3. L'actuel : confusion religieuse (Les saisons de l'histoire)
Le Pouvoir et la Science, Le Savoir et la Foi, L'Amour et la Liberté, La fin de la science (Rimbaud)
Car l'esprit n'est pas chez lui au commencement,
Il n'est pas à la source.
(Hölderlin)
En Dieu l'essence n'est pas distincte de l'existence. Son essence est dans son existence.
Dieu est l'acte pur d'exister.
Un être est connaissable dans la mesure où il est en acte. Dieu qui est l'acte pur, sans aucun mélange de puissance, est en soi suprêmement connaissable.
Le mal, en tant que non-être qui existe, est de l'être frustré, et en lui-même le mal est frustration.
(Thomas d'Aquin)
L'immuable n'est pas sans la singularité de l'incarnation. La vérité n'est pas l'identique ni le mouvement mais leur totalité, le cycle des générations où nous avons une destinée unique et située. Le savoir éternel change de forme pour répondre aux exigences du temps. Les similitudes entre l'universalité de l'empire romain et la mondialisation du capitalisme qui s'accélère donnent la mesure de la tâche qui nous incombe mais ne doit pas masquer les impasses nouvelles dont nous devons répondre et qui ne correspondent plus aux conditions de l'antiquité. Occasion plutôt de revenir à la tradition, occultée depuis ce temps par la religion chrétienne et la science, il y a redonne. Les dieux meurent aussi (Osiris-Dyonisos-Christ), laissant place à une nouvelle prophétie célébrant le Dieu des temps nouveaux que les poètes annoncent de leurs chants.
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!
Mallarmé
Le pouvoir et la science
NOUS AVONS PROPOSÉ LE DÉPÔT DE NOS SECRETS AUX CIEUX, À LA TERRE ET AUX MONTAGNES; TOUS ONT REFUSÉ DE L'ASSUMER, TOUS ONT TREMBLÉ DE LE RECEVOIR. MAIS L'HOMME ACCEPTA DE S'EN CHARGER, C'EST UN VIOLENT ET UN INCONSCIENT. (CORAN 33/72)
Une religion est une religion dominante, dans un groupe, une région, une nation, un peuple, un empire. Les peuples adoptent ou adaptent la religion de leurs vainqueurs et les frontières des deux royaumes se confondent souvent. Préparées dans la transgression révolutionnaire des exclus qui ne peuvent se satisfaire de l'ordre établi et formulent à nouveau l'enthousiasme de l'universel, les théologies religieuses doivent faire leurs preuves avant d'être adoptées par un souverain qui, sans en avoir toute la maîtrise, sait s'en servir à ses fins. La religion n'est pourtant pas un épiphénomène politique, c'est même plutôt la condition du politique, la fondation d'un langage commun, de rites de régulation. La société en dépend. L'unité de la société est fondée par le sens et cette unité favorise tellement le commerce que la royauté, et son pouvoir de normalisation, était célébrée au