A ce moment, le problème de l'histoire apparaît de manière privilégiée, et pour la première fois, lié à une prise de conscience claire des possibilités. Or, selon Lukács, le phénomène de la réification, comme structure de base du mode de production capitaliste, constitue également la "conscience" et la rive aux "faits". Ce phénomène donne à la conscience un statut purement théorique, et celle-ci, par l'absence de toute praxis effective, ne peut que subir les faits et leurs lois, sans pouvoir penser ces lois sociales dans leur fond, à partir d’une praxis historique. C'est la généralisation de cette structure qui a permis au positivisme de se consolider, et au néo-kantisme d'en devenir la justification, non seulement à l'intérieur des universités, mais aussi chez les penseurs marxistes. Pour Lukács, le problème de la méthode - la possibilité de la pensée et la pensée de la possibilité - est lié à l’être social. A travers l'analyse dû phénomène de la réification, l'auteur d'Histoire et conscience de classe veut dévoiler à la fois les limites de l'existence sociale et économique de la société bourgeoise et de sa pensée. Dans l'essai le plus long et le plus important de son livre, la Réification et la conscience du prolétariat, Lukács étudie ce phénomène structurel à tous les niveaux de la société bourgeoise tel qu'il s'impose dans l'immédiateté de l'être et de la pensée qu'il produit, et tel qu'il peut être compris et expliqué du point de vue du prolétariat, à partir de sa vocation de disloquer cette immédiateté dans sa praxis visant une autre forme de rapports sociaux. C'est là que Lukács considère les relations de la philosophie occidentale avec ce phénomène de la réification, et c'est l'un des nœuds du débat - selon Goldmann - entre Lukács et Heidegger. Goldmann, qui avait écrit souvent sur la réification[3], envisageait de reprendre ce chapitre essentiel de Lukács après Pâques 1968 ; divers travaux d’étudiants ont suspendu le projet. Toutefois, comme ce problème revient souvent dans les pages qu'on va lire, il nous a semblé nécessaire, pour rendre explicites certains propos de Goldmann, de reprendre la question de la réification, à partir de l'essai de Lukács.
Le mot réification (Verdinglichung) se trouve chez d'autres penseurs - Nietzsche, par exemple - mais Lukács en a construit un concept avec un sens précis. Au début du siècle, Simmel avait fréquemment employé ce mot et ses dérivés dans Philosophie de l'argent[4], pour décrire certains phénomènes apparents de la société capitaliste, et les attribuer à l'existence de l'échange social en tant que tel et à l'argent comme expression de l'"échangeabilité" (Tauschbarkeit) des choses. Simmel s'est inspiré de Marx, comme Max Weber à propos de la rationalisation dans l'entreprise capitaliste, mais polémique contre lui : il part d'une conception subjective de la valeur et la considère toujours comme une "appréciation". Dans l'échange, cette valeur s’objective et produit une distance entre le moi, qui apprécie, et la chose[5]. Ainsi, selon Simmel, s'effectue la séparation du sujet et de l'objet dans la communication des valeurs en général. L'argent, né du rapport d'échange, est dépourvu de valeur en lui-même[6]. Il finit cependant par s'imposer comme but et produire un monde objectif, que seul l'entendement peut comprendre[7]. Dans ce monde réifié, et face à l'opposition nécessaire - socialement, et insurmontable - de l’objet et de l'entendement réflexif, il reste à la subjectivité authentique la possibilité de retraite dans le monde épuré des sentiments. Comme le fait remarquer Lukàcs[8], Simmel, malgré la justesse de ses descriptions partielles, sépare le phénomène de la réification de son existence économique qui permettrait de le comprendre. En effet, Simmel se situe au niveau de la circulation marchande, qu'il prend pour la forme "naturelle" de tout échange et de toute communication sociale, et confère également à l'argent-monnaie les fonctions de l'argent-capital, seul capable de devenir le fondement structurel de tout un monde. Même à propos de la circulation, Simmel se ferme la possibilité de comprendre l'essence de l'échange d'équivalents et la transformation de l'argent-valeur en équivalent général et, par là, le procès de constitution de certaines catégories de l'entendement qu'il relie du dehors à l'existence de "l'argent". Il refuse le concept de valeur-travail, qui seul permet de comprendre ce processus, comme une "utopie scientifique" parce qu'on ne rencontre nulle part, dit-il, le "travail abstrait[9]".
La conception lukácsienne de la réification est fondamentalement différente. Son point de départ est précisément ce que rejette Simmel le "travail abstrait", "l'équation objective qu'établit brutalement le procès social entre les travaux inégaux[10]", et qui, avec la transformation de la force de travail en marchandise, devient le fondement du mode de production capitaliste à tous les niveaux. Le phénomène de réification tel que le conçoit Lukács n'existe qu'avec le fétichisme de la marchandise et commence uniquement avec la circulation marchande et non avec l'échange symbolique en général. C'est seulement dans l'échange de marchandises que le travail s’objective en substance de la valeur d'échange, grâce à la détermination formelle du produit en marchandise par le procès d'équivalence. Ainsi la valeur, dont le contenu authentiquement "objectif " est occulté, devient, par la forme qui la détermine, une substance unique et l'unique qualité inhérente à toutes les "choses" également mesurables, abstraction faite de leurs existences qualitatives. Ces "choses" doivent rester, sous peine de perdre leur substance - la valeur -, identiques à elles-mêmes pendant tout le procès de circulation, où les hommes interviennent seulement comme supports et gardiens conscients, en tant que propriétaires de marchandises et "sujets" de contrat[11]. Les travaux divers apparaissent ainsi comme la manifestation de cette substance unique - le travail social général, occulté déjà dans la valeur - et le rapport entre divers travaux individuels disparaît dans un rapport purement quantitatif entre les choses.
