La parité hommes et femmes dans l’économie
Séance du 30 mai 2001
 
Introduction
 

Bernard GUIBERT :

Bernard Guibert resitue cette séance dans l'ensemble des huit réunions des " états généraux de l'écologie politique " (EGEP) consacrées à la question de " l'écologie du travail et au revenu social d'existence " (atelier B4 B5). Dans le calendrier primitif cette séance aurait dû être la septième, l'avant-dernière, et non pas la dernière dans le temps. En effet pour des raisons de disponibilité la huitième et dernière séance dans l'ordre logique, celle consacrée à la fin du travail, a déjà eu lieu.

Jacqueline LORTHIOIS a été chargée de préparer cette réunion.

Les hasards des rencontres au cours de colloques divers ont conduit Bernard Guibert à faire un texte pour une conférence à Tokyo sur la comparaison des parités économiques hommes femmes en Europe. Malheureusement ce texte est en anglais. On en mettra une traduction en français sur le site des EGEP.

Jacqueline LORTHIOIS :

Jacqueline LORTHIOIS présente Margaret MARUANI qui travaille depuis plus de trente ans sur ces questions et a fourni une abondante bibliographie dans son livre : "Le bonheur des dames".

Dans sa propre expérience Jacqueline LORTHIOIS a rencontré le problème de l’égalité économique entre les hommes et les femmes à trois reprises.

Pour conclure le rappel de ces trois modestes expériences, il est frappant de constater que si la loi a changé, la réalité elle n’a pas beaucoup changé. Même dans la haute fonction publique, selon le rapport MOLCOU, l’inégalité entre les sexes reste extrêmement importante.
 
 
Exposé de Margaret MARUANI
 

L'obtention de la parité politique n'est pas la fin de la lutte pour la parité tout court. D'autant plus que la parité économique est ressentie comme une gêne. Je ne voudrais pas que la parité (politique) chasse l’égalité (économique).

La proportion des femmes chez les salariés est passé de 34 % à 46 %. Autrement dit quantitativement on est arrivé à la parité. Il s'agit là d'un changement massif. La féminisation du monde du travail a littéralement explosé. Il s'agit d'un bouleversement fondamental du statut de la femme, une véritable lame de fond que rien n'a arrêtée. Mais la parité n'est pas la même chose que l’égalité. La féminisation n'a pas abouti à une réduction des inégalités. En trente ans la croyance dans le progrès s'est détériorée. Certes il y a peu de données objectives pour le prouver. D'une part la mutation est colossale. Mais d'autre part l'inégalité entre les hommes et les femmes semblent résister, perdurer et rester extrêmement coriaces. Aucun constat simple ne tient. D'autre part les comportements se rapprochent. Deux lectures sont possibles. La première est que tout a changé. C'est vrai. La seconde est que rien n'a changé. C'est également vrai. La réalité est-elle à la fois blanc et noir, grise ?


 
Discussion générale
 
Francine COMTE :

Francine COMTE soulignait l'imbrication entre la vie de famille et la vie au travail. La sphère privée n’est plus séparés de la sphère professionnelle. Elle mentionne l'existence d'un collectif national des droits des femmes. Elle souligne la contradiction entre la revendication d’autonomie grâce au travail et la condamnation au temps de travail partiel imposé par les employeurs. Elle dénonce également les illusions de la deuxième loi de Martine Aubry.

Jean ZIN :

Selon Jean ZIN il n'existe pas d'égalité en général ne serait-ce que parce qu'il existe différentes classes sociales et l'égalité a reculée globalement pendant la dépression. La revendication d'égalité des femmes fait donc partie d'une revendication plus générale de réduction des inégalités mais plutôt que d'égalité il faudrait parler d'un accès non-discriminatoire aux hiérarchies.

Françoise DUTHU :

Françoise DUTHU se présente comme enseignante en économie dans le premier cycle à l'université. Elle se sent concernée, en tant que femme, par la question de la double journée du travail. Pour pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, il est évident pour elle qu'il faut passer au " temps partiel choisi ".

Elle pose une question aux sociologues pour savoir quels sont les rapports entre le patriarcat traditionnel et le pouvoir. Peut il y avoir quelque lumière de la part de la sociologie ou de la psychanalyse ? Ce qui est premier, lui semble-t-il, c'est la famille par rapport à la profession. C'est pourquoi pour les femmes le travail n'est pas l'essentiel.

