L'information se définit objectivement comme
improbabilité
(physique et quantitative) et subjectivement par une réduction de
l'incertitude (cognitive et qualitative). Au niveau d'un signal (téléphonique
par exemple ou sonnerie), une information constitue une improbabilité
par rapport au bruit de fond considéré comme purement aléatoire
(mouvement brownien). Pour constituer une information l'improbabilité
du signal doit être redondante, c'est-à-dire se répéter
d'une certaine façon pour signifier son intentionnalité par
son insistance (comme une sonnerie) ou bien simple conséquence d'un
changement d'état durable, signalant un événement physique
(mouvement, changement d'intensité ou de seuil). Pour le cerveau notamment,
les signaux trop répétés finissent pas être ignorés.
Seul le changement importe dans la perception, l'imprévu, l'écart
entre la représentation et la sensation. Au niveau du sens (de la sémantique)
qui nous est beaucoup plus familier on sait bien que les informations quotidiennes
ne parlent pas des trains qui arrivent à l'heure, ce qui serait une
information si cela devenait l'exception, mais des événements
plus ou moins exceptionnels de la journée qui peuvent changer nos représentations
préalables et nos stratégies à venir. L'improbabilité
de l'information constitue le monde comme transcendant, extérieur
dans son imprévisibilité, sa découverte, sa surprise.
On peut sans doute dire de toute existence qu'elle est improbable dans sa contingence (voir
l'improbable miracle d'exister). L'improbabilité ne suffit donc pas à
définir l'information,
même si on a ainsi l'assurance de pouvoir traiter toute existence comme
une information. L'information a un caractère subjectif inéliminable
comme "réduction de l'incertitude" qui présuppose une représentation
préalable mais surtout un
récepteur pour lequel cette
information fera sens. C'est le paradoxe de l'information, qu'on retrouvera
pour la finalité, qu'elle est constituée comme telle par le
récepteur qui lui donne sens par son intentionalité. C'est
fondamental car "ce qui limite la vérité ce n'est pas le faux
mais l'insignifiant" comme disait René Thom et trop d'information
tue l'information. Une information n'est telle que si elle permet de lever
l'incertitude d'un sujet, participer à sa décision, provoquer
une réaction. Une information sans effets est une information perdue
ou même un simple bruit. L'information est une notion cognitive et
non pas physique, sa réception transforme l'utilisateur, c'est bien
autre chose qu'une simple transmission, comme le soulignait Varela.
Une autre propriété fondamentale de l'information, qui se déduit
des deux précédentes, c'est son caractère de
signe
pour quelqu'un et donc sont caractère indirect qui renvoie à
autre chose qu'elle-même. C'est ce qui achève d'opposer complètement
l'information à la matière ou à l'énergie et
devrait empêcher d'en faire une notion physique comme certains physiciens
le font. Par son caractère improbable l'information s'oppose déjà
comme discontinuité à la continuité du signal physique
ou de lois mathématiques. Surtout, et contrairement à l'énergie
d'une force physique, il n'y a absolument aucune proportionnalité
entre une information et ses effets (un signal électrique très
faible peut commander une puissance très importante). Cette disproportionnalité
est à l'origine de la productivité étonnante des technologies
informatiques. Le caractère physique discontinu, non linéaire,
de l'information se double de son caractère subjectif de signe pour
le récepteur, de son codage ou de sa numérisation qui permet
une reproduction parfaite malgré l'entropie et les pertes de signal,
grâce à la répétition ou bien aux codes de redondance
cyclique. On ne peut donc absolument pas confondre l'information avec l'énergie
ou la matière qui ne peuvent pas du tout se reproduire, mais se dégradent
inexorablement par le bruit ou l'entropie. La capacité de reproduction
de l'information à l'identique vient de son caractère numérique
et contrôlable, mais ce qui en fait la puissance c'est de renvoyer
au signifié au-delà du signe, d'être un simple pointeur
sur autre chose. C'est parce que l'information désigne indirectement par
un codage quelconque une existence concrète dans sa temporalité,
son mouvement, une présence ou un absence (un oui ou un non, une décision
à prendre), qu'elle peut échapper à l'entropie par sa
reproduction à l'identique malgré le temps qui passe, tout
comme la vie. Nous vivons actuellement la révolution numérique
qui nous donne les moyens de résister à l'entropie et à
la violence d'une société énergétique sans avenir.
