Pour un habeas corpus économique et social en Europe
 
 
Nul ne sait que ce que peut le corps.
Spinoza. (Éthique).
 

Le titre de cette communication peut paraître paradoxal. En effet l'habeas corpus paraît un acquit ancien dans nos sociétés démocratique occidentales. Cela remonte quasiment à la nuit des temps : la Grande Charte (magna carta) date de 1215.

Le titre de cette communication ne prend de sens que si l'on met en perspective historique les transformations de l'Etat qui font passer successivement de l'Etat de sûreté (habeas corpus), à l'Etat providence et à sa sécurité sociale en passant par l'Etat de police, l'Etat de finances, l'Etat entrepreneur, l'Etat libéral minimal etc. Depuis une vingtaine d'années l'Etat providence est en crise.

En France actuellement on parle de Refondation sociale. Ou plutôt c'est le patronat qui essaie d'imposer sa conception de la Refondation sociale.

Selon nous la Refondation sociale proposée par le patronat consiste à sortir de la crise de l'Etat providence " vers le bas ". Elle revient sur la sécurisation de la société. La généralisation de contrats bilatéraux accroît au contraire la précarité sociale et l'exclusion.

Nous voudrions esquisser au contraire une sortie de cette crise de l'Etat providence " vers le haut ", sans pour autant proposer une extension de l'économie administrée.

Pour cela nous suggérons la création d'une institution nouvelle qui intègre et perfectionne un certain nombre d'institutions existantes, l'assurance chômage, le revenu minimum d'insertion, l'agence nationale pour l'emploi, la formation professionnelle, et surtout généraliser et démocratiser les services rendus par les directions des ressources humaines des grandes entreprises etc. Il s'agit d'une "Caisse européenne des formations, des carrières et des mobilités professionnelles (CEFCMP)".

Les réflexions qui suivent résultent d'un travail collectif dans le cadre des états généraux de l'écologie politique (EGEP). Il s'agissait de réfléchir à ce que pourrait être un projet de Refondation sociale qui soit alternatif à celui que propose le patronat (MEDEF) en France.
 
 

Dans le contexte de la mondialisation le modèle fordiste du travailleur salarié à vie de la même entreprise et connaissant un déroulement de carrière et une progression  du pouvoir d'achat relativement continus semble avoir vécu.

En tant que Vert notre modèle de développement durable ne peut qu'être anti productiviste.

Mais en tant qu'économiste nous ne pouvons pas nous désintéresser de la peine des hommes, de leur sueur et de leurs larmes.

Nous avons à imaginer les institutions et les procédures qui minimisent les gaspillages, qui "épargnent" la peine et les souffrances des hommes. Les thuriféraires du marché prétendent que c'est par la généralisation du marché qu'on arrive à ce résultat. Nous affirmons au contraire que c'est en substituant aux relations binaires des contrats marchands des relations ternaires dans lesquelles le troisième terme est de nature publique qu'on peut arriver à concilier l'efficacité et la souplesse avec la sécurité et l'avenir que sont en droit d'attendre les individus.

Dans notre société et actuellement ce sont les femmes qui sont les victimes de l'insécurité économique et policière, les victimes des mauvaises conditions de travail, des bas revenus et du travail précaire. Ce sont elles également qui sont pénalisées par une division sexuelle du travail injuste et qui doivent à cause de leur dévouement à leurs enfants renoncer à une carrière et à une progression des revenus.

Les femmes ont gagné la bataille qui a consisté à ce qu'elles aient le droit de disposer de leur propre corps. Leur émancipation définitive ne sera acquise que lorsqu'elles jouiront d'un habeas corpus économique et social européen.

  1. Le déploiement historique de l'habeas corpus comme droit à une vie pleinement humaine
    1. De l'Etat de sûreté à l'Etat "réassureur" : la sortie vers le haut de la crise de l'Etat providence

    2.  

      L'Etat providence moderne peut être symbolisé par un nom propre celui de Beveridge qui a inventé notre système de sécurité sociale. En ce sens l'Etat providence moderne est une extension et une socialisation de l'Etat de sûreté qui est né avec la " grande charte " du Moyen âge. Cet habeas corpus s'énonce : " Ton corps est à toi ". Dans le contexte historique de l'époque il s'agissait de protéger l'individu contre les abus du pouvoir féodal. Très rapidement la propriété individuelle, celle du domicile, est apparue comme une extension du corps propre.

      Cette extension a fait éclater l'idée que le corps était délimité par la peau, l'enveloppe corporelle. Le corps désigne notre point d'insertion dans le monde dont fait partie intégrante le corps social. L'histoire de l'Etat, de ses métamorphoses successives et de son perfectionnement, apparaît dans ce contexte comme un développement de la notion de sécurité ou de sûreté. À l'origine il s'agissait de sécuriser les individus dans leur vie quotidienne, d'assurer une police qui protège les individus vis-à-vis des violences privées. C'est pourquoi une définition classique de l'Etat, suite à Max WEBER, consiste à lui reconnaître le " monopole de la violence légitime ". Le désarmement des personnes privées, l'interdiction des vendettas, l'interdiction des duels, la confiscation par la puissance publique des armes individuelles impose la paix civile, la sécurité des personnes et la sûreté des biens dans la vie quotidienne. L'Etat de police étend cette sûreté à la circulation sur les routes, à la sécurité des biens et à la sécurité dans la résolution des conflits entre individus. Avec la sécurité sociale et l'Etat providence la notion de sécurité se perfectionne encore. Grâce à ces nouvelles institutions, très récentes à l'échelle de l'histoire, il s'agit de combattre l'insécurité économique, les effets des risques sociaux, les effets de la maladie, les effets de la vieillesse les effets des invalidités ou des accidents de travail.

      Cet Etat providence est en crise. Ce n'est pas lui seulement qui est en crise mais l'ensemble des dispositifs qui faisait système et qui assurait une cohésion à la société autour d'une croissance économique. L'Etat providence était un des trois volets d'un triptyque. Si on symbolise l'Etat providence par le nom de Beveridge, alors les deux autres volets du triptyque peuvent être symbolisés par les noms de Ford et de Keynes. Le fordisme consiste à partager les gains de productivité de telle manière que ce que les ouvriers produisent puisse être consommé par eux. La politique économique inventée par Keynes permet d'ajuster par l'intervention de l'Etat, par l'intermédiaire du budget ou du taux de change, la croissance de la consommation à la croissance de la production

      Ce système est entré en crise au début des années 70.

      En particulier l'Etat providence est menacé de démantèlement.
       

