"On peut définir le développement réellement existant comme une entreprise visant à transformer les rapports des hommes entre eux et avec la nature en marchandises. Il s'agit d'exploiter, de mettre en valeur, de tirer profit des ressources naturelles et humaines" (Manifeste du réseau pour l'après-développement)
Le productivisme, et la société de consommation qui va avec, ne sont à l'évidence ni durables, ni généralisables alors qu'ils dominent désormais la planète entière en modifiant dramatiquement les équilibres écologiques. On doit donc faire face à ces données contradictoires d'un système qui n'est pas viable et pourtant s'étend inexorablement.
A tous nos problèmes on ne donne à droite comme à gauche toujours qu'une seule réponse, plus de croissance, que ce soit pour le chômage, la sécurité sociale, les retraites, les vieux. On sait bien pourtant que cette croissance ne fera qu'aggraver les problèmes écologiques et sociaux, santé et chômage, pollutions et inégalités, sous prétexte d'accroître encore la productivité.
Avec l'intensification de la mondialisation des échanges et des transports internationaux il n'est même plus certain qu'une croissance de la consommation nationale produise une baisse significative du chômage et de la précarité depuis que les productions industrielles sont massivement délocalisées et que le facteur humain est devenu la principale variable d'ajustement.
On ne devrait plus s'abandonner à une croissance aveugle alors que les catastrophes que nous subissons gonflent absurdement notre PIB. La seule croissance soutenable est celle des services, la seule consommation qu'on peut encourager est celle des produits immatériels ou de la production locale, l'activité qu'il faut relancer c'est l'activité locale (ce qui peut se faire avec des monnaies locales) ainsi que les économies d'énergie. Dans l'étude des écosystèmes, on oppose à la croissance purement quantitative (en extension), un développement qualitatif optimisant la consommation énergétique et les ressources disponibles par la diversification des niches écologiques et la complexification des échanges locaux. Même si le développement durable n'est plus qu'un slogan servant de cache sexe au rêve de continuer indéfiniment la croissance marchande, il y a bien un développement, possible et même indispensable, sans croissance de nos prélèvements matériels.
Surtout, il faut se poser la question de quel monde nous voulons, quel développement est vraiment souhaitable : un développement humain, une valorisation des talents individuels, l'acquisition de nouvelles capacités et d'une plus grande autonomie indispensables aux nouvelles forces productives de l'ère de l'information. La question n'est pas tant celle d'un développement plus ou moins durable, ni même d'une "décroissance soutenable" qui reste enfermée dans l'économisme et le quantitatif, mais bien de savoir ce qu'on veut et ce qu'on fait ; passage au qualitatif et au politique pour construire un avenir où nous pourrons vivre. Il ne s'agit pas seulement de restreindre nos consommations matérielles mais tout autant de libérer des forces productives inemployées, développer les capacités de chacun, s'engager dans un projet collectif, retrouver un avenir.
A la direction aveugle par l'économie et les "lois du marché" nous devons substituer des objectifs humains, politiques ou écologiques, retrouver des finalités humaines qui donnent sens à notre vie sociale, substituer le point de vue à long terme de l'investissement humain à une mesure de la productivité à court terme, substituer nos finalités aux causalités subies, à la modernisation ou la croissance comme unique horizon.
Il nous faut comprendre pour cela que la vie n'a de sens qu'à s'inscrire dans une histoire collective, une continuité des générations et que nous devons préserver la biosphère et les ressources planétaires pour les générations futures. Quel avenir voulons-nous pour nous tous et nos enfants ? Ce que nous savons c'est qu'il ne se fera pas sans nous et qu'il sera ce que nous en ferons, c'est notre responsabilité collective qu'on ne peut plus ignorer devant les menaces écologiques qui ont commencé leurs ravages.
Les moyens d'un développement écologique
Améliorer la régulation du capitalisme (Taxe Tobin) et la gouvernance d'entreprise, les normes sociales et environnementales ainsi que les conditions de travail, encourager une "écologie industrielle" limitant les déchets et les transports, tout cela reste absolument indispensable mais ne peut être suffisant par rapport aux impasses écologiques à plus long terme. L'internalisation des externalités n'est jamais complètement possible et ne réduit absolument pas le productivisme, seulement certaines de ses conséquences immédiates. Cela ne veut pas dire que des écotaxes ne peuvent être utiles ou même nécessaires parfois mais c'est l'organisation qu'il faut changer et ne pas se contenter d'augmenter les prix. Ainsi, il faut offrir une alternative au pétrole (d'autres modes de transport ou des énergies renouvelables), sinon cela ne sert à rien ou presque.