Ce n'est pas dire que tout se réduit à l'information, que
le signal pourrait ne pas être physique et qu'il n'y a plus de problème
énergétique mais plutôt qu'il faut réduire notre
consommation d'énergie grâce à l'optimisation informatisée
et l'organisation politique. Comprendre le rôle de l'information comme
signe pour quelqu'un devrait éviter de confondre l'auto-organisation
biologique en réseaux avec des ordres spontanés purement physiques,
quasi-cristaux, fractales ou structures dissipatives (ne serait-ce que parce
que la vie s'oppose à la dissipation d'énergie). De même,
il ne faut pas confondre l'information avec la communication matérielle
elle-même car ce qui constitue l'information comme signe immatériel,
ce n'est pas son support physique, c'est qu'elle fasse sens pour un récepteur,
déclenche une rétroaction, un mouvement, une régulation.
Il n'y a donc pas d'information en soi car un signe désigne toujours
quelque chose pour quelqu'un mais cela n'empêche pas qu'une information
est la même pour tous ceux qui y sont sensibles (il fait jour pour tous
ceux qui sont éveillés, tout ce qui est vivant), c'est ce
qui constitue notre monde commun, notre biosphère où circulent
flux de matières, d'énergie et d'informations.
On peut déduire aussi de la définition de l'information par
son improbabilité, son caractère d'information
imparfaite. Une information jamais n'abolira le hasard ni les informations suivantes
qui la contrediront par leur improbabilité. C'est un principe de base
de la cybernétique, des régulations et du pilotage par objectif
de corriger constamment le tir, depuis les premières DCA automatisées ou le simple thermostat,
en se réglant sur les effets constatés. C'est le caractère
im-parfait de l'information, c'est-à-dire le caractère imprévisible
du monde et de notre action, qui constitue l'information (ou la perception) comme apprentissage
et mise au point permettant d'ajuster notre action au résultat, causalité
à partir des effets, causalité par la fin à l'opposé
des causes matérielles ou énergétiques qui s'épuisent
dans leur passé, leur émission initiale, leur programmation. C'est ce qui fait
de la vie comme processus toujours "
in formation", la capacité
de parer à l'imprévu et de s'opposer à l'entropie en
se régénérant et se reproduisant mais aussi en s'adaptant
petit à petit, en se corrigeant sans cesse, par contrôle des sens, par des circuits récursifs
où l'effet devient cause, procédant par
feed-back du milieu,
intériorisation de l'extérieur (modélisation). La conscience elle-même
peut être définie comme manque d'information, exploration des mystères du monde (étonnement,
interrogation et vérification, "
Penser c'est perdre le fil" dit Valéry).
Il faut comprendre enfin le concept d'information comme un concept
biologique, inséparable de la vie elle-même qu'on peut définir
comme ce qui s'oppose à l'entropie, ce qui réussit à
durer dans un monde souvent chaotique et plein de mauvaises rencontres, ce
qui arrive à faire face à l'imprévu et à se reproduire.
Il n'y a de récepteurs qu'au niveau biologique, dès la biochimie
caractérisée par une activation ou désactivation de récepteurs,
introduisant des "réactions conditionnelles" au principe des régulations
et d'une causalité par les effets, introduisant donc la finalité
tournée vers l'avenir dans la chaîne des causes matérielles
aveugles. La vie peut se définir comme rapport à soi, condition
de sa durée et qui préfigure d'une certaine façon la
conscience de soi que permettra seulement le langage mais qui est déjà
intégration du flux d'informations extérieures et auto-sensibilité
de nos sensations. Il n'y a pas de génération spontané,
mythe libéral, la vie vient de la vie, on ne refait pas le chemin
à chaque fois, tout est dans la reproduction de la cellule séparant l'intérieur
et l'extérieur avec qui s'échangent informations, matières
et énergie.
Avec la parole et le
langage on n'est plus au niveau
d'une simple boucle de régulation. Une nouvelle rupture s'opère,
un changement de niveau, basé certes sur l'information, comme le
biologique est basé sur la chimie, mais comportant son efficace propre,
imposant ses structures à nos représentations ainsi que son
exigence d'universalité et de réciprocité tout en apportant
une bien plus grande souplesse et inventivité, l'histoire accélérant
désormais considérablement l'évolution.