    3. La projection du corps propre vers le social : pour un néosolidarisme et un droit universel à l'avenir

    4.  

      Dans le déchaînement des forces débridées et sans frein de la mondialisation capitaliste les individus sont classés en un petit nombre de gagnants et un grand nombre de perdants, les " losers ". Pour ces derniers il n'y a pas d'avenir : " no future ". Ils n'en restent pas moins des êtres humains qui ont droit à la vie : " habeas corpus ". La sanction de leur éventuel démérite relatif qui en fait des " perdants " dans la compétition libérale n’est ni juste ni efficace.

      Nous avons une conception timide du corps. Nous sommes tous un petit peu comme Saint-Thomas. Nous ne croyons que ce que nous touchons et ce que nous voyons. Nous croyons que le corps se limite à ce volume délimité par la surface de la peau. Et il est vrai que c'est d'abord cela. C'est pourquoi l'habeas corpus est censé nous donner cette souveraineté minimale qui nous protège de la violence physique d'autrui.

      Mais à notre époque ce corps est transi de socialité. Notre cerveau à la naissance est pratiquement vide. Nous héritons progressivement du capital culturel amassé par nos ancêtres. De notre corps propre au corps social il y a l’homothétie qui projette le microcosme dans le macrocosme et qui met en relations notre intimité psychique avec l'univers culturel collectif. La folle du logis nous habite et nous exproprie.

      Que signifie dans ces conditions affirmer le droit à la vie ? Le droit minimal c’est cet habeas corpus. Mais en germe il s'agit d'un droit à la vie en société et à une vie pleinement humaine, c'est-à-dire en communication avec l'humanité tout entière de tous les lieux et de tous les temps, à une vie en paix.
       

    5. Relativiser la place du travail et des revenus associés dans notre société
    La place du travail dans notre société est remise en question depuis quelques années.

    Dominique Méda en particulier reprend un certain nombre d'analyse de Hannah Arendt qui distingue le travail, l’œuvre et l'action politique.

    D'autre part les anthropologues relativisent la logique du contrat et la logique du marché. Il y a d'abord la socialité primaire où la personnalité prime sur la fonction. Ce sont les activités où il faut payer de sa personne et où on ne peut pas se faire remplacer (ou se " libérer " par une somme d’argent). Dans les activités quotidiennes, et en particulier dans ce qu'on appelle le travail domestique, il y a un mélange de ces activités personnelles liées à l'affectivité, à l'amitié, à l'amour etc.

    Avec Alain Caillé on peut distinguer quatre types d'activités :

    1. Les activités productives ;
    2. les activités affectives,
    3. les activités associatives et politiques,
    4. Les activités de développement, de culture et d'épanouissement spirituel.
    L'idéal formulé par Karl Polanyi de réencastrer l'économique dans le social, conduit à remettre l'économie à sa place c'est-à-dire à faire la part du feu de cette " part maudite " d'une part mais d'autre part à ne pas faire en sorte qu'elles envahissent toute la société au point d'en faire une société de marché.

    Dans la mesure où l'économie de marché mine le corps social et le rend plus précaire, il s'agit ici d'affirmer contre cette insécurité sociale généralisée le droit à la vie, le droit des individus à avoir une vie humaine digne d'être vécue, à avoir l'estime de soi et avoir droit à un avenir, c'est-à-dire un lien avec les générations futures. Dans le langage de l'écologie politique cela implique que le lien de solidarité avec les générations futures, le troisième pilier du développement durable, lien qui est affirmé et entretenu dans toutes les sociétés dites primitives, et qui par contre est rendu fragile et précaire dans les sociétés contemporaines, que ce lien soit restauré et entretenu. Qu'au lieu qu'on puisse affirmer à certains de nos semblables en anglais " no future " on leur reconnaisse dans la charte des droits européens fondamentaux, comme droit économique et social, le droit à une descendance, le droit à une postérité, le droit à un avenir : il s’agit là d’une généralisation et d’un développement de l'habeas corpus qui reconnaît à chacun d'entre nous un droit fondamental à la vie, non pas seulement comme survie animale, mais comme une vie pleinement et intégralement humaine dont la vie animale n'est que la condition minimale nécessaire.
     

  2. Les inconvénients de l'individualisation excessive des revenus

  3.  

    L’individualisation des revenus n'est pas juste parce que les gratifications et les pénalités distribuées par la vie économique moderne sont disproportionnées par rapport aux mérites ou aux démérites des individus.

    Il faut distinguer ici deux problèmes : la sanction des perdants est trop forte ; la rémunération des gagnants est trop forte également.

    1. L'individualisation excessive des revenus est injuste
      1. La sanction des perdants est trop forte

      2.  
      Il y a une dizaine d'années le discours valorisait la " gagne ", les " gagnants ", et stigmatisait les " perdants ", les " losers ". Que faisait-on des perdants ? On les " excluait " : ils étaient réduits au chômage, à la pauvreté, à l'exclusion sociale. Et surtout on les privait d'avenir : " no future ". Ainsi ils étaient condamnés à une espèce de mort sociale lente. D'ailleurs des études sociologiques (Pierre Bourdieu : " la misère du monde ", mais on peut remonter aux travaux à l’origine de l’Ecole de Francfort, les célèbres études de Lazarsfeld) et psychologiques montraient que les chômeurs petit à petit rompaient tous les liens qui les reliaient à leurs semblables.

      On aboutissait ainsi à ce paradoxe qu'au moment même où la peine de mort était abolie dans les affaires de justice, la peine de " mort sociale " était banalisée dans les affaires économiques. La peine était-elle proportionnée aux démérites individuels éventuels ? Si on n'est pas le premier d'une compétition économique doit-on être pour autant condamné à mort ?

      Réciproquement il serait injuste de ne pas rémunérer les mérites individuels ou de ne pas sanctionner les démérites individuels.

      Mais il ne faut pas passer d'un excès dans l'autre. Et ce n'est pas parce qu’il y a une part de plus en plus grande de la richesse produite qu'on ne peut pas imputer à tel ou tel individu qu'il faut en retour supprimer toute rémunération des mérites individuels et toute sanction des performances individuelles. C'est toute la question des " stimulants matériels " d'une part telle qu'elle a été posée dans les économies socialistes et la question de la réduction des gaspillages.

      Si on veut récompenser les mérites et sanctionner les défaillances, la question se pose alors de savoir comment proportionner les revenus et les modulations de revenus avec les modulations individuelles de la productivité.