La détresse psychologique des femmes est très grande. Elles croient qu'elles ne sont pas à la hauteur et qu'elles ne vont pas arriver à concilier vie professionnelle et vie familiale. Pourquoi est-ce que cela retombe exclusivement sur les femmes ? Elles ont la certitude d'être moins bonnes que les hommes ! Les femmes s'évaluent de manière moins orgueilleuse que les hommes. Au fond elles s'évaluent elles-mêmes suivant des valeurs "féminines" et non pas "masculines". Elles veulent garder leurs chances sur le plan de la séduction.

Pierre GENEST :

Pierre travaille dans un centre de recherche d'EDF. En tout il y a 2 600 salariés. Dans les années 80, 50 % des effectifs de ce centre de recherche était constitué par des cadres. En l'an 2000 cette proportion est passée à 60 %. Il mentionne qu’un tract de Sud demande pour le 8 mars la parité aux élections professionnelles. Il y a donc une évolution considérable en vingt ans : la proportion des femmes dans ce laboratoire de recherche est passée de 18 % à 26 %. Entre 1980 et l'an 2000 la proportion de cadre de sexe féminin est passée de 12 % à 20 %. Mais la proportion des femmes parmi les cadres supérieurs n’est que de 5 %. Ni les entreprises, ni les syndicats ne veulent être responsables des aspects positifs de la mondialisation !

Madame X :

Madame X (je n'ai pas très bien compris ce qu'elle a dit) pense qu'il y a un schéma historique qui fait que dans les transformations économiques ce sont d'abord les hommes qui s’impliquent eux mêmes, avant impliquer d'autres hommes et enfin avant d’impliquer des femmes. On peut appliquer ce schéma par exemple à la guerre. D'abord exclusivement réservée aux hommes maintenant la guerre implique aussi les femmes. Il semble que les êtres masculins aient peur de la concurrence des femmes. C'est pourquoi pendant des millénaires ils ont conditionné ces dernières afin de leur faire croire que les hommes étaient plus intelligents qu'elles. À notre époque chacun demande d'avoir plus que la génération précédente. Mais cette attente est inégale suivant les sexes. Les femmes ont été conditionnées pour être moins ambitieuses et moins exigeantes que les hommes. Mais les mentalités évoluent. Même si les hommes incompétents se serrent les coudes pour consolider leurs privilèges et leur domination sur les femmes. Le travail à temps partiel représente un nouvel esclavagisme. En 1981 alors que les hommes sur un même poste gagnaient 6500 F par mois les femmes à temps partiel n'en gagnaient que 3500. À notre époque on retrouve une dualité à l'intérieur du monde des femmes. Il y a d'une part les cadres, souvent des fonctionnaires, qui utilisent le temps partiel pour avoir le mercredi après-midi libre. Et puis il y a celles, les plus nombreuses, qui gagnent 10 F par jour. Il faudrait développer une démocratie pour tout le monde et combattre le règne des petits pouvoir et des petits chefs.

Serge VOLKOFF :

Serge VOLKOFF commente le titre de l'atelier : "écologie du travail". Aujourd'hui il s'agit de focaliser cette approche écologique sur la question de l'égalité entre les hommes et les femmes et sur la question de la mixité sur le lieu de travail. D'après son expérience en ergonomie il voudrait faire un parallèle avec la question de l'âge pour montrer combien la mixité est un facteur bénéfique sur les conditions de travail.

En conclusion, il convient plutôt de rendre tous ces métiers "mixtes".

Brigitte CROFF :

Brigitte CROFF commente la professionnalisation du travail domestique. On parle en effet de "gisements d'emplois " dans le travail domestique.

Selon des études réalisées par la DARES on se rend compte que le temps de travail des femmes qui ont une activité salariée ne suffit plus pour assurer les tâches du travail domestique traditionnel. C'est pourquoi les responsables de la politique sociale ont développé des subventions : par l'intermédiaire de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) au bénéfice des personnes âgées pour éviter de les envoyer dans les hospices ; par l'intermédiaire de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) au bénéfice des enfants afin d'éviter une politique de construction de crèche qui est jugée trop coûteuse.

