LE BUDGET PARTICIPATIF DE L’ETAT

 

Interview avec Iria Charao et Ubiratan de Souza (Bira)

par Stela Pastore, journaliste

 

Traduction : Jean-Blaise Picheral et Christine Masson

 

 

Stela : C’est la première fois qu’est proposée, en terre gaucho, une participation directe de la population aux choix budgétaires. Comment cela a-t-il été possible dès la première année de gouvernement, dans un Etat comme le Rio Grande do Sul, s’étendant sur 282 000 kilomètres carrés et rassemblant 467 municipalités ?

 

Iria : D’abord, nous avons fait un recensement cartographié de tous les acteurs sociaux avec lesquels il serait important de discuter du Budget : Mouvements sociaux, pastorales, églises, conseils existants, syndicats, associations d’habitants, … enfin ce qu’on appelle les forces vives des Régions.

Il a fallu, dans un premier temps, composer une équipe, avec des coordinateurs régionaux, un pour chaque région où le Budget serait discuté.

La tache de ces compagnons était d’aller chercher le contact avec les mouvements sociaux déjà cités, mais aussi avec les universités, enfin, en premier lieu, de leur proposer de discuter du Budget. Tout cela en Janvier et Février 1999. À partir de là, nous avons, avec ces gens-là, constitué des commissions municipales de mobilisation, avec lesquelles nous avons constitué le calendrier pour les 467 municipalités.

Naturellement il y a une très grande diversité dans l’organisation sociale de l’Etat : Il y a des régions dont le mouvement social est très intense, d’autres où celui-ci est moyennement organisé, voire très peu dans certains cas. Mais de toutes façons, il y a eu une recherche de ces appuis sociaux, principalement des personnes qui n’avaient jamais participé à la discussion et l’élaboration d’une " pièce " budgétaire.

Il s’agissait d’apporter l’information, de débattre, et d’ouvrir la possibilité de la discussion. C’est ce que nous appelons le travail de terrain.

À partir du moment où ces gens-là ont été intéressés, ils ont créé les conditions municipales de la mobilisation. Nous avons entamé un processus de 622 assemblées au total, des Assemblées Publiques Municipales, sans aucune dépense publique de publicité. La propagande du Budget a été faite par bouche-à-oreille, naturellement elle en a gagné une bien meilleure rentabilité publicitaire, notamment à travers la polémique qui a été soulevée, et cela a fini par être très positif dans la mobilisation des personnes qui ignoraient tout Budget

 

Bira : J’aimerais souligner un aspect très important au sujet du processus de mise en place du Budget Participatif de l’Etat, celui du principe de participation universelle de tous les citoyens.

Tout citoyen, de quelque municipalité du Rio Grande do Sul que ce soit, avait l’opportunité de participer au processus. Nous avons dessiné un processus où se sont tenues effectivement, dans 467 municipalités, les Assemblées Publiques Populaires. Chaque citoyen, indépendamment de son parti politique, de sa croyance religieuse, de son association syndicale ou communautaire était à égalité de condition pour discuter du Budget et faire des propositions.

Ce principe assure une participation universelle de tous les citoyens et de ce fait empêche la mainmise d’un parti sur le processus. Au contraire, c’est devenu un processus pluriel où la société pouvait s’exprimer de manière directe. Un autre élément important est la méthodologie que nous avons adoptée, méthodologie où les assemblées publiques ont duré plus de trois heures.

Les 190 000 personnes qui ont participé ne l’ont pas fait sous forme de plébiscite. Il s’agissait d’une participation avec des débats, des propositions et, in fine, des votes. Il y avait un mouvement interactif, durant les assemblées, quand des personnes faisaient des propositions. Nous avons utilisé un autre élément important dans les démocraties de masse et la démocratie directe, l'informatique : Dans toutes les assemblées, nous utilisions l’ordinateur. Les propositions étaient cartographiées et en même temps présentées en tableaux, pour chaque thème, et, à la fin, les gens votaient à bulletins secrets en choisissant leur priorité. Le tri de ces priorités était alors réalisé sur place, sous la surveillance d’une commission issue de l’assemblée réunie. Cela aussi a donné une crédibilité au processus d’une beaucoup plus grande densité. Ainsi nous sommes sortis de là immédiatement avec la priorité numéro un de chaque assemblée, choisie parmi les onze thèmes, de l’éducation, de la santé, …etc.