temps de Sumer comme un cadeau des dieux. Mais il n'y a pas de garantie que le réel soit conforme à sa représentation, que l'action de l'Etat soit conforme à ses fins. Le culte de l'ordre et de l'unité se réduit au culte du pouvoir et de la hiérarchie, de l'élite, de la soumission (Islam). Pourtant, l'histoire des peuples est l'histoire de leurs libérations, le mot de liberté est inscrit sur leurs étendards. Le pouvoir dément l'échec, la vérité seule peut nous rendre complices.
Les administrés ne sont pas étrangers aux administrateurs ni les êtres ordonnés aux ordonnateurs, et ce qui sert n'est pas, en tant qu'instrument, sans accord avec l'usager.J155
La Science sans conscience qui nous sert d'âme ne peut plus ignorer les conséquences de son pouvoir (de la folie nucléaire aux catastrophes écologiques), la nécessité d'une approche globale. Le capitalisme ne suffit pas à gérer sa déroute et il n'y a plus rien d'autre. La vérité du capitalisme est le marché, c'est à dire la séparation du producteur et du consommateur. Aucune voie autre que tyrannique et impuissante ne pourra rétablir l'unité perdue en réconciliant l'offre et la demande. Il faut prendre acte au contraire de leur séparation et en réguler l'échange (gagner du temps), seule voie où l'unité n'est pas contredite par le réel et c'est la voie de la démocratie qui fait de chaque un le gardien de tous. L'Unité peut se réclamer du Dieu jaloux et de sa colère ou respecter sa diversité.
Ne pas restreindre la divinité à un seul être, la faire voir aussi multipliée que Dieu nous la manifeste effectivement, voilà qui est connaître la puissance de Dieu, capable, en restant ce qu'elle est, de produire les dieux multiples qui se rattachent à lui, existent par lui, et viennent de lui! (Plotin Ennéades II9-9)
Le savoir et la foi
HEUREUX LES PAUVRES D'ESPRIT.
Les valentiniens nous attribuent la foi à nous simples; quant à eux, ils prétendent posséder la gnose, car ils sont sauvés par nature, avantage qu'ils doivent à la semence supérieure; ils disent que cette gnose est extrêmement éloignée de la foi, selon que le pneumatique est séparé du psychique, l'esprit de l'âme. (Clément) V156
Il est meilleur, il est plus utile d'être ignorant et peu savant, mais de se rapprocher de Dieu par charité, que de paraître savoir et connaître beaucoup en blasphémant contre celui qu'ils appellent Démiurge. (Irénée) V183
C'est la foi et l'amour qui sauvent; le reste est indifférent et seule l'opinion humaine y met une distinction de bien et de mal. (Irénée) V172
Le Bouddhisme aussi n’a pu triompher qu’en acceptant "le chemin facile" de la foi (la Bhakti) ouvert à tous en opposition à la voie du salut par les oeuvres ou la Connaissance.