      Le deuxième problème est donc celui de la proportionnalité (justice distributive) des rémunérations ou des sanctions aux fluctuations individuelles de la productivité quand celle-ci est mesurable.

         
      1. La rémunération des gagnants est trop forte.

      2.  
      À l'autre extrémité de la compétition économique, du côté des gagnants, on a également le sentiment que les récompenses sont injustes parce qu'elles sont trop fortes, sans commune mesure avec les mérites de ceux qui en bénéficient.

      On peut prendre par exemple le cas de l'homme le plus riche du monde, Bill Gates. Quel est le mérite de cet homme ? Ce n'est pas lui qui a inventé le micro-ordinateur. Ce n'est pas lui qui a inventé le système d'exploitation qui a fait sa fortune. Il a eu la chance de pouvoir s'approprier le système d'exploitation que la compagnie IBM allait utiliser massivement sur ses ordinateurs individuels. Il s'agit donc bien de " rente ". Il s'agit même d'une " aubaine " ( en droit maritime, l'Etat serait en droit de demander 50 % de la prise).

      Dans la théorie économique néoclassique le salaire est égal à la productivité marginale du travail de l'individu. La productivité marginale de Bill Gates justifie-t-elle son salaire ? Cela montre bien, a contrario, qu'il ne s'agit pas de salaire mais de rente.

      Il en est de même pour les stock options de plusieurs dirigeants d'entreprise. Le sens commun doute que le talent de ces hommes d'affaires soit récompensé de manière raisonnable et proportionnée par les fortunes qu'ils savent amasser " en dormant ".

      (Je ne résiste pas au plaisir de prolonger la métaphore de la " prise " et de suggérer ici encore que l'Etat prennent 50 % de ces prises du piratage social).

      Les gratifications et les sanctions dans le monde économique, dans les revenus du travail, ne semblent pas proportionnées aux mérites ou aux démérites des individus.

         
      1. La dynamique du capitalisme accroît les injustices au lieu de les corriger

      Notre organisation économique amplifie les inégalités de départ. La solidarité voudrait qu'elles soient réduites.

      Or la dynamique de l'accumulation capitaliste procède de la logique de la multiplication ce qu'on peut résumer par le fameux théorème de saint Matthieu : on ne prête qu'aux riches. De ce fait la dynamique économique ne fait qu'accroître les inégalités, les inégalités entre les détenteurs de capitaux et les salariés dans les pays riches, les inégalités entre les pays riches du Nord et les pays pauvres du Sud.

      Les injustices ne sont pas proportionnées. En outre elles ne font que s'accroître. Il y a donc une injustice fondamentale dans notre organisation économique. La dynamique économique ne fait rien pour la réduire.

      Mais en outre cette injustice est inefficace.
       

    2. L'individualisation excessive des revenus est inefficace

    3.  

      Dans le combat idéologique qui a fait rage dans les années 80 et qui a vu le triomphe du libéralisme, certains idéologues ont voulu justifier l'existence d'inégalités dans les revenus au nom de la justice et de la récompense des mérites et des démérites. Ils opposaient l'équité à l'égalité.

      Ils ont insinué que trop d'égalité tuait l'équité et l'efficacité.

      Les méfaits de la course à la productivité ont été dénoncés il y a plus de trente ans par les premières personnalités qui ont créé l'écologie politique.

      Ivan Illich a ainsi dénoncé ce qu'il appelle les " contre productivités ". Avec Jean Pierre Dupuy il a ainsi calculé que si on additionne toutes les heures passées non seulement à se transporter en voiture, mais également à construire les véhicules, à les entretenir, à les alimenter en énergie etc. alors la vitesse moyenne était de l'ordre de sept kilomètres à l'heure. Du point de vue du " rendement social " il est donc plus raisonnable de circuler à bicyclette !

      Depuis le capitalisme s’est transformé. Il nécessite de plus en plus que les individus s'impliquent dans la course effrénée à la productivité.

      La force de travail est de moins en moins appelée à fournir un travail mécanique ; elle est de moins en moins la force physique et de plus en plus la force de l'imagination. La valeur économique est de moins en moins liée à l'énergie et de plus en plus à la coordination sociale et à l'utilisation des forces intellectuelles, scientifiques et techniques développées par l'humanité. Le problème est que les indicateurs de l'implication des individus en sont restés à une comptabilité physique caricaturale de l'effort. La course à l'efficacité constitue ainsi un contresens vis-à-vis de ce qui fait la productivité sociale générale.

      Les faux frais de cette course sont désormais plus de nature psychologique, voire psychiatrique, que physique. Les perdants ne sont pas seulement ceux qui sont condamnés au chômage ou à l'exclusion. Les dégâts de la compétition économique sont devenus invisibles. Ils s'appellent le stress et le harcèlement moral qui engendrent absentéisme, détérioration des relations familiales et sociales, dépressions nerveuses, maladies psychiques, consommation excessive de tranquillisants et de psychotropes, conduites à risques dangereuses pour les autres et pour soi-même. Le coût social de tous ces phénomènes plus ou moins visibles et conscients est difficile à estimer mais ne fait que s'accroître.

      À côté de la croissance visible de la richesse visible, il y a la croissance invisible des dégâts invisibles, notamment psychiques. C'est pourquoi le doute s'est insinué dans les esprits. De même qu'il n'est pas sûr qu'en passant de la bicyclette à l'automobile la vitesse moyenne de déplacement se soit accru, de même il n'est pas sûr qu'en exacerbant la compétition économique et la différenciation individuelle des revenus la société se soit enrichie.

      À l'échelle mondiale les statistiques rendent visible à l’œil nu qu'il n'en est pas ainsi. La pauvreté absolue de l'humanité augmente. Les inégalités entre les pays riches et les pays pauvres s'accroissent.

      En conclusion il faut que nous inventions des systèmes de reconnaissance, de rémunération et de sanction des mérites et des défaillances individuelles qui au lieu d'amplifier les inégalités les réduise au nom de la justice et de l'efficacité.

      Au nom de la justice il ne faut pas les annuler parce que les individus ont besoin d'être reconnus par la société comme responsables de leurs actes et de leur vie.

      En tant qu'économistes il faut aussi que nous ayons un système de régulation qui tende à diminuer les gaspillages et à stimuler l'émulation constructive entre les individus sans que cette émulation ne soit dénaturée en une paralysie stressante et contre-productive.
       

    4. Pour une instance de jugement collective en lieu et place d'un marché myope et versatile
      1. Responsabilité individuelle et responsabilité collective du chômage

      2.  

        Deux questions se posent ici.
         

