répression des instincts
comme pour Reich, ni une simple oppression, une domination, une "servitude
volontaire".
Le pouvoir n'est pas la discipline (
590)
et ne se réduit pas à l'interdit, à la Loi. Il est
d'abord productif, incitatif, et il vient du bas. Pour Foucault le noeud
du pouvoir, c'est de s'adresser à une
liberté, c'est-à-dire
aussi à une résistance. Il n'y a pas de pouvoir sans résistance.
Le pouvoir est une stratégie, une
action sur l'action plutôt
que domination ou simulacre (
134), une
conduite
des conduites (
237). Le pouvoir ne s'exerce que
sur des "sujets libres" et en tant qu'ils sont libres et peuvent y résister.
Répétons-le, il ne s'agit pas de servitude volontaire mais
de relations de pouvoir assurant circulation et production. Non seulement
il n'y a pas de société sans relations de pouvoir, mais plus
il y a de liberté, plus il y a de pouvoirs ! Il réfute donc
l'utopie communicationnelle (Habermas) sensée dépasser le
pouvoir par l'argumentation et la communication (
727).
On voit qu'on est bien loin de l'anarchisme débridé qu'on
lui prête !
Le pouvoir n'est pas extérieur. D'une part, l'individu-sujet
n'émerge jamais qu'au carrefour d'une
technique de domination
et d'une technique de soi, d'autre part, la
gouvernementalité
comme action sur une liberté implique le rapport de soi à
soi. Il n'y a pas de différence fondamentale pour les Grecs entre
gouvernement de soi et des autres. Le pouvoir n'est pas concentré
au sommet mais il y a plusieurs formes de gouvernementalité (famille,
école, prison, entreprises) qui ne visent pas la domination mais
la maîtrise des choses (savoir), des autres (pouvoir) et de soi-même
(éthique).
Toutes les évidences simplificatrices de la lutte révolutionnaire
doivent être remises en cause, ainsi que l'utilisation politique
habituelle de Foucault, si on veut donner une chance à la subversion
de répondre aux nouvelles formes de domination et surtout de profiter
des nouvelles opportunités de libération, de production d'autonomie
concrète. La liberté n'est pas donnée mais doit être
produite, il ne suffit pas d'abattre les pouvoirs en place mais il faut
construire un pouvoir collectif réflexif. Comme souvent après
la mort du maître, le plus dur est d'intégrer le nouveau.
Ne pas être aveugle aux changements, aux retournements de situation.
On n'est plus au XIXème, Foucault le redit souvent. Il faut garder
le courage de la vérité (plutôt que le refoulement
ou l'identité bornée), ne pas avoir peur de dire qu'on s'est
trompé, condition du discours scientifique. Il en a donné
l'exemple en reconnaissant nos erreurs : "
On se trompait quand on croyait
que toute morale était dans les interdits et que la levée
de ceux-ci résolvait à elle seule la question de l'éthique"
674.
On se trompait aussi dit-il quand on croyait que le capitalisme avait besoin
de la répression de la sexualité (mais n'est-ce pas parce
qu'on a changé de mode de production, de la force de travail qui
a besoin de la discipline des corps, à la résolution de problème
qui exige l'autonomie de l'acteur). La question de notre responsabilité
se pose avec d'autant plus d'acuité. "
Comment peut-on pratiquer
la liberté ?"
711. L'erreur ne vient pas
de l'autre, le savoir n'est pas donné, le monde n'est pas transparent.
Il faut reconnaître ses erreurs, notre ignorance, la fragilité
de notre identité, notre inhabileté fatale. Le principe de
précaution est le principe d'une liberté sans certitude,
principe d'insuffisance de l'individu et du savoir comme produit de son
temps et sans que cela empêche le sujet de se rebeller contre le
monde qui l'a créé. Cette liberté n'est possible qu'avec
le support des institutions (des discours), une sécurité
sociale et la puissance du pouvoir politique face aux marchés, pouvoir
sans lequel nous courrons à la catastrophe. Il nous faut un pouvoir
collectif qui ne soit pas autonome mais réfléchi et produise
de l'autonomie. Telle est la question qu'il nous faut résoudre,
devant la précarité du mode de subjectivation moderne : produire
les conditions de la liberté.
Enfin
Henri Laborit malgré
un point de vue trop unilatéral nous a permis de rendre compte de
la dimension biologique de la domination et de l'agressivité ainsi
que le passage d'une économie "thermodynamique" basée sur
l'énergie et la compétition à une "société
de l'information" où la coopération est généralisée,
l'
information se subtituant à la violence.
La plupart du temps, comme le remarque Henri Laborit, "
il ne faut
pas croire que les dominants possèdent un réel pouvoir politique
en dehors de celui exigé pour le maintien de leur dominance"
183.
