On envisage la production de minis trous noirs par collisions de protons dans le prochain
accélérateur de particules LHC (
Large Hadron Collider
à Genève, on
dit collisionneur maintenant car on fait entrer en collision des
particules accélérées en sens contraire. Les
hadrons sont des particules sensibles à l'interaction forte,
comme les protons, les neutrons ou les mésons). Ce serait passer
un seuil, une nouvelle frontière, la
dernière peut-être, mais il faut souligner du même
coup les incertitudes de l'expérience, en particulier
l'impossibilité d'évaluer véritablement les
risques, même si
un accident est effectivement très improbable
a priori ! Comme le disent les auteurs de cet article :
"La perspective de produire des trous
noirs sur Terre peut sembler insensée. Comment être
sûr qu'ils vont bien se désintégrer en toute
sécurité, comme le prédit S. Hawking, plutôt
que de continuer à croître et, in fine, engloutir
toute notre planète ? Au premier abord, cette inquiétude
semble justifiée, d'autant que certains détails du
raisonnement initial de S. Hawking peuvent être erronés,
en particulier la destruction de l'information. Un raisonnement
fondé sur les principes généraux de la physique
quantique montre cependant que les trous noirs microscopiques ne
peuvent être stables : ils sont pas conséquent sans
risques. Une concentration d'énergie de masse, ce qu'est une
particule élémentaire, n'est stable que si une loi de
conservation interdit sa désintégration (par exemple, la
conservation de la charge électrique et du nombre baryonique,
qui assure la stabilité des protons tant qu'il n'est pas
violé). Il n'existe pas de telles lois de conservation qui
stabiliseraient un trou noir microscopique. Par conséquent, les
petits trous noirs vont rapidement se désintégrer, en
accord avec la seconde loi de la thermodynamique.
De fait, un argument empirique
corrobore l'hypothèse selon laquelle une usine à trous
noirs ne présenterait aucun danger. Des collisions très
énergétiques comme celles qui auront lieu au LHC ont
déjà eu lieu dans l'Univers primordial et se produisent
même aujourd'hui, lorsque des rayons cosmiques de très
haute énergie percutent l'atmosphère terrestre. Par
conséquent, si les collisions au LHC sont susceptibles de former
des trous noirs, cela signifie que la nature en a déjà
produit juste au-dessus de nos têtes." 66
Tout ceci est probable mais n'est justement que très probable
puisqu'on n'est même pas vraiment sûr de l'existence des
trous noirs ! On est dans l'hypothètique, ce qui ne permet
donc pas d'exclure absolument l'accident, l'emballement. C'est
vraiment très excitant, presqu'autant que le saut à
l'élastique ! Il n'est bien sûr pas question de s'opposer
à ces expérimentations qui devraient être
très riches d'enseignements sur les dimensions
supplémentaires de l'espace-temps, mais au moins d'attirer
l'attention sur la difficulté d'application du principe de
précaution dans la recherche fondamentale. Evidemment, toutes
les précautions ont été prises, est-ce pourtant
suffisant quand les risques sont potentiellement apocalyptiques ?
Peut-on tout sacrifier à l'avancée de la science et ne
vaudrait-il pas mieux tester ce phénomène d'abord dans
l'espace ? En tout cas, il serait
dommage de réserver ces sueurs froides aux seuls scientifiques...
Il
ne s'agit pas d'effrayer les populations, juste de faire sentir la
précarité de notre existence et la fragilité du
savoir, ce qui constitue notre présent historique dans son
actualité. Mais voyons l'état, très
spéculatif, de la
théorie qu'on doit en grande partie à Stephen Hawking et
qui prétend nous donner le fin mot de la physique, ce qu'il
appelle même "
la pensée de Dieu" :
"En prenant conscience que les trous noirs peuvent
être petits, S. Hawking s'est interrogé sur les effets
quantiques qui pouvaient entrer en jeu et, en 1974, il a abouti
à la conclusion que les trous noirs avalent des particules, mais
qu'ils en recrachent aussi. S. Hawking a alors prédit que les
trous noirs rayonnent comme un corps chaud dont la température
est inversement proportionnelle à leur masse. [...] Cette
émission emportant de l'énergie, la masse du trou noir
tend à décroître. Un trou noir est ainsi
très instable : comme sa masse diminue, sa température
augmente, de sorte qu'il émet des particules de plus en plus
énergétiques - il maigrit donc de plus en plus vite.
Quand le trou noir a fondu jusqu'à atteindre une masse d'environ
1000 tonnes, les jeux sont faits : en moins d'une seconde, il explose
avec l'énergie d'une bombe nucléaire d'un million de
mégatonnes. Le temps que met un trou noir à
s'évaporer est proportionnel au cube de sa masse initiale. Pour
un trou noir d'une masse solaire, c'est une durée inobservable,
1064 ans [...]
Les travaux de S. Hawking ont constitué une grande
avancée conceptuelle, car ils regroupaient trois pans bien
distincts de la physique : la relativité générale,
la théorie quantique et la thermodynamique. Ce fut aussi un pas
en avant dans l'élaboration d'une théorie quantique de la
gravitation. Même s'il s'avère un jour que les trous noirs
primordiaux n'ont jamais existé, les réflexions autour de
ce thème se seront révélées très
fructueuses.
En particulier, la découverte de l'évaporation des trous
noirs a mis en évidence un paradoxe situé au coeur des
difficultés qui empêchent de concilier la
relativité générale et la mécanique
quantique. D'après la relativité générale,
l'information contenue dans ce qui tombe sur un trou noir est perdue
à jamais. Cependant, si le trou noir s'évapore
qu'arrive-t-il à l'information qu'il referme ? S. Hawking a
suggéré qu'un trou noir s'évapore totalement, en
détruisant l'information. La destruction de l'information va
à l'encontre des dogmes de la mécanique quantique, et
viole en particulier la loi de conservation de l'énergie, ce qui
la rend peu plausible. L'alternative selon laquelle les trous noirs
laissent derrière eux des vestiges est tout aussi inacceptable.
Pour que ces vestiges encodent toute l'information qui aurait pu
tomber dans le trou noir, il faudrait qu'ils se présentent sous
une variété infinie de types [...] La nature serait
catastrophiquement instable. Une troisième solution consisterait
à renoncer au principe de localité. [...]
La production de trous noirs ouvrirait de nouveaux horizons à la
physique. l'existence même de ces objets serait une preuve de la
réalité des dimensions cachées de l'espace, dont
les propriétés pourraient alors être
explorées. En produisant des trous noirs de taille de plus en
plus grande, les dimensions supplémentaires se manifesteront
toujours davantage à travers la force de gravité ; avec
un trou noir de taille comparable à celle d'une de ces
dimensions, la relation entre la température et la masse d'un
trou noir serait notablement modifiée. De même, si un trou
noir était suffisamment gros pour recouper un univers
tridimensionnel parallèle dans les dimensions
supplémentaires, ses propriétés
d'évaporation changeraient soudainement.
La production de trous noirs dans les accélérateurs
pourrait correspondre à une fin de la quête des composants
ultimes de la matière [...] L'apparition des trous noirs
marquerait ainsi un tournant dans l'étude de la nature, un
tournant qui devrait inaugurer l'exploration des dimensions
supplémentaires de l'espace-temps."