Bernard GUIBERT :
Bernard Guibert resitue cette séance dans l'ensemble des huit réunions des " états généraux de l'écologie politique " (EGEP) consacrées à la question de " l'écologie du travail et au revenu social d'existence " (atelier B4 B5). Dans le calendrier primitif cette séance aurait dû être la septième, l'avant-dernière, et non pas la dernière dans le temps. En effet pour des raisons de disponibilité la huitième et dernière séance dans l'ordre logique, celle consacrée à la fin du travail, a déjà eu lieu.
Jacqueline LORTHIOIS a été chargée de préparer cette réunion.
Les hasards des rencontres au cours de colloques divers ont conduit Bernard Guibert à faire un texte pour une conférence à Tokyo sur la comparaison des parités économiques hommes femmes en Europe. Malheureusement ce texte est en anglais. On en mettra une traduction en français sur le site des EGEP.
Jacqueline LORTHIOIS :
Jacqueline LORTHIOIS présente Margaret MARUANI qui travaille depuis plus de trente ans sur ces questions et a fourni une abondante bibliographie dans son livre : "Le bonheur des dames".
Dans sa propre expérience Jacqueline LORTHIOIS a rencontré le problème de l’égalité économique entre les hommes et les femmes à trois reprises.
L'obtention de la parité politique n'est pas la fin de la lutte pour la parité tout court. D'autant plus que la parité économique est ressentie comme une gêne. Je ne voudrais pas que la parité (politique) chasse l’égalité (économique).
La proportion des femmes chez les salariés est passé de 34 % à 46 %. Autrement dit quantitativement on est arrivé à la parité. Il s'agit là d'un changement massif. La féminisation du monde du travail a littéralement explosé. Il s'agit d'un bouleversement fondamental du statut de la femme, une véritable lame de fond que rien n'a arrêtée. Mais la parité n'est pas la même chose que l’égalité. La féminisation n'a pas abouti à une réduction des inégalités. En trente ans la croyance dans le progrès s'est détériorée. Certes il y a peu de données objectives pour le prouver. D'une part la mutation est colossale. Mais d'autre part l'inégalité entre les hommes et les femmes semblent résister, perdurer et rester extrêmement coriaces. Aucun constat simple ne tient. D'autre part les comportements se rapprochent. Deux lectures sont possibles. La première est que tout a changé. C'est vrai. La seconde est que rien n'a changé. C'est également vrai. La réalité est-elle à la fois blanc et noir, grise ?
On en a les preuves visibles et tangibles :
Cela implique une homogénéisation des carrières.
À cinquante ans le taux d'activité reste constant. Les femmes
restent extrêmement impliquées dans le travail domestique.
Les femmes assurent 80 % du travail domestique.
Dans le domaine de la scolarité, on assiste également à une rupture extraordinaire.
Le niveau scolaire des femmes dépasse désormais celui des hommes. Le tournant s'observe en 1970. Néanmoins on s'aperçoit qu'il y a une division sexuelle des filières. Les femmes restent confinées dans les matières littéraires. Comment peut-on expliquer de tels contrastes ? Il semble d'abord que socialement on surestime les capacités masculines. D'autre part on anticipe également une progression des carrières masculines, alors que les carrières des femmes semblent condamnées à l'avance à plafonner là où il y a des débouchés. Troisièmement et enfin il semble qu’il y ait des effets pervers de la mixité scolaire : l'émulation entre garçons et filles joue au détriment des garçons qui pensent pouvoir compenser dans leur avenir professionnel les infériorités momentanées qu'ils ont avec les filles.
Selon l'INSEE les filles valorisent mieux leurs études que les
garçons : elles finissent leurs études avec des diplômes
plus élevés que les garçons. Mais il demeure un "
retard " féminin. À moins qu'il ne s'agisse d'une reconstitution
des inégalités.
