Construire un projet écologiste, regrouper nos forces

Il est temps pour les écologistes de se réveiller et de se regrouper, au-delà des partis. Seule l'écologie-politique peut nous sortir des impasses de l'étatisme comme du libéralisme et proposer une alternative au productivisme dont on sait bien qu'il n'est ni durable ni généralisable. Il ne peut être question de s'enfermer dans l'extrémisme ou le gauchisme, c'est bien l'ensemble de la société qu'il faut gagner à une véritable alternative, en y mettant le temps et les formes mais avec une vision claire des objectifs. L'écologie se doit d'être réaliste et prudente, le contraire d'une utopie. C'est la croissance infinie qui est utopique, tout comme la réduction de la société aux rapports marchands. Il faut commencer à mettre en place dès maintenant une nouvelle économie fondée sur les nouvelles technologies et les contraintes écologiques, tout en sachant que cela ne se décrète pas et ne sera ni facile, ni rapidement réglé puisqu'il s'agit de s'affronter à la durée.

Alors qu'elle constitue donc la seule réponse d'avenir à la hauteur des problèmes du temps, on ne peut pas dire que la situation politique de l'écologie soit satisfaisante. Il faudrait donner un contenu concret à l'écologie, nous accorder sur un projet collectif et mettre en pratique entre nous déjà une démocratie participative plus exigeante, dépassant la démocratie compétitive à laquelle se réduisent les élections.

C'est le moment de construire collectivement un véritable projet écologiste, dire quel monde nous voulons défendre contre le productivisme, l'individualisme et la logique destructrice du profit à court terme. Quel monde et quelle production nous voulons opposer à la domination du capitalisme américain piloté par le pétrole. Nous avons besoin pour cela de nous accorder sur ce qui est nécessaire aussi bien que sur l'étendue des possibles. Il y a nécessité pour les écologistes d'adopter un discours clair en affichant le projet politique qu'ils défendent et qui peut donner sens à leur action. L'écologie ne peut se réduire à des améliorations à la marge. Sans véritable alternative à la production marchande, l'écologie ne sert pas à grand chose.

Il semble qu'on commence à avoir assez de recul pour voir dans quelles directions on doit se diriger. Les mêmes mouvements et revendications se font échos d'un pays à l'autre, de l'Italie à l'Argentine, pour réclamer un revenu garanti pour tous comme premier droit à l'existence, et mettre en place des circuits alternatifs aussi bien localement qu'au niveau international grâce à l'utilisation intensive des technologies de l'information et des réseaux de communication. On ne reviendra pas en arrière. Le conservatisme ou la défense des avantages acquis ne seront pas suffisants. Nous avons besoin d'un projet d'avenir, de développement humain et de sauver la planète. L'ère de l'information se confond en grande partie avec celle de l'écologie, succédant à l'ère énergétique qui a commencé avec le néolithique. On passe ainsi du règne de la force et de la domination à celui de la communication et de la coopération. Nous le découvrons à peine, cette inversion de toutes le valeurs parait encore trop incroyable mais nous n'en sommes qu'aux commencements et nous avons besoin d'utiliser toutes les potentialités des technologies de l'information et de la mise en réseau qu'elles permettent pour donner un contenu à une démocratie qui ne peut plus se réduire à l'élection mais doit être réinventée, en premier lieu par les écologistes eux-mêmes.

Il y a bien sûr plusieurs sortes d'écologistes qui ont des voies opposées et ne peuvent se mélanger sans confusion. Il y a les écologistes de droite qui défendent les lois de la nature et les traditions, écologie plutôt rurale et archaïque. Il y a les centristes libéraux se préoccupant de la qualité de la vie des cadres et de mécanismes de marché sensés corriger les déséquilibres écologiques mais qui peuvent juste rendre un tout petit peu plus supportable l'emballement insoutenable du gaspillage de nos ressources. Cette écologie industrialiste, écologie de marché, de normes et de taxes est déjà dépassée. On voit qu'elle ne change rien ou presque. L'avenir appartient à l'écologie-politique et une économie plurielle reterritorialisée (politisée) comme alternative au productivisme du capitalisme salarial. Pour cela il faut construire un projet réaliste, adapté à notre temps, ainsi qu'une stratégie concrète de transition de l'ancien système, concurrentiel et salarial obsédé par la productivité à court terme, vers le nouveau système coopératif basé sur la garantie du revenu, le développement local et humain, l'investissement dans l'avenir.

Il serait temps d'essayer de construire collectivement un projet alternatif au niveau européen aussi bien que local, qui réponde vraiment aux considérables défis écologiques posés par la société de consommation, tout en prenant en compte l'émergence de la société de l'information et les transformations du travail qu'elle induit. Pour cela, il faudrait mettre déjà en pratique entre nous la démocratie cognitive que nous préconisons, dans les rapports entre mouvement et parti comme entre les militants et les élus. Ce serait bien que les Verts débattent de leur projet, d'avoir l'avis des intellectuels écologistes sur la question ainsi que celle des associations qui se sentent concernées par l'avenir de l'humanité et de notre planète. Il est temps d'un retour vers le futur.

L'écologie est l'affaire de tous

Nous sommes à l'époque de la reconstruction après l'échec constaté des stratégies suivies jusqu'à présent, que ce soit l'échec retentissant du deuxième sommet de la Terre à Johannesburg malgré la prise de conscience suscitée par celui de Rio en 1992, l'échec de l'ONU maintenant, mais aussi l'échec de la gauche et de la démocratie face à l'exclusion.

