Tout pourrait revenir comme avant ou presque, semble-t-il, avec quelques règles en plus, quelques ajustements, de sévères corrections même, mais tout cela n'aurait été au fond qu'un mauvais moment à passer, une simple réduction de l'activité, des bénéfices, des revenus. On nous annonce pour l'année prochaine une récession entre 1% et 5%, la belle affaire ! Pas de quoi faire un plat pour cela, chacun peut retourner à ses petites affaires et joyeuses fêtes à tous ceux qui croient au Père Noël !
L'optimisme forcé des économistes a été dénoncé comme un des facteurs de la crise, il ne semble pas qu'on en soit sorti pour autant, passant de l'affirmation que "le plus dur est derrière nous" à ces prévisions qui ne prévoient rien mais ne font que faire tourner des modèles qui viennent pourtant de démontrer leur incapacité d'intégrer les hypothèses extrêmes, les facteurs externes, les ruptures de seuil et, donc, de calculer les risques réels alors même qu'on assiste au télescopage de toute une série de crises pas seulement économique et financière.
Alors qu'on s'enfonce dans la récession, que les premiers effets commencent tout juste à s'en faire sentir mais que montent déjà l'angoisse et la révolte, on aurait bien cru devoir approuver sans réserve pour une fois ce petit livre de Jacques Attali, tant l'accord peut être grand sur le diagnostic, aussi bien sur les causes que sur la gravité d'une crise qu'il avait été l'un des premiers à annoncer. Ce qui ne gâte rien, on y retrouve une rhétorique de gauche assez "percutante" (sans doute liée au fait qu'il en profite pour régler quelques comptes avec les banquiers de la City qui l'avaient obligé à démissionner de la présidence de la BERD !).
Le voile se déchire, l'empire s'écroule, les fortunes se défont, les pouvoirs sont renversés ! Les belles histoires qu'on nous racontait se révèlent ce qu'elles étaient, de la pure idéologie justifiant l'injustifiable de la domination des dominants. Ce n'est pas une raison pour ne plus croire en rien ni pour croire que ce sont les idées qui mènent le monde et retomber encore une fois dans les mêmes ornières en ne faisant que passer d'une idéologie à une autre, tout aussi aveugle et barbare.
En toutes choses, il est bon de revenir au commencement, Ab Ovo. Le problème pour l'émergence de l'homme hors de l'animalité, c'est qu'il y a plusieurs commencements mais cela n'empêche pas qu'il est essentiel de comprendre d'où l'on vient. En particulier, contrairement à ce dont on voudrait se persuader, l'homo sapiens est loin d'avoir été non-violent, ni véritablement en harmonie avec son environnement dans les époques pré-néolithiques supposées époques d'abondance et d'an-archie.
Devant les malheurs du temps, il semble qu'il ne nous resterait plus qu'à rêver à quelque monde merveilleux ou alors nous raidir dans une radicalité extrême sans aucune effectivité. Tous nos murs sont couverts de promesses de bonheur en technicolor, nous croulons sous les marchandises qui voudraient maintenir notre désir en haleine, mais un certain nombre de contestataires de l'ordre établi voudraient nous persuader que leur produit est bien meilleur encore, renchérissant sur les promesses d'une jouissance supposée plus authentique celle-là, certifiée par quelques experts auto-proclamés, comme d'autres lavent plus blanc que blanc !
On n'a encore rien vu de la crise économique et l'effondrement financier menace toujours mais avec l'engagement inattendu de la Chine dans un véritable New Deal et l'élection d'Obama qui devrait aller dans la même direction, l'hypothèse que la crise soit surmontée devient soudain nettement plus crédible. On n'y est pas encore, loin de là, mais il faut prendre conscience que cette crise née d'un excès de confiance dans la stabilité du système pourrait aboutir à son renforcement jusqu'à un point inégalé jusque là, achevant véritablement la globalisation marchande. On ne peut écarter la possibilité bien réelle d'une période d'instabilité géopolitique plus ou moins dévastatrice mais qui n'est pas le plus probable pour l'instant et ne ferait que reculer sans doute ce "Nouvel Ordre Mondial" qui commence à se dessiner. En tout cas, il faut envisager sérieusement que ce soit dans cet horizon, d'un système entièrement mondialisé, qu'il faudra désormais inscrire toute action politique, ce qui ne signifie pour autant ni la fin de l'histoire, ni qu'il n'y aurait plus d'alternative ! Occasion de revenir sur ce que c'est qu'un système, en quoi il nous contraint mais aussi les marges de manoeuvres qu'il nous laisse et les différents niveaux d'intervention qu'il permet, en commençant par le local.
Le monde est désespérant et incompréhensible, surtout en période de crise où l'on a tant besoin de trouver des coupables, de réponses simplistes, de solutions imaginaires mais qui ne font qu'ajouter au désastre, hélas ! La difficulté de la politique c'est de ne pas tomber dans cette démagogie, dans ce qu'on voudrait bien entendre ou dans l'action purement symbolique, mais de garder le cap d'une transformation matérielle effective qui oblige à dénoncer les impasses de fausses théories et d'emportements un peu trop idéologiques.

La situation est grave et c'est loin d'être fini mais il faut d'autant plus raison garder : toute réussite dépend de la justesse de l'analyse. Suite à l'avalanche d'articles qui annoncent la fin du capitalisme, l'interview d'Immanuel Wallerstein dans Le Monde du 11 octobre, titré justement "
La crise est entrée
On en sait beaucoup moins qu'on ne croit. La pensée est lente et notre rationalité limitée. Il nous est difficile d'être nos propres contemporains et de comprendre notre actualité. Il suffit de lever la tête de son clavier pourtant pour mesurer tous les bouleversements que nous vivons. Il y en a eu d'autres, sans doute, et à chaque époque son malaise, mais ce n'est pas tout-à-fait le même à chaque fois. Ainsi, on est passé de la névrose de culpabilité à la dépression d'un individualisme exacerbé, ce qui dénote un progrès malgré tout de notre autonomie où le numérique n'est pas tout-à-fait pour rien, mais il faut bien convenir que la dématérialisation, la permanence des connexions, la rapidité des échanges ont un effet déréalisant nous précipitant dans un tout autre monde, qu'on peut trouver assez inquiétant.
Alors que la génération internet émerge à peine de son enfance et s'apprête à conquérir le monde pour le changer bien au-delà de ce qu'on imagine, la confusion est à son comble avec certaines critiques de la société voulant faire des nouvelles technologies l'origine de tous nos maux.
Comme la plupart des notions trop générales, le Bien, le Mal ou la liberté, l'humanisme peut être mis à toutes les sauces de sorte qu'on pourrait vouloir s'en débarrasser à juste titre, mais ce n'est pas si simple car on ne peut guère s'en passer non plus. Il y a donc plutôt un enjeu politique à défendre dans la définition même de l'humanisme, en sachant qu'il peut servir à couvrir toutes les barbaries comme on a massacré au nom de Dieu, de l'amour ou de la civilisation.