On observe également une ségrégation de l'emploi. Il n'existe pas de mixité professionnelle. La moitié de l'emploi salarié féminin est cantonnée dans les métiers " féminins ". Selon Maryse HUET de l'INSEE dans les années 80 six catégories socioprofessionnelles concentrait 52 % de l'emploi salarié féminin. Aujourd'hui ces mêmes catégories socioprofessionnelles en concentrent 61 %. Autrement dit non seulement les femmes sont concentrées dans des métiers particuliers, mais en outre cette concentration augmente. Ce phénomène n'est pas spécifiquement français. Sur le marché du travail les femmes ont de la difficulté accéder à des travaux qualifiés. Ainsi la féminisation d'un certain nombre de métiers exprime une dévalorisation de ceux-ci. On s'en aperçoit avec des métiers relativement prestigieux comme le métier d'avocat, le métier de magistrat ou d'enseignant. La féminisation de ces métiers a la signification sociale d'un déclassement relatif. Le nombre de femmes qui sont des cadres augmente. Elles représentent désormais 34 % de la catégorie socioprofessionnelle " profession d'encadrement supérieur ". Mais la responsabilité est souvent en dessous de leur diplôme. Il y a une transformation de l'emploi féminin qui passe de l'industrie au service. Dans ces derniers 80 % de l'emploi est féminin. Il s'agit de femmes qui sont des employées avec des bas niveaux de qualification et une grande précarité dans l'emploi. Il s'agit de temps partiel subi et non pas choisi. À l'intérieur de l'ensemble des femmes salariées on assiste à une bipolarisation croissante. Pour une minorité qui est reconnue la majorité vit un salariat d'exécution et d'exclusion. Autrement dit à l'intérieur du monde féminin les inégalités s'accroissent.
Dans les années 70 il y a eu plusieurs lois tendant à promouvoir l'égalité des sexes. En 1970 une loi impose l'égalité des salaires. En 1975 une loi interdit les discriminations entre les sexes. En 1983 la loi Roudy s’avère un échec.
Les entreprises ne respectent pas l'obligation du rapport annuel sur l'égalité entre les hommes et femmes. Le contentieux est faible. Autrement dit cette loi est sans résultat et sans sanction. Elle instaure une obligation de négocier sans qu'il y ait obligation de résultat. Autrement dit dans la réalité entre hommes et femmes ni le travail ni les salaires ne sont égaux. Comme le travail féminin est concentré dans un petit nombre de métiers et un petit nombre de secteurs, la notion de travail égal n'a pas beaucoup de sens. Se pose alors la question de savoir comment on peut évaluer la valeur d'un travail dans des métiers et des secteurs qui sont très éloignés les uns des autres.
Au Canada, au Québec, les qualités et les compétences
des hommes et des femmes s'avèrent appréciées de manière
très déformée. On assiste à ce paradoxe qu'il
vaut mieux être un homme gardien dans un zoo qu'une femme à
qui on confie la garde d'enfants ! Dans le deuxième cas on est moins
bien considéré, et en tout cas moins bien payé, que
dans le premier. Très souvent donc que les femmes sont surqualifiées
par rapport à ce qu'elles font. Mais la déqualification n'existe
pas en soi. Il s'agit d'une construction sociale.
Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes s'élèvent à 24 %. La situation en France correspond à la moyenne européenne. Les écarts de salaire entre hommes et femmes en Europe s'échelonnent entre 10 et 32 %. Les écarts sont plus élevés en Grèce mais également aux Pays-Bas.
Cet écart s'explique d'abord par des phénomènes de ségrégation qui vouent les femmes aux métiers les moins intéressants, les moins bien payés et les plus précaires. Mais si on fait abstraction de cette ségrégation, il reste un phénomène de " discrimination salariale pure " de l'ordre de 13 %.
À long terme l'écart de salaire entre les hommes et femmes se réduit. En 1950 il était de 35 %. En 1970 il était de 33 %, en 1980 de 28 % et en 1994 de 23 %. À ce rythme il faudrait un siècle pour combler les écarts. En outre on s'aperçoit qu'il y a une montée des bas salaires et une montée du temps partiel l'un pouvant expliquer l'autre. Selon les travaux de Christel COLIN et de Pierre CONCIALDI de l'INSEE, 3,5 millions de salariés sont en dessous du SMIC. La proportion entre 1980 et l'an 2000 est passé de 11 % à 17 %. Les emplois à très bas salaires (en dessous de 3700 F par mois) sont passés dans le même laps de temps de 5 à 11 %. Les très bas salaires sont à 80 % des femmes. Le travail à temps partiel correspond à des poches de pauvreté féminine. Les femmes sont donc victimes d'un processus de paupérisation : la réduction les inégalités est très très lente ; le nombre de très bas salaires progresse très rapidement est très fortement.