Cependant, le fétichisme de la marchandise, s'il commence à désagréger toute société où la circulation marchande s'introduit sur une grande échelle, ne suffit pas encore pour constituer l'être social sur une autre base[12]. Ce qui se produit, en revanche, lorsque, à la suite d'un long processus historique brutal, le "travail abstrait" est personnifié et vendu comme une propriété, par le travailleur "libre" et salarié, qui devient ainsi du temps de travail social général incarné[13]. C'est en consommant cette marchandise spéciale, sa "matière première la plus précieuse", que le capital peut inaugurer son cycle comme le "sujet" du procès de production en vue de sa reproduction, à l'infini, sur une échel1e élargie. Avec l’apparition du travail-marchandise, il se produit une transformation structurelle : la généralisation de la production marchande et l'unification - pour la première fois - de l'ensemble de la société par le mode de production capitaliste[14]. Il en résulte, comme l’écrit Marx, "cette religion de la vie quotidienne" : "La personnification des choses, et la réification des rapports de production[15]"
Le terme de réification apparaît chez Marx dans les derniers chapitres du troisième livre du Capital, et Lukács en est parti pour constituer son concept fondamental. Marx revient dans ces textes au phénomène du fétichisme de la marchandise, qu'il avait élaboré dans le premier chapitre consacré à la marchandise, mais cette fois à propos de l'ensemble du procès de production et de la formule classique sur la richesse. Cette formule rapporte la richesse économique à ce qu'elle croit être ses "sources" : le capital, la terre et le travail, qui n'ont entre eux et par eux-mêmes pas la moindre analogie : "Leur relation est à peu près celle qui existerait entre des honoraires de notaire, des betteraves et la musique[16]", écrit Marx. En effet, cette formule ramène au "même" un rapport social et historique - le capital - la terre et le travail, et elle fait produire la valeur par la terre et par un rapport social transformé en chose, en occultant la source unique de la richesse économique : le travail. Cette mystification a été possible grâce à la détermination de l'ensemble de l'être social par le capital, et parce que l'économie classique est restée prisonnière de la réification qui fait apparaître le procès de production comme une ronde entre les choses. Et, "du point de vue bourgeois, il ne pouvait en être autrement" ; d'un côté il est naturel, à cause de la réification, que les agents de la production se sentent chez eux au milieu des formes illusoires parmi lesquelles ils se meuvent tous les jours, et de l'autre, parce que "cette formule correspond en même temps aux intérêts des classes dirigeantes…[17]"
Le fétichisme de la marchandise rend "naturelle" l'existence d'une marchandise spéciale : la force du travail et les lois de l'échange d'équivalent entre "choses" occultent le rapport de classes implicite dans l'apparition de cette marchandise. La détermination formelle - le rapport de production fétichisé - avait transformé le produit en marchandise ; elle transforme également le substrat de la forme valeur - Je travail abstrait - en une autre marchandise, et détermine aussi formellement les conditions du travail - devenues indépendantes du travailleur salarié - dont elle fait l'existence matérielle du capital[18]. Ainsi, le phénomène de la réification, commencé dans la circulation, se généralise en devenant constitutif de la production et accomplit le renversement du monde en un monde de relations entre choses à travers lesquelles les rapports sociaux de production dominent ceux qui, en produisant, les reproduisent. "Ce ne sont pas seulement les produits des ouvriers devenus des forces indépendantes qui règnent sur ceux qui les produisent et les achètent, mais ce sont également les forces sociales (...) et la forme future de ce travail, qui leur font face en tant que qualités de leurs propres produits[19]"
Lukács prend soin de souligner, à plus d'une reprise, le caractère spécifiquement historique du phénomène de la réification. Selon lui, ce phénomène constitutif du mode de production capitaliste est inhérent au travail producteur de plus-value et, à partir de là, se retrouve dans toutes les formes du capital dans son procès, aussi bien que dans les superstructures juridiques, étatiques, "scientifiques[20]" et philosophiques qui lui correspondent. Lukács a partagé le chapitre qu'il consacre à la réification en trois sections principales, où il traite :
1° du "Phénomène de la réification" ; la production d'un monde de "choses", achevé et objectif, et en face de lui d'un sujet "théorique", même lorsque ce "sujet" croit agir ;
2° des "Antinomies de la pensée bourgeoise", où la dualité de cet objet et de ce sujet, qui naissent de la réification, est considérée comme le problème déterminant et central de la philosophie moderne, problème insoluble sur le plan théorique et philosophique, mais poussé à son paroxysme dans l'idéalisme allemand ;
3° du "Point de vue du prolétariat" qui, selon Lukács, est seul capable de s'arracher a cette immédiateté objective et achevée, pour s'orienter vers la compréhension de leur "objectivité authentique", parce que le prolétariat a la possibilité de dépasser la dualité sujet-objet, et de mener une praxis qui porte sur la transformation de l'être social en sa totalité.
