Des souffrances sans mots

L'unité psycho-somatique, les maladies du stress
1. La maladie comme stress (psycho-somatique)
La santé est un état statistiquement rare mais pas anormal du tout pour autant.
J. de Ajuriaguerra
"Théoriquement toute maladie est psychosomatique" prétendait Alexander. Encore faudrait-il s'entendre sur le sens à donner à ce mot, et pour sortir de la confusion dans laquelle les théories psychosomatiques s'enlisent il faut revenir d'abord à Pasteur qui avait déjà compris que "le microbe n'est rien, le terrain est tout". En effet le même bacille du charbon qui a pu foudroyer une poule exposée au froid extérieur, s'est révélé inoffensif lorsqu'il a été inoculé à une poule maintenue bien au chaud. Pas de psychologie apparemment à ce niveau mais seulement la faiblesse de l'organisme. Toute maladie s'introduit dans les blessures du corps, corps fatigué, usé, vieilli, brisé.

La cause des maladies est d'abord matérielle, environnementale. Une maladie indique un déséquilibre, une limite de résistance du corps. Elle a donc valeur de signe en même temps que de menace. C'est par sa valeur de signe qu'on a voulu faire de la maladie une création de l'esprit ce qui est une confusion de différents niveaux (signe biologique, signe hystérique, signe médical). Il faut maintenir que les maladies résultent d'un dysfonctionnement corporel, cependant même à ce niveau, on ne peut ignorer la dimension dépressive qui accompagne les infections ou l'épuisement du corps. On doit considérer ainsi l'humeur comme corporelle (ce que Kojève appelle le tonus) alors qu'on sait bien que l'humeur est par définition psychique, c'est l'âme même où se mêlent représentation de l'extérieur et intériorité du corps dans l'affect, notre disposition, notre attitude (stimmung), notre "puissance d'agir" (Spinoza). Impossible ici de distinguer psyché et soma.

L'humeur, on le sait, fait partie intégrante du système immunologique. Le cerveau est une extension de la peau et les molécules chimiques en jeu dans l'humeur et l'irritation du système immunitaire sont très proches. Les faiblesses du corps se traduisent presque toujours à la fois par une dépression de l'humeur (même pour une grippe) et un affaiblissement corollaire des protections immunitaires. La causalité est, comme toujours pour le vivant, circulaire, rétroactive. La détresse corporelle se traduit en détresse de l'humeur qui elle-même aggrave la détresse corporelle. C'est pourquoi on peut prêter quelqu'efficacité ponctuelle à l'auto-suggestion ou à l'hypnose sur l'humeur, mais la pensée positive ne tient pas longtemps si les fonctions sont déficientes. La plasticité du corps a ses limites qu'il ne suffit pas de nier. On ne répare pas les usures du temps comme si on pouvait revenir complètement en arrière. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut rien y faire.

Dès lors que l'humeur retentit sur le corps, on comprend bien que pour un être social les relations et la reconnaissance sociale soient vitaux. La détermination psychique par les discours est donc primordiale dans la plupart des affections du corps. En ce sens, oui, la plupart des maladies sont des maladies de l'âme, mais cela veut dire aussi que ce sont des maladies sociales (sociosomatiques), maladies de la relation où les mots nous atteignent dans notre chair.

En admettant, après ce détour nécessaire, le caractère psychique et social de nombreuses maladies, comme internalisation des conflits extérieurs, il faut encore distinguer les différentes modalités de perturbation du corps par l'esprit. Notre pente "naturelle" est de prendre tout symptôme pour un symptôme hystérique, c'est-à-dire comme un message qui nous est adressé, puisque pour les êtres parlants que nous sommes, tout fait sens. Les symptôme hystériques existent à l'évidence, paroles incorporées, mais la dimension psychique du stress est tout autre chose. Ce serait plutôt un manque d'expression, inaccessible à une psychanalyse trop souvent prise dans la pensée magique (tout est langage). Cela ne veut pas dire que le stress ou la douleur ne s'adressent pas aux autres. C'est toujours un cri, un appel au secours, un signal mais il y a une division à maintenir entre les noeuds du sens et l'épuisement des corps.