De même les salariés qui travaillent à temps partiel sont à 80 % des femmes. Ce phénomène s'observe partout en Europe. Mais en France la progression est très récente et très vive, essentiellement pendant les années 80. Ce qui est caractéristique de la France c'est que les femmes veulent travailler à temps plein. En France en effet, le temps partiel signifie la plupart du temps pour une femme qu'elle est sur la voie d'un départ définitif du monde du travail. Cette croissance du temps partiel s'explique par la combinaison de plusieurs facteurs, des aides données aux employeurs, des exonérations de cotisations et surtout en 1995 l'extension de l'allocation parentale d'éducation aux femmes de deux enfants.
Martine Aubry a supprimé 1 un certain nombre d'aides. " Combien l'Etat a-t-il payé pour provoquer ces millions de temps partiels ? "
Deux mondes sont aux antipodes l'un de l'autre, celui des femmes fonctionnaires qui sont libres le mercredi après-midi, et celui des caissières de supermarchés dont les horaires sont le plus souvent acrobatiques.
La très vive progression de ces temps partiels correspond à des recrutements dans les grands commerces, dans la restauration et dans les services. Les catégories socioprofessionnelles sont celles des employées : caissières, femmes de ménage etc.
Toutes ces femmes sont victimes d’horaires éclatés. La conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale est souvent un discours de façade. Il serait beaucoup plus important, qualitativement, de diminuer de deux heures par jour la charge du travail domestique plutôt que d'avoir une concentration de temps libre pendant les week-ends. Le débat public est mystifié par cette soi-disant " conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale ". Une grande partie des femmes sont en " sous-emploi déclaré ": 1,5 millions. À cause de la division sexuelle du travail le temps partiel n'intéresse pas les hommes.
L'exemple des Pays-Bas est significatif : 17 % des hommes contre 70
% des femmes sont à temps partiel. Les " working poors " sont essentiellement
des femmes qui travaillent à temps partiel. On mesure les effets
pervers de la prime de retour emplois (PRE) qui a été mise
en place suite au rapport de Jean PISANI-FERRY : certes d'un côté
le chômage diminue ; mais de l'autre côté la
" pauvreté laborieuse " augmente massivement. Certains économistes
prétendent qu'en France il y a un choix politique implicite pour
que le prix à payer de la diminution du chômage soit l'augmentation
massive de la pauvreté laborieuse.
Il existe un " sur-chômage " féminin. D'après l'enquête emploi de mars 2001, la moyenne du taux de chômage en France, de l'ordre de 10 %, renvoie à des situations contrastées. Du côté des hommes le taux de chômage est de 8,5 %. Du côté des femmes il s'élève à 12 % (près de 50% en plus !). Rappelons que pour les cadres masculins il s'élève à 4 %. Par contre pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans il est de 18 % chez les hommes et de 24 % chez les jeunes femmes.
Ce phénomène fait l'objet d'une "dénégation" sociale. On dirait qu'il existe une "tolérance sociale" vis-à-vis du chômage féminin. Pour l'opinion publique le chômage est moins grave pour les femmes. On retrouve ici le préjugé que le salaire féminin n'est qu'un salaire d'appoint.
Les femmes sont aux marges du marché du travail. Elles peuplent les effectifs du " chômage découragé ", du chômage contraint. Elles sont les victimes de la progression du chômage et du sous-emploi. Elles sont donc très sensibles aux incitations financières. On s'en est aperçu lorsqu'en 1994 l'allocation parentale d'éducation (APE) a été étendue aux femmes mères de deux enfants. À 98 % les bénéficiaires de l'allocation parentale d'éducation sont des femmes et non pas des hommes. D'autre part comme cette allocation est versée pendant trois ans, on assiste à un effet de cliquet : la sortie du marché du travail est quasiment définitive.
En conclusion l'emploi féminin apparaît dans notre société comme un symptôme, le symptôme de la tertiairisation la production, le symptôme de la salarisation de l'emploi, le saint homme du chômage de masse, le saint homme de la pauvreté laborieuse.