Lukács distingue le travail abstrait, le travail de la division capitaliste du travail, des autres formes d'activité productive et de la praxis du prolétariat. L'activité véritable est orientée toujours vers le contenu concret et unique de son substrat matériel ; ce qui vient des qualités de "l’objet" et ce qui vient des buts "subjectifs" du producteur se rencontre dans un faire, à la fois traditionnel et unique, et aboutit à une totalité qualitative. Or la production dirigée vers la plus-value a mis en pièces cette totalité à tous ses moments. Pour augmenter la plus-value et développer la productivité en tant que telle, pour maîtriser et diminuer le coût de la production en rapport avec le temps de travail social nécessaire, le mode de production capitaliste, entraîné par la concurrence, est contraint de rationaliser de plus en plus les éléments de la production. Le produit, "constitué" de l'extérieur, n'existe qu'en tant que somme d'opérations partielles, abstraitement rationalisées. Le travail, parcellaire également, accomplit des gestes prédéterminés inscrits dans l'objectivité des moyens qui lui font face. Il en résulte l'opposition entre objet et sujet, la dislocation du produit et du producteur, la perte des qualités des objets et du travail et leur transformation en " chose " et "travail fantôme". Il se crée un monde de l'objectivité, face à un sujet "contemplatif[21]" et théorique, qui le pense et s'y rapporte à travers les catégories "rationnelles" de l'entendement réflexif, où se "reflète" la présence du donné quantité, spatialité, homogénéité, identité ou différence, individualité ou universalité abstraite, mauvais infini, etc.
Ce "travail abstrait" détermine aussi bien le comportement immédiat de l'ouvrier que, d'une manière différente, celui du capitaliste, même Si ce dernier, en tant que personnification du capital, se croit "sujet"de cette "objectivation". C'est en ce sens que Marx parlait de la nécessité d'abolir le "travail", cause à la fois de la misère du travailleur et du "souci" (Sorge) qui accompagne habituellement l'existence du bourgeois ; et il croyait que seule la lutte à mort du prolétariat, la praxis du sujet-objet identique orienté vers la transformation de la totalité, pourrait en venir à bout[22]. Le "travail" dans le mode de production capitaliste produit et reproduit la réification et les formes d'objectivité et de subjectivité qui lui sont liées.
L'existence d'une objectivité achevée, du système rationalisé et parcellaire qui organise l'entreprise capitaliste, se retrouve dans les superstructures bureaucratiques de son état et de son droit. Le mode de production capitaliste, en effet, a besoin d'une justice et d'une administration dont le fonctionnement puisse être calculé rationnellement. Ce qui entraîne, au niveau du droit, par exemple, une formalisation de plus en plus grande du système, l'exclusion du contenu concret et la fixation de généralités qui s'opposent à tout événement. Ce sont également les mêmes phénomènes qui structurent les sciences sociales et leurs méthodes.
Ces sciences se sont développées avec le mode de production capitaliste, parce qu'ici, et pour la première fois, les rapports sociaux de production deviennent prédominants dans l'histoire, et que se constitue une société unifiée. Dans ce mode de production, l'essentiel se passe à l'intérieur des rapports de production, entre le "travail mort" - le capital - et le "travail vivant" qu'il vampirise pour se maintenir en vie. A l'intérieur de ce procès, la nature se réduit, apparemment, à la matière abstraite qui doit recevoir forme, absorber des quantités de travail et de surtravail pour permettre au capital de se réaliser. La nature - Marx l'avait déjà dit contre Feuerbach - est toujours nature dans un monde social historique et se manifeste dans la pratique qui lui ouvre un accès. Faisant abstraction du contenu et de fins concrètes, le développement capitaliste de la technique entraîne en même temps l'épuisement du travailleur et de la terre[23]. Selon Lukács, dans le mode de production capitaliste, la nature, en tant que catégorie sociale historique, c'est la matière abstraite gouvernée par les lois nécessaires et calculables. Le projet même d'une physique mathématique, de la mesure appliquée à tout, et la conception de tout à partir de la mesure, n’a pu germer, au début des temps modernes, que sur le fond des tendances de la production capitaliste naissante et s'effectuer avec elles. Ainsi, malgré l'élargissement du champ du possible, le chemin vers lui a été barré avec la réduction de toute possibilité au possible uniquement calculable, relatif et homogène au donné. De plus, ce modèle des sciences de la nature se transforme en idéologie et peut devenir mystificateur lorsqu'il est transféré aux sciences sociales, dont la validité se fonde sur l'identité du sujet-objet dans la praxis, la totalité et l'historicité, absentes des sciences de la nature. Le transfert de ce modèle scientifique est rendu possible par l'existence historique d'un être-social réifié qui constitue une seconde nature "objective" obéissant à des lois nécessaires, et, à la fois, par l'idéologie bourgeoise qui se représente sa forme d'existence historique comme la forme "naturelle" par excellence.