De même, nous devons construire une alternative au productivisme du capitalisme salarial qui n'est possible qu'à ne tenir compte du seul court terme, de la productivité du temps de travail salarié évalué sur un marché, et ne peut plus fonctionner s'il doit prendre en compte le long terme, la reproduction du travailleur et des externalités positives, la totalité écologique et sociale.
Plutôt que de sacrifier toutes nos bases vitales aux illusions du plein emploi et d'une croissance destructrice, il nous faut reprendre l'initiative, en relocalisant l'économie, et retrouver ainsi une communauté politique ainsi que le plein emploi de nos vies, de nos capacités individuelles et de notre intelligence collective. Aux impasses du développement économique, nous devons opposer les contraintes écologiques ainsi qu'un développement humain qui est le seul développement désirable.
La question du revenu est désormais insistante, du salaire minimum, aux minima sociaux, aux allocations chômage, aux intermittents du spectacle ou aux retraites. On se rend bien compte qu'on ne peut séparer la question de la retraite de celle du chômage et du temps partiel, notamment pour les femmes puisque la retraite est une sorte de récapitulation de toutes les inégalités subies dans le travail. Les périodes de formation s'allongeant, leur financement et leur incorporation dans le temps travaillé devient de plus en plus indispensable. On se rend compte à quel point le revenu est de plus en plus déconnecté du travail direct et de la productivité à court terme, ce qui impose une garantie du revenu sur toute la vie et le passage à une nouvelle logique de distribution des revenus (dont 30% sont déjà redistribuées). Les partisans d'un revenu d'existence ont eu bien raison de mettre la garantie du revenu au premier plan d'une lutte contre la précarité grandissante, mais ils ont eu tort de négliger l'accès de tous à une activité valorisante et la construction d'une production alternative au salariat. Le revenu est une condition nécessaire, ce n'est pas une condition suffisante.
Il faut assurer une production alternative dans les domaines relationnels au moins (services aux personnes, formation), ne pas laisser la place aux seuls services marchands mais passer par une économie plurielle où s'élabore petit à petit une alternative au productivisme du capitalisme salarial. Face au gâchis humain de la société de marché, nous devons construire un nouveau mode de production sur la valorisation de nos ressources humaines, de nos potentiels et de nos connaissances, la libération et le développement des nouvelles forces productives trop souvent méprisées et mises au chômage, réduites scandaleusement à l'état d'épave humaine, alors qu'elles représentent le coeur de la richesse à venir, richesse écologiquement soutenable et humainement valorisante. L'appropriation capitaliste et le système des brevets se révèlent inadaptées à l'émergence de cette économie cognitive, en voulant limiter artificiellement le partage des innovations et en instituant des obstacles fictifs à la diffusion de créations immatérielles se caractérisant justement par leur reproductibilité à un coût presque nul.
Reconnaître que le développement marchand est une colonisation de toute la vie et qu'une économie structurée par le profit ne peut sortir du productivisme nous oblige surtout à construire une autre production, sur d'autres rapports de production, plus coopératifs, qui sont ceux exigés par le travail immatériel, comme l'illustrent les logiciels libres ou la recherche scientifique et qui témoignent de leur incompatibilité avec une logique concurrentielle et productiviste.
Pour que cette économie plurielle et locale ne sombre pas dans un nouveau féodalisme, il faut la combiner avec une redistribution des ressources et des normes sociales nationales ou européennes, et surtout l'intégrer dans des circuits alternatifs aux niveaux régional, national, européen, mondiaux. Ainsi, consommer Bio n'est pas seulement bon pour notre santé, luxe réservé aux nantis, c'est aussi bon pour l'agriculture, pour l'avenir, pour construire des réseaux de distribution alternatifs. C'est essentiel à condition de s'inscrire dans une alternative qui porte vraiment l'ambition de se passer à terme du capitalisme afin de rendre ce monde plus supportable et durable, en dépassant le productivisme dans la production elle-même.
Restera à régler la gigantesque question des transports qui sont le facteur principal de l'accélération de l'effet de serre. Pour cela il faut favoriser les circuits courts, ce que devrait permettre la relocalisation de l'économie, mais ce ne sera pas suffisant. La gratuité des transports en commun sera sans doute indispensable, comme contrepartie à l'augmentation des taxes sur l'essence, ainsi que le passage à l'hydrogène bien que cela puisse produire d'autres problèmes (en augmentant sans doute la vapeur d'eau et donc l'effet de serre encore).