Il faut éviter toute confusion
des niveaux entre réflexe et réflexion,
finalité
biologique et projet humain préconçu mais plus encore entre
information vitale et phénomènes physiques. La finalité
biologique ne présuppose aucune volonté mais seulement la capacité
de se réguler par
feed-back de l'environnement. La finalité
est ce qui donne sens à l'information. Comme organisme vivant nous
sommes le produit de flux d'informations, d'énergie et de matières
ainsi que d'une différenciation du milieu dans la stratégie
d'adaptation. Comme êtres humains, nous sommes le produit d'une histoire
et porteur de finalités humaines, d'un désir de désir,
désir de reconnaissance qui nous implique dans l'accumulation des
connaissances et la responsabilité collective face aux informations
données par des sciences plus ou moins sûres mais de plus en
plus inquiétantes.
Bien qu'on ne puisse l'appliquer complètement à tous les organismes
vivants, l'information semble bien inséparable de l'apprentissage,
de la représentation et du sens qui en conservent les traces. En tout cas, l'
évolution
témoigne elle-même d'une sorte d'apprentissage et d'intégration
de l'improbabilité du monde, d'une complexification qui est une optimisation
et une spécialisation des organismes, du moins en l'absence de stress
trop important qu'on peut définir comme une information à
laquelle il est impossible de répondre et qu'on ne peut intégrer.
A notre niveau c'est le langage et l'histoire qui ont accéléré
l'évolution par l'accumulation d'informations et de savoirs. Aujourd'hui,
les techniques de l'information à l'ère du numérique
qui bouleversent aussi bien la production que la consommation, devraient permettre
de passer de la violence hiérarchique et de l'entropie des sociétés
énergétiques à une société de l'information
en réseaux plus écologique et durable, prenant en charge la
responsabilité de notre avenir. Cette société de l'information
est une société vivante où ce qui manque justement c'est
le savoir et l'information, privilégiant dès lors la réflexion
et l'autonomie ainsi que l'évaluation de nos actions, instituant des
régulations par rétroactions et donc une production en réseaux
réglée en grande partie par la consommation mais intégrant
aussi le long terme. Pour cela, on ne peut se passer d'un projet collectif
explicite et de la solidarité sociale assurant une protection à
tous.
Insister sur la séparation de l'information avec la matière
ou l'énergie n'est pas dire que les phénomènes physiques
n'existent pas (brisures de symétrie, catastrophes, entropie), mais
qu'avec l'information, l'organisation, l'échange, la parole, la science,
nous disposons d'autres ressources et même d'une puissance démesurée
par rapports aux moyens matériels ou l'exploitation de la force de travail.
Plutôt que de nous enfermer dans nos singularités et laisser
nos sociétés et nos vies exposées à l'entropie
physique, nous devons utiliser les informations disponibles pour préserver
notre avenir, résoudre ensemble les problèmes collectifs,
construire un
projet politique qui nous rassemble dans nos diversités
et permette un véritable développement humain basé
sur les réalités locales. L'enjeu on le voit est considérable,
contre le libéralisme (le monde des causes, des lois naturelles et
d'un obscur originaire) le retour aux régulations, aux finalités
humaines, aux lumières de la raison et du dialogue politique, mais
délestés de l'idéologie du progrès comme du
volontarisme étatique et violent au nom de la réduction des risques et du principe de précaution
qui est un principe vital : passage de l'histoire subie à l'histoire
conçue, de l'irresponsabilité au souci des conséquences
de nos actes, investissement dans l'avenir pour donner sens à notre
existence et rendre notre monde durable malgré sa dégradation
naturelle, donner forme à l'humanité à venir, sauver
cet
improbable miracle d'exister. Repartir vers
le futur. Il faut cesser de croire au progrès ou à la providence
pour prendre en main notre destin et préserver notre avenir, résister
à l'entropie au-delà de notre vie même. Encore faudrait-il
en avoir vraiment envie. C'est cela l'enjeu de l'information et du sens,
de l'inquiétude de vivre.