Cependant, l'exigence d'un système "rationalisé" rencontre toujours "l'irrationalité", que l'existence même du système produit avec l'expulsion du contenu concret. Déjà, au niveau de la production, la valeur d'usage, éliminée du processus axé sur la valeur d'échange, fait irruption de manière catastrophique dans les crises. Et l'économie classique, pour avoir supprimé de sa sphère théorique la valeur d'usage concrete et la totalité de la production, reste paralysée devant les crises et dans l'incapacité de les comprendre. De même lorsque, avec la mobilité de la société bourgeoise, le droit se transforme, le système formalisé des sciences du droit ne peut donner aucune explication à ce changement ni le déduire des formes, pas plus qu'il ne peut rendre compte du contenu des formes. Pour comprendre la genèse des formes et leurs contenus, il faudrait pouvoir dépasser le formalisme. Mais les méthodes mêmes des sciences sociales rendent impossible d'envisager pareil projet. Les sciences ont suivi la spécialisation qui s’est effectuée dans la production ; chaque science s’est fermée sur elle-même, occupée de sa propre méthodologie, coupée de son substrat concret et de toute question ontologique de fondement.
Le problème ontologique, ignoré des sciences modernes, ne peut pas être posé non plus par la philosophie qui leur correspond. Si les sciences partent des données empiriques, sans s'interroger sur l'origine de ces "données" et de leur propre démarche, la philosophie prend la constitution formaliste des concepts, dans les sciences modernes, pour un substrat immuable. Ainsi, toute possibilité de percer à jour la réification qui est à la base de ce formalisme disparaît[24]. C'est que la philosophie critique moderne est née de la structure réifiée de la conscience où prennent racine ses problèmes spécifiques[25]. Dans la société grecque évoluée, avec le développement de tout un secteur de production orienté vers la valeur d'échange, le phénomène de la réification avait commencé à prendre de l'importance, sans s'imposer pour autant comme le phénomène constitutif de tous les domaines de la vie. En conséquence, Si "la philosophie grecque a certes connu les phénomènes de la réification (...) /chez Platon et Aristote notamment, elle/ ne les a pas encore vécus comme formes universelles de l'ensemble de l'être[26]." La philosophie antique diffère donc qualitativement de la philosophie dans le monde moderne, où la réification prédomine comme structure fondamentale. La même distinction qualitative doit être faite, selon Lukács, entre la ratio moderne et la rationalisation telle qu'elle a pu être conçue dans d'autres formes sociales. Toute activité implique une rationalité au niveau des moyens, mais la pensée moderne a essayé d'étendre cette rationalité instrumentale et de lui soumettre le tout, dépassant ainsi la fois ses anciennes prérogatives et ses anciennes limites. La philosophie moderne, depuis Descartes, vise à cette transformation fondamentale de la raison, à l'extension et l'application de la mesure universelle, suivant les méthodes mathématiques de la constitution de l'objet à partir des conditions formelles d'une objectivité en général, et cela au mépris de tout contenu, de toute qualité et de toute différence dans l'être.
C'est Kant qui, selon Lukács, a posé clairement les problèmes implicites dans cette nouvelle démarche, d'abord en annonçant "la révolution copernicienne" et la nécessité d'admettre "que les objets doivent se conformer à notre connaissance", aux formes de notre entendement, et non plus la connaissance aux objets ensuite en thématisant la question insoluble que rencontre forcément cet entendement formaliste: la chose en soi. Cependant, si Kant a critiqué l'ancien dogmatisme naïf lié, selon Lukács, à la montée de la bourgeoisie - et l'identité entre "l'être" et "notre raison", il a lui-même identifié toute raison et la pensée à "notre raison", c'est-à-dire à l'entendement réflexif d'un être social historiquement déterminé. Lukács donne autant d’importance à cette évidence kantienne non pensée et non critiquée qu'aux problèmes explicites qui naissent à partir d'elle[27]. Pour lui, la grandeur et le tragique de la pensée de Kant, c'est de ne pas avoir ignoré ces problèmes qui se résument dans la question de la chose en soi et de ses différentes fonctions.
La chose en Soi a deux significations distinctes dans le système de Kant, mais celles-ci renvoient au problème unique et "irrationnel" de l'être : la totalité et le substrat matériel concret[28], c'est-à-dire à cela même que l'être-social capitaliste exclut mais qui revient dans la catastrophe, comme sa limite indépassable. La fonction de la chose en soi comme totalité est clairement exposée dans la Dialectique transcendantale où Kant entreprend de l'éliminer du savoir en tant que question faussement posée. Lukács insiste en revanche, sur la chose en soi, comme substrat concret, et sur le lien, invisible pour les kantiens, entre les substrat concret - le contenu - et la totalité. Le substrat concret est impliqué dans le problème de l'intuition. Kant a consacré son effort à dégager, contre les sceptiques, les formes de "notre" entendement, par lesquelles la connaissance devient possible, mais il a reconnu également, contre le dogmatisme, que les concepts ont besoin de l'intuition sans laquelle ils resteraient "vides[29]". Lukács fait remarquer cependant qu'avec l'introduction de cette réceptivité - de la présence qui nous affecte dans l'intuition - l'exigence du système liée au rationalisme devient impossible à réaliser. En effet, le système ne saurait accepter, sous peine de disparaître, le donné, le contenu, et devrait le produire déductivement à partir de ses propres principes.
Dans la mesure où totalité, substrat sensible et sujet sont liés, la constitution formaliste du système n'élimine pas seulement, aux deux extrêmes, la totalité et le contenu, mais également le sujet qui devait pourtant être à son fondement. Ainsi, la connaissance devient de plus en plus une contemplation rnéthodologiquement consciente de purs ensembles formels et de leur fonctionnement indépendant de toute intervention du sujet[30]. La pensée ne fait plus que "refléter" et formuler logiquement l’être-social réifié et sa combinatoire aux lois inexorables.