Il vaut mieux retenir du caractère circulaire de l'esprit et du corps, de l'humeur et de la santé, que la meilleure médecine est toujours de traiter l'humeur et donc de traiter médicalement la dépression. Ensuite on peut s'interroger sur les causes et envisager ce qu'il faudrait changer, traiter le symptôme en signal même s'il n'y a pas toujours de solution puisque tout le monde ne peut être dominant ni gagner à tous les coups. Les dépressif sont comme tombés au champ d'honneur pour ce rêve insensé de donner sens à ce que nous sommes et d'avoir voulu se dépasser sans doute. En tout cas, le système immunitaire subit une fluctuation en fonction de la reconnaissance sociale et de la représentation de l'avenir (encouragements), mais cela n'empêche qu'il puisse être corrigé par les drogues appropriées. Ce qu'il faut souligner c'est le caractère non spécifique des mécanismes de dépression en jeu, qui se retrouvent dans les infections mais aussi, à un degré moindre, dans la simple fatigue, mécanisme général de l'épuisement.

2. Le rôle du stress (la maladie de base)

Selon la conception du stress de H. Selye, les facteurs psychologiques (situation conflictuelle, noyau conflictuel) entrent en jeu pour déclencher un état émotionnel capable de perturber l'équilibre homéostatique. La réaction de stress comme ses conséquences se signalent pourtant par leur caractère générique (irritation, dépression ou allergie), non spécifique et donc sans aucun sens décelable[1]. Ce qui distingue la réaction de stress c'est d'être indifférenciée et globale ! Cela n'empêche pas les perturbations d'être diversifiées dans leurs effets sur le système immunologique, effets qui sont même souvent foisonnants.

Les progrès de la médecine et de l'hygiène nous protégeant de plus en plus de tout germe dans un monde aseptisé, il se trouve que ce déficit d'infection renforce encore les réactions allergiques. Comme les déficits alimentaires se font plus rares aussi, les maladies du stress sont appelées à prendre de plus en plus d'importance, occupant un champ psychosomatique bien distinct de la psychanalyse comme de toute psychothérapie. De même la disparition des normes sociales diminue l'incidence des névroses de culpabilité mais multiplie épuisements et dépressions, limites du corps venant là où manque une limite symbolique ("quand le corps prend la relève") ou lorsqu'on ne peut se faire entendre ("je me tue à vous le dire"). C'est en ceci que le corps remplace une parole qui donne l'alerte.

Le stress, comme syndrome d'adaptation, se caractérise en effet par une réaction d'alarme (signal) suivie d'une période de résistance jusqu'au stade d'épuisement qui n'est plus de l'ordre du signal mais de l'atteinte des fonctions régulatrices (dépression, allergies). Lorsque la réaction de fuite n'est pas possible, ni la protestation, il semble bien qu'il y a désensibilisation (des récepteurs adrénergiques), inhibition puis destruction de neurones dopaminergiques (dans l'hypothalamus, le putamen, l'amygdale) par saturation, diminution des récepteurs d'auto-contrôle, excès de cortisol. Ce n'est sûrement pas la seule atteinte traumatisante. On passe ainsi de la fonction stimulante du stress à l'état de distress, c'est-à-dire d'inhibition, de perte de contrôle et de dégénérescence.

Il ne suffit pas de réécrire l'histoire pour reconstruire ce qui a été détruit dans le corps même s'il est vrai qu'on guérit parfois par des mots. Ce qui oppose la psychanalyse à la psychosomatique ce n'est pas seulement le type de causalité psychique mais surtout l'opposition entre un conflit refoulé d'un côté et une déficience fonctionnelle acquise de l'autre. Il ne suffit donc pas de soupçonner une causalité psychique mais il faut déterminer si une intervention psychique (hypnose, thérapie, relaxation) peut rétablir l'équilibre rompu. Or, si le stress est bien d'origine psychique (sociale), la suppression de la cause ne suffit pas à guérir de la dépression consécutive à une rupture de seuil, qui est, elle, physique et durable. Encore moins s'il faut reconstituer les neurones détruits par des agressions répétées ou retrouver une confiance naïve et sans mémoire.

La plupart des théories psychologiques "réparatrices" font l'impasse sur le fait avéré qu'une trop bonne nouvelle peut avoir autant d'effet stressant qu'une mauvaise. Il faut répéter que la réaction de stress est un signe non-spécifique de tension excessive. Lorsque la cause du stress persiste nous sommes atteints physiquement par une dépression des humeurs et une perturbation du système immunitaire ou hormonal, réversible le plus souvent mais pas immédiatement (il faut plusieurs mois au moins). Au niveau supérieur de dérèglement, ce sont les organes qui sont touchés ainsi que les neurones dopaminergiques, atteintes physiques pouvant être irréversibles cette fois et s'aggravant avec l'âge par paliers, malgré de brèves périodes de rémissions.