Le statut des femmes est certes bouleversé. Mais comme la pauvreté
laborieuse se développe les inégalités sont perpétuées.
Aucun bilan les possibles. On ne peut toutefois avancer que :
L'égalisation des conditions économiques entre les hommes et femmes piétine. Mais la liberté des femmes croît de manière extraordinaire. Mais l’accès au marché du travail des femmes correspond à une émancipation extraordinaire à laquelle elles ne sont pas prêtes à renoncer.
Francine COMTE soulignait l'imbrication entre la vie de famille et la vie au travail. La sphère privée n’est plus séparés de la sphère professionnelle. Elle mentionne l'existence d'un collectif national des droits des femmes. Elle souligne la contradiction entre la revendication d’autonomie grâce au travail et la condamnation au temps de travail partiel imposé par les employeurs. Elle dénonce également les illusions de la deuxième loi de Martine Aubry.
Jean ZIN :
Selon Jean ZIN il n'existe pas d'égalité en général ne serait-ce que parce qu'il existe différentes classes sociales et l'égalité a reculée globalement pendant la dépression. La revendication d'égalité des femmes fait donc partie d'une revendication plus générale de réduction des inégalités mais plutôt que d'égalité il faudrait parler d'un accès non-discriminatoire aux hiérarchies.
Françoise DUTHU :
Françoise DUTHU se présente comme enseignante en économie dans le premier cycle à l'université. Elle se sent concernée, en tant que femme, par la question de la double journée du travail. Pour pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, il est évident pour elle qu'il faut passer au " temps partiel choisi ".
Elle pose une question aux sociologues pour savoir quels sont les rapports entre le patriarcat traditionnel et le pouvoir. Peut il y avoir quelque lumière de la part de la sociologie ou de la psychanalyse ? Ce qui est premier, lui semble-t-il, c'est la famille par rapport à la profession. C'est pourquoi pour les femmes le travail n'est pas l'essentiel.
La détresse psychologique des femmes est très grande. Elles croient qu'elles ne sont pas à la hauteur et qu'elles ne vont pas arriver à concilier vie professionnelle et vie familiale. Pourquoi est-ce que cela retombe exclusivement sur les femmes ? Elles ont la certitude d'être moins bonnes que les hommes ! Les femmes s'évaluent de manière moins orgueilleuse que les hommes. Au fond elles s'évaluent elles-mêmes suivant des valeurs "féminines" et non pas "masculines". Elles veulent garder leurs chances sur le plan de la séduction.
Pierre GENEST :
Pierre travaille dans un centre de recherche d'EDF. En tout il y a 2 600 salariés. Dans les années 80, 50 % des effectifs de ce centre de recherche était constitué par des cadres. En l'an 2000 cette proportion est passée à 60 %. Il mentionne qu’un tract de Sud demande pour le 8 mars la parité aux élections professionnelles. Il y a donc une évolution considérable en vingt ans : la proportion des femmes dans ce laboratoire de recherche est passée de 18 % à 26 %. Entre 1980 et l'an 2000 la proportion de cadre de sexe féminin est passée de 12 % à 20 %. Mais la proportion des femmes parmi les cadres supérieurs n’est que de 5 %. Ni les entreprises, ni les syndicats ne veulent être responsables des aspects positifs de la mondialisation !
Madame X :
Madame X (je n'ai pas très bien compris ce qu'elle a dit) pense qu'il y a un schéma historique qui fait que dans les transformations économiques ce sont d'abord les hommes qui s’impliquent eux mêmes, avant impliquer d'autres hommes et enfin avant d’impliquer des femmes. On peut appliquer ce schéma par exemple à la guerre. D'abord exclusivement réservée aux hommes maintenant la guerre implique aussi les femmes. Il semble que les êtres masculins aient peur de la concurrence des femmes. C'est pourquoi pendant des millénaires ils ont conditionné ces dernières afin de leur faire croire que les hommes étaient plus intelligents qu'elles. À notre époque chacun demande d'avoir plus que la génération précédente. Mais cette attente est inégale suivant les sexes. Les femmes ont été conditionnées pour être moins ambitieuses et moins exigeantes que les hommes. Mais les mentalités évoluent. Même si les hommes incompétents se serrent les coudes pour consolider leurs privilèges et leur domination sur les femmes. Le travail à temps partiel représente un nouvel esclavagisme. En 1981 alors que les hommes sur un même poste gagnaient 6500 F par mois les femmes à temps partiel n'en gagnaient que 3500. À notre époque on retrouve une dualité à l'intérieur du monde des femmes. Il y a d'une part les cadres, souvent des fonctionnaires, qui utilisent le temps partiel pour avoir le mercredi après-midi libre. Et puis il y a celles, les plus nombreuses, qui gagnent 10 F par jour. Il faudrait développer une démocratie pour tout le monde et combattre le règne des petits pouvoir et des petits chefs.