Malgré ces limites de la théorie de la connaissance - ajoute Lukács - la pensée classique ne s'est pas contentée d'enregistrer seulement l'objectivité, renonçant simplement aux questions de genèse et de totalité. Dans l'éthique de Kant, la question de la totalité s'est transformée en l'exigence intérieure d'un sujet fondé sur lui-même, distinct du sujet de la connaissance et indépendant du contenu et de la facticité. Kant entrevoit la possibilité du dépassement pratique du problème de la chose en soi, né de la théorie contemplative. Mais, pour Lukács, s'orienter vers la pratique demanderait encore plus d'acuité 1° le rôle du sujet se réduit à l'appréciation contemplative des faits intérieurs dans leurs conformités aux maximes universelles et formelles de la loi morale; 2° le monde naturel-historique reste soumis aux lois nécessaires et immuables, indépendantes de la liberté éthique ; 3° la dualité sujet-objet se reproduit dans le sujet lui-même, partagé entre le sujet de l'éthique, participant du monde intelligible, et l'individu égoïste empirique ; 4° l'hétérogénéité entre la forme et le contenu subsiste, car, par rapport aux formes universelles des maximes, tout contenu est grevé de contingence.
Ni Kant, ni Fichte, qui a transposé la philosophie pratique de Kant dans le domaine de la connaissance, n'ont réussi à dépasser les antinomies et l'hiatus irrationnel entre la forme et le contenu, entre le concept et le est. Parce qu'ils sont restés en deçà du vrai principe de la pratique : "La suppression de l'indifférence de la forme à l'égard du contenu[31]"
La relation entre forme et contenu, leur hétérogénéité et l’opposition entre le sujet et l’objet, constituent le problème fondamental de la pensée classique allemande. Toutes les autres antinomies être/idéal, liberté/nécessité, fin/moyen, partie/tout, etc., sont liées à ce problème fondamental. D'après Lukács, leur fixation dépend de la généralisation de la production marchande, de la réification des rapports sociaux et de la contradiction entre contenu concret - valeur d'usage - et détermination formelle prépondérante - valeur d'échange. Il est apparu néanmoins assez tôt que pour dépasser l'opposition du sujet et de l'objet, et les antinomies qui en découlent, il fallait une région dans laquelle l’hétérogénéité entre forme et contenu puisse être supprimée; d'où la fonction de plus en plus importante, à l'intérieur même de la philosophie depuis le XVIIIe siècle, de la théorie esthétique et du principe de l'art qui dépasse l'opposition du sujet et de l'objet, de la forme et du contenu, de la partie et du tout, et qui dissout leurs relations contingentes[32]. Déjà, dans la Critique du Jugement, Kant, qui caractérise l’œuvre d'art et le jugement esthétique par leur liberté à l'égard de "nos intérêts", reconnaît à l'imagination créatrice la possibilité de surmonter les antinomies et la problématique de la chose en soi. Bientôt, le principe esthétique dépasse les limites de l'art et devient promesse d'une totalité face au monde réifié et à l'homme disloqué. Ce nouveau principe, malgré la mythologisation de l'intuition créatrice et de l'identité sujet-objet dans l'état d'âme, qui permet d'occulter les problèmes historiques de l'être-social réifié, a néanmoins transformé l'ancienne problématique. Celle-ci va être thématisée de manière nouvelle chez Hegel il ne s'agira plus de la genèse de l'objet à partir du producteur, mais de la genèse du producteur lui-même.
Avec cette nouvelle question s’amorce pour Lukács le dépassement de la philosophie du cogito et de ses antinomies, sans que pour autant le sujet disparaisse. Celui-ci n'est plus le sujet de la connaissance, et ses actions ne sont plus seulement les actions dont il est conscient, comme le croyait l'ancien idéalisme ou l'ancien matérialisme. Le sujet et l'objet perdent leur opposition rigide, et se relativisent dans l'identité du processus la question du sujet devient identique au problème de l'histoire.
Le formalisme, en excluant le contenu, s'interdit la possibilité de penser l'histoire et renvoie toujours son étude dans un avenir lointain, où il ne parviendra jamais. Pour pouvoir penser l'histoire, il faudrait une logique du contenu et la dissolution des anciennes catégories figées, c'est-à-dire la dislocation du formalisme lui-même. Cela ne signifie pas un retour à Jacobi ou à Schelling, la plongée dans la Stimmung et la foi. Les anciennes oppositions et le morcellement ne sont pas "ignorés", ils sont maintenus comme étapes, en même temps qu'ils se dissolvent "dans l'inessentialité, en acquérant leur juste relation à la totalité[33]".