        1. Qui est responsable du chômage ?

        2.  
        La première question est celle de savoir si le chômeur est responsable de son chômage.

        Les économistes néolibéraux nient qu'il puisse exister un chômage involontaire.

        Les économistes keynésiens par contre affirment qu'il existe un chômage involontaire. Quels que soient les mérites des individus, il y a selon ces derniers une partie de la population active que le système condamne statistiquement au chômage au-delà du seul chômage structurel. Si donc c'est la société dans son ensemble qui est responsable de l'existence d’un chômage involontaire, la question se pose d'organiser la solidarité avec les victimes de ce chômage involontaire, puisque ces victimes ne sont pas responsables de leur malheur. Mais ici encore il ne faut pas passer de l'extrême à l'autre : réciproquement tout chômage n'est pas involontaire et c’est justice que de vouloir inciter les individus qui sont responsables de leur chômage volontaire à le résorber et à ne pas avoir un comportement de passagers clandestins vis-à-vis des victimes du chômage involontaire en bénéficiant sans effort de la solidarité nationale.

        Le problème est ce que les économistes appellent " l’asymétrie des informations ". Les pouvoirs publics n'ont pas de méthode simple, efficace et juste pour reconnaître un chômeur volontaire d'un chômeur involontaire.

           
        1. Comment sanctionner le chômage volontaire ?

        La seconde question est de savoir comment sanctionner le chômage volontaire, ou, ce qui revient au même, comment inciter les chômeurs volontaires à retrouver du travail. Il faut le faire puisqu'il serait injuste vis-à-vis de ceux qui sont vraiment victimes du chômage involontaire de ne pas sanctionner les responsables d’un chômage volontaire. Comment le faire ?

        C'est le problème de que depuis Aristote on appelle celui de la justice distributive. Comment proportionner les rémunérations et les sanctions aux mérites ou aux fautes ? Il faut que l'amplitude des modulations ne soit pas excessive. De même qu'il est inique de condamner à mort un voleur de poule, de même il est inique de condamner au chômage l'ouvrier que l'âge ou la paresse rendra moins performant que son jeune camarade. Il faut laisser momentanément de côté la question de savoir si la paresse est un droit comme le disait le gendre de Marx, Lafargue.
         

      3. Le droit à une augmentation du revenu avec l'âge

      4.  

        D'ailleurs il faut comprendre entre la productivité individuelle réelle et l'effort délibéré et conscient qu’il y a une différence qui croît au fur et à mesure de la socialisation des forces productives. En effet c'est une expérience communément partagée de constater que lorsqu'on apprend un nouveau savoir-faire, par exemple monter à bicyclette, les premiers moments requièrent un énorme effort d'attention et un très grand nombre d'essais et d'erreurs préjudiciables à la " productivité " de l'opération. Ce n'est qu’au bout d'un certain temps, où le savoir-faire est devenu automatique et inconscient, une " routine " comme disent les informaticiens, que l'esprit conscient peut soulager son effort et fonctionner à l'économie de manière efficace. Dans cet exemple on voit comment ce sont des mérites et des efforts conscients et passés, devenus inconscients et réflexes, qui expliquent la productivité présente. Cette sagesse et ce savoir-faire qui permettent d'économiser les gestes et les forces croissent avec l’âge. C'est pourquoi il est équitable et efficace d'augmenter cette " rente ", ce droit de tirage individuel sur la productivité globale, avec l'âge des individus. Il faut évidemment qu'il y ait une procédure d'évaluation qui ne laisse pas au seul arbitraire patronal le soin de juger que la modulation est " juste ". Il serait injuste que le patron soit à la fois juge et partie. Mais en sens inverse il serait injuste et inefficace de " forfaitiser " d'une manière aveugle cette rente. D'où la nécessité d'un tiers médiateur qui soit en même temps un tiers évaluateur. D'où la nécessité de sortir du face-à-face entre le patron et le salarié pour évaluer le droit de tirage de l'individu sur la rente du progrès scientifique et technique.
         

      5. Rente à court terme et rente à long terme : le marché est pressé et myope
        Cette opération d'évaluation est complexe parce qu'elle doit tenir compte à la fois du court terme et du long terme. En effet à court terme on est d'autant plus efficace qu'on utilise des routines intériorisées qui permettent de travailler automatiquement et le moindre effort. Par contre de temps en temps il faut savoir contre avec ces routines et au prix d'un effort exceptionnel passer à un autre régime de croisière. L'épistémologie des sciences a popularisé cette notion de rupture qui fait passer d'une science normale à une autre au prix d'un bouleversement. Notre société réclame de plus en plus souvent de telles ruptures dans la production. La tâche est difficile pour des évaluateurs de mesurer ces changements, d'en évaluer les conséquences économiques et sociales et de calculer la juste rémunération qu'il revient d'accorder à ceux qui en sont à l'origine. Nous sommes ici dans un contexte qui devient plus en plus fréquent dans le domaine de l'écologie lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre le principe de précaution, c'est-à-dire de décider dans un contexte d'incertitude radicale. Pour des raisons qu’il serait trop long de développer ici la solution qui semble se dégager dans les sociétés démocratiques consiste à s'en remettre à des techniques de démocratie participative, à savoir des panels de citoyens : devant un jury de citoyens tirés au sort, où l'idiot de village à la même voix qu'Albert Einstein, les experts et les contre experts dans un débat public et contradictoire ont à convaincre les simples citoyens quand leur âme et conscience ils seront en dernière instance à faire tel ou tel choix.
         
  4. Comment fonder, financer et réguler l'habeas corpus du troisième millénaire ?
    1. La (re)fondation sociale comme articulation de la loi et du contrat

    2.  

      Dans la conception libérale de l'économie la société est constituée par une multiplication à l'infini de contrats bilatéraux.

      Je suis responsable de la commission économie des Verts en France (néanmoins mon discours n'engage pas cette dernière). En tant que Vert je voudrais opposer une conception selon l'écologie politique de la Refondation sociale qui s'oppose à celle du patronat. Cette dernière est conforme à une vision libérale de la société. Dans celle-ci la société est une société de marché. En faisant allusion à une phrase célèbre Lionel Jospin, il n'y a pas de différence entre la société de marché et l'économie de marché.
       

