L'institution ou le partage de la bêtise

 

Par Jean Zin
Tout énoncé a sa part de bêtise et si on peut dire, rien n'empêche de dire aussi le contraire. Cela ne m'engage pas à me taire mais à en tenir compte pour proposer à qui? Non pas à tous bien que tout énoncé soit universel, ni à l'impossible garant bien que notre présence ici ne tienne qu'à Lacan et ne saurait s'en défaire, mais je m'adresse plutôt à l'analyste indéterminé dont la foule n'est pas le reflet mais l'abri. Qu'on n'aille pas chercher ailleurs une dissymétrie qui, dans ce cas, n'est pas feinte et ne souffre pas de compromission. On peut appeler cette indétermination de l'Autre une démocratie puisque la légitimité se trouve dissoute dans le nombre (quelconque et non dans le collectif) ne tenant plus qu'au discours, à l'enseignement et non dans la délégation de pouvoir.

On nous propose un système de représentation (est-ce un représentant représentatif ou un tenant lieu?) pour contrer les effets de groupe! ne voit-on pas pourtant que c'est les favoriser de méconnaître la singularité de l'énonciation au profit de confrontations d'intérêts ou de clans (que peut-on représenter d'autre?). L'expérience serait à tenter pourquoi pas, si le risque avait quelque contrepartie qui ne soit pas simplement prudence à protéger notre sommeil. Mais on ne règle pas une institution analytique par la peur du nombre. Le nombre est un obstacle qu'on ne supprime pas en lui ôtant la parole, car c 'est de cela qu'il s'agit (même si c'est dérisoire) pour éviter le brouhaha sans doute, mais n'est-ce pas prendre le risque de l'enlever à tous en chargeant de responsabilités (religieuses) un conseil de sages cooptés. On nous dit qu'il fait fonction de plus-un comme si nous étions un cartel majuscule mais ce serait justifier les suffisances de faire parler les petits souliers (plutôt de travers). En fait c'est la même histoire que le comité secret de Freud sensé contrer les effets de la psychologie des foules avec les résultats qu'on sait. l'École Freudienne me semble avoir manifesté qu'à constituer des classes on ne fait qu'entretenir l'appauvrissement théorique pour ne pas dissoudre le lien supposé des égaux et le devoir de dire ne prend pas toujours le cheminement du temps logique, les prisonniers se refusant à quelque certitude anticipée que ce soit, car ils n'ont qu'à y perdre sinon à se satisfaire de leur différence tout aussi imaginaire.

On peut penser que ces problèmes d'organisation sont fastidieux, l'enseignement seul compte et peu importe le fonctionnement d'autant qu'approuvé tacitement par Lacan il ne nous reste qu'à suivre en essayant de comprendre (trouver des raisons à toute chose ne présente pas de difficultés). Mais si on croit que l'institution fait partie de l'enseignement, si on pense que l'analyste doit exister, qu'il ne peut se contenter d'exercer son office, chacun doit prendre parti à la mesure de ses moyens pour élaborer son acte, théoriser ses prétentions et critiquer les déviations dont il fait l'objet. La formation de l'analyste est dans ce travail critique mais si toute formation vise une certaine garantie il ne faudrait pas qu'elle consiste à camoufler une escroquerie par une autre. Après tout l'escroc n'est condamnable qu'à vouloir camoufler son forfait et c'est pourquoi la garantie lui est plus nécessaire qu'à un autre. Il ne faudrait pas que cette substitution soit favorisée, en toute "innocence", par la surdité d'une bureaucratie dont le dévouement et la légitimité sont aussi hors de propos que le désir d'indépendance. La fidélité et le défi ne font qu'endormir la critique. Au contraire la procédure démocratique n'est la garantie de rien sinon du débat, de supprimer, au moins dans le principe, même si c'est court, tout a priori. Ce qu'il faut éviter c'est une confiance excessive dans le fonctionnement qui, d'établir d'abord un jury d'agrément ou d'accueil, attend d'en recevoir les fruits. J'aimerais qu'on ait d'abord l'ébauche d'un enseignement qui puisse être mis à l'épreuve, que ce soit lui qui reste l'enjeu. Pour choisir ces jurys aucune procédure n'est idéale, du moins il convient que ces jurys soient décidés à la tâche et s'engagent, dès avant, à enseigner. Parmi ceux-là, il faut élire et la question est de savoir qui va procéder à cette élection : le président, les AE, les passants, les passeurs ou ceux à qui l'enseignement est destiné, c'est-à-dire cet Autre indéterminé? Personne ne parle de supprimer le vote purement et simplement mais de qualifier a priori certains à voter. Qualifier ceux qui ont affaire à la passe pourrait être acceptable si ce n'était favoriser encore une fois le non-dit d'un état de fait, d'une solidarité mystérieuse, secret de polichinelle qu'il faut remettre en question. Le vote par tous ne camoufle pas ses insuffisances, c 'est une vertu à mes yeux, vertu précaire.