Selon Lukács, la nouvelle problématique énoncée par Hegel comme "la transformation de la substance en sujet" ne pouvait qu'être annoncée par lui, sans trouver encore son explication et sa solution. La transformation dont parle Hegel suppose que le sujet est véritablement la figure consciente d'un monde créé de lui-même[34]. Elle implique l'identité des déterminations pensées et du devenir de la réalité, l'identité de la provenance historique du sujet et de l'histoire[35]. Or chez Hegel les deux restent extérieurs l'un à l'autre. L'esprit absolu qui, au moyen de l'esprit des peuples et des grands hommes, "fait" l'histoire lui reste extérieur. L’esprit a son développement dans la logique et choisit pour se manifester, indépendamment même de l'histoire empirique et du hic et nunc, des moments qui deviendront historiques pour avoir été intégrés à la manifestation de l'idée. Cette dualité entraîne deux autres conséquences. D'abord, les déterminations de l'entendement réflexif deviennent chez Hegel une étape nécessaire éternelle de l'idée et de la saisie de la réalité, sans être liées nécessairement dans leur provenance à l'être-social réifié du mode de production capitaliste. Par ailleurs, le développement a priori de l'idée. qui se manifeste ensuite dans l'histoire, permet à Hegel d'effectuer une justification a priori du monde qui l'entoure immédiatement. Ainsi, Hegel n'a pas réussi à connaître la spécificité historique de l'être-social bourgeois, qu'il a pensé dans ses extrêmes conséquences et en devançant parfois celles-ci. Malgré sa critique de la représentation, il n'a pas pu dépasser la facticité inexpliquée de l'être - ainsi de la société bourgeoise. Pour cela, il lui aurait fallu la possibilité historique de s'orienter vers le "nous", substrat et sujet de la praxis, qui seul permet la dissolution de l'immédiat. La dialectique hégélienne subit, nonobstant l'ouverture qu'elle crée, les limites de l'être-social auquel elle correspond, et ne dépasse pas la pensée et l'existence bourgeoise rivée à la reproduction infinie de ce qui est.
Pour Lukács, seul le prolétariat peut penser "la dissolution de l'état de choses existantes" parce que, comme l'a écrit Marx dès sa première critique de Hegel, il est en lui-même cette dissolution. C'est pour le prolétariat uniquement que la connaissance objective de la société s'identifie à la connaissance de soi. Mais, est-ce que cette nouvelle introduction du "point de vue" dans la connaissance ne va pas reproduire l'ancienne dualité entre appréciation subjective et chose en soi? Ç'aurait pu être le cas, répond Lukács, Si le point de vue ne faisait pas partie de la réalité. Pensée et être unis à l’intérieur de l’identité du processus. Dans la science sociale, il ne peut être tenu de discours à l’indicatif, parce que le discours et celui qui le tient font partie de ce dont il est question; la vérité de pareil discours à l'indicatif est d'autant plus entachée d'idéologie que, dans sa prétention, ce genre de discours ignore l'horizon d'où il provient[36].
L'"objectivité" est elle-même historiquement déterminée par la réification seul l’être - ainsi - immédiatement donné apparaît comme réel et toute réalité se réduit à un "amas de facticité sur lequel on a jeté un filet de lois". La relation, la médiation deviennent un caractère subjectif. Mais la médiation, selon Lukács, fait partie de l'objectivité authentique. Le "même" procès économique et les mêmes catégories immédiates médiatisées par la pensée et l'action de la bourgeoisie ou du prolétariat acquièrent une objectivité différente, et le procès s'en trouve transformé. Une machine, par exemple, dans son apparition immédiate, ne permet pas de savoir si elle est un moyen de production qui libère du "travail", ou bien au contraire du capital matérialisé qui asservit, appauvrit et éternise le "travail". Comprendre médiatement la machine en tant que capital à partir de la totalité du mode de production, c'est en comprendre la fonction et l'objectivité authentique. C'est aussi pouvoir différencier ainsi dans la machine sa détermination formelle par le rapport de production et ses qualités comme instrument. Tandis que, partant de l'immédiat donné, l'économie classique identifiait la machine avec le capital pour éterniser le capitalisme, en transformant tout instrument en capital, et aussi pour attribuer à la machine ce qui découle des déterminations historiques de son fonctionnement. Ou bien, pour prendre un autre exemple, l'économie classique concevait la vente de la "force travail" comme une prétendue vente du travail, ce qui permettrait l’occultation – d’un point de vue bourgeois – de l’origine de la plus-value et de ses conséquences théoriques et pratiques.
Puisque le point de vue fait partie de l'objectivité et la constitue, on ne peut rejeter les anciennes théories comme de fausses appréciations subjectives. L'erreur reflète une certaine forme de manifestation de l'immédiat qui s'impose à l'intérieur de perspectives pratiques précises et empêche de comprendre la forme phénoménale dans le processus de sa production. Elle a sa genèse à la fois dans le sujet et dans l'objet. La nouvelle théorie se doit donc de comprendre la fonction et la nécessité des autres théories à partir de la pratique et du lien sujet-objet. C'est pourquoi la critique marxienne de l'économie politique porte à la fois sur le mode de production capitaliste et sur ses théories. Au début de sa célèbre Introduction de 1857, Marx étudie le point de vue de l'économie politique classique il analyse la genèse historique du "Robinson" - l'individu abstrait "sujet" de la production et de la pensée - et en explique la nécessité et la fonction "idéologique", tout en affirmant, contre le naturalisme et l'ahistorisme de cette pensée, la nécessité méthodologique de la totalité et de la dimension historique.
