Six réponses pour "Faire l'Alternative Verte".
Il est un fait que la sociologie moderne ne conteste guère : Nous changeons de civilisation ! Derrière la prétendue "mondialisation" s'opère une incontestable "crise de système" : capitalisme triomphant et intégrisme devant le marché ont déjà multiplié les causes de fracture de la société internationale comme de chaque société nationale.
La troisième et la quatrième révolution scientifique et technologique, fondées sur l'informatique et sur la génétique, affectent d'ores et déjà le travail humain auquel avait été réduit le lien social dans les sociétés post-industrielles. Désormais le chômage représente la préoccupation dominante des ménages. A coté de la fracture sociale, les crises financières internationales, l'augmentation de la pauvreté mondiale, l'engagement dans la guerre, mais aussi les semences génétiquement modifiées, les vaches et les poulets contaminés, les changements climatiques illustrent dramatiquement les ruptures que la civilisation connaît et permettent d'imaginer le pire.
Devant les transformations qui œuvrent dans nos sociétés, les thèmes de l'écologie-politique et sociale apparaissent comme les éléments d'une pensée renouvelée, comme le paradigme le plus structuré et le plus radical qui puisse justifier l'existence d'un mouvement militant que les Verts ont pourtant bien du mal à incarner.
"Changer l'avenir" avaient proclamé les socialistes en revenant au pouvoir en 1997. Pour être audacieuse, la formule semblait correspondre aux exigences de l'heure. L'alliance faite alors avec les Verts pouvait même implicitement marquer la rencontre historique entre le vieux courant de la réforme sociale et l'écologie-politique. Or la nouvelle expérience de la gauche au pouvoir en France s'est vite retournée au profit de la modernisation libérale du capitalisme.
Irresponsable devant l'incessant développement de la précarité, notamment par son refus d'augmenter les minima sociaux. Autoritaire en refusant la régularisation de tous les "sans papiers". Monstrueuse dans la guerre, la gauche plurielle, en favorisant la privatisation de l'économie au détriment du service public, en laissant se déchaîner plans de licenciements et plans sociaux, en refusant d'adhérer au principe de précaution, en n'infléchissant pas la politique nucléaire de la France et en acceptant le risque des OGM, organise la logique libérale de la société marchande.
Globalement la gauche plurielle participe à
l'asservissement politique et idéologique de la société,
ce que la Droite ultra-libérale n'avait pu mener à son terme.
Devant ce constat, comment accepterions-nous un bilan d'autosatisfaction
de la majorité des Verts qui, s'appuyant sur le score électoral
de Daniel Cohn-Bendit, continue à justifier sa stratégie
d'alliance sans considérer que ni sur le plan législatif,
ni sur le plan gouvernemental, la gauche plurielle ne s'est donné
les moyens de ralentir la formidable croissance des inégalités
et des fractures sociales.
1/ Considérer avec lucidité ce que représente "la troisième voie".
Entre 1996 et 1998, l'arrivée au pouvoir dans les 4 pays les plus importants de l'Union Européenne, en Italie, en France, en Grande Bretagne et en Allemagne, de coalitions rose-rouge-verte, ou travailliste, fait qu'actuellement les coalitions de gauche gouvernent dans 11 pays sur les 15.
L'explosion de la Droite aurait pu nous laisser imaginer le développement d'une politique économique et sociale de gauche, coordonnée à l'échelle de l'UE. Or cette explosion est exploitée par les gauches européennes pour s'installer dans le rôle de gérant talentueux de l'ordre néolibéral.
En effet un constat leurs est commun : la même pratique de gouvernement. Il serait bien inutile de vouloir mesurer leur différence ! Où serait le clivage essentiel entre la politique dite "libérale de gauche" de Tony Blair et la politique de déréglementation libérale de M. Jospin ? Privatisations, fonds de pension, la rigueur est confirmée dans tous les pays et, si les coalitions de gauche refusent un pacte pour l'emploi, elles ont bel et bien accepté les critères de convergence de Maastricht ainsi que le pacte de stabilité défini à Amsterdam. Qu'ils l'avouent ou pas, les dirigeants de l'Europe rose rêvent d'une autre voie : la "Troisième voie".