L'urgence d'un mouvement écologiste se fait pourtant de plus en plus ressentir devant les catastrophes climatiques, industrielles ou alimentaires. Les institutions internationales sont à reconstruire face à l'unilatéralisme américain qui refuse d'appliquer les accords de Kyoto. Il nous faut construire des alternatives à la globalisation libérale, de plus en plus contestée de toutes parts mais, les dernières élections ont manifesté aussi l'urgence de changer la démocratie, sortir de la démocratie compétitive pour redonner la parole à ceux qui l'ont perdue, construire une véritable démocratie participative et retrouver des finalités collectives, un avenir partagé.

Il y a nécessité pour un parti écologiste de mettre en pratique ce qu'il préconise pour la société, il y a urgence à mettre en place des procédures plus démocratiques utilisant toutes les ressources des technologies de l'information pour faciliter les coopérations en réseau, tout aussi urgent que d'inscrire l'action politique dans des perspectives à long terme pour ne pas être absorbés par le jeu politicien. Il y a urgence à structurer les économies locales en alternative au système capitaliste. Mettre en pratique les idées écologistes signifie les mettre à l'épreuve et tirer collectivement les leçons de l'expérience pour apprendre de nos échecs comme de nos réussites. Cette réflexion collective ne peut être laissée aux politiciens, aux élus, aux logiques partisanes, aux rapports de force. Pour que l'écologie-politique soit une véritable "politique de civilisation" et de développement humain il faut que la société entière s'en empare, le parti n'en représente que l'aspect institutionnel avec ses propres contraintes et limitations.

Entre parti et mouvement, organiser l'échange

Pour que le parti écologiste ait un sens et ne se limite pas à une caste d'élus, il faut qu'il s'appuie sur un mouvement plus large (associations, intellectuels, Europe) et pour que ce mouvement ait une traduction politique, il faut un parti qui s'en fasse le porte-parole, organise l'élaboration des programmes avec les populations concernées, suscite la confrontation des analyses et construise collectivement une alternative crédible, suffisamment radicale pour se mesurer aux défis qui sont devant nous. Il faut arriver à l'association de ces composantes, une véritable implication du parti dans le débat public, qui seule donnera la dynamique indispensable pour gagner les populations à une alternative écologiste.

Comme Serge Moscovici le fait remarquer dans son dernier livre, "nous sommes au jour d'aujourd'hui une minorité du point de vue de la réalité et pourtant une majorité virtuelle du point de vue des idées : tout le monde est devenu écologiste, quoique peu adhèrent au mouvement écologique... Deux stratégies jouent un rôle sensiblement différent ; la première est de "gagner au centre", la seconde de "gagner aux marges". La première consiste à avoir un impact sur le centre en participant aux élections, en agissant dans le contexte des syndicats ou des partis, en infléchissant les mass média, moins pour diffuser nos idées que pour apparaître comme une alternative légitime dans les occasions où chacun est amené à choisir par un vote, ou même en tournant le bouton du téléviseur pour voir ou entendre nos candidats. Et ainsi effectuer des changements, fussent-ils modestes... La seconde stratégie, "gagner aux marges", signifie à présent, de manière constante dans les quartiers, les régions, occuper les espaces muets de notre société, s'y exprimer et en même temps prendre langue et nouer des alliances avec les régionalistes, les femmes, les étudiants, etc. Laisser pénétrer leurs idées dans l'écologie et l'écologie dans leurs idées... Gagner les marges équilibre gagner au centre. La première stratégie vise un lien en profondeur et la seconde une extension en surface." 72-73 Tout cela ne prend sens qu'inscrit dans un projet alternatif, une volonté de changer vraiment le monde, pas se contenter de représentation.

Pour un mouvement écologiste européen

Nous appelons les Verts à ne pas se reconstruire tout seuls, renfermés sur eux-mêmes et livrés à la logique des courants, mais à s'ouvrir aux autres composantes de la société et reprendre le dialogue avec tous les militants qui ont quitté les Verts (il y en a bien plus que ceux qui y sont restés) en s'impliquant enfin dans ce qu'auraient pu être de véritables "Etats Généraux de l'Ecologie-Politique" mais avec une dimension européenne car l'alternative économique et politique doit être à la fois locale et européenne. C'est le moment de regrouper nos forces et de s'engager dans une démarche et une organisation véritablement écologiste, résolument tournée vers le long terme et la construction d'une alternative écologiste à laquelle toutes les ressources intellectuelles et populaires doivent être conviées. Nous avons besoin de donner plus d'importance aux débats d'idées qu'aux rapports de force quand notre avenir est en question. La démocratie ne peut se réduire aux élections, encore moins l'écologie.

Il n'y a là rien de neuf puisque Félix Guattari faisait le même appel et le même constat en 1992 : "Les Etats Généraux de l'Ecologie ouverts et sans exclusive doivent être un moyen de sceller des liens nouveaux entre des projets écologiques à long terme et les actions démocratiques sur le terrain permettant une large participation des individus et des mouvements, associations, syndicats et formations politiques qui se réclament de l'Ecologie et agissent quotidiennement en ce sens". D'avoir échoué jusqu'à maintenant dans l'élaboration de ce projet n'en a pas diminué l'urgence mais, aujourd'hui, la construction d'une alternative écologiste devrait être un projet au moins européen même s'il doit rester solidement ancré dans le local. Pour Jacques Robin, "Une perspective plus favorable peut être formulée : la lancée au plan européen, par delà les aléas des mouvements écologistes nationaux, d'un vaste courant d'écologie politique susceptible de porter le débat et l'action concernant la solidarité planétaire à l'échelle de notre vieux continent". C'est sans doute le moment plus que jamais de regarder l'avenir en face et de prendre nos responsabilités.

Jean Zin 25/04/03

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