Se limiter à la foi c'est exclure le sens symbolique pour ne garder que le fait historique, la profession de foi (le Martyr), la répétition du dogme sans complétude de la théorie, sans compréhension mais par libre adhésion. Le savoir rejeté dans le réel, libéré des contraintes théologiques (contrairement à l'Orient et l'Islam), fait retour dans la science, détaché du sens. La foi inconditionnelle d'Abraham est aussi un refus du savoir (serpent) au profit de la loi, écrite (et non d'un roi).

D’après la Théorie théologique, le monde dont on parle n’implique qu’un seul Discours (pratique) vraiment efficace en tant que Discours, qui est la Prière. L’univers où parlent les hommes implique donc un être, appelé Dieu, qui est Compréhensif vu qu’il comprend tout ce qu’on lui dit (en le priant d’écouter), qui est tout-puissant en ce sens qu’il peut exaucer n’importe quelle prière qu’on lui adresse et qui est souverain parce qu’il exauce ou non ces prières selon son seul bon plaisir et sans nulle raison ou cause qui l’y contraindrait, ce qui veut dire aussi qu’il est un être aimant, censé aimer en retour ceux qui l’aiment et donner suite par amour à leurs voeux. (Kojève Histoire raisonnée III p33)
Il est amusant de voir que Freud ne demande pas plus au psychanalyste que la foi dans l'existence de l'inconscient (soit le savoir qu’implique son discours) et non la purification de son pouvoir. La foi y dépend d'une initiation, la psychanalyse, qui met en acte l'inconscient, l'objective en le déliant du corps. Cette séparation du Symbolique et du Corps éprouvée dans le Réel est ouverte à tout sujet du langage puisque rien que la parole y compte. Cette ouverture de l'être aux plus démunis, aux névrosés sinon aux fous, cette croyance à l'existence de l'inconscient est encore une initiation mais cet accès au discours de la science par quiconque (pas tous) opère une synthèse nouvelle du savoir et de l'universel.
N'est-ce pas, chez Freud, charité que d'avoir permis à la misère des êtres parlants de se dire qu'il y a - puisqu'il y a l'inconscient - quelque chose qui transcende, qui transcende vraiment, et qui n'est rien d'autre que ce qu'elle habite, cette espèce, à savoir le langage? N'est-ce pas, oui, charité que de lui annoncer cette nouvelle que dans ce qui est sa vie quotidienne, elle a avec le langage un support de plus de raison qu'il n'en pouvait paraître, et que, de la sagesse, objet inatteignable d'une poursuite vaine, il y en a déjà là? (Lacan Encore 88)
La foi ne peut suffire à effacer le savoir dont elle voudrait se passer. D'ailleurs l'acte de foi ne suffit pas, réduisant la religion à un légalisme, la vérité est dans les oeuvres (JE PEUX AVOIR UNE FOI À SOULEVER LES MONTAGNES, SI JE N'AI PAS LA CHARITÉ JE NE SUIS RIEN) c'est l'Amour qui doit triompher par la vraie foi. Il y aurait de quoi rire quand on voit le résultat, bouleversements par quoi s'accomplit la génération future mais surtout épuisement d'un idéal trompé qui engendre dans les rigueurs de l'hiver la fièvre d'un nouveau printemps. La roue de l'histoire nous broie de crise en crise, ballottés au gré de la ruse de la raison dans ce qui nous confronte à l'Histoire et ses dialectiques subtiles ou guerrières.
MAIS CHACUN, COMME IL A COMMENCÉ, POSSÈDE UNE PART ÉGALE DU CYCLE.
L'amour et la liberté
JE NE FAIS PAS LE BIEN QUE JE VEUX, ET JE FAIS LE MAL QUE JE NE VEUX PAS. (PAUL)
Le message de l'évangile, inspiré du narcissisme primaire de Dieu pour sa créature (Aimes ton prochain comme toi-même), reste supérieur au simple arbitraire de la foi. Mais l'amour ne suffit pas, ne suffit plus. L'époque court après la liberté de guerres de libérations en libertés sexuelles. L'amour est libérateur, il nous sauve mais l'amour est tyrannique aussi, il nous soumet à une autre volonté. Pourtant l'amour comme la foi a besoin du libre arbitre, sans liberté de critiquer pas d'éloge flatteur (mortelle jalousie). L'amour qui unit ne doit pas retrancher la diversité qu'il contient mais unir en préservant la liberté de chacun.

L'amour nous abandonne sous ses rêves infinis, prend toutes les formes de la folie trahie. Pourtant il nous séduit à chaque rencontre assurément. C'est le lien qui nous lie, les bornes qui nous rompent.

L'amour sans la liberté n'est plus l'amour que nous aimons. La liberté d'abord à notre image donne foi et raison, matière, consistance, que l'amour vient combler d'une égale rencontre.

Mais sans amour comment serons-nous libres ? Prophètes de malheur qui prêchent le coeur sec, nous n'avons plus besoin de vous, passez comme poussière dans notre nuit d'étoiles, l'espace nous remplit de son immense souffle.
 

Lois, Richesses
C'est l'amour qu'il faut changer

Echangez les promesses
Contre l'amour donné (Revocu)

Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, coeur et beauté sont mis de côté : il ne reste plus que froid dédain, l'aliment du mariage d'aujourd'hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j'aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d'abord par des brutes sensibles comme des bûchers...
Que parlais-je de main amie! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. (Rimbaud)
Dire que l'Absolu est non seulement Substance, mais encore Sujet, c'est dire que la Totalité implique la Négativité, en plus de l'Identité. C'est dire aussi que l'être se réalise non pas seulement en tant que Nature, mais encore en tant qu'Homme. Et c'est dire enfin que l'Homme, qui ne diffère essentiellement de la Nature que dans la mesure où il est Raison (Logos) ou Discours cohérent doué d'un sens qui révèle l'être, est lui-même non pas être-donné, mais Action créatrice (= négatrice du donné). L'Homme n'est mouvement dialectique ou historique (= libre) révélant l'être par le Discours que parce qu'il vit en fonction de l'avenir, qui se présente à lui sous la forme d'un projet ou d'un "but" (Zweck) à réaliser par l'action négatrice du donné, et parce qu'il n'est lui-même réel en tant qu'Homme que dans la mesure où il se crée par cette action comme une oeuvre (Werk). (Kojève. Introduction... p 533)
C'est pourquoi l'essence de l'esprit est formellement la liberté, la négativité absolue du concept comme identité avec soi. Selon cette détermination formelle, il peut faire abstraction de tout ce qui est extérieur et de sa propre extériorité, de sa présence même; il peut supporter la négation de son immédiateté individuelle, la souffrance infinie, c'est-à-dire se conserver affirmatif dans cette négation et être identique pour lui-même. Cette possibilité est en elle-même l'universalité abstraite de l'esprit, universalité qui-est-pour-elle-même. (§382)
Le révéler qui, en tant qu'il est l'idée abstraite, est passage immédiat, devenir de la nature, est, comme révéler de l'esprit, lequel est libre, un acte qui pose la nature comme son monde; un poser qui, en tant que réflexion, est en même temps présupposer du monde comme nature autonome. Dans le concept l'acte de révéler est en même temps acte de créer ce monde, comme son être en lequel il se donne l'affirmation et la vérité de sa liberté. (§ 384 Hegel Ency.)
La liberté, qui a été l'objet de luttes religieuses (Luther) avant d'inspirer les révolutions modernes, est la substance de la responsabilité et donc de la culpabilité (Platon : La faute est à qui choisit; le dieu n'y est pour rien -Timée. C'est vous qui choisirez un démon, et non pas un démon qui vous prendra.-République). C'est aussi le nom de l'énigme du réel et de l'exigeant devoir d'y répondre, dans l'impossibilité de pouvoir s'y mesurer à notre finitude même : pas de liberté sans ignorance, mise en question, mais aussi pas de liberté qui vaille sans être la mise en commun de cette ignorance avec un autre qui l'objective par son désir

La liberté est nécessaire à l'homme, à l'esprit, au progrès (les lumières). On peut bien l'enfermer, la voler, la détruire elle ne recule pas longtemps, toute occupée à briser les chaînes qui l'entravent. On n'a pas le choix, on est libre c'est à dire obligé de choisir (chaque représentation opère un jugement) et responsable pour l'Autre de notre identité (la personne), au-delà de tout déterminisme. L'homme est libre pour l'homme, l'esprit pour l'esprit. La liberté est d'abord le dialogue ou la lutte de pur prestige. La liberté du désir, désir de l'Autre, de reconnaissance, est une contrainte formelle, libération du donné, négatrice, pure affirmation de l'esprit, de l'identité autonome, réflexive (Je=Je) donc incarnée. L'unité de l'esprit est sa liberté, sa liberté est son unité. Tout commence par la révolte, déclaration d'indépendance (La liberté ou la mort).

Hermès semble se limiter à la libération du corps et la soumission orientale à l'ordre établi dans l'acceptation, la contemplation du cosmos dont l’éternité cyclique est inaccessible à toute action, fût-elle divine. La liberté pourtant dépend de ce qu'on en fait (on ne peut servir deux maîtres). Elle nous rend responsables devant l'histoire à mesure même où notre ignorance doit malgré tout décider du sort et dessiner notre image. C'est la troisième liberté, celle du réel dont le savoir n'est pas donné d'avance. Nous devons agir dans l'ignorance, d'autant plus attentifs aux signes perceptibles, aux expériences accumulées, pour qu'advienne au monde notre présence créatrice, qui s'y mesure en y échouant. Nous sommes déterminés par la structure mais l'avenir reste incertain, non calculable (le déterminisme est une idéalisation folle, effet d'après coup).

Il faut distinguer la liberté absolue et tyrannique de l'arbitraire avec une liberté multiple et divisée mais concrète. L'histoire manifeste la liberté de reproduction qui se reproduit en se transformant, en transformant ses conditions de reproduction. L'homme est son propre produit, incalculable en ses effets. C'est la signification imprévisible de sa liberté, la naissance de sa possibilité, sa mise au monde infinie. Notre dignité est d'en concevoir les possibles et d'en cultiver les avantages, corriger les dérives, imposer notre direction, inscrire notre marque pour l'à venir, bien faire et bien dire, tenir sa place. Non pas seulement libre de quelque chose mais libre pour.