      1. Défaut ou incomplétude du marché ?

      2.  
      Dans la réalité on constate que la société n'est pas une société de marché. Les doctrinaires de l'économie libérale appellent cela les défauts du marché. Il s'agit d'imperfections auxquelles il s'agit de remédier en corrigeant les défauts du marché. Le mot défauts est la traduction en français du mot anglais failures. Mais en réalité ce dernier mot vient lui-même du français fêlures. Les économistes qui critiquent la conception libérale de l'économie préfèrent parler d'incomplétude du marché. Apparemment entre les deux mots il n’y a qu'une question de quantité. L'écart introduit par la fêlure est infinitésimal. Par contre si on parle d'incomplétude du marché il faut qu’il y ait quelque chose de substantiel qui viennent combler l'écart entre le marché et ce par rapport à quoi il est incomplet, la société. D'un point de vue qualitatif et topologique on voit qu'il suffit d'une fêlure pour fragiliser à l'extrême la cohésion sociale. Certes ce n'est ni le lieu ni le temps de faire de la philosophie ( ou de la psychanalyse lacanienne) et d’invoquer comme constitutive de la nature humaine cette béance dans l'être (l'objet a) qui selon l'existentialisme (ou Lacan) caractérise notre condition.

      Bien sûr cette fêlure est un signe d'espoir dans la mesure où par elle peut faire irruption quelque chose qui vienne détruire la coïncidence entre la société et l'économie de marché. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut également reconnaître l'amplitude de l'écart quantitatif entre la société et le marché.

         
      1. Insécurité économique et insécurité quotidienne
      La sortie de la crise de l'Etat providence vers le bas, vers la Refondation sociale que propose le patronat par la généralisation des relations contractuelles bilatérales, généraliserait l’insécurité dans la société qui est résumée par cette formule qu'a reprise et popularisée Robert Castel : " vivre au jour la journée ". Au lieu de perfectionner la sécurité des hommes on rendrait plus précaire leur existence quotidienne et on raccourcirait l'horizon temporel de leur projet.

      Dans la plupart des sociétés dites primitives on garantit aux individus le droit d'avoir une postérité et une descendance. Évidemment par rapport à nos propres conceptions le fait que les mariages soient arrangés par les familles nous choque. Mais les règles de la parenté garantissent aux individus de trouver une femme et d’avoir des enfants. Dans nos sociétés le contraste est cruel. Les individus n'ont pas de garantie par rapport à leur sécurité affective, par rapport à leur dépendance, par rapport à leurs revenus futurs, par rapport à leurs carrières professionnelles et par rapport à leur vieillesse. Il y a ainsi un terrible raccourcissement de l'horizon temporel. Cette précarisation généralisée semble aller à l'encontre du mouvement historique qui nous a fait passer en quelques siècles de l'Etat de sûreté à l'Etat providence.

      La question de la sécurité devient maintenant une obsession pour nos contemporains.

      C'est d'abord la sécurité physique et policière dans la rue, dans les transports en commun, la sûreté des biens et la sécurité des personnes. C'est également la sécurité économique. Risque de chômage. Risque de licenciements. Risque de pollution. Risques sanitaires. Risque de changement climatique. Bref multiplication des risques écologiques et sociaux.

      Bien évidemment il ne faut pas négliger ni mépriser les techniques d'assurance marchande qui permettent de mutualiser ces risques et de les supporter.

      Mais la pensée libérale a une tache aveugle qui consiste à ne pas voir que les contrats marchands reposent sur une autorité publique. Même dans la société la plus libérale il y a un Etat minimal qui fait en sorte que les contrats soient respectés et la police des personnes et des biens mise en oeuvre.

      Cette incomplétude de l'économie de marché est comblée par trois institutions qui en assurent les fondements. Selon Karl Polanyi il y a trois marchandises fondamentales dans nos sociétés qui sont vitales pour notre système économique et que le marché est incapable de produire et de reproduire. Il s'agit premièrement de la force de travail, deuxièmement de la terre et troisièmement de la monnaie.

      Notre construction européenne possède une institution régulatrice de la monnaie. Il s'agit de la banque centrale européenne. Si nous voulons assurer une cohésion d'ensemble du marché du travail et de notre système de protection sociale à l'échelle européenne nous devons créer une instance régulatrice de ce marché du travail, la Caisse européenne des formations, des carrières et des mobilités professionnelles (CEFCMP).
       

    3. La substance du droit créance sur la productivité sociale : la rente sociale due au progrès des sciences et des techniques
      1. L'imputation à tel ou tel individu des gains de productivité est de moins en moins possible : le droit de tirage collectif sur la productivité générale de la société

      2.  
      Le premier problème est celui que Marx désigne comme celui de la " socialisation des forces productives ". L'augmentation de la richesse sociale ne peut être imputée à l'effort de tel ou tel individu particulier. Il y a un progrès des sciences et des techniques général diffus. C'est pourquoi fondamentalement le fait de calculer le revenu sur une base individuelle devient de plus en plus problématique.

      Lorsqu'on étudie la croissance économique dans les années 60, on analyse la croissance par rapport à deux facteurs de production le capital et le travail. La productivité globale semblait résulter de l'addition de la productivité du facteur travail à l'addition de la productivité du facteur capital. Mais la productivité qu'on observe dépasse la somme des productivités partielles. Les économistes de l'époque, et en particulier en France M. Edmond Malinvaud, effectuaient des comparaisons internationales. Ce qu'ils n'arrivaient pas à expliquer ils l'appelaient le " résidu non expliqué ". Ils en attribuaient la cause au progrès des connaissances et à l'amélioration de la qualité de la main-d’œuvre, grâce à la diffusion de l'instruction. L'ordre de grandeur était de l'ordre du tiers de la croissance.

      Les économistes interprètent ce champ de phénomènes grâce à la théorie de la rente.

      En effet le progrès des connaissances des techniques fait l'objet d'une appropriation privée. C'est la question des droits de la propriété intellectuelle, des brevets et des licences et des diplômes qui sanctionnent avec des garanties publiques l'incorporation d'un certain savoir-faire aux corps de certains individus particuliers.

      Lorsqu'il y a concurrence, des innovations qui naissent à moment donné et qui sont appropriées de manière privée donnent momentanément un surcroît de profit qu'on appelle une rente différentielle extra. La concurrence amène à banaliser ces progrès et donc à faire disparaître cette rente différentielle extra et à la transformer en une amélioration générale de la productivité du capital ( celui-ci confisque donc en partie la productivité générale de la société). Inversement lorsqu'il y a amélioration de la productivité dans le collectif de travail, par exemple lorsque celui-ci améliore son savoir-faire et se coordonne mieux etc. cette amélioration aboutit là aussi à des rentes différentielles extra qui augmentent les profits des entreprises. Cela c'est au niveau de la production.

      Ensuite se pose la question de la distribution du surcroît de richesse ainsi produite.

