La façon dont nos patients présentent ce qui leur vient à
l'esprit pendant le travail analytique nous donne l'occasion de faire quelques
observations intéressantes. "
Vous allez penser maintenant que
je veux dire quelque chose d'offensant, mais je n'ai réellement
pas cette intention". Nous comprenons que c'est le refus d'une idée
qui vient d'émerger, par projection. Ou, "
vous demandez qui peut
être cette personne dans le rêve. Ma mère, ce n'est
pas elle". Nous rectifions donc, c'est sa mère. Nous
prenons la liberté, lors de l'interprétation, de faire abstraction
de la négation et d'extraire le pur contenu de l'idée. C'est
comme si le patient avait dit "
pour moi, c'est vrai, ma mère
m'est venue à l'esprit à propos de cette personne, mais je
n'ai nulle envie de laisser prévaloir cette idée".
§. 2
A l'occasion, on peut se procurer très commodément un éclaircissement
recherché sur le refoulé inconscient. On demande qu'est-ce
qui peut bien vous paraître le plus invraisemblable dans cette situation
? Qu'est-ce qui, pensez-vous est alors le plus éloigné de
votre esprit ? Le patient tombe-t-il dans le piège et nomme-t-il
ce à quoi il peut le moins croire, il a par là, presque toujours,
avoué l'exact. Une belle contrepartie de cet essai se produit souvent
chez l'obsessionnel qui a déjà été introduit
à la compréhension de ses symptômes. "
J'ai eu une
nouvelle représentation obsédante. Il m'est venu à
l'idée qu'elle pourrait signifier ceci, précisément.
Mais non, ce ne peut, en effet, être vrai sinon ça n'aurait
pas pu me venir à l'esprit". Ce qu'il rejette, en se basant
sur ce qu'il a entendu de la cure, c'est naturellement le sens exact de
la nouvelle représentation obsédante.
§. 3
Un contenu de représentation ou de pensée, refoulé,
peut donc se frayer un passage jusqu'à la conscience, à condition
qu'il se laisse
dénier. La dénégation est une
façon de prendre connaissance du refoulé, c'est déjà,
à proprement parler, une levée du refoulement, mais ce n'est
assurément pas une acceptation du refoulé. On voit comment,
ici, la fonction intellectuelle se sépare du processus affectif.
Par le secours de la dénégation, ne se trouve annulée
que l'une des conséquences du processus de refoulement, de sorte
que son contenu de représentation n'arrive pas à la conscience.
Il en résulte une sorte d'acceptation intellectuelle du refoulé
malgré la persistance de l'essentiel touchant le refoulement
[1].
Au cours du travail analytique nous créons souvent une autre modification
très importante et assez étrange de la même situation.
Nous réussissons à vaincre
aussi la dénégation
et à faire passer l'acceptation tout à fait intellectuelle
du refoulé, - le processus du refoulement lui-même n'est pas
encore, par cela, levé.
§. 4
Comme c'est la tâche de la fonction intellectuelle du jugement, d'affirmer
ou de dénier des contenus de pensée, les remarques précédentes
nous ont conduit à l'origine psychologique de cette fonction. Dénier
quelque chose dans le jugement, veut dire au fond : c'est quelque chose
que je préférerais bien refouler. La condamnation est le
remplacement intellectuel du refoulement, son Non en est sa marque même,
un certificat d'origine, à peu près comme le "
Made in
Germany". Au moyen du symbole de la négation, le penser se libère
des limitations du refoulement et s'enrichit de contenus dont il ne peut
se passer pour son accomplissement.
§. 5
La fonction de jugement a essentiellement deux décisions à
prendre. Elle doit attribuer ou retirer, verbalement, une propriété
à une chose, et elle doit d'une représentation attester ou
contester l'existence dans la réalité. La propriété
dont il doit être décidé, aurait pu, à l'origine,
avoir été bonne ou mauvaise, utile ou nocive. Exprimé
dans le langage des plus anciennes motions pulsionnelles orales : ceci
je veux le manger ou je veux le cracher, et en poursuivant la transposition
: ceci je veux en moi l'introduire et ceci hors moi l'exclure. Alors :
ça doit être en moi ou hors de moi. Le moi-plaisir originel
veut, comme je l'ai développé à un autre endroit,
s'introjecter tout le bon, rejeter de soi tout le mauvais. Le mauvais,
l'étranger au moi, ce qui se trouve au dehors, lui est tout d'abord
identique
[2].
§. 6L'autre décision de la fonction de jugement, celle qui concerne
l'existence réelle d'une chose représentée est une
affaire du moi-réel définitif, qui se développe à
partir du moi-plaisir initial (épreuve de réalité).