Un autre élément fut la division de l’Etat en 22 régions calquées sur les divisions régionales existantes des Conseils Régionaux de Développement dans lesquelles les Assemblées Publiques Municipales travaillaient fondamentalement sur les travaux et services publics. Ensuite il y a les Assemblées thématiques de développement qui travaillaient aux projets de développement qui pouvaient mobiliser, au-delà des ressources du budget, des crédits hors budget (à travers le BANRISUL, des lignes de crédit de la BNDES, …). Ce processus a donc rendu possible la participation directe de la population : nous avons mis en place, dans les 467 municipalités du Rio Grande Do Sul, un processus de choix des priorités et d’élections de délégués. Ces délégués sont élus une fois le vote des priorités accompli.

 

Donc, le mandat de représentation de ces délégués était " limité " par la priorité déjà établie par le vote direct de la population dans ces assemblées publiques. Et les Conseillers ensuite élus par les délégués sont venus composer le Conseil du Budget. Nous avons combiné de manière innovante la représentation du Conseil : 69 Conseillers sont répartis entre les 22 régions proportionnellement à leurs populations par rapport à celle de l’Etat. Et 69 autres Conseillers sont répartis entre les 22 régions en fonction du degré de la participation populaire aux assemblées de chaque région.

Ces Conseillers de région, de cette manière, ont été élus lors des plénières des délégués, suivant ainsi la répartition régionale, en plus d’une composition en fonction de l’histoire et de la conjoncture politique de l’implication des Conseils Régionaux de Développement Régional (COREDES). Ces Conseils, créés en 1994 n’avaient jamais été appelés à voter pour définir des priorités. Ni le gouvernement de 94, ni celui de 94-98 n’ont jamais réalisé un seul ouvrage, une seule priorité des COREDES. Maintenant ils s’intègrent au processus, dans le Conseil du Budget, en participant aux assemblées publiques municipales et en faisant partie du Conseil du Budget de l’Etat.

 

Stela : Comment la population reçoit-elle et comprend-elle tout le processus ?

 

Iria : Nous pouvons dire que la réceptivité a été très bonne. Dans chaque assemblée, on a vu des gens venir pour comprendre, pour écouter, pour participer, pour voter. Il y en a qui sont venus pour regarder, d’autres par curiosité, ou encore pour savoir ce qui arrivait. Il y a eu tous les profils dans les Assemblées Publiques Municipales, y compris dans certains endroits où la bipolarisation idéologique qui divise l’Etat est très forte, des gens qui n’ont pas voulu se prononcer mais qui sont restés présents aux assemblées.

Aussi, je crois que toute cette diversité politique a été présente dans la discussion du processus du Budget. À certains endroits, nous avons eu des fêtes à l’heure des assemblées du Budget. Il y a même eu des affrontements dans l’Assemblée, ce qui a aussi été très positif car cela créait des débats sur le vif, comme jamais la communauté n’avait vu.

Nous pouvons dire que cette réceptivité fut plus ou moins bonne. Il y a eu du débat et je pense que l’idéal aurait été d’avoir un bon débat politique dans chaque assemblée.

Il y a eu des débats de projets, des débats sur le recouvrement des impôts, enfin la communauté était là, participait, écoutait comme elle ne l’avait peut-être jamais fait avant. Certaines communautés ont présenté d’autres projets à débattre. Le pluralisme a été une réalité, même si cela n’a pas été souligné par les opposants au Budget Participatif.

Peut-être, des personnalités publiques de l’Etat ne se sont pas présentées, mais les gens qui constituent leur base d’appui étaient présents, se battant y compris pour être délégués aux forums régionaux.

Nous avons eu des maires de tous les partis qui saluèrent les assemblées au début de la séance indépendamment de leur parti. Le Maire, l’autorité de la Ville siégeait et parfois, même souvent, critiquait et débattait lui-même de la question du Budget.

