Le dernier combat contre le totalitarisme du marché
Malgré la remontée du oui,
plus ça va et plus je trouve impensable de laisser passer cette constitution qui officialise
comme jamais une société de marché totalitaire
et
la fin de la politique en faisant de la compétition
économique un fondement
constitutionnel (concurrence libre et non faussée,
économie sociale de marché hautement compétitive, partie III, etc.). Voilà qui rendrait impossible toute tentative de
relocalisation de l'économie et de réorientation des
rapports de production vers le développement humain et le
partage des savoirs, pourtant si nécessaires à
l'ère de l'information.
Alors que l'appareil de propagande se déchaîne,
voulant dénier aux citoyens leur pouvoir constituant,
d'auto-institution de la société, d'intervention et de
critique, au profit d'une bureaucratie impersonnelle au service d'une
classe dirigeante déconnectée des simples
électeurs, beaucoup sentent
que cela pourrait être notre dernier combat pour sauver la
démocratie de la main mise des intérêts
économiques les plus puissants et des médias de masse qui
leur sont dévoués. Il nous faut mobiliser pour cela
toutes les ressources d'Internet et de l'intelligence collective mais
il ne faut pas se cacher, malgré les premières victoires
inespérées, qu'on ne fait pas le poids. Il nous faudra du
génie autant que de détermination et d'organisation.
Oppositions de classe
La scission est profonde entre les
partisans de l'ordre établi, au nom d'un idéal
européen qui se vide de sens, et les opposants à
l'institutionnalisation de l'Europe libérale qui
résistent
à la
destruction sociale et veulent donner un coup d'arrêt aux
politiques de libéralisation sans filet de protection sacrifiant
des populations entières. Ce qui est le plus frappant, c'est la totale incompréhension entre
les deux camps, incapables de se parler et s'accusant
mutuellement de mensonges ou de toutes sortes d'injures. Il semble
qu'on ne parle pas de la même chose et surtout qu'on ne vit pas
dans le même monde reproduisant les anciennes oppositions de
classe (même si les bases sociologiques ont un peu
changé). C'est ce raidissement idéologique et
le durcissement soudain des divisions politiques, dont l'histoire offre
tant d'exemples, qu'il faut tenter d'expliquer. Selon toute apparence, ceux
qui défendent la constitution, ce sont surtout nos responsables, les
bénéficiaires du système, les riches,
c'est-à-dire les dominants, alors qu'il faut bien constater que
les opposants sont les
militants, les perdants, les pauvres, c'est-à-dire les
dominés auxquels on conteste toute compétence et
légitimité (il faut leur expliquer, ils ne comprennent
pas les enjeux et ne pensent qu'à leurs petits problèmes). Bien sûr, les
partisans du oui contesteraient
cette sociologie trop grossière, ne voyant qu'opposition entre
idéologies,
entre européens progressistes et nationalistes attardés.
Le problème,
c'est qu'on trouverait difficilement du nationalisme chez les partisans
du non réunis autour d'ATTAC et dont les arguments sont clairement anti-libéraux, ce qui
est tout autre chose. Par contre il est certain que beaucoup d'anciens
militants de la construction européenne s'imagineraient trahir leurs
convictions en refusant une nouvelle "avancée" des institutions,
malgré toutes les critiques qu'ils peuvent faire au texte
lui-même. C'est au nom de l'Europe et de la paix qu'on devrait
tout accepter comme si la victoire du non devait ramener la guerre sur
le continent ou même faire renoncer à toute constitution !
Résistance au libéralisme
Le nationalisme n'a pourtant plus aucun sens dès lors qu'on ne
peut
déjà plus sortir de l'Europe ni de l'Euro. Ce qui est en
question désormais ce n'est plus l'Europe mais son contenu. Il
est très
agaçant de se voir traité de nationaliste mais c'est
surtout complètement à côté de la plaque. On
a plutôt la divine surprise de voir revenir le débat sur la
question du marché et du libéralisme, comme au bon vieux
temps.
Débat dépassé bien sûr pour tous ceux qui
s'imaginent que le libéralisme a gagné pour toujours, il
ne s'agirait plus que d'être à la page ou renvoyé
aux
poubelles de l'histoire ! L'histoire est finie et finie la
récréation démocratique, il n'est plus temps de
rêver d'un autre monde... Certes, on voit les plus
libéraux prétendre assez comiquement que la constitution
nous
protégerait de l'ultra-libéralisme, mais c'est une bien
curieuse protection qui entérine comme nulle part ailleurs la
domination du marché avec une impossible "concurrence libre et
non faussée" comme principe fondateur. Il n'y a pourtant jamais de
liberté entière et la concurrence est toujours
faussée ! Ce dogmatisme est très dangereux, favorisant le
dumping social et les quasi monopoles. Au nom de quelques
concessions verbales, sans aucune portée, et de timides
avancées à court
terme, il faudrait se livrer pour toujours à la
prédominance de l'économie sur le politique, et ceci sous
prétexte que l'Europe s'est effectivement construite
jusqu'à
présent par son marché commun !