Venons-en aux nominations qui rassemblent les paradoxes de l'institution. Je n'aborderai pas le titre d'AME même si je vois bien la nécessité pour l'école d'élaborer ce qui qualifie sa formation. L'expérience de l'École Freudienne sur ce point particulièrement me semble instructive : le minimum garanti ne garantit rien du tout, ce titre ne protège en rien l'analysant mais évoque plutôt la défense (vaine) d'intérêts professionnels qu'on dénigre par ailleurs si bien. Tout ce que je puis dire c'est que délivrer ce titre au petit bonheur ne favorise en rien le progrès de l'analyse. Pour ce qui est de l'AE les choses sont plus claires : c'est une fonction, d'Analyste de l'École. Il faut vouloir la remplir et, comme je l'ai déjà proposé, il conviendrait de l'alléger du poids de la nomination ainsi que de décoller légèrement sa fonction de celle de la passe. En effet si la passe est sans doute le premier acte qu'un AE peut faire, cela n'implique pas que ceux qui s'essayent à témoigner de ce passage se destinent à faire fonction d'AE, ne serait-ce qu'à affronter l'indécidable du nom qui recouvre l'acte, à advenir. Ensuite la tenue d'enseignements séparés : des cartels de la passe d'une part et des AE nommés de l'autre, met en évidence qu'il n'y a pas de subordination de l'un à l'autre pour une question qui reste ouverte. La conséquence que j'en tire est de convertir le titre d'AE en auto-nomination, après avis du cartel bien sûr (mais qui n'est plus abaissé au rang de verdict muet). Ce redoublement de l'acte peut éclairer en retour celui de la passe. L'inouï d'une telle proposition tient compte de l'échec dont il faut recueillir les fruits.

Pour ce qui est de l'admission dans l'école, il faut qu'elle soit ouverte à quiconque y travaille car ce travail est promis au bénéfice de sa critique, risque d'une formation (d 'où principalement l'admission au niveau des cartels). L'exclusion ne peut se concevoir qu'à partir d'une utilisation de l'appartenance à l'école pour des fins stratégiques étrangères à ce travail de formation.

Sinon ce principe de collaboration de quiconque avec quiconque ne souffre pas de distinctions a priori comme celles de correspondants, membres, membres d 'honneurs (si on veut on peut bien introduire ces notions en fonction des cotisations...).

S'il doit y avoir subtilités c'est ailleurs dans l'organisation du débat, dans les échanges, et c'est bien le point où l'organisation actuelle montre ses carences. La stabilité requise ne peut s'imposer, comme toujours, que de l'enseignement. On n 'a pas à supposer de savoir, c'est à chacun de montrer ce qu'il peut faire.
 
 

Discussion

Sauret interroge la fonction du conseil Statutaire, comme plus-un d'un super cartel que serait l'École, et la question de la présidence.

La discussion, écourtée faute de temps, devait se poursuivre en commissions après le forum. Colette Soler rappelle que ces commissions ont pour tâche de faire des propositions précises qui seront soumises au Dr Lacan.

Forum de constitution de l'École de la Cause Freudienne - 1981

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