      D'après les règles de répartition des revenus, le paramètre directeur de cette distribution de richesse est le taux de profit.

      Deux types de concurrence se jouent : la concurrence sur les marchandises et la concurrence sur les capitaux.

      Le fait qu'il devienne de plus en plus difficile au fur et à mesure de la " socialisation des forces productives " d'imputer à tel ou tel agent particulier, à tel ou telle machine particulière le surcroît différentiel momentané de productivité, conduit à découpler la distribution des revenus de la mesure de l'effort de tel ou tel individu particulier.

      Les économistes distinguent trois règles fondamentales de distribution des revenus : premièrement la règle salariale consiste à distribuer le revenu grosso modo proportionnellement au travail fourni ; deuxièmement la règle du taux d'intérêt ou encore du taux de profit consiste à fournir un revenu proportionnel à la masse des capitaux engagés ou immobilisés dans la production ; enfin la règle de distribution des revenus de la rente consiste à distribuer un revenu proportionnel à la valeur monétaire du titre de propriété privée sur des conditions générales de la production (qui ne sont pas des facteurs de production proprement dits).

         
      1. La distinction entre facteur et condition de production et la distinction entre intérêt et rente
      La distinction entre la rente et l'intérêt est celle entre les conditions générales de la production, l'exemple traditionnel est la chute d'eau qui donne une énergie gratuite, et les facteurs de production proprement dit. Si on reprend l'exemple de la chute d'eau l'appropriation privée de celle-ci permet de faire des économies d'énergie, ces économies d'énergie étant proportionnelles, en gros, au volume de la production ( et non pas au débit total de la chute). Mais l'énergie fournie par la chute d'eau est indépendante de son utilisation éventuelle. Il y a donc théoriquement découplage entre la propriété de la chute d'eau et la valeur monétaire des économies qu'elle est susceptible d'engendrer et qui dépendent de la nature et de l'intensité du processus de production.

      Ce qui est valable pour le facteur capital peut être transposé pour le facteur travail. Les êtres humains incorporent des savoir-faire, des tours de main et des qualifications qui augmentent leur efficacité économique. Le partage de ces gains de productivité entre le propriétaire du corps propre, le propriétaire du produit du travail et le propriétaire des machines dépend des conventions sociales pour les rapports de distribution.

      Les économistes de l'école néoclassique appellent capital humain la valeur monétaire capitalisée de tous ces gains de productivité potentielle. C'est une vision complètement fétichisée de la société où tout n'est que capital sous différentes formes, capital matériel (les machines, les bâtiments, les logiciels etc.), capital humain et même capital naturel (la fameuse chute d'eau).

      La tradition marxienne récuse une telle représentation de la société.

      Mais si on reste dans le domaine des marchés et de la circulation, alors la force de travail apparaît (mais n'est pas) comme une marchandise parmi d'autres qui possède différentes périodes de circulation et de reproduction. Dans le " monde " du marché du travail on peut donc utiliser les catégories du capital humain pour analyser les différentes périodes de circulation de la force de travail.

      Dans nos sociétés, et cela encore plus avec la mondialisation et la nouvelle économie, ces phénomènes de rente ne sont plus limités aux seuls domaines de la propriété agricole, ce qui justifiait historiquement l'appellation de rente foncière. Ils se généralisent à tous les secteurs de la vie économique.

      Cette généralisation justifie que les individus soient rémunérés de manière forfaitaire du seul fait qu'ils appartiennent à cette société qui devient de plus en plus efficace et produit de plus en plus de richesse matérielle avec de moins en moins de travail direct.

      Ceci justifie a posteriori les idées " solidaristes " de la fin du XIXe siècle (Léon Bourgeois, Emile Durkheim, Léon Duguit etc.) : les individus en naissant ont un droit de tirage, une créance, sur la société du seul fait de leur venue au monde et de leur appartenance à la société humaine. C'est le passage des droits libertés aux droits créances, des " droits de " aux " droits à ".

      Ceci justifie que chacun puisse bénéficier d'un revenu social d'existence inconditionnel et de niveau relativement élevé, de l'ordre du SMIC, cumulable avec les autres revenus.
       

    4. Pour financer cette créance : un impôt progressif sur le taux de profit

    5. Comment distribuer cette rente sociale ? Pendant un premier temps on se limite au produit intérieur brut. Pendant le quart de siècle qu'a duré la crise le partage entre le salaire et les profits s'est déplacé durablement en faveur de ces derniers : ils représentent 30 % du PIB alors qu'il n'en représentait que 20 % pendant les trente glorieuses. Un point de PIB représente à l'heure actuelle 80 milliards de francs : de quoi financer deux fois l'extension du revenu minimum d'insertion aux jeunes de 18 à 25 ans. Rééquilibrer en dix ans le partage salaires profits permettrait ainsi en fin de période d'avoir un flux annuel de 800 milliards de nos francs actuels. On n'est pas loin du financement d'un revenu social d'existence inconditionnel et cumulable pour tous. Rappelons que d'après les études économétriques un tiers du taux de croissance correspond au " résidu non expliqué " qu'on peut imputer progrès technique. À l'heure actuelle un tiers du taux de croissance correspond à un point de PIB.

      L'analyse microéconomique qui précède justifie la récupération des profits extra dus à la capitalisation de la rente sociale sur la productivité générale : elle consiste à rendre au collectif de travail le fruit de l'augmentation de sa productivité. Il faut alors distinguer dans la masse des profits ce qui correspond autour de profit normal, " concurrentiel ", et ce qui correspond à un taux de rente excessif. La seule manière d'opérer ce discernement consiste à mettre en place une imposition progressive du taux de profit et non pas du profit.

      L'inconvénient d'un parallèle entre l'impôt sur les personnes physiques et l'impôt sur les profits des sociétés consiste à faire abstraction de la taille des entités imposables. Si on mettait en place un barème d'imposition progressif sur les seuls profits absolus on pénaliserait les économies d'échelle et on supprimerait les avantages de la concentration capitaliste : il n'y a pas que des inconvénients à cette concentration. Si on veut neutraliser les effets de taille il faut donc imposer le taux de profit et non pas le seul profit absolu. L'échelle des taux d'imposition des taux de profit aurait un abattement la base qui correspond au taux de profit " normal " qui aura été convenu comme tel au terme d'une délibération démocratique. Ce taux devraient être de l'ordre de 3 % du capital avancé. Au-delà on aurait une échelle progressive d'imposition.