Notre charte est celle de nos pères qui n'ont pas achevé la besogne mais tracé le sillon. Chacun est libre de vivre comme il veut (comme le veut sa raison unique et déchirée dans notre commune solitude), chacun se vaut parole contre parole (sans distinctions de fortune ou de sang) et chacun vit en nous (solidaire, miroir et juge) : Liberté, égalité, fraternité. Cela ne va pas de soi. L'avenir dépend de ce que nous en ferons, il dépend de nos actes. (Manifeste)

La fin de la Science
Un coup de dé jamais n'abolira le hasard (Mallarmé).
Aussi faut-il suivre le Logos commun (Héraclite).
Là pas d'espérance
Nul orietur
Science avec patience
Le supplice est sûr
Se peut-il qu'Elle me fasse pardonner les ambitions continuellement écrasées, - qu'une fin aisée répare les âges d'indigence, - qu'un jour de succès nous endorme sur la honte de notre inhabileté fatale?
Que des accidents de féerie scientifique et des mouvements de fraternité sociale soient chéris comme restitution progressive de la franchise première?...
Oh! la science! on a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, -le viatique,- on a la médecine et la philosophie,- les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangées.
La science, la nouvelle noblesse! le progrès. Le monde marche! Pourquoi ne tournerait-il pas?
C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. (Rimbaud)
Depuis la physique quantique et le nazisme, la science n'en finit pas de tracer ses limites du Chaos aux constantes de l'Univers, de la médecine à l'écologie. Le mur infranchissable est physique. Notre position dans l'univers ne nous empêche pas d'en rien savoir mais d'en savoir tout. Lorsque le physicien se trouve face à ses propres limites et non face à l'énigme du réel il perd l'énergie de la vérité qui en a permis la formalisation. La physique se réduit à son efficacité et donc à la technique dont la science a toujours voulu se distinguer pourtant dans la confrontation de son formalisme au réel de l'expérience (Le réel c'est l'impossible, seul le réel est rationnel). C'est le point où les illusions qu'elle véhiculait s'effondrent, sa conception du monde, son idéologie, ses présuppositions, nous laissant désemparés face à notre destin. La prétention d'occuper la place des anciens dieux y devient risible. Un Dieu n'est pas une figure géométrique, c'est un combat pour une cause, c'est le concept qui mesure notre peine (Lennon).
Les contraintes sont devenues moins occultes, plus grossières, moins puissantes, plus nombreuses.
Dans la lutte contre l'aliénation naturelle (la mort, la maladie, la souffrance), l'aliénation est devenue sociale. Et à leur tour, la mort, la maladie, la souffrance devinrent sociales.
Nous ne voulons pas d'un monde où la garantie de ne pas mourir de faim s'échange contre le risque de mourir d'ennui.
(Vaneigem)
Il faut que le communisme s'écroule réellement pour que notre condamnation de sa tyrannie devienne réfutation de sa mythologie. Il faut que la Science baisse les armes devant le réel pour que se révèle la naïveté des attentes qu'elle a pu susciter malgré toutes ses dénégations. La psychanalyse est le lieu d'émergence de ce sujet de la science, le point de ses contradictions (énoncé limité par son énonciation) encore méconnu par ses tenants, ce qui ne l'empêche pas de travailler les discours et subvertir l'assurance que l'homme moderne trouvait dans sa rationalité formelle. La question refoulée de l'origine et du sens retrouve son antique actualité. La Sagesse n'y est d'aucun secours qu'à nourrir de silence le cycle des générations, laissant la plainte sans réponses.Mieux vaut se réclamer de son Daimon, de son symptôme, de sa folie singulière plutôt que d'une perfection usurpée et inactuelle. L'universalité de l'esprit s'étend au-delà des pauvres d'esprit, des prolétaires, de toute normalité jusqu'à la folie, aux rêves, aux actes manqués. L'inadéquation de l'individu à l'universel est sa maladie originaire.(§ 375 Ency. Hegel)
L'être de l'homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l'être de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme limite de sa liberté.
Que chacun fasse référence à sa vie. Est-ce qu'il a ou non le sentiment qu'il y a quelque chose qui se répète dans sa vie, toujours la même, et que c'est ça qui est le plus lui. Un certain mode du jouir, un stéréotype qui est bien le stéréotype de chacun, témoignant d'un manque vraiment essentiel.