A l’opposé de la pensée bourgeoise, qui commence avec Descartes en faisant table rase, le point de vue du prolétariat, selon Lukács, exige la justification des autres points de vue comme des moments essentiels constitutifs de l'être social. C'est ainsi, seulement, que la nouvelle pensée pourrait échapper à l’objectivité réifiée et aux formes de conscience qu'elle détermine. Lukács constate cependant que la pensée marxiste a subi de plus en plus l'influence des théories adverses parce qu'elle s'est soumise à l'immédiateté ce faisant, les anciennes antinomies correspondant à cette forme d'objectivité réifiée ont fait leur réapparition à l'intérieur de ce marxisme transformé. L'"économisme". par exemple, tout attaché aux lois de l’"être", a voulu compléter Marx avec le "devoir-être" kantien. C’était la meilleure démarche, pense Lukács, pour figer l'immédiat et s'interdire toute possibilité d'action et toute possibilité de compréhension de l'objectivité authentique de l'être-ainsi de la société bourgeoise. Pourtant, en 1923, Lukács croit se trouver à un moment privilégié de l'histoire où la praxis est imminente ; c'est pourquoi il croit nécessaire de rendre à la pensée son importance fondamentale en la libérant de la reproduction et de l'interprétation du donné. D'où l'insistance sur la réification et sur ses formes de conscience dans la pensée bourgeoise, sur l'orientation de cette pensée vers la connaissance historique et son incapacité fondamentale à comprendre le problème essentiel, que, seule, la dialectique marxienne a pu formuler et résoudre la question du présent comme histoire.
La connaissance historique du présent, d'après Lukács, rend possible l'accès à la totalité, dissout la facticité et en dévoile l'objectivité authentique. Il faut que l'ensemble du mode de production capitaliste soit dépassé en pensée, il faut qu'il soit conçu et structuré comme un moment du processus historique pour qu'on puisse penser, comme l'exigeait Marx dans l'introduction de 1857, les catégories de l'économie politique - l'être-social capitaliste - telles qu'elles existent dans la société bourgeoise, et non plus selon leur forme d'apparition immédiate et "naturelle" ou bien d'après leurs formes antérieures d'apparition séparée et sporadique dans l'histoire. Dissoudre les catégories figées, ce n'est pas les faire disparaître dans une durée réelle et vide bergsonienne, mais les comprendre comme des rapports de production fixés en forme de choses[37].
Que signifie l'histoire pour Lukács ? En tant que totalité, l'histoire n'est pas la somme des événements historiques, elle n’est pas non plus une constitution conceptuelle élaborée extérieurement pour les englober tous. La totalité de l'histoire est bien, elle-même, une puissance historique réelle - encore inconsciente et non pensée - sans laquelle les faits historiques particuliers perdraient toute réalité[38]. Pour Lukács, l'histoire c'est le fondement ultime et réel, et non un devoir, un idéal qui ne s'oppose à la facticité que pour la fixer dans "l'être" et la rendre éternelle. La prise de conscience du prolétariat, nécessaire à l'avènement de l'histoire, ne constitue donc pas un idéal ; au contraire, elle ne fait qu'appeler à la vie ce que la dialectique historique pousse à la décision.
A l'intérieur du mode de production capitaliste, où le procès d'échange entre le travail mort et le travail vivant prédomine, l'histoire dépend, plus que jamais - pense Lukács - des rapports entre les hommes. La réification de ces rapports atteint la nature et l'esprit, elle détermine l'existence du prolétariat à tous les niveaux, comme chose et marchandise. Le prolétariat, objet du processus, ne participe d'aucune façon à l'illusion du "sujet" inhérente à l'existence du capitaliste en tant que capital personnifié. Mais, par là, la dissolution de l'objectivité immédiate et la compréhension de son existence de marchandise deviennent, pour le prolétariat, une question de vie et de mort. Il lui faut comprendre et dissoudre les formes d'objectivité réifiée à partir de leur fondement des rapports sociaux de production. Ainsi l’objectivité authentique de l'être-social capitaliste se dévoile dans son rapport à l'homme qui y est devenu la mesure de toutes choses sociales.
Lukács précise, cependant, qu'il ne s'agit pas d'un retour à l'anthropologie ou à l'humanisme, qui fige une fois pour toutes l'homme en un être donné et évince de sa compréhension l'histoire et la dialectique, ou bien à l’historicisme, qui relativise cette même conception figée et absolue de l’homme[39]. Comprendre le sujet-objet identique - le sujet de l’histoire dans les deux sens du mot "sujet" - exige la compréhension de sa provenance historique, l'identité de la genèse des déterminations pensées et du devenir de la réalité. Appliquée à l'homme et à la société, la dialectique historique permet la description complète de la structure économique objective de l'être-social. Ainsi, et pour la première fois, la dialectique devient effective parce que "la dualité méthodologique de la philosophie et de la science particulière" se trouve dépassée, et que la voie est ouverte a l'unité de l'être et de la pensée dans l'identité du processus[40]. Chez Lukács, la philosophie et la science, la possibilité et l'objectivité sont liées. Le possible n'est pas calculé à partir du donné immédiat et ne juge pas non plus l'immédiat de l'extérieur. Au contraire, l'immédiat se révèle dans son objectivité authentique à partir du possible, mais, du même coup, celui-ci se dévoile comme la dimension véritable de l'objectivité. Sous peine d'annihilation complète, le prolétariat doit agir, mais son action implique sa propre disparition en tant que classe sociale, puisque cette action vise à la société sans classes. Ainsi le prolétariat est la seule classe dans l'histoire à pouvoir accéder à la vérité, fondamentale pour sa praxis et pour l'avènement de l'histoire, parce qu'il est la seule classe capable de penser et de vouloir sa propre disparition.
La conception lukácsienne de la réification que nous venons
de présenter rapidement n'a pas cessé de poser des problèmes.