Je pense que c’est normal en démocratie. Dans tous ces moments, c’est peut-être ces assemblées qui ont encore été les plus chargées de débats. Ou alors, quand les personnes opposées au Budget ne voulaient pas y aller ou faisaient pression sur la population pour ne pas y aller, elles finissaient par être là. Et sur place, pris dans le feu des assemblées, beaucoup d’entre eux sortaient pour aller chercher des gens à faire participer, car c’était là qu’avaient lieu les débats.

C’était un nouveau processus de mobilisation qui est sans doute la locomotive de la question du Budget. Les gens arrivent pour entendre, pour voir, assister et en viennent, de fil en aiguille, au cours des assemblées, à participer. C’est une dynamique de réceptivité que ce processus crée, notamment pour ceux qui arrivaient sceptiques à l’Assemblée.

 

 

Stela : La participation de 190000 personnes est énorme, cela vous satisfait-il pour la première année ?

Iria : C’est satisfaisant dans la mesure où il s’agissait de réunions de travail. Comme l’a dit Bira, nous avons eu des réunions de trois heures et demie, voire de quatre heures. Les personnes restaient là pour débattre, pour soulever des questions, pour participer et voter.

Aujourd’hui ces 190000 personnes, qui sont venus en voiture, en omnibus, en charrette, à cheval, à bicyclette souvent de grandes distances pour participer aux assemblées de leur ville, représentent quelque chose de très important.

Au regard de la population de l’Etat du Rio Grande do Sul, cela peut paraître peu quantitativement, mais compte tenu de la forme des Assemblées, c’était très riche qualitativement car il s’agissait de réunion de travail avec parfois plus de mille personnes dans une seule réunion, et qui restaient jusqu’à la fin. On peut dire qu’il y a eu une sorte de " qualification " des 190000 personnes à travers ce processus.

 

Bira : Il est essentiel de bien situer l’importance de la participation populaire dans le processus d’apprentissage. Parce que c’est la première fois que se discute le Budget d’un Etat, un Budget de 8 milliards 800 millions de R$ (Réals). Et, en même temps que la population apprenait, nous apprenions à manager les compétences de l’Etat.

Comme la population de la Municipalité travaille sur le budget municipal, elle devait, au sein même des Assemblées, débattre et vérifier les compétences de l’Etat comme celles de la Municipalité.

Nous croyons donc que chaque année ce processus va se " qualifier ", tant pour le Gouvernement qui apprend aussi en marchant, que pour la population qui accumule des connaissances au cours des discussions en créant une sorte de " culture " y compris du perfectionnement de ce processus.

 

Un autre élément important que nous avons pu vérifier tient dans le fait que les contradictions qui surgissaient " qualifiaient " le processus, par le simple fait qu’il y avait débat dans les assemblées et qu’ensuite la population votait démocratiquement. C’est un élément très tranquillisant car pour nous la contradiction ne nous pose aucun problème : Qu’elle concerne des questions budgétaires ou des questions politiques, si elle est traitée avec transparence et démocratie, elle se résout d’elle-même à travers le point de vue de la population qui est en train de participer aux assemblées.

La Solidarité est une autre caractéristique de l’expérience. Nous avons vérifié la solidarité des populations dans le choix des priorités. Une solidarité y compris avec nous. Je me souviens d’une assemblée tenue à Capão do Cípo, près de Santiago. Nous avons terminé l’Assemblée à une heure de l’après-midi et nous devions tenir une autre assemblée juste après dans un district rural de Santiago. Nous sommes entrés directement dans l’assemblée. Et les personnes qui étaient là, dans le club, découvrirent que nous n’avions pas déjeuné. Quand l’assemblée s’est terminée à 5 heures du soir, un repas nous fut servi avec une poule sortant du four.

C’est une chose que nous trouvions même très émouvante : au-delà des questions financières, le Budget Participatif cultivait cette solidarité !

La question des maires est également à souligner. À la différence de notre expérience de onze années de Budget Participatif à Porto Alegre, où aucun pouvoir exécutif n’interférait au milieu, quand le gouvernement de l’Etat fait le Budget Participatif avec la population, il y a, entre le gouvernement de l’Etat et la population, les gouvernements municipaux légitimement constitués et élus au suffrage universel.

La participation des maires du PPB, du PMDB, du PFL du PT, du PDT, enfin de tous les partis a enrichi ce processus, y compris les relations institutionnelles entre le pouvoir exécutif de l’Etat et le pouvoir exécutif des mairies.

Les lignes budgétaires à caractère volontaire, que nous allons transférer dans le Budget 2000, comme, par exemple, celle de la municipalisation de la Santé, où nous allons directement transférer dans le budget des municipalités les lignes du Fonds de Santé de l’Etat au Fonds Municipal de Santé, en sont un exemple. Cela montre que les relations institutionnelles peuvent aussi être " qualifiées " parce qu’il n’y a aucun clientélisme.

 

Les montants communautaires, qui ne sont pas obligatoires constitutionnellement, vont êtres transférés aux municipalités en accord avec les priorités établies par la population. Ainsi nous augmentons le contrôle social tant sur le gouvernement de l’Etat que sur les mairies à l’heure de l’exécution du Budget 2000. Je pense donc qu’il s’agit de quelque chose de très important pour les relations, pour la démocratisation des relations entre les pouvoirs exécutifs des différents niveaux et la population, pour le contrôle social et à notre avis cette qualification va augmenter à chaque budget.

 

Stela : Pouvons-nous dire qu’une des questions marquantes de ce premier Budget Participatif de l’Etat du Rio Grande do Sul est le pluralisme et l’universalité de son positionnement, son éclectisme, non seulement du point de vue des positions des Partis, mais aussi des strates sociales, des tranches d’âge, de la diversité des populations gaucha qui ont été présentes ?

 

Iria : C’est une chose marquante pour la raison suivante : je pense que les différentes composantes citées, qu’il s’agisse de l’information, de la solidarité, ont un poids considérable dans la question de la participation au budget de l’Etat vu son importance. Cette question est fondamentale à discuter car il existe quelques préjugés.

Quand on travaille à l’universalité de la participation, tout citoyen a ou doit avoir la possibilité d’aller aux assemblées publiques municipales, de parler, de voter et d’être élu.

Il y a eu là un élément caché parce que, dans notre culture, nous mettons un voile devant nos préjugés. Comment une personne lambda, simple, comment les gens, nous tous - êtres humains - allons-nous savoir discuter ou comprendre ? C’est une question qui m’a été posée dans une réunion sur les Sciences et Technologies.

Cela fait de nombreuses années que je défends et que je participe au processus du mouvement social, et à la discussion de thèmes divers. On est surpris de voir à quel point le peuple sait ce qu’il veut. Ce qu’il nous faut avoir dans ce processus de discussion avec la communauté, avec la population, enfin avec la société à tous les niveaux, c’est de la sensibilité pour traduire ce que les personnes veulent dire. Parce que tout le monde sait ce qu’il veut, c’est la façon de l’exprimer qui est différente.

Et il en était ainsi : le vote du maire, celui du travailleur rural, du chômeur, de la femme, du jeune, de l’étudiant qui était présent, était un vote : une personne = un vote. Naturellement ceci bouscule beaucoup les valeurs et en crée aussi. Se sentir protagoniste est une chose qui va au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. J’ai des témoignages, et il me semble important d’enregistrer cela quand on parle de participation populaire : une personne de 83 ans, dans une Assemblée, en pleine nuit froide, qui a pris un micro pour la première fois pour dire ce qu’elle pensait. D’autres personnes qui, prenant le micro, restaient muettes, et regagnaient ensuite leur courage pour venir exposer leurs revendications. Pour des personnes qui n’ont jamais été écoutées, c’était une façon de dépasser ses limites.

Et pour moi c’est un saut qualitatif pour la participation populaire. C’est cette qualité que nous visons pour les 190 000 participants. Bien sûr que les 190 000 n’ont pas pris la parole, mais ils ont participé à voix basse avec leurs voisins, au moment d’élire les délégués et de voter.

 

Aussi, cette interactivité que l’Assemblée Publique Municipale a générée lui a aussi permis de rompre avec ses propres limites. Et je crois que c’est cela le grand saut de la construction de la citoyenneté, un travail plus important encore que les questions budgétaires.

 

Les valeurs sont importantes, les investissements le sont également et les gens y vont pour cela, mais ce dont ils ne se rendent compte parfois qu’en participant ou même après, c’est qu’ils ont été les protagonistes d’un processus démocratique très intense dans tout l’Etat ; Qu’ils n’ont pas été les seuls à être impliqués. Je pense que cela est un gain énorme et que c’est un grand bond en avant de la citoyenneté pour Rio Grande do Sul.

 

Bira : Ce constat empirique de la pluralité du processus du Budget Participatif, dont a parlé Íria, est un élément fondamental. Il nous semble que si le Budget Participatif, à travers l’expérience de 11 années à Porto Alegre, fait l’objet de tant de recherches dans le monde entier, c’est qu’il répond justement de façon contemporaine à la crise de l’Etat contemporain. Une crise à la fois fiscale et de légitimité politique. Autrement dit, le budget participatif, soit la démocratisation de l’Etat, répond autant à la question de l’Europe de l’Est où la relation de l’Etat avec la société était autocratique et autoritaire, ce qui a mené plus tard à un tel modèle bureaucratisé, qu’à la question de la dite démocratie occidentale, qui en vient à nécessiter des réponses de démocratie directe.

Ainsi, la société bénéficie, en plus de la démocratie représentative, de la démocratie directe qui assure la pluralité et la citoyenneté des participants. La démocratie représentative qui est un acquis universel, non négociable et sur lequel on ne peut transiger, les élections générales, l’élection du Gouvernement, tendent par ailleurs cependant à figer le Pouvoir Exécutif. Si elles sont indispensables et non substituables, elles s’avèrent insuffisantes et nécessitent, en complément, une démocratie directe.

 

L’enseignement majeur du Budget participatif est donc purement la démocratisation de la relation de l’Etat avec la société.

 

 

Stela : La Justice a, par deux fois, rendu illégale la dépense publique pour la mise en œuvre du budget participatif dans l’Etat, alors que pratiquement toutes les étapes de celui-ci en avaient été réalisées. Cette intervention dans le processus a-t-elle porté préjudice ou, au contraire, stimulé l’auto-organisation de la participation populaire ?

 

Iria : Il me semble qu’elle a fait les deux. Elle a porté préjudice dans les premières semaines, au moment où est sortie la décision judiciaire alors qu’il ne restait que quatre assemblées publiques à tenir. Ensuite, quand cette décision a été annulée, nous avons tenu le reste des assemblées. Plus tard, son maintien a nui, dans la mesure où il a provoqué un sentiment d’insécurité, mais il a créé simultanément, chez tous ceux qui avaient déjà participé au processus, un sentiment de solidarité beaucoup plus fort sur le Budget Participatif.

 

Il s’est alors créé des Forums Régionaux de Défense de la Participation Populaire, le Forum de l’Etat de Défense de la Participation Populaire, des entités qui ont garanti le processus jusqu’à aujourd’hui : la reproduction des documents, la mise à disposition de voitures prêtées, la recherche de locaux pour des assemblées, c’est finalement une autre forme de participation qui a vu le jour. Ce sont les gens, beaucoup de personnes, qui ont garanti le processus. J’ai reçu des petites notes de divers endroits qui disaient : " on a un hébergement ici, des repas là, nous sommes à votre disposition, vous pouvez compter sur nous ". Enfin, ces attitudes ont généré beaucoup plus de solidarité dans le processus.

 

Nous avons fait toutes les assemblées et le second tour des réunions des forums régionaux, pratiquement entièrement pris en charge par le Forum et par les organisations régionales elles-mêmes, qui ont fourni des locaux, des sonos, tout type d’instruments et d’équipements dont nous avions besoin. Et de fait, cette décision judiciaire a favorisé la solidarité ; elle nous a en fait freiné temporairement quatre jours, le temps de s’arrêter, de se réorganiser pour tenir les assemblées la semaine suivante. On a terminé les quatre qui nous restaient, puis les Forums Régionaux qui se sont tous tenus sans dépense publique, comme la Justice l’avait déterminé.

La justice n’a pas interdit à la population de se réunir. Si tel avait été le cas nous serions revenus en arrière, aux années de dictature militaire. La population n’a aucune interdiction de se réunir. Ce qui a été interdit c’est l’organisation par l’Etat des réunions…, la dépense publique par le pouvoir Exécutif. Nous avons poursuivi le processus jusqu’à l’étape où nous sommes actuellement et continuerons la suivante sans avoir obtenu une position de jugement sur le fond de la question. Le processus continue car la participation populaire est devenue irréversible. Aussi les gens pensent chaque fois davantage à la façon de faire, à la manière de continuer le Budget, indépendamment de l’issue de la question judiciaire.

 

Le Forum de Défense de la Participation Populaire regroupe les partis au pouvoir, les syndicats, les ONGs, les fédérations, différentes entités du Mouvement Communautaire, syndical qui collaborent de plusieurs manières : par la production de documents, avec des voitures, avec des moyens de transport.

 

 

Stela : Cette action de la Justice a-t-elle précipité un peu l’appropriation de la conduction du processus par la population ?

 

Bira : Cette décision judiciaire n’est pas en réalité un jugement de fond, c’est juste une décision judiciaire. La justice n’a pas encore pris parti sur le fond. Cette action a anticipé sur une phase que le Budget participatif aurait pu avoir par la suite, celle de l’auto-organisation de la société, qui en est venue à organiser elle-même, plus tôt que prévu, les réunions.

Il est important de souligner que, dans notre pays, le budget est déterminé par la Constitution Fédérale. Le budget de l’Etat est une prérogative de l’Exécutif, c’est-à-dire du Gouverneur dans notre cas, qui a été élu par des élections générales.

Il a donc reçu le droit démocratique d’élaborer le budget, par les élections générales d’une démocratie représentative. Au lieu de le faire en chambre, il l’a fait avec toute la population, et le fondement constitutionnel du budget, lui donne déjà les prérogatives légales pour le faire comme nous l’avons fait.

Nous nous appuyons par exemple sur l’Article n°1 de la Constitution Fédérale dont le paragraphe unique dit : " Tout pouvoir émane du peuple et sera exercé par des représentants et directement ", sur l’Article n°5 de la Constitution Fédérale qui dit d’une part que la population a le droit de réunion sans demander l’autorisation à quiconque, et d’autre part le droit de pétition au pouvoir public.

La combinaison de tous ces principes constitutionnels donne toute la légalité à la réalisation du Budget Participatif. Nous attendons d’ailleurs le jugement de fond, car la décision judiciaire n’a interdit que l’utilisation de la structure et non le Budget Participatif. Ce serait impossible de l’interdire, ne serait-ce que pour les principes constitutionnels que j’ai cités précédemment. Toutefois il faut souligner que ce procès en est finalement arrivé à divulguer davantage le Budget Participatif auprès de la société. Il a augmenté le degré de participation et a anticipé sur une phase d’auto-organisation qui aurait pu arriver plus tard.

 

 

 

 

 

Stela : Il y en a qui accusent le Budget Participatif d’être un instrument de parti ; qu’en est-il au juste ?

 

Iria : Plusieurs villes administrées par les partis favorables au gouvernement de l’Etat fonctionnent avec la participation populaire : Il y a le budget communautaire, le budget public, les consultations et d’autres formes sous des noms divers. Ce serait, qui sait, peut-être une façon de travailler avec ces municipalités ? Mais à partir du moment où nous défendons la participation universelle de tout citoyen, où nous visitons toutes les municipalités de l’Etat, cette thèse tombe d’elle-même. Parce que, par exemple, le Parti des Travailleurs, qui est tant attaqué, est au pouvoir dans 26