Serge VOLKOFF :
Serge VOLKOFF commente le titre de l'atelier : "écologie du travail". Aujourd'hui il s'agit de focaliser cette approche écologique sur la question de l'égalité entre les hommes et les femmes et sur la question de la mixité sur le lieu de travail. D'après son expérience en ergonomie il voudrait faire un parallèle avec la question de l'âge pour montrer combien la mixité est un facteur bénéfique sur les conditions de travail.
Brigitte CROFF :
Brigitte CROFF commente la professionnalisation du travail domestique. On parle en effet de "gisements d'emplois " dans le travail domestique.
Selon des études réalisées par la DARES on se rend compte que le temps de travail des femmes qui ont une activité salariée ne suffit plus pour assurer les tâches du travail domestique traditionnel. C'est pourquoi les responsables de la politique sociale ont développé des subventions : par l'intermédiaire de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) au bénéfice des personnes âgées pour éviter de les envoyer dans les hospices ; par l'intermédiaire de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) au bénéfice des enfants afin d'éviter une politique de construction de crèche qui est jugée trop coûteuse.
Mais les familles ne sont pas suffisamment solvables pour que les mères de famille sortent de la précarité. C'est pourquoi la puissance publique solvabilise sur le marché des emplois qui viennent aider les femmes à assurer leur charge de famille. C'est pourquoi on assiste à une espèce de " dérégulation des services publics " où le gré à gré marchand se substitue à l'action collective " gratuite " (payée par l’impôt). Progressivement on construit de façon collective une nouvelle forme de " domesticité collective " qui ressemble furieusement à celle qui s'était développée au XIXe siècle dans les classes bourgeoises. Cette résurrection s'oppose à l'abolition de la division sexuelle du travail, à l'abolition de l'aliénation spécifiquement féminine et à une modernisation des activités professionnelles de services aux personnes.
À cette division du travail "esclavagiste" il faut opposer l'analyse de ce qui donne de la "valeur" dans les relations personnelles. Pour cela il faut faire l'analyse de ce qui se passe dans le travail à domicile. On se rend compte que la délégation des tâches à l'intérieur des familles est l'objet à la fois de négociations et de représentations. Cela implique de former autrement les personnes qui viennent travailler à domicile pour qu'elles travaillent autrement que de manière mécanique et purement obéissante. En effet on s'aperçoit que les femmes refusent ce système de délégation. Il faut donc changer l'organisation et le travail des emplois familiaux. Les mouvements sociaux liés à la généralisation des emplois familiaux risquent donc de se retourner contre la loi de Martine Aubry. La question se pose de savoir comment articuler l'espace du privé, voire de l'intimité, avec l'espace marchand, voire l'espace public. Il s'agit de créer certes de nouveaux marchés pour des heures de travail d'emploi salarié et aussi des institutions. Cela n'est pas sans rappeler les problèmes qui sont analysés par Karl Polanyi dans son livre "La grande transformation".
Réponses de Margaret MARUANI
Dans notre société les compétences sont socialement reconnues de manière brutale et quantitative par le niveau de salaire. Dans ces conditions la domesticité n'est effectivement pas un statut satisfaisant pour les femmes.
Marie-Pierre MARTINET :
Marie-Pierre MARTINET reprend cet exemple de l’égalité à propos du travail de nuit. Et elle se demande s'il n'y a pas une ségrégation sexuelle des différents territoires. Les hommes n'investissent pas en effet les espaces domestiques qui sont "abandonnés" aux femmes. Cela revient à augmenter la visibilité du travail masculin et à le surévaluer.