Mais les familles ne sont pas suffisamment solvables pour que les mères de famille sortent de la précarité. C'est pourquoi la puissance publique solvabilise sur le marché des emplois qui viennent aider les femmes à assurer leur charge de famille. C'est pourquoi on assiste à une espèce de " dérégulation des services publics " où le gré à gré marchand se substitue à l'action collective " gratuite " (payée par l’impôt). Progressivement on construit de façon collective une nouvelle forme de " domesticité collective " qui ressemble furieusement à celle qui s'était développée au XIXe siècle dans les classes bourgeoises. Cette résurrection s'oppose à l'abolition de la division sexuelle du travail, à l'abolition de l'aliénation spécifiquement féminine et à une modernisation des activités professionnelles de services aux personnes.

À cette division du travail "esclavagiste" il faut opposer l'analyse de ce qui donne de la "valeur" dans les relations personnelles. Pour cela il faut faire l'analyse de ce qui se passe dans le travail à domicile. On se rend compte que la délégation des tâches à l'intérieur des familles est l'objet à la fois de négociations et de représentations. Cela implique de former autrement les personnes qui viennent travailler à domicile pour qu'elles travaillent autrement que de manière mécanique et purement obéissante. En effet on s'aperçoit que les femmes refusent ce système de délégation. Il faut donc changer l'organisation et le travail des emplois familiaux. Les mouvements sociaux liés à la généralisation des emplois familiaux risquent donc de se retourner contre la loi de Martine Aubry. La question se pose de savoir comment articuler l'espace du privé, voire de l'intimité, avec l'espace marchand, voire l'espace public. Il s'agit de créer certes de nouveaux marchés pour des heures de travail d'emploi salarié et aussi des institutions. Cela n'est pas sans rappeler les problèmes qui sont analysés par Karl Polanyi dans son livre "La grande transformation".

 

Réponses de Margaret MARUANI

C'est un problème fondamental aujourd'hui. Il s'agit moins d'un problème normatif que de répondre à l'urgence sur la question générale de la valeur sociale du travail dans cette conjoncture de fin de période de crise de masse, et en conséquence de s'interroger sur la manière dont la compétence des femmes est reconnue ou pas dans notre société. Il faut se souvenir des travaux qui ont été conduits dans les années 60 par Madeleine GUILBERT où elle montre comment les industries naissantes de la construction électrique savaient à la fois utiliser l'habileté de couturière des femmes dans les pays de la Loire-Atlantique et ne pas les reconnaître en particulier au niveau du montant de la rémunération. Autrement dit cette habileté des petites mains de la couture qui avait été acquise gratuitement par l'industrie faisait l'objet d'une "dénégation sociale". Ainsi les femmes sont prédisposées et invitées à s'investir dans le relationnel et dans l'être plutôt que dans le faire. On pense par exemple aux métiers d’infirmière, de sage-femme. La dimension technique par contre des compétences mises en oeuvre par les femmes au travail est niée. Il y a donc deux types de regards sur le travail. Un regard masculin privilégie la dimension technique. Un regard féminin privilégie la dimension relationnelle.

Dans notre société les compétences sont socialement reconnues de manière brutale et quantitative par le niveau de salaire. Dans ces conditions la domesticité n'est effectivement pas un statut satisfaisant pour les femmes.

Pour mesurer les différences qu'il y a entre l'égalité, la parité et la justice, on peut prendre l'exemple, d'actualité récente, du travail de nuit. Comme chacun sait, on est revenu récemment sur l'interdiction du travail de nuit des femmes. Mais où est la liberté, l'égalité et la justice quand il s'agit d'interdire le travail des femmes dans la seule industrie, alors qu'on sait que l'essentiel du travail féminin est dans les services ? Où est la justice quand il s'agit de généraliser des conditions de travail qui sont malsaines ? Est-ce que l'égalité ne consisterait pas plutôt à aligner les conditions de travail des femmes sur celles des hommes, si elles sont plus avantageuses, et d'aligner celles des hommes sur les protections des femmes dans le cas contraire ?

Marie-Pierre MARTINET :

Marie-Pierre MARTINET reprend cet exemple de l’égalité à propos du travail de nuit. Et elle se demande s'il n'y a pas une ségrégation sexuelle des différents territoires. Les hommes n'investissent pas en effet les espaces domestiques qui sont "abandonnés" aux femmes. Cela revient à augmenter la visibilité du travail masculin et à le surévaluer.