      Ces calculs extrêmement grossiers donnent un ordre de grandeur qui montre que la création de cet habeas corpus économique et social en Europe est une ambition raisonnable qui reste supportable pour la seule économie marchande.

      A fortiori si on considère que cette économie marchande n'est qu'une composante de la richesse nationale appelée à en être une part de plus en plus faible au fur et à mesure que se développe la réduction du temps de travail et que par compensation se développent les autres activités qui ne sont pas du travail, dans l'immédiat l'intégration du travail domestique dans les emplois de proximité du tiers secteur, à plus long terme les activités relationnelles libres de la vie affective et du développement culturel. Rappelons qu'à l'heure actuelle le travail domestique représente approximativement la moitié du produit intérieur brut.

      À côté du système monétaire de l'Euro il y aura les systèmes monétaires de solvabilisation des services locaux liés au développement du tiers secteur. Grâce à ces monnaies de compte plurielles on pourra disposer d'une comptabilité généralisée de la richesse sociale généralisée dans laquelle le produit intérieur brut représentera une part de plus en plus faible.

     

  5. Pour un statut européen du travailleur : créer une Caisse européenne des formations, des carrières et des mobilités professionnelles (CEFCMP)

  6.  

    Les transformations de la nouvelle économie appellent une mobilité et un redéploiement constants de la force de travail. Elles appellent également l'alternance de périodes de travail direct et de périodes de formation, de reconversion ou de repos. S'impose petit à petit l'idée qu'il faut dissocier le temps de travail direct et la perception d'un revenu. Le travailleur dispose d’un revenu plus par son statut que par un contrat de travail salarié.

    La question qui se pose est de savoir comment mutualiser ces différents coûts.

    Ainsi M. Boissonnat imagine que des entreprises peuvent se regrouper pour offrir globalement à la population de leurs salariés des garanties collectives d'emplois, de congé de formation, de congé de reconversion etc. D’autres imaginent des formules de compte épargne temps.
     

    1. Pour un droit créance objectif et opposable à une caisse d'assurance universelle médiatisant le rapport entre employeurs et salariés

    2.  

      De telles formules présente deux caractéristiques essentielles.

      1. Perfectionner les techniques d'assurance pour mutualiser les risques économiques et sociaux à une échelle européenne

      2. La première consiste à appliquer et à généraliser au marché du travail les techniques d'assurance qui permettent de mutualiser les " risques " : risques de licenciements, risques de mobilité professionnelle, mais également " risques " familiaux ( naissance et éducation des enfants, aléas de la vie affective moderne, etc.), " risques " de formation, de développement personnel (voyages, temps de congé culturel, etc.), " risques " liés aux engagements associatifs et politique etc.. Ces techniques d'assurance permettent de faire progresser la réalité et le sentiment de sécurité.
         
      3. Introduire un tiers médiateur dans les contrats de travail bilatéraux

      4. La deuxième caractéristique consiste à inventer un type de relations juridiques nouvelles qui comprennent trois parties et non pas deux comme dans le contrat de travail classique. Il y a d'une part l'employeur qui utilise le travail direct et d'autre part le salarié qui est subordonné de manière limitée dans l'espace et dans le temps à l'employeur comme dans le contrat de travail classique. Mais il y a en outre une tierce partie qui intervient dans le contrat comme un assureur intervient dans un emprunt d'un individu auprès d'une banque.
      5. Cette tierce partie d'une part garantit l'observance du contrat par les deux parties : il s'agit d'une autorité régulatrice.
      6. Mais d'autre part en cas de conflit ou de rupture, elle intervient en tant que médiateur pour opérer un arbitrage est trouvé une solution voire se substituer à l'une des parties comme recours : il s'agit d'une autorité médiatrice.
      7. Enfin dans la mesure où elle représente la société dans son ensemble et où elle distribue une partie de la rente liée aux progrès de la productivité d'ensemble il s'agit d'une autorité rémunératrice.
      Cette tierce partie a donc toutes les caractéristiques d'une institution publique.
       
      1. L'extension et l'universalisation de la mutualisation
      Si on reprend les idées qui ont été popularisées par le rapport de M. Boissonnat et par le rapport de M. Suppiot, il faut se poser la question de savoir sur quelles bases établir la solidarité entre les travailleurs.

      Ici aussi il y a un problème d'assiette. Pourquoi ne pas mutualiser au maximum cette gestion de la force de travail ? Pourquoi se limiter à un seul secteur ? Pourquoi ne pas prendre tout un bassin d'emploi voire tout l'espace géographique national ? Plus l'extension géographique ou sectorielle est grande et plus le nombre de liberté est grand.

      Mais un autre il y a une question de justice. En effet si un tel progrès social est réalisé sur une base volontaire, il risque d'être le fait de grandes entreprises " modernistes ". Il y aura alors inégalité des salariés. Bien sûr c'est déjà le cas entre les salariés qui bénéficient d'un contrat à durée indéterminée, notamment les fonctionnaires, et les autres salariés. Cette inégalité est croissante puisque les formes de travail précaire se multiplient et concernent un nombre grandissant de salariés. C'est une question de justice de combattre cette inégalité de statut en offrant un statut national de travailleur identique à tous. En d'autres termes il s'agit de " nationaliser " (ou plutôt de lui donner une extension juridique européenne) le marché du travail. Mais cette nationalisation est hybride. Ici aussi il y a un problème de justice.

     
    1. La matérialisation d'un droit à un avenir et à une postérité
      1. Externaliser, universaliser et rendre public le service rendu par les directions des ressources humaines (DRH) des grandes entreprises
    Le modèle qui peut servir de guide à ce " service européen des ressources humaines " est offert par les directions des ressources humaines (DRH) des grandes entreprises. Dans les grandes entreprises en effet ces services assurent d'une part la formation interne et d'autre part également la mobilité de la main-d’œuvre entre les différents établissements, voire entre les différents pays d'implantation. En outre un système perfectionné d’évaluation et d'entretien individuel permet de conseiller les individus dans leur plan de carrière à l'intérieur des entreprises. Les salariés perdent le bénéfice de ces services lorsqu'ils quittent les entreprises.

    L'idéal de justice qu'on poursuit en proposant de nationaliser la gestion, la formation et la mobilité de la force de travail conduit à vouloir proposer ses services à l'ensemble des salariés et non pas à ceux des grandes entreprises. Cette nationalisation correspondant en outre à une évolution spontanée du monde des grandes entreprises. En effet elles tendent toutes à se recentrer sur leur métier de base. Cela implique qu'elles externalisent les fonctions qui ne sont pas essentielles à leur production. C'est de plus en plus le cas des fonctions horizontales de recrutement, de formation, d'évaluation et de reconversion de la main-d’œuvre.

