AB-IRATO | Trop-Situs |
Il y avait d'abord Sollers and co pour qui Debord c'était un style, mais pour Debord on ne peut séparer le style de la vie ("pour savoir écrire il faut savoir vivre"). Et Sollers a toujours été un petit-bourgeois élitiste et dogmatique. Le type même du pro-situ.
Il y a maintenant Lignes qui consacre un numéro à Debord avec quelques articles interessants mais, dans l'ensemble, c'est maintenant Le Maître, l'individu, l'artiste lui-même comme oeuvre auquel on veut le réduire. Ce n'est pas nouveau. Ca commence aux romantiques et s'achève avec Isodore Isou. Ne pas confondre.
En fait, tous ces gens n'utilisent pas Debord pour critiquer la société et s'y opposer. Il faut pourtant prendre au sérieux ce que dit Debord, que ses formules sont faites pour être utilisée contre le vieux monde. C'est la même exigence que celle de Marx de transformer le monde pour le comprendre. Il ne reste sinon que la vanité d'un style, l'orgueil d'une personnalité. Plus sa vie a été exemplaire, plus on s'acharne à lui trouver des compromissions qui excusent les nôtres. Mais nous n'avons pas à l'imiter, ni à nous assurer d'être aussi purs, il ne s'agit pas d'être admirable mais de "rendre la honte encore plus honteuse" comme disait Marx, de ridiculiser le conformisme de l'ordre établi. Pour cela Debord est utile, il nous encourage.
On a aussi Jaime Semprun qui nous a sorti un nouveau livre où il se lamente sur cet Abime qui se repeuple. On a envie de souhaiter à tous ces gens, spécialistes de la clairvoyance, qu'on leur change leur peuple, leur histoire, leur mouvement social pour qu'ils soient plus à leur convenance. Comme disait Bretch, il n'y a qu'à dissoudre le Peuple. En fait, nous sommes dans ce peuple et nous subissons l'histoire comme les autres, seul importe ce que nous pouvons faire pour y sauvegarder notre liberté. La force et la légitimité des insultes situationnistes ne venait pas de leur style mais de leur action résolue de critique sociale. Personne, même Debord, ne garde cette légitimité dès lors qu'il est inactif. Car l'histoire ne se soucie pas des individus mais retient la marque de leurs actions. Le difficile est de savoir quoi faire, de lancer un assaut qui ne soit pas vain, de porter un coup décisif. Mais, en fait, tous les dandys pro-situs ne se trouvent pas si mal dans ce monde qu'ils peuvent toiser de leur supériorité.
Une nouvelle revue L'Achèvement utilise assez bien le
style situationniste, sans beaucoup d'innovations à part une analyse
de l'époque actuelle qui témoigne d'une nostalgie un peu
risible du mouvement anti-CIP qui est opposé aux mouvements de décembre
1995 ! (ça c'était le début, la suite est prometteuse...)
Le dépit amoureux se lit dans la rancune affichée mais les certitudes sous-jacentes sont tout à fait néfastes: disons que c'est le discours des biens, celui qui nous mène tout droit à la perte de nous-mêmes. Marxisme sommaire, mépris de l'art réduit à une fonction sociale quelconque: disons l'ignorance du discours en tant que tel, de son efficace qui est d'un tout autre ordre que la victoire du sabre (abstraction!).
Il est bien clair que les révolutions se font avec des discours
plus que par l'épouvantable condition de la vie. C'est la faute
à Voltaire, c'est la faute à Rousseau. Les situationnistes
ont inauguré une théorie et une pratique nouvelles qui n'ont
pas de rivales et fondent le politique dans notre liberté singulière,
l'appropriation de notre temps, inaugurant un désir contagieux de
refus et de renouvellement. Je me situe dans cette lignée d'y trouver
une voie à construire et ne me souci de rendre hommage ou de juger
ceux dont j'agrippe les traces fraternelles avec empressement. Il ne faut
s'abstenir d'aucune critique, il y avait et il y a encore beaucoup à
critiquer, Debord ne s'y est pas dérobé, il a dissous! Que
veut-on de plus? Il faudrait s'abstenir de la méprise, hélas,
qui est toujours intéressée et ne mérite souvent que
le mépris. Assimiler Debord à ceux qui disent le suivre alors
même qu'il les désavoue est déjà affligeant
mais dénoncer publiquement un théoricien révolutionnaire
pour incitation à la débauche et au crime relève de
la simple police.
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