Margaret MARUANI :

Margaret MARUANI se demande s'il n'y a pas un accroissement des droits des hommes.

Philippe TEMPLE :

Philippe TEMPLE revient sur le rôle des hommes à l'intérieur de la famille pour se demander s'il ne faut pas distinguer l'obligation de la possibilité. Un droit ne peut donner qu'une possibilité. S'agit-il ensuite d'obliger (ce qui risque de susciter beaucoup de réactions) les hommes à équilibrer leurs rapports avec les femmes à l'intérieur des familles. Ces inégalités par ailleurs diminuent avec l'âge dans la mesure où à partir de cinquante ans les charges occasionnées par les enfants deviennent plus légères : l'égalité entre hommes et femmes devient mécaniquement plus grande parce que le fardeau est plus léger et donc que l’inégalité des charges entre les hommes et les femmes diminue.

Margaret MARUANI :

Dans les pays scandinaves il n'y a pas de modèle unique pour les hommes et pour les femmes. D'autre part il faut distinguer ce qui se passe dans les pays scandinaves et ce qui se passe aux Pays-Bas. Dans les pays scandinaves s’est développée l’idée du congé solidaire des deux parents : cela aboutit à onze mois de retrait du marché du travail.

Françoise DUTHU :

Que peut-on attendre des différentes expériences des bureaux des temps ?

Margaret MARUANI :

Cela permet de mettre les différentes institutions, les usagers, les employeurs et les employés ensemble pour qu'ils discutent de la meilleure manière d'accorder les temps de la vie quotidienne.

Marie-Pierre MARTINET :

Cette expérience des bureaux des temps est extrêmement intéressante. En effet elle permet de lutter contre les nouvelles formes de travail qui sont désynchronisées. Elle permet également de mettre des limites à la flexibilité des hommes. Elle fait état de l'expérience, balbutiante, de la mairie de Paris. Pour beaucoup d'employés qui n'ont pas les moyens de vivre à Paris, il y a un antagonisme entre eux qui habitent la banlieue et les usagers de la ville qu'ils sont censés servir.

Ces bureaux permettent également de repenser les services et les commerces de proximité. Il s'agit certes d'un côté de flexibiliser un peu plus ces services. Mais d'autre part on peut collectiviser et mutualiser les dégâts de la flexibilité. Or l'accélération des rythmes de la vie quotidienne constitue un nouveau type de " pollution " qu'on doit prendre en compte dans une " écologie du travail ". De même le stress et le télétravail ont des retentissements considérables dans cette " écologie ".

Serge VOLKOFF :

Serge VOLKOFF prolonge cette réflexion en opposant d'un côté les cadres T. G. V. qui sont outillés d'un portable et qui prennent rendez-vous avec leur secrétaire en ville et d'un autre côté les caissières de supermarchés qui ont un autre rapport aux contraintes temporelles, au stress et aux déplacements. Autrement dit les différentes heures de la journée ont des intensités et des contenus différents. Pour les caissières de supermarchés les aménagements du temps sont extrêmement bénéfiques. Il faut donc, dans le cadre des négociations sur la réduction du temps de travail, s'interroger sur le contenu concret de l’heure de plus libérée pour que les salariés, et notamment lorsque cette heure est dans une journée ordinaire de la semaine ou en week-end. Les femmes sont particulièrement sensibles à cette localisation de cette heure de plus dans la grille horaire hebdomadaire.

Marie-Pierre MARTINET :

Il y a tout le problème des guichets et des services municipaux, notamment des crèches. Mais le problème des crèches est moins important peut-être, compte tenu de la flexibilité des horaires de ce genre d'établissement, que celui des écoles dont les horaires sont extrêmement rigides. Il faut donc développer une réflexion qui va être nécessairement complexe sur le service public et sur les négociations entre les différents acteurs, "parties prenantes", de ces aménagements de temps.

Jacqueline LORTHIOIS et Margaret MARUANI :

Jacqueline LORTHIOIS et Margaret MARUANI concluent la réunion en faisant un parallèle entre la parité politique et la parité économique et se demandent comment faire des avancées en faisant l'économie de démarches volontariste voire violentes.
 


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