Le pouvoir semble donc se réduire à la domination. La domination
elle-même est bien pourtant un dispositif productif mais elle se
manifeste au niveau individuel comme répression ou compétition,
représentation imaginaire de supériorité ou d'arbitraire,
voire comme intimidation et violence animale. La
hiérarchie est
à la fois un principe d'organisation, de transmission de l'information
et de la contrainte, mais aussi de sélection et de compétition,
de canalisation de la rivalité et de l'agressivité. En général
le facteur biologique d'
intimidation est de peu de poids face aux
réseaux de pouvoirs, au capital symbolique, aux procédures
juridiques.
La conscience est toujours un
problème à résoudre
avant d'être conscience de quelque chose. La conscience est soeur
de l'angoisse et du risque. La conscience est bien du côté
de la souffrance, de l'irritation, du souci. C'est, à l'origine,
un
déficit informationnel, une impossibilité d'agir
(tel l'âne de Buridan) qu'il faut surmonter ; mais l'inconnu anxiogène
est le plus souvent un autre individu, l'incertitude de son comportement.
On comprend alors qu'une structure hiérarchique stable réduise
l'anxiété en réduisant les conflits et l'incertitude
(les
coûts de transaction comme on dit pour la théorie
de la firme). La hiérarchie par sa
stabilité apporte
une sécurité, une simplification et une incorporation des
rôles qui délivre de la réflexion et de l'angoisse,
reproduisant même parfois les relations familiales (paternalisme).
La stabilité obtenue a le défaut de sa qualité : une
rigidité, un conformisme qui la condamne si elle y perd sa capacité
d'adaptation.
Ce qui se gagne en soumission à l'ordre social se paie aussi
en symptômes psychosomatiques résultants de l'inhibition qui
renonce à la fuite, ou du conflit des pulsions et des interdits
:
malaise dans la civilisation, dépressions, lésions
physiques parfois. Il est certain que Laborit va souvent trop rapidement
du biologique au social mais il croit pouvoir généraliser
le fait que la loi est toujours plus dure pour les dominés et pense,
comme Freud ou Elias, que plus on est nombreux et civilisé, plus
on doit réprimer ses mouvements.
Le dominant n'est pourtant pas agressif, il est
cool, sûr
de lui. Ce sont les
dominés qui sont perturbés et
agressifs jusqu'à retourner leur agressivité contre eux-mêmes
(dépressions, suicides, toxicomanie). L'agressivité est une
réponse à l'angoisse qui se retourne habituellement contre
ses subordonnés. La compensation de l'oppression pourrait être
aussi un plaisir de substitution, dérivatif toujours possible, mais
qui peut aller jusqu'aux gratifications imaginaires des psychoses et des
toxicomanies.
Il est intéressant de lier l'
agressivité à
la domination et à l'anxiété plutôt qu'aux gènes,
d'en faire un problème social, ainsi que de démonter l'argumentation
qui fait de l'agressivité des dominants un caractère "naturel"
alors que l'agressivité des dominés est considérée
comme "bestiale", transgression de l'interdit social (
77).
Il n'empêche que l'agressivité peut être, comme le prétend
Lacan, plus marquée chez l'homme, né prématuré
et se projetant dans son image, si l'autre lui apparaît comme un
rival qui prend sa place en miroir.
Il s'agit de passer d'une "
société thermodynamique"
basée sur l'énergie, la domination et la croissance à
une "
société informationnelle" autogérée,
où chacun participe aux décisions et au circuit de l'information
car "
pouvoir c'est savoir"
119. On peut se
demander pourtant si la constitution d'un tel organisme n'exige pas une
dépendance totale de l'individu puisque l'objection de Sorel
à la réduction de la société à un organisme
était que les organes ne peuvent vivre séparément.
La domination serait la contrepartie de notre indépendance, de notre
résistance et notre irresponsabilité, de notre fermeture
sur nous-mêmes (autisme, autarcie). C'est le paradoxe qu'exprime
Jacques Robin par la formule "plus un système vivant est autonome,
plus il est dépendant". Pour Laborit, c'est surtout de se limiter
à l'appartenance à un groupe réduit qui produit les
rapports de domination et de compétition entre groupes (expansion)
ainsi que des rapports hiérarchiques à l'intérieur,
selon un schéma proche de celui d'Elias.
La finalité individuelle comporte inévitablement la conservation de la structure qui
assure notre conservation et donc ses finalités collectives. Le modèle biologique de l'autogestion
implique non pas une planification, une transmission de haut en bas, du
cerveau aux organes, mais une interaction locale, une réponse "autonome"
et un échange d'information participant au projet collectif où
chacun est indispensable (la grève le prouve). Donner le pouvoir
à tous signifie passer de la commande à l'information (par
les prix, la redistribution, la communication) ce qui exige suffisamment
de "temps libre" pour une participation politique. La production n'est
pas tout et le vote n'est pas un pouvoir, tout au plus l'acceptation ou
le refus de la hiérarchie actuelle
(182). On
ne se nourrit pas que de pain. La conscience est une
participation à
l'information, le progrès est un progrès cognitif, complexifiant
et englobant.