Certains mettent en cause le manque de sommeil profond (mélatonine) dans la perturbation du système immunitaire ou une désynchronisation des cycles biologiques (respiration), d'autre le transport de dopamine plus que son défaut de production dans le striatum (putamen, Teicher, 2000), pourtant l'effet destructeur du cortisol sur l'hypothalamus lors de stress répétés sur les animaux semble acquis depuis longtemps, entraînant une atteinte physique de la production dopaminergique (amygdale, hypothalamus) ou de la sérotonine (plutôt chez les femmes). D'autres facteurs entrent en jeu comme les récepteurs alpha et bêta qui sont bloqués, hypersensibilisés (ce qui nous rend bêtas et bloqués!, la douleur serait aggravée par l'absence d'augmentation de la pression sanguine suite à l'agrégation des plaquettes, avec une tension de fond pénible ressentie dans l'estomac, et des chutes de tension après les repas). En tout cas la faculté d'attention et d'action est diminuée en même temps que le système immunitaire et les capacités de récupération, accélérant du même coup les processus de vieillissement (radicaux libres).

Le mécanisme biologique du stress est assez complexe car il implique à la fois l'hypothalamus, l'hypophyse (ou pituitaire qui commande les autres glandes comme la thyroïde) et le système adrénocortical. Il faut reconnaître le caractère général du processus adaptatif, impliquant l'ensemble des systèmes hormonaux et immunitaires qui interagissent entre eux, retentissant d'abord sur l'humeur (anti-dépresseurs). Très concrètement, lors d'un stress la réaction d'alarme (vasodilatation, pression artérielle, pouls rapide, élévation du sucre dans le sang) est produite par les récepteurs beta-adrénergiques (les bêtabloquants sont des anti-stress) et par l'hypophyse qui secrète de l'ACTH qui stimule la production de cortisol à la fois dans les surrénales et les cellules gliales du cerveau. La contrepartie est le blocage de l'hormone de croissance et des réactions immunitaires, entre autres.

Le stress devrait être pris plus au sérieux que le moralisme ambiant qui voudrait le réduire à un problème psychologique, une faute, une faiblesse, une complaisance. Stress et dépression prennent une place de plus en plus grande dans nos sociétés de compétitions hors-normes. Il faudrait se rendre compte que "la rentabilité n'est pas rentable" comme dit Edgar Morin. Ce n'est pas parce que ces symptômes n'ont pas de signification spécifique qu'il n'y a rien à comprendre sur la société, la situation et la personnalité qui ont menés à ces extrémités. Il faudrait même commencer par prendre conscience de l'étendue du phénomène et remettre en cause une médecine trop spécialisée au profit d'une véritable médecine généraliste dont le premier rôle devrait être de prendre en charge ces maladies générales.

3. La mémoire de nos détresses (de la dépression à la schizophrénie)

Le stress n'est pas l'apanage de l'homme moderne, il commence très tôt. Certains le situent au "traumatisme de la naissance" alors que le cerveau est encore en plein développement. La plupart des analystes font plutôt référence à la dépression du sevrage (Klein, Lacan), ou dépression essentielle (Marty), qui s'avère une première étape déterminante dans la formation du caractère, sinon encore de la personnalité. On peut en effet référer à ce stade les premiers symptômes de stress, parfois très sévères, mesurant le niveau de dépression déterminant sans doute largement les comportements futurs, bien qu'on n'ait là aucune véritable mémoire possible sinon celle d'une détresse antérieure à tout refoulement, restant imprimée quelque part, dans nos récepteurs, et sensible dans nos réactions. De cette petite enfance peuvent dater des maladies du stress comme l'autisme, l'hyperactivité avec déficit d'attention ou la fibromyalgie qui se caractérise par des douleurs aux muscles (comparables aux douleurs de la grippe) et un déficit en dopamine ou sérotonine (il y a aussi des formes de fibromyalgies qui ne sont pas dues au stress mais à des métaux lourds, des virus, etc.).

Il n'est pas très difficile de comprendre comment un tel déficit, plus ou moins accentué, va structurer le développement de l'enfant. Il y a sans doute d'abord la détresse qui inhibe le désir et provoque un repli sur soi, poids de l'enfant mort que chacun porte en soi, mais il y a aussi la souffrance silencieuse des muscles, appel sans réponse d'un pantin désarticulé et qui se heurte à l'incompréhension. Tout cela concourt à l'intériorisation, à la culpabilité et la méfiance, au pessimisme enfin. Hypersensibilité et détresse nourrissent des obsessions suicidaires aussi bien que le goût pour les problèmes compliqués, pour l'intellectualité qui se déconnecte des humeurs (cf. Bruno Dubois, Le Monde du 3 mai 2002).