Lukács a mis l'accent, dès 1923, sur la réification
au détriment de la paupérisation, il a insisté non
pas sur le développement infini des forces productives, mais sur
la nécessité historiquement primordiale, dans la perspective
des Thèses sur Feuerbach, de la praxis du sujet-objet identique
et de la transformation des rapports sociaux. Il a lié la vérité
et le matérialisme historique comme science à l'existence
et à l'action d'une classe sociale historique privilégiée,
classe universelle au-delà de la fausse conscience idéologique.
Allant même plus loin, dans le chapitre Le changement de fonction
du matérialisme historique, Lukács a soutenu que le matérialisme
historique constitue la connaissance de soi de la société
bourgeoise, que ses catégories sont valables pour l'être réifié
de cette société et qu'elles ne devraient pas, sans leur
transformation complète, être utilisées pour la compréhension
des autres sociétés en dehors des pays industriels et capitalistes
de l'Occident. Toutes ces idées, ajoutées aux critiques de
la "dialectique" d'Engels et de la théorie léniniste du "reflet",
ont valu à Lukács des accusations d'idéalisme et des
condamnations. Mais ceux-là mêmes - l'école de Francfort,
Goldmann et Marcuse - qui ont continué à donner toute leur
importance aux phénomènes de la réification n'ont
pas toujours admis toutes les implications de la théorie lukácsienne.
[1]. Sur la
réification et le roman, cf. L. Goldmann, Pour une sociologie
du roman, Gallîmard, 1964.
[2]. Cf.
infra. Il' partie, chapitre 2.
[3]1. cf. notamment la Réification, In Recherches dialectiques, Gallimard, 1959.
[4]1. Georg
Simmel, Philosophie des Geldes Leipzig, 1900
[5]2. Ibid.,
p. 15-20.
[6]3. Ibid.,
p. 75.
[7]4. Ibid.,
p. 457.
[8]1. G. Lukács,
Histoire et conscience de classe, éd. De Minuit, 1960, p.
123. Traduction française de K. Axelos et J. Bois.
[9]2. G. Simmel,
Op. cit., p 44!.
[10]3. K.
Mari, Contribution à la critique de l'économie
politique, éd. Sociales, p. 36.
[11]1. La
richesse est (...) une chose réa1isée dans des choses (...)
et l'homme s'y oppose comme sujet", écrlt Marx dans Grundisse,
éd. Anthropos, 1, p. 449.
[12]2. G.
Lukács, op. cit., pp. 111-112.
[13]3. K.
Marx, le Capital, éd. Sociales, 1, I, D. 239.
[14]1. Le
Capital, p. 173, note 1.
[15]2. Ibid.,
3, TII, p. 208. C'est nous qui soulignons. Voir également, p.
255.
[16]3. Ibid.,
p. 193.
[17]1. Le
Capital, p. 208. C'est nous qui soulignons.
[18]2. Dans
ces conditions s'opèrent et se généralisent la séparation,
l'opposition et l'aliénation du producteur et des instruments, moment
essentiel dans la genèse de l'opposition entre le sujet et l'objet.
[19]3.
Le Capital, p. 194.
[20]1. Il s'agit essentiellement des sciences sociales, quoique le concept de la nature et les méthodes des sciences modernes de la nature soient également liés, pour Lukács, à ce mode de production, comme on le verra plus loin.
[21]1. A ne pas confondre, précise Lukàcs, avec la "contemplation" qui détruit les limites de l'empirie et du "moi". La contemplation, qui chez l'ouvrier est épuisante, signifie dans le texte de Likàcs, en accord avec les Thèses sur Feuerbach, la séparation du sujet et de l'objet et la soumission à l'objectivité immédiate. C'est dans ce sens que le "travail" de l'ouvrier et du technicien est pour Lukàcs "contemplatif".
[22]2. K. Marx, L'Idéologie allemande, éd. Sociales, p. 248
[23]1. K. Mari, le Capital, 1, Il, p. 182.
[24]1. G.
Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 140.
[25]2. Ibid.,
p. 142.
[26]3.
Ibid.
[27]1. Histoire
et conscience de classe, p. 144.
[28]2. Ibid.,
p. 152.
[29]1. Kant et le problème de la Métaphysique confère à l'intuition chez Kant une importance fondamentale et en fait l'origine de toute connaissance. La dualité intuition-concept, due à la finitude de l'homme et à son besoin de concept pour la connaissance, serait, selon Heidegger. secondaire et proviendrait d'une identité originaire dans la projection d'un monde. Voir plus loin la signification de l'intuition créatrice et de l'esthétique chez Lukács.
[30]1. G.
Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p.
162.
[31]2. Ibid.,
p. 160.
[32]1. G. Lukács, Histoire et conscience de classe, p. 174.
[33]1. Histoire
et conscience de classe, pp. 178-179.
[34]2. Ibid.,
p. 180.
[35]3.
Ibid., p. 184.
[36]1. Cf. L. Goldmann, Sciences humaines et philosophie, P.U.F., 1952. Rééditions dans la collection "Médiations", Gonthier-Dcnoé1. 1966. 1971.
[37]1. G. Lukács, Histoire et conscience de classe, op. cit., p. 224.
[38]1. G. Lukács, Histoire et conscience de classe, p. 192.
[39]1. Ibid.,
p. 231.
[40]2. Ibid.,
p. 250.