Maintenant, il ne s'agit plus de savoir si quelque chose de perçu
(une chose), dans le moi doit être admise ou pas, mais si quelque
chose de présent en moi comme représentation peut aussi,
dans la perception (réalité) être retrouvée.
C'est comme on le voit, de nouveau une question du dehors et dedans.
Le non-réel, seulement représenté, le subjectif, n'est
qu'en dedans ; l'autre, le réel, est aussi présent au dehors.
Dans ce développement, la considération du principe de plaisir
a été mise de côté. L'expérience l'a
enseigné, il est important non seulement de savoir si une chose
(objet de satisfaction) possède la propriété "bonne",
donc mérite l'admission dans le moi, mais aussi si elle est là
dans le monde du dehors, de façon que l'on puisse s'en emparer au
besoin. Pour comprendre cette progression, on doit se rappeler que toutes
les représentations proviennent de perceptions, elles en sont des
répétitions. A l'origine, l'existence de la représentation
est donc déjà une garantie de la réalité du
représenté. L'opposition entre subjectif et objectif
n'existe pas dès le début. Elle se met en place d'abord en
ce que le penser possède la faculté de présentifier
une nouvelle fois quelque chose de perçu une fois, ceci par reproduction
dans la représentation, l'objet n'ayant alors plus besoin d'être
disponible, au dehors. Le but premier et immédiat de l'épreuve
de réalité n'est donc pas de trouver un objet, correspondant
au représenté, dans la perception réelle, mais de
le retrouver, de se persuader qu'il est encore présent. Une
nouvelle contribution à la différenciation entre le subjectif
et l'objectif dérive d'une autre aptitude de la faculté de
penser. La reproduction de la perception dans la représentation
n'est pas toujours sa fidèle répétition ; elle peut
être modifiée par des omissions, changée par des
fusions d'éléments différents. L'épreuve de
réalité a donc à contrôler jusqu'où s'étendent
ces déformations. On reconnaît toutefois comme condition pour
l'installation de l'épreuve de réalité, que se soient
perdus des objets qui avaient autrefois procuré réelle satisfaction.
§. 7
Le juger est l'action intellectuelle qui décide du choix de l'action
motrice, met fin à l'ajournement du penser et, du penser, fait passer
à l'agir. J'ai déjà, en un autre
lieu
[3],
traité de l'ajournement du penser. Il est à considérer
comme une action d'essai, un tâtonnement moteur, effectué
à faible dépense de décharge. Réfléchissons,
où le moi avait-il précédemment exercé un tel
tâtonnement, à quel endroit avait-il appris la technique qu'il
emploi maintenant lors des processus de penser ? Ceci eut lieu à
l'extrémité sensorielle de l'appareil psychique, au niveau
des perceptions des sens. Selon notre acception,
la perception n'est,
en effet, pas un processus purement passif, car le moi envoie périodiquement
des petites quantités d'investissement dans le système de
perception, au moyen desquelles il goûte les excitations extérieures
pour, à nouveau, se retirer après chacune de ses avances
tâtonnantes.
§. 8L'étude du jugement nous ouvre, peut-être pour la première
fois, la compréhension de la naissance d'une fonction intellectuelle
à partir du jeu des motions pulsionnelles primaires. Le juger est
le développement ultérieur finalisé de ce qui, à
l'origine, résulte du principe de plaisir l'introduction dans le
moi, ou l'expulsion hors du moi. Sa polarité semble correspondre
au caractère d'opposition des deux groupes de pulsions, reconnues
par nous. L'affirmation, en tant que remplaçant de l'unification,
fait partie de l'Éros, la dénégation-suite de l'expulsion
de la pulsion de destruction. Le plaisir universel de nier, le négativisme
de plus d'un psychotique, est vraisemblablement à entendre comme
indice du démêlement des pulsions, par retrait des composantes
libidinales. L'accomplissement de la fonction de jugement est rendue possible,
mais d'abord par ceci la création du symbole de négation
a permis au penser un premier degré d'indépendance à
l'égard des résultats du refoulement et par là aussi
de la contrainte du principe de plaisir.
§. 9Cette façon de concevoir la dénégation s'accorde
fort bien avec le fait que l'on ne découvre dans l'analyse aucun
"Non" venant de l'inconscient, et que la reconnaissance de l'inconscient,
du côté du moi, s'exprime dans une formule négative.
Nulle preuve plus forte de la découverte réussie de l'inconscient
que lorsque l'analysé y réagit, avec la phrase cela je
ne l'ai pas pensé, ou bien à cela je n'ai (jamais)
pensé.