Le grand tournant de la social- démocratie s'est opéré en mars dernier, au congrès des socialistes européens à Milan, quand Blair et Schroëder ont rendu public leur accord sur ce que l'on appelle désormais la "Troisième voie". Mais c'est en réalité sous l'égide de Bill Clinton que la mutation idéologique de la social-démocratie s'est achevée. Il nous faut aujourd'hui constater que la "Troisième voie", pour favoriser une économie keynésienne, se propose de tourner le dos à une politique social-démocrate classique : la réduction des inégalités, le rôle régulateur de l'État Providence. La "troisième voie" c'est l'intégration définitive des élites européennes des partis socialistes à la haute administration devenue managériale, aux états majors de l'industrie et de la finance, aux milieux d'affaires les plus prospères. La place du conservatisme revient désormais à la Social-Démocratie.
Cette mutation implique, pour les Verts, la reconnaissance
en l'incapacité pour le courant social-démocrate à
proposer une solution de rechange à l'hégémonie libérale
productiviste qui domine cette fin de siècle. Cette mutation ne
permet plus aucun espoir dans la volonté des dirigeants socialistes
de ce pays à transformer les choses, à "changer l'avenir".
Dans ce contexte "nouveau" c'est donc toute la stratégie majoritaire
qu'il faut revoir, ainsi, bien entendu que la participation au gouvernement
de Dominique Voynet.
2/ Critiquer la participation gouvernementale et la cohabitation.
Sortir du nucléaire ? Comment peut-on imaginer qu'une quelconque pression s'exerce sur Jospin sans que cela ne déclenche une tempête au sommet de l'État ? Jospin est pronucléaire, mais comment peut-on imaginer que dans le cas contraire Chirac resterait muet ? La cohabitation pousse au consensus pour les deux têtes de l'exécutif. La cohabitation interdit la polémique et par conséquent respecte implicitement la hiérarchie constitutionnelle de la V° République. Malgré une situation d'opposant, l'exercice de la fonction présidentielle ne se détache jamais complètement de la fonction gouvernementale.
Toute la naïveté institutionnelle
des Verts s'est vérifiée dans la participation gouvernementale.
La gauche plurielle objectivement incarne l'adaptation tacite des Verts
aux institutions de la V° République. La majorité plurielle
représente le fait que les Verts participent pendant cinq ans à
l'extrême confusion constitutionnelle que la cohabitation implique.
C'est le piège tendu qui leur interdit toute promotion d'une république
beaucoup plus parlementaire et qui les contraint, au niveau ministériel,
à du bricolage, à la placidité, voire à l'inaction
sur certains dossiers.
3/ L'Écologie c'est un paradigme.
Retrouver les termes de ce débat est important au moment où les Verts reviennent à des scores électoraux autour de 1O % : l'écologie peut-elle redéfinir un sens global au politique ou se limitera-t-elle à n'être qu'un supplément d'âme des partis traditionnels ? A l'heure où les conflits de classe perdent de leurs capacités de mobilisation, il apparaît d'autres enjeux, d'autres conflits touchant à l'environnement et tout aussi vitaux pour l'avenir de la civilisation. Sous prétexte que la société marchande automatisée est désormais une société qui utilise moins d'énergies et de matières premières qu'autrefois, le libéralisme prétend intégrer certaines contraintes écologiques pour continuer la marchandisation et la destruction de nos vies.
Le bilan des élections européennes n'invalide pas les grandes tendances de l'heure : les partis traditionnels restent dans l'incapacité à stabiliser leur électorat, d'ailleurs fort composite ! Malgré le score de Daniel Cohn-Bendit ils s'acharnent à monopoliser la représentation politique. Et les Verts à cet égard auraient été bien mieux inspirés d'exiger la représentation proportionnelle à l'Assemblée Nationale plutôt qu'un autre ministre. L'abstention s'institutionnalise. Ainsi se manifeste la crise de la représentation politique.
Le sens du vote en faveur de Daniel Cohn-Bendit ne se limite pas à la soudaine manifestation d'une sensibilité environnementale sous le choc des poulets belges contaminés, comme s'est plu à le dire M. Chevénement. Le vote écologiste du mois de juin est aussi l'aboutissement d'un patient travail de terrain. Les écologistes ont ouvert depuis des années, dans toutes les Régions, de nombreux chantiers de lutte et de réflexion. Ce travail de terrain opiniâtre les rend de plus en plus crédibles devant la prise de conscience des dégâts écologiques et sociaux du "progrès".
Contrairement à la campagne, de gestionnaire du système, qui fut celle de notre tête de liste, les analyses plus globales des Verts sur les grands problèmes de la planète font désormais largement partie de la conscience commune. Ce vote exprime, malgré la confusion du message, le refus des politiques traditionnelles qui imaginent les sorties de crise en terme de croissance. Or la croissance est de plus en plus perçue comme l'augmentation de la productivité, fonctionnant comme une machine à détruire la nature et à exclure les hommes et les femmes du travail.