Il n'est pas obligatoire d'avoir eu une fibromyalgie dans sa petite enfance (fibromyalgie primaire) pour l'attraper plus tard face à un stress intensif (fibromyalgie secondaire) mais c'est un facteur aggravant, un terrain favorable. Cette maladie du stress a d'abord été nommée la "maladie des golden boys" (des yuppies) car c'est chez ces cadres survoltés qu'elle a d'abord posé question par ses manifestations multiples, c'est pourtant majoritairement une maladie de femmes (dactylos, mères de famille nombreuse). Jusqu'aux années 1990, c'était une maladie inconnue, "invisible". On a parlé de "sans-papiers de la médecine" pour ces patients insaisissables qui n'étaient pas pris au sérieux, abandonnés aux traitements hétérodoxes c'est-à-dire à la suggestion plus ou moins efficace dans le refoulement de la douleur. La médecine était d'autant plus désarmée par l'absence de signes spécifiques que, selon la gravité des symptômes, il y a un continuum de la fatigue chronique ou psychasténie aux déficits d'attention à la fibromyalgie jusqu'au seuil de la schizophrénie (qui a peut-être une prédisposition génétique distincte). Il n'y aurait que 2% à 5% de patients atteints de fibromyalgie dit-on, mais c'est parce que la maladie n'est pas diagnostiquée. Dans la continuité avec le syndrome de fatigue chronique, les déficits d'attention et même les dépressions (20% de la population!), on peut penser plutôt qu'il s'agit de la maladie de base, plus ou moins grave, mais la maladie de tout le monde ou presque, "maladie aux mille noms", aux formes plus ou moins différenciées associant stress, facteurs environnementaux et perturbation du système immunitaire (spasmophilie, syndrome des jambes agitées, burn-out, PTSD : Syndrome de Stress Post-Traumatique, multiple chemical sensitivity, Attention Déficit Disorder, Polyarthrite rhumatoïde, SPID, etc.). Il n'y a pas d'égalité ici et certains s'en sortent nettement mieux comme blindés pour la vie.

On a pu faire une typologie des personnalités "sensibles au stress". La notion d'un profil psychologique associé de manière significative et peut-être précurseur aux maladies auto-immunes a été suggérée depuis plus de 50 ans (Alexander F, 1938 ; Halliday JL, 1942 ; Marty P, 1960 ; Moos RH, 1964 et bien d'autres dont W. Reich) si on ne remonte pas jusqu'à Hippocrate. Ce profil associerait une tendance au perfectionnisme, une attitude altruiste, voire auto-sacrificielle, une inhibition émotionnelle (alexithymie), une réserve dans les relations interpersonnelles, l'investissement dans des activités sociales. C'est une description proche de celle du "type C" (soumission, répression de l'hostilité, esprit de conciliation, effacement des besoins personnels, vulnérabilité dépressive) type dominé et passif prévalent dans les affections cancéreuses, bien différencié du "type A" (impatience, compétitivité, affirmation de soi) plus dopaminé et agressif qui s'expose aux problèmes cardiaques, différent encore du "type B" (décontracté, équilibré, adapté, serein) caractère de dominant, semble-t-il, sans doute plus sérotoninergiques.

Les personnalités les plus sensibles au stress ont donc tendance à évoluer vers une pensée opératoire, un renfermement sur soi, une "relation blanche" sans jamais s'engager dans "une authentique relation affective". La pensée semble se contenter d'illustrer l'action, de la doubler et surtout est dépourvue d'investissements fantasmatiques (syndrome amotivationnel de la dépression, absence de rêves) mais elle est séduite par les problèmes complexes qui mobilisent toute la capacité psychique au détriment de l'affectivité, qui peut être reportée sur les mots. Il y a une tendance à la régression orale, la succion, l'absorption et besoin de protection maternelle. Le négativisme (l'esprit de contradiction) peut se développer ainsi que la diversion (fuite des idées), difficulté à maintenir le cap (pensée en escalier), cohabitant avec un investissement qui peut être sans limite dans l'indifférence à soi, une inertie qui peut aller jusqu'à la catatonie. On peut ajouter à ce portrait les sentiments de culpabilité et d'injustice du Job de la Bible (la nature n'a rien à voir avec la justice!), ce qui favorise une position revendicative ("quérulents"), tentative de trouver des responsables pour les préjudices subis. Tout ceci à nuancer et qu'il faudrait développer mais plutôt que de vouloir "changer de personnalité" c'est bien l'équilibre des humeurs qui est en cause.