    On améliorerait même le fonctionnement de ces services en l'universalisant et en l'objectivant.

    1. En faisant bénéficier ces services les salariés des petites entreprises, voire les artisans, les commerçants et les agriculteurs, c'est-à-dire les individus et pas seulement les salariés, on améliorerait la productivité générale de la société dans son ensemble et pas seulement celle de ce sous-ensemble particulier qui est constitué par les grandes entreprises.
    2. Mais d'autre part en séparant soigneusement le juge, le représentant de la société dans son ensemble, et la partie, l'employeur, on améliorerait la justice et l'efficacité de l'évaluation individuelle des salariés, en particulier lorsqu'il s'agit d'évaluer son employabilité. On pourrait prendre en compte non seulement la productivité immédiate du travailleur et la rentabilité immédiate de l'entreprise, mais on pourrait prendre en considération l'apport du travailleur à la collectivité dans toutes ses activités, économiques, familiales, politiques et associatives, culturelles etc., et on pourrait tenir compte des objectifs stratégiques de l'entreprise et de l'évolution de son contexte.
      1. Le droit à la dignité, à l'estime de soi des salariés et à la reconnaissance sociale :

      2. Les individus ont besoin d'être socialement reconnus et de pouvoir s'estimer eux-mêmes. Il s'agit là d'écologie mentale. Pour cela ils ont besoin d'être évalués par leurs pairs et ont droit à ce jugement, à commencer dans leur vie professionnelle. Le " service européen de gestion de la main-d’œuvre "(Caisse européenne des formations, des carrières et des mobilités professionnelles (Caisse européenne des formations, des carrières et des mobilités professionnelles (CEFCMP)) leur délivrerait ce jugement qui est tellement nécessaire à leur consistance et à leur sécurité psychologique. En plus de ce service fondamental, cette institution européenne doit leur prodiguer des conseils de carrière et les aider à exercer leur droit à la mobilité.
         
      3. Le droit à un revenu social d'existence

      4. Ce service doit en outre verser une composante du revenu celle qui correspond à la créance des individus sur la productivité générale de la société. Cette composante est versée de manière inconditionnelle et cumulable avec les autres revenus ; elle doit permettre de vivre de manière autonome. Son montant doit croître au cours du temps pour tenir compte de la contribution croissante des individus à la productivité générale même si cette contribution ne fait l'objet de leur part d'aucune connaissance claire et distincte. Cette modulation individuelle résulte de l'évaluation qui est mise en oeuvre par le service national de gestion de la main-d’œuvre. Cette évaluation doit donner des garanties d'objectivité et d'impartialité : elle doit faire l'objet d'une procédure objective et contradictoire. On peut imaginer différents dispositifs dans lesquels les intérêts du salarié soient défendus soit par une espèce d'avocat, soit par des représentants des organisations syndicales, et ceux de la société par une espèce de procureur. On peut également imaginer des procédures de type jury. Dans tous les cas de figure une obligation de confidentialité absolue doit être respectée.

        Dans la mesure où cette institution doit distribuer un revenu, composante de base du revenu d'activité dont les autres composantes doivent être modulées en fonction du jugement de l'employeur et des mérites individuels et identifiables du salarié, il convient de lui donner le nom de caisse.

        Comme il s'agit d'un droit universel il faut qu'elle soit au moins nationale sinon européenne.

        Dans la mesure où cette institution est d'une part chargée de faciliter la flexibilité et le redéploiement permanent de la main-d’œuvre tout en la rassurant et en lui donnant la sécurité à laquelle elle a droit et d'autre part à donner à chaque individu un droit à une carrière et donc à une augmentation constante des revenus, il convient de l'appeler " Caisse européenne des formations, des carrières et des mobilités professionnelles (CEFCMP)).
         

      5. La gestion de proximité d'un droit européen universel

      6. L'individualisation des revenus a une autre limite à savoir le fait que la consommation ne soit pas strictement individuelle, même si dans nos sociétés les familles ont restreint leur taille et ont multiplié leurs formes, elles restent les unités de base de la consommation et des échanges affectifs entre les générations. Le revenu ne peut donc pas être complètement individualisé. Il doit être modulé en fonction de l'organisation quotidienne de la consommation familiale. C'est pourquoi le revenu social d'existence doit être modulé et agrégé pour former le revenu social de base des unités familiales.

        Techniquement cela implique qu'il y ait combinaison et intégration des revenus de transfert versés par les caisses d'allocations familiales, le revenu minimum d'insertion et le revenu social d'existence. En outre un certain nombre d'aides comme les aides au logement ou des aides exceptionnelles comme l'allocation de rentrée scolaire, les allocations de vacances etc. doivent être prises en compte dans une perspective longitudinale. La " caisse européenne des carrières et de la mobilité professionnelle " ne peut pas s'intéresser exclusivement aux seules carrières professionnelles. Elle doit également articuler les carrières professionnelles des individus avec leurs " carrières " familiales, associatives et culturelles.

        C'est pourquoi si d'un côté le droit créance habeas corpus européen doit être universel, sa gestion ne doit être faite au niveau géographique le plus fin compatible avec un minimum de mutualisation dans un bassin d'emploi. En France l'échelon géographique qui paraît adéquat semble le pays. C'est l'unité de base de la loi d'orientation de l'aménagement durable du territoire de juin 1999. Leur nombre est environ 500 en France. Rappelons que les caisses d'allocations familiales sont départementales et qu'elle distribue à leur actuel d'une part les allocations familiales et d'autres part le revenu minimum d'insertion. Enfin elles ont des réseaux d'assistantes sociales qui servent d'appui aux femmes en difficulté et elles sont des partenaires incontournables pour la gestion des crèches. Or, de fait, le développement de l'habeas corpus européen consistera à promouvoir la parité dans la production. Cela complétera la parité politique.

    1. Les prestations de la caisse européenne
    En résumé on peut récapituler les différentes prestations que chaque citoyen en Europe sera en droit d'attendre de la caisse européenne :
     
    1. validation européenne des formations
    2. valider et aider à réaliser des " tour d'Europe " comme condition d'accès à un " compagnonnage " européen
    3. conseil pour les formations
    1. calcul et liquidation du droit créance
    2. l'émission des contreparties en monnaies locales des composantes en nature du revenu social d'existence
    3. solvabilisation des emplois de proximité et promotion de la parité économique en faveur des femmes
    4. la gestion des différents comptes d’épargne temps


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