Margaret MARUANI :
Margaret MARUANI se demande s'il n'y a pas un accroissement des droits des hommes.
Philippe TEMPLE :
Philippe TEMPLE revient sur le rôle des hommes à l'intérieur de la famille pour se demander s'il ne faut pas distinguer l'obligation de la possibilité. Un droit ne peut donner qu'une possibilité. S'agit-il ensuite d'obliger (ce qui risque de susciter beaucoup de réactions) les hommes à équilibrer leurs rapports avec les femmes à l'intérieur des familles. Ces inégalités par ailleurs diminuent avec l'âge dans la mesure où à partir de cinquante ans les charges occasionnées par les enfants deviennent plus légères : l'égalité entre hommes et femmes devient mécaniquement plus grande parce que le fardeau est plus léger et donc que l’inégalité des charges entre les hommes et les femmes diminue.
Margaret MARUANI :
Dans les pays scandinaves il n'y a pas de modèle unique pour les hommes et pour les femmes. D'autre part il faut distinguer ce qui se passe dans les pays scandinaves et ce qui se passe aux Pays-Bas. Dans les pays scandinaves s’est développée l’idée du congé solidaire des deux parents : cela aboutit à onze mois de retrait du marché du travail.
Françoise DUTHU :
Que peut-on attendre des différentes expériences des bureaux des temps ?
Margaret MARUANI :
Cela permet de mettre les différentes institutions, les usagers, les employeurs et les employés ensemble pour qu'ils discutent de la meilleure manière d'accorder les temps de la vie quotidienne.
Marie-Pierre MARTINET :
Cette expérience des bureaux des temps est extrêmement intéressante. En effet elle permet de lutter contre les nouvelles formes de travail qui sont désynchronisées. Elle permet également de mettre des limites à la flexibilité des hommes. Elle fait état de l'expérience, balbutiante, de la mairie de Paris. Pour beaucoup d'employés qui n'ont pas les moyens de vivre à Paris, il y a un antagonisme entre eux qui habitent la banlieue et les usagers de la ville qu'ils sont censés servir.
Ces bureaux permettent également de repenser les services et les commerces de proximité. Il s'agit certes d'un côté de flexibiliser un peu plus ces services. Mais d'autre part on peut collectiviser et mutualiser les dégâts de la flexibilité. Or l'accélération des rythmes de la vie quotidienne constitue un nouveau type de " pollution " qu'on doit prendre en compte dans une " écologie du travail ". De même le stress et le télétravail ont des retentissements considérables dans cette " écologie ".
Serge VOLKOFF :
Serge VOLKOFF prolonge cette réflexion en opposant d'un côté les cadres T. G. V. qui sont outillés d'un portable et qui prennent rendez-vous avec leur secrétaire en ville et d'un autre côté les caissières de supermarchés qui ont un autre rapport aux contraintes temporelles, au stress et aux déplacements. Autrement dit les différentes heures de la journée ont des intensités et des contenus différents. Pour les caissières de supermarchés les aménagements du temps sont extrêmement bénéfiques. Il faut donc, dans le cadre des négociations sur la réduction du temps de travail, s'interroger sur le contenu concret de l’heure de plus libérée pour que les salariés, et notamment lorsque cette heure est dans une journée ordinaire de la semaine ou en week-end. Les femmes sont particulièrement sensibles à cette localisation de cette heure de plus dans la grille horaire hebdomadaire.
Marie-Pierre MARTINET :
Il y a tout le problème des guichets et des services municipaux, notamment des crèches. Mais le problème des crèches est moins important peut-être, compte tenu de la flexibilité des horaires de ce genre d'établissement, que celui des écoles dont les horaires sont extrêmement rigides. Il faut donc développer une réflexion qui va être nécessairement complexe sur le service public et sur les négociations entre les différents acteurs, "parties prenantes", de ces aménagements de temps.
Jacqueline LORTHIOIS et Margaret MARUANI :
Jacqueline LORTHIOIS et Margaret MARUANI concluent la réunion
en faisant un parallèle entre la parité politique et la parité
économique et se demandent comment faire des avancées en
faisant l'économie de démarches volontariste voire violentes.