D'ailleurs, parallèlement, le système immunitaire perturbé déclenche des maladies auto-immunes et se répercute sur la glycolyse ainsi que sur le milieu intestinal (favorisant la candidose), ce qui provoque le passage dans le sang de protéines non digérées déclenchant des allergies alimentaires. Il s'agit moins d'une allergie aux aliments qu'à leur mauvaise digestion (laitages surtout, souvent aussi le blé). Ces allergies concernent les immunoglobulines Ig-G et non les Ig-E des analyses habituelles. L'intoxication alimentaire agissant comme une addiction (par les peptides) provoque souvent la recherche des aliments nocifs, et une aggravation des symptômes. C'est un véritable cercle vicieux qui peut être fatal dans les cas les plus graves.

Les symptômes physiques sont variés et changeants : bâillements, lourdeur, fatigue, découragement, dépression, anxiété, irritabilité, impatience des membres (jambes agitées), douleurs des muscles, suées, urticaire, eczéma, inflammations, hypotension orthostatique (après les repas), hypoglycémie, colite hémorragique, toux, asthme, vue brouillée, etc. C'est le contexte qui détermine l'aggravation de ces symptômes et le déclenchement de maladies immunitaires (polyarthrite rhumatoïde, diabète, cancer ou SIDA). Comme pour la maladie de Parkinson, l'inactivité et la solitude exacerbent nombre de symptômes qui peuvent disparaître dès qu'il y a une sollicitation extérieure.

On peut retenir 3 théories principales des maladies du stress : 1) celle, conforme au modèle animal, d'un déficit de dopamine par destruction de neurones dopaminergiques dans l'hypothalamus, l'amygdale et le thymus à cause de l'excès de cortisol ou de sérotonine. 2) celle d'une hypersensibilisation des récepteurs adrénergiques ou cholinergiques, sur le modèle de la dépression, induisant une dérégulation des neuromédiateurs et correspondant à l'inhibition de l'action pour Laborit. 3) celle d'un phénomène de mémoire du corps figé dans sa stupeur, dans une mauvaise adaptation post-traumatique. Il y a bien d'autres théories faisant intervenir différents facteurs psychologiques (qui en découlent plutôt) ou héréditaires (qui ne sont que des prédispositions) selon le niveau de dérèglement où l'on se situe, mais si on admet le caractère central de la perturbation et son origine dans un syndrome d'épuisement, ces trois hypothèses représentent des stades de gravité auxquels correspondent des traitements appropriés (dopamine, clonidine ou psychothérapie).

[En fait, il semblerait que ce soit un quatrième mécanisme qui soit le plus courant, celui d'un dérèglement digestif et immunitaire, suite à un stress prolongé, ayant pour conséquence une mauvaise assimilation des vitamines (surtout du groupe B) se répercutant sur les neurotransmetteurs et aggravant le déficit nutritionnel ainsi que les réactions autoimmunes. C'est, entre autres, le mécanisme de l'anémie pernicieuse provoquée par une inflammation chronique du système digestif. Il s'agirait donc ici d'un cercle vicieux plutôt que d'une "mémoire du corps". Voir Nutrition et stress]

Les périodes de rémissions suivies de rechutes semblent indiquer qu'au-delà d'un déficit, d'un dérèglement ou d'une fixation il y a surtout une fragilité acquise, une perte de ressources, une difficulté à récupérer ou bien à oublier tout simplement. L'enjeu est de savoir si on peut guérir d'une maladie dégénérative[2]. On sait depuis peu que le "Nerve Growth Factor" peut reconstituer les neurones perdus mais nos connaissances sont encore bien insuffisantes. On confond facilement plusieurs maladies et d'autres mécanismes sont à l'oeuvre (endorphines, hormone de croissance, prolactine, corticoïdes, etc) où il est souvent difficile de démêler l'effet de la cause. Une conséquence fâcheuse de cette situation "douteuse" c'est qu'elle entraîne une identification à sa maladie tant qu'elle n'est pas reconnue (c'est ce que Lacan appelait le Sinthome). Le message qu'il faut faire passer c'est bien qu'on peut en guérir pourtant, du moins arrêter la désorganisation de la personnalité et du corps, dégénérescence inéluctable si on ne fait rien. Sans perdre la mémoire de nos traumatismes, nous avons des moyens de résister au "syndrome d'abandon" d'un corps qui nous pousse à notre perte, figé par le vertige de son anéantissement.