Contre le productivisme, l'écologie est un paradigme qui se décline au moins à deux niveaux : sur le plan idéologique, le paradigme écologiste s'oppose aux partis de gauche pour qui l'environnement naturel n'a qu'une valeur d'instrument au profit des êtres humains. La gauche tient pour établi que la domination de la nature est un impératif historique.
L'écologie-politique renverse cette pensée,
elle en appelle à une sensibilité et à une responsabilité
environnementale qui considèrent le monde naturel comme faisant
partie du développement durable de la civilisation. Plus généralement,
l'écologie-politique remet en cause la notion de progrès
comme étant uniquement déterminée par la science,
la technologie, le rationalisme. Relevant de l'histoire humaine et d'une
dynamique philosophique vis à vis de la biosphère et des
générations futures, le paradigme écologiste
est politiquement loin de ressembler à un simple jugement existentiel
; C'est une alternative...
4/ De l'évolution de l'État de Droit, à l'importance stratégique du revenu d'existence.
Historiquement liée au mouvement associatif l'Écologie représente le nouvel âge de la citoyenneté. En adoptant les principes de précaution, de responsabilité, de solidarité, de convivialité, l'écologie politique ouvre un nouvel espace d'autonomie, de critiques, de propositions, de désaliénation. Elle redéfinit la cohésion sociale et défend un projet de société participative, face à la conception passive d'une citoyenneté réduite à l'exercice du droit de vote. L'écologie-politique est fondamentalement autogestionnaire et responsabilisante.
Les pollutions n'ayant aucune frontière, la conscience écologiste implique la solidarité des peuples de la planète, elle est mondialiste tout en rejetant la "mondialisation" capitaliste. Selon le même ordre d'idée, l'écologie fait de nous des européens, mais sans que, loin s'en faut, nous partagions "l'europhorie" de Daniel Cohn-Bendit.
Il faut, en effet cesser de parler de "construction européenne". En grande partie l'Union Européenne existe déjà avec ses institutions, sa monnaie, son grand marché ; et c'est bien d'une Europe libérale qu'il s'agit. Le "déficit démocratique " constitue aussi son autre caractéristique. Le fossé, qui sépare les citoyens de l'Union de l'ensemble du dispositif européen, explique la morne campagne que nous avons vécue, tout comme le peu d'enthousiasme devant l'Euro, produit de la Banque Centrale Européenne dont les décisions se déroulent en dehors de tout contrôle démocratique, son seul but avoué étant de répondre favorablement aux "forces du marché". Peu de passion pour la ratification du traité d'Amsterdam dont les incidences sociales sur le devenir des européens n'ont pas été discutées. Tous les six ans des eurodéputés sont élus dont on entendra plus parler, sauf quand éclate un beau scandale comme celui de mars dernier.
Pas de quoi s'euro-enthousiasmer : Les Verts doivent reconnaître que la finalité de l'Europe actuelle est presque uniquement marchande et largement antidémocratique. Ils devraient s'opposer au statut subordonné que l'Europe attribue aux Parlements nationaux et militer pour le retour du pouvoir de contrôle des actes communautaires par ces mêmes Parlements ainsi que pour les grandes réformes qui touchent à la démocratie : la représentation proportionnelle, le cumul des mandats, le contrôle des élus, la poursuite de la décentralisation mais aussi les réformes éco-sociales concernant le nucléaire, le droit au logement, le droit à la santé etc. qui se situent aujourd'hui encore dans un "espace public" lié à l'État de Droit.
Contre les déréglementations libérales
et le laminage systématique de l'État de Droit, les Verts
doivent plaider pour des réformes essentielles afin d'améliorer
l'État Social et afin de donner une dimension moderne à l'action
publique, à l'intérêt général, aux services
publics. De ce point de vue, nous considérons que la réforme
aujourd'hui la plus urgente comme la plus stratégique est l'obtention
du Revenu d'Existence à un montant minimum de 75% du smic. Le
droit
à l'existence, basé sur un Revenu d'Existence
suffisant serait la base d'une véritable autonomie, d'une économie
au service des hommes, d'une sortie du salariat et du productivisme, mais
il s'impose aussi concrètement pour des raisons sociologiques :
la crise du travail, les millions de chômeurs, de nouveaux pauvres.
Le RMI est en progression constante (1,2 Millions). Combiné aux
subventions agricoles et aux prestations sociales qui représentent
30% du revenu des ménages, il est une urgence déjà
reconnue dont la Loi sur l'exclusion entérine l'insuffisance criante.
5 /Le défi de l'Écologie c'est aussi le défi de la Paix.
La Paix est le préalable au règlement
de tous les défis que nous venons de signaler. Nous considérons
que les justifications oiseuses de soutien à l'OTAN, puis de soutien,
sans réserve, à 11 semaines de bombardements sur Belgrade
et la population de Serbie, constituent un indiscutable égarement
politique de la part de la majorité des Verts. "L'Union Sacrée"
ayant consisté à nous expliquer que les bombardements n'aggravaient
pas la fuite des Kosovars, que la guerre relevait d'une obligation morale,
prêtant ainsi à la politique étrangère des Etats-Unis
des mobiles idéalistes, relèvent de la pure et simple mystification.
Les objectifs de cette guerre n'ont en réalité jamais été
définis : le dictateur est toujours en place, son armée est
presque intacte et les milliers de réfugiés qui sont de retour
au Kosovo sont loin de savoir quel sera leur avenir : Autodétermination?
Souveraineté partagée? Occupation militaire et administrative
de l'OTAN, de l'ONU? La confusion dans les Balkans après la guerre
succède à la confusion dans les Balkans pendant la guerre.
Les pacifistes et les écologistes qui se sont laissés entraîner
dans le soutien à cette guerre doivent retrouver un minimum de lucidité
en revenant à une position indépendante des gouvernements
et en exigeant la tenue d'une conférence de Paix pour les peuples
des Balkans, afin de renouer avec l'espoir d'une coexistence entre les
différentes communautés de l'ex-Yougoslavie.
6/ Le pluralisme se vérifie par l'expression publique.
Nous ne saurions trop dire aux Verts qui ont fréquenté le courant ALV, la responsabilité qu'ils gardent devant l'opportunisme pro-gouvernemental et les dérives écolo-gestionnaires qui sont celles de la majorité actuelle des Verts. Avec les scores électoraux de Daniel Cohn-Bendit, les Verts sont pourtant dans une situation où leur alliance avec d'autres partis politiques peut conditionner des engagements réels dans le domaine des transports, des déchets, des emplois. Pour cela, la stratégie des Verts doit devenir beaucoup plus exigeante. Leurs alliances devront ainsi relever d'enjeux réels et substantiels, se déterminer ponctuellement et sans aucune position de principe à l'encontre de l'autonomie de l'écologie-politique. En effet, les choix systématiques d'alliances avec la Gauche pourront sans doute augmenter le nombre de nos élus, mais sans les libérer de la pression de "mains-ligotées" qu'exercent sur eux les partis de la gauche traditionnelle.
La bipolarisation systématique du champ politique français est bien le piège tendu par les institutions de la Ve République, par l'importance de l'élection présidentielle au scrutin universel. Il est probable que dans trois ans Jospin, sans avoir fait avancer le dossier du nucléaire ou celui des "sans papier", aura pourtant besoin des écologistes pour être élu Président. En échange cette fois, il nommera deux ministres, mais l'adaptation à la Ve République aura alors été totalement achevée pour le parti Vert. C'est aussi pour cette raison, jamais évoquée (et pour qu'elle n'y reste pas éternellement), que nous sommes partisans de la sortie du gouvernement de Dominique Voynet.
Sociologiquement les Verts ont changé. L'adaptation progressive à la gestion du système a transformé les militants. La perspective électoraliste et le profil de carrière sont en train de se substituer aux convictions radicales et à la capacité d'animer des luttes. Partant de là, la démocratie des Verts souffre et se limite de plus en plus à deux minutes pour défendre des positions parfois très complexes sur la guerre ou sur la politique gouvernementale... Les véritables pôles de pouvoir relèvent souvent de petites équipes qui se moquent des structures élues, la formation est réduite à néant.
C'est donc autant sur le plan des idées que sur les grandes questions de la déontologie politique que ALV doit porter un type d'effort prolongé et étoffé. D'abord bien entendu en faisant respecter l'idée de la proportionnelle dans toutes les instances du mouvement, ensuite en se regroupant et en s'exprimant publiquement.
Actuellement les "porte-paroles" ont disparus et c'est bien sûr ministres, députés et tête de liste qui participent à l'expression médiatique accordée aux Verts. On ne voit pas ainsi pourquoi la minorité renoncerait à défendre publiquement dans les média une indispensable alternative écologiste.
Le 15 août 1999 Henri Rubino, Marc Sislian, Christian Sunt, Jean Zin, Alain Coulombel, Laurent Moccozet