Il est amusant de voir nos
responsables s'offusquer qu'on puisse mettre en doute leurs intentions
et leur bonne volonté sur telle ou telle formulation alors qu'il
s'agit du caractère
contraignant d'un principe juridique qui pourra être
invoqué par n'importe qui, contre les services publics ou la
nécessaire relocalisation de l'économie. On aurait pu croire que les responsables voient plus loin
que ceux qui subissent les conséquences de leurs politiques dans
leur vie quotidienne, de plus en plus précarisée, mais
c'est tout le contraire. On ne construira rien de solide sur le
marché et seule la dynamique constituante du non peut relancer le processus et construire
une Europe démocratique, écologique et sociale servant de
contre-poids aux hyper-puissances des USA et de la Chine.
Quelle démocratie ?
Le
plus inquiétant dans cette campagne, c'est la conception de la
démocratie qui s'exprime chez nos "représentants" qui
soumettent la constitution au vote des français tout en leur
déniant tout droit à la parole. Quoi, des citoyens
prétendraient
faire changer la constitution qu'on leur a préparée, ils
s'imagineraient pouvoir la critiquer et obtenir une
renégociation ! De quel droit ? Pour qui se prennent-ils ? Où se croit-on ? en
démocratie ?
Vous n'y pensez pas, nous sommes dans une nouvelle aristocratie
européenne qui nous gouverne, ou bien plutôt une oligarchie
(constitution correspondant effectivement pour Aristote à une
société fondée sur la richesse et non sur l'égalité des citoyens).
Il
est stupéfiant qu'on s'imagine flatter notre nationalisme
supposé avec la belle histoire que cette constitution serait
d'inspiration française, jusqu'à identifier la France et
l'anti-libéralisme ! Du coup, ce serait vraiment trop demander
à nos partenaires que d'exiger une meilleure constitution, comme
si le libéralisme dominait effectivement partout en Europe et
que Giscard d'Estaing avait été le fer de lance de la
résistance au libéralisme ! L'argument selon lequel les
français ne pourraient
imposer aux autres pays une renégociation me semble
révélateur d'un déni de démocratie
où le vote se réduit à l'abandon de
souveraineté et perd sa valeur d'expression des citoyens.
Certes, dès lors qu'on vote pays par pays et non pas tous les
européens en même temps, on peut toujours opposer chaque
pays à tous les autres et disqualifier toute tentative de
résistance comme une insupportable arrogance, mais alors qu'on
nous parle sans arrêt de démocratie
participative, on ne peut récuser
ainsi l'intervention des citoyens, leurs craintes, leurs critiques ou
leurs
propositions. La démocratie vaut bien de reprendre le travail de
rédaction pour en tenir compte. On ne voit pas, d'ailleurs,
comment cette constitution serait améliorable plus tard, avec
l'accord des 25, si elle ne l'est pas maintenant qu'elle est soumise au
vote ! La dernière façon
paradoxale d'exclure les
citoyens, d'interdire toute réflexion politique et de rejeter la
prétention d'améliorer un texte illisible, au point que
c'est vraiment se foutre de nous, mais qu'on nous
envoie pourtant par la poste et qu'on nous demande d'approuver, c'est
de
prétendre qu'il reflète la complexité du
réel et d'une construction européenne qui se ferait donc
sans
nous...
La dynamique constituante du non
Si on n'avait pas le choix, il ne fallait pas nous demander notre avis
mais la victoire du non ne sera ni la fin de l'Europe ni le simple
retour au traité de Nice ni l'isolement de la France. Tout au
contraire, cela constituera un
choc salutaire engageant véritablement les peuples dans une
dynamique constituante, dans un large débat sur l'Europe que
nous voulons, dans un monde où tout a changé.
L'idée qu'on pourrait ne pas prendre en compte le vote de la
France est folle, de même que de prétendre que le non ne
porterait aucune alternative alors qu'il ne s'agit que de gagner
quelques points pour faire passer un texte amélioré. Ce
n'est certes pas aux
opposants à présenter une constitution alternative mais
aux pro-européens, ayant voté oui ou non, de faire une
constitution plus acceptable !
Les conditions
minimum pour accepter cette constitution sont assez simples, pas besoin de tout changer. Ce serait
de supprimer la partie III et les annexes mais surtout la
référence à une
"concurrence libre et
non faussée" ainsi que de prévoir un mode de
révision plus accessible
(genre 75% du parlement). Pourtant, ce qu'il faudrait vraiment, c'est
tout
autre chose, c'est une
intervention populaire massive en réponse à la crise
européenne ouverte par le rejet de la constitution, un mouvement social et un
débat à l'échelle de l'Europe, qui ne se limite ni aux experts ni aux élus,
permettant
de nous constituer vraiment en peuple solidaire et d'inscrire dans la
constitution une politique sociale ambitieuse de développement
humain à
la place de la croissance économique. Cela ne dépend pas
tant de tel ou tel projet alternatif de constitution plus ou moins
améliorée, mais de notre action collective. Bien
sûr, ce serait une révolution.
suite : Déclenchement du plan B !
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