4. L'adaptation du corps

Dans la compréhension des rapports entre le corps et l'esprit, il faudrait porter une plus grande attention aux "idées suicidaires" qui deviennent obsessionnelles dans la plupart des maladies du stress caractérisées par un déficit en dopamine. Il est remarquable qu'un apport chimique suffise à supprimer ces idées suicidaires qui n'ont rien à voir avec une volonté de la personne mais s'imposent comme de l'extérieur, physiquement. Encore plus remarquable, on peut penser que des récepteurs spécifiques de la sérotonine (5-HT1A) sont impliqués dans les suicides (et bloqués par la dopamine). Tout ceci suggère fortement un processus d'auto-élimination proche de celui des neurones dont la mort (apoptose) est inhibée par les signaux qu'ils reçoivent. Nous formons ainsi un cerveau collectif et nous avons besoin pour vivre de reconnaissance sociale, de sollicitations. C'est le désir de l'autre qui nous fait vivre. Le plus remarquable pourtant c'est qu'il y a bien peu de tentatives de suicides malgré tout au regard du nombre de gens qui sont régulièrement la proie de ces sombres idées (les diabétiques par exemple). Nous sommes loin d'un déterminisme mécaniste, le jeu reste ouvert, on peut même s'en sortir. Le plus souvent on ne fait pourtant que s'adapter au stress lui-même.

Le stress est une réaction adaptative, mais il y a aussi une adaptation aux conditions de stress et une adaptation au stress lui-même. Nous avons vu que les occupations intellectuelles absorbantes pouvaient jouer un grand rôle mais elles ne constituent qu'une forme de fuite. Ce n'est pas tellement la sublimation qui est recherchée, en effet, que la coupure avec les douleurs du corps.

Les drogues figurent bien sûr dans les automédications et l'adaptation aux déficiences de l'humeur. Le succès du chanvre comme anti-stress n'est pas étonnant, permettant de se détendre mais aussi de "décoller", c'est-à-dire s'absorber dans la musique, une discussion ou une réflexion. Il ne peut compenser cependant le déficit en dopamine qui semble être la caractéristique principale de ces maladies du stress s'aggravant avec l'âge. Pas plus que l'alcool qui est pourtant le plus utilisé alors qu'il ne fait souvent qu'accentuer le manque. On peut constater aussi chez certains (hommes plutôt) une frénésie sexuelle qui faisait parler jadis de "folie onaniste" pour la schizophrénie. C'est sans doute lié au déficit en dopamine puisque le désir sexuel, comme tout plaisir violent, double le niveau de dopamine ! Le sexe peut être une drogue comme une autre. Plus directement, cette dopamine est fournie par la cocaïne dans la classe dirigeante. Si certains se maintiennent dans l'automédication, les abus ou les formes trop violentes comme le crack, aggravent au contraire dramatiquement les symptômes du stress puisqu'ils produisent en réaction un manque de dopamine.

Contre le discours moraliste et culpabilisant, il faut proclamer ici l'inégalité naturelle des hommes aussi bien dans les richesses que dans les douleurs. Il ne s'agit pas tant de risquophiles et de risquophobes comme certains se ridiculisent à construire un nouveau racisme biologique, mais d'un plus ou moins bon départ dans la vie, de coups mal reçus, qui ne préjugent pas de la réussite future mais n'en constituent pas moins une inégalité face à la douleur et au stress. On ne peut rendre responsables de leur fragilité ceux qui n'ont pas le bonheur de la "grande santé", comme on ne peut rendre les pauvres responsables de leur pauvreté. La bonne conscience sûre d'elle de ceux qui ont tout est insupportable d'aveuglements. La question des drogues n'est pas secondaire mais essentiellement politique, au coeur de toute morale, de toute maîtrise de soi, mesurant la valeur de l'idéal social qu'on prétend opposer à l'immédiateté chimique ainsi que l'acceptation de la différence des corps, des capacités, des affects. Faudra-t-il proclamer un droit à la dopamine ? Il ne s'agit pas de la drogue du meilleur des mondes mais simplement du droit à la santé, beaucoup plus que "droit au bonheur" le plus souvent inaccessible sinon dans l'éblouissement d'un éclair. La question a déjà été discutée à propos de la morphine. Il n'est plus question désormais de refuser de soulager la douleur des malades avec de la morphine sous prétexte qu'il y a des junkies. Comme l'a montré Platon, les drogues (le pharmakon) étant à la fois poisons et remèdes, tout est dans la mesure, la dose. Que ceux qui n'en ont pas besoin maîtrisent leurs tentations plutôt que d'en priver ceux qui ne peuvent s'en passer sans le payer de souffrances sans nom et de toutes sortes de maladies. Il faudrait surtout reconnaître ces maladies qu'on s'honore à mépriser semble-t-il quand on ne les a pas.