L'être parlant ne sait pas les pensées même qui le guident. Ces pensées comme toutes les autres, se caractérisent par ceci qu'il n'y a pas de pensée qui ne fonctionne comme la parole, qui n'appartienne au champ du langage. La façon dont Freud opère, part de la forme articulée que son sujet donne à des éléments comme le rêve, le lapsus, le mot d'esprit. La nouvelle forme qu'il lui substitue par l'interprétation est de l'ordre de la traduction, et la traduction c'est toujours une réduction. Il y a toujours une perte. Cette perte, c'est le réel de l'inconscient, le réel même tout court. Le réel pour l'être parlant, c'est ce qu'il perd, et surtout qu'il se perd quelque part, et où? C'est là que Freud a mis l'accent, il se perd dans le rapport sexuel. Il y a des normes sociales faute de toute norme sexuelle.
Même si les souvenirs de la répression familiale n'étaient pas vrais, il faudrait les inventer, et on n'y manque pas. Le mythe, c'est ça, la tentative de donner forme épique à ce qui s'opère de la structure.
Où en tout ça, ce qui fait bon heur ? Exactement partout. Le sujet est heureux. C'est même sa définition puisqu'il ne peut rien devoir qu'à l'heur, à la fortune autrement dit, et que tout heur lui est bon pour ce qui le maintient, soit pour qu'il se répète. L'étonnant n'est pas qu'il soit heureux, c'est qu'il prenne idée de la béatitude, une idée qui va assez loin pour qu'il s'en sente exilé.
La tristesse c'est simplement une faute morale, un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s'y retrouver dans la structure.
(Lacan)
La folie n’est pas, pourtant, une simple dimension intellectuelle, un jeu d’esprit mais bien le risque de la pensée, son arbitraire sans garantie livré à l’échange avec l’autre ou à l’effondrement du rapport à l’autre.
Je parle moi de l'absence de trou, d'une sorte de souffrance froide et sans images, sans sentiment, et qui est comme un heurt indescriptible d'avortements.
Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée. Je suis celui qui connaît les recoins de la perte.
(Arthaud)
Oh! mes amis! - mon coeur, c'est sûr, ils sont frères
Noirs inconnus, si nous allions! allons! allons!
Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace et de l'humilité pour les aborder. Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs!
Ô saisons, ô châteaux!
Quelle âme est sans défauts?
J'ai fait la magique étude
Du bonheur, qu'aucun n'élude
Je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle.
A chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies. - Ainsi j'ai aimé un porc.
Aucun des sophismes de la folie, - la folie qu'on enferme, - n'a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.
C'est faux de dire : je pense : on devrait dire on me pense.
Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon et nargue aux inconscients qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait.
Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs!
La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver; cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel; tant d'égoïstes se proclament auteurs qui s'attribuent leur progrès intellectuel! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit - et le suprême savant! - Car il arrive à l'inconnu, et quand affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé!
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l'humanité, des animaux même; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme; si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue;
- Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra!
Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès! énormité devenant norme, absorbée par tous, il sera vraiment un multiplicateur de progrès! La poésie ne rythmera plus l'action; elle sera en avant.
Ces poètes seront! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme, - jusqu'ici abominable,- lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi! la femme trouvera de l'inconnu! Ses mondes d'idées différeront-ils des nôtres? - Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses; nous les prendrons, nous les comprendrons.
Pleurant, je voyait de l'or et ne pu boire.
Ce n'est rien! j'y suis! j'y suis toujours
Rimbaud
 
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