Les traitements proposés actuellement ne sont pas toujours meilleurs que les divers toxicomanies, ne tenant pas assez compte du caractère de circuit de l'information, de boucle auto-régulée des processus biologiques produisant une tolérance et une addiction au produit. Les effets des traitements humoraux ont tendance à s'inverser à la longue, l'apport extérieur étant intégré au nouvel équilibre intérieur. Il faudrait donc, en ces matières, non seulement rester à des doses faibles mais aussi s'arrêter périodiquement ou dès que l'équilibre est rétabli. Pour Henri Laborit, le Gamma-OH (Gamma Hydroxy- Butyrique) constituait le meilleur remède mais son incompatibilité avec l'alcool l'a condamné ! L'ondansetron (Zophren) est prometteur (antagoniste 5-HT3 réduisant la production de sérotonine et de substance P) ou le buspirone (Buspar, agoniste 5-HT1A baissant la sérotonine et augmentant la dopamine). Outre-atlantique, c'est la Ritaline qui est prescrite massivement, version douce de la cocaïne, utilisée depuis plus de 50 ans et qui ne semble pas poser trop de problèmes même si, sur la masse on ne peut les éviter. C'est beaucoup moins dangereux que de prescrire de la cortisone, de la morphine ou que sais-je, mais la supériorité de la médecine occidentale sur les traitements traditionnelles est encore à prouver en ces matières. Les smart drink ne sont guère préférables. En dehors des disciplines traditionnelles du corps (diététique, respiration, relaxation, yoga) ou des nouvelles thérapies de groupe, de l'hypnose, etc., les anciennes panacées (surtout le gomphrena ou pfaffia paniculata mais aussi panax ginseng, sauge, ginkgo biloba) valent encore bien tous les remèdes. C'est sans doute le plus étonnant, non seulement qu'il y ait des remèdes pour cette maladie qui semble si moderne mais qu'ils soient si accessibles et connus depuis toujours.

Bien sûr, il n'y a pas de miracle mais l'important est de savoir qu'on peut améliorer la vie au lieu de tomber dans l'autisme. Il faut d'abord éviter le stress, bien sûr, et les aliments allergiques (laitages, blé). Environnement, activité et régime sont essentiels. Pour bien faire, c'est un changement à la fois social, biologique et mental qu'il faudrait...
 
5. Schizophrénie et création
Quand la santé est donnée d'emblée dans un être, elle lui cache la moitié du monde.
Antonin Artaud
La découverte de ces mécanismes de stress et de la continuité de la dépression à la schizophrénie[3] (ce qui ne veut pas dire que tout se confond, les différences restent considérables) renouvelle la conception du psychisme, de la formation des caractères et de la créativité. "On ne saurait exclure que la schizophrénie tout à fait bénigne puisse être vraiment favorable à la productivité artistique. La subordination de toutes les associations idéiques à un complexe, la tendance à des cours de pensée neufs et inhabituels, l'indifférence à la tradition, l'absence de gêne doivent avoir une action favorable, si ces caractéristiques ne sont pas surcompensées par les troubles des associations proprement dites". Bleuler, p141 (EPEL). Rappelons en effet que pour Valéry, penser c'est "perdre le fil".

Le stress comme la vieillesse opèrent un détachement du monde, les sens se fermant un à un sur une intériorité vide. On sait qu'il y a dans ce détachement de l'âge une sagesse précieuse, un message universel mais le risque aussi d'un manque de désir et de vie. Tout est question de mesure et de temps. C'est pourtant dans l'excès que le génie exalté va reconstruire un monde effondré en ramassant ce qui traîne, avant de retomber encore dans une mélancolie désespérée. Le délire est une tentative de guérison qui succède à l'effondrement du sens, la perte de tout lien. Effort logique, trop logique sans doute mais dont on ne peut se passer. Toute création artistique est cette indignation comme dit Juvénal, ce délire d'interprétation de l'esprit du temps et de justification de notre existence. Une fois que plus rien ne tient debout ni ne va de soi, il faut faire le ménage, classer, symboliser, déblayer des voies qui permettent de communiquer à nouveau, terrain solide indispensable à l'agitation d'une vie grouillante, en donnant l'illusion quotidienne d'une vie sociale aussi éternelle que la nature ! Entre le schizophrène et nous, il n'y a peut-être qu'une question de degré d'affolement (mais qui fait toute la différence entre avoir pied et être submergé : d'après Laborit, le fou serait celui qui a perdu l'espoir de se faire entendre). La passion théorique peut être maladive, l'art pathologique, cela n'enlève rien à l'urgence de la vérité qu'ils portent et qui nous parle. "Les malades peuvent énoncer des vérités que le sujet sain n'oserait pas mettre à nu" comme dit Bleuler, "Réforme du monde, poésie, philanthropie sont les activités de prédilections de certains schizophrènes. Néanmoins, beaucoup disent en tous domaines des vérités auxquelles quelqu'un de sain ne pense pas" p143, la normalité ne se définissant pas autrement que par la conformité. Avec l'opposition des personnalités de type A et C il semble qu'on retrouve l'opposition de la paranoïa et de la schizophrénie faite par l'Anti-Oedipe, voire de la droite et de la gauche ! Le plus troublant peut-être est le caractère apparemment "anthropologique" de la folie puisqu'on en retrouverait le même pourcentage dans toutes les sociétés d'après Henri Grivois.

Le difficile en ces affaires de stress ou de psychosomatique c'est de faire la part des corps et de l'esprit. Les théories en vigueur entretiennent la plupart du temps la confusion, soit en ignorant la psychanalyse comme si tout était chimique, soit en ignorant la composante chimique comme si la psychanalyse et la parole pouvaient tout expliquer. Contre ces dogmatismes aveugles et sourds, il faudrait que puisse se faire entendre ces souffrances inouïes, refoulées depuis l'enfance devant la réprobation générale, mais qui insistent, indécentes, d'un corps à la torture auquel on peut apporter pourtant soulagement et réconfort. La médecine ici touche au social, au regard de l'autre, à ce qui fait de nous un animal politique, à notre écologie enfin. C'est l'enjeu, des années qui viennent, d'une refonte du système de santé : la prise en compte sociale du stress, de l'insécurité et des conditions de travail. Cela justifierait l'organisation en premier lieu d'une conférence de consensus sur les maladies du stress (des dépressions, aux fatigues chroniques, aux fibromyalgies, au sida et au cancer, si ce n'est à la schizophrénie), il y a urgence.

[1] Contrairement à ce qu'il enseigne, on ne peut donner une signification aux "névroses d'organe" d'Alexander, à ses 7 structures émotionnelles caractéristiques quand elles ne sont pas caractéristiques justement et s'additionnent. On peut citer pour rire le "mal de tête" interprété comme "désir refoulé de grossesse", ou bien les diarrhée et recto-colite hémorragique sensés exprimer "un grand besoin de donner ou de restituer", l'asthme serait le signe d'une "dépendance à l'égard de la mère", l'ulcère du duodénum le résultat d'un désir de revanche, l'hypertension d'une agressivité rentrée, enfin l'urticaire serait le signe qu'on se sent maltraité ! Laissons là ces approximations littéraires trop confuses et sans aucune effectivité, on peut arriver à des interprétations plus justes, nous le verrons.

[2] Des cas (rares) de guérison étaient déjà répertoriés suite à des électrochocs ou des maladies infectieuses (y compris certains classés schizophrènes)...

[3] Il faudrait revoir la notion de schizophrénie en isolant ce qui peut être une catatonie dégénérative sensible au stress, d'autres formes paranoïdes souvent opposées (excès de dopamine). Le terme de schizophrénie est donc impropre et n'a été utilisé que pour une compréhension commune.


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Our FM/CFS World
Différent liens sur le syndrome de fatigue chronique et la fibromyalgie
Site de Louise Rochette

- Sur Laborit et le Gamma-OH (ghb) qui régule le sommeil, favorise la récupération (anti-oxydation) et augmente la dopamine :
http://www.geocities.com/Athens/Crete/9445/gamma.html
04/05/02
Jean Zin - http://jeanzin.fr/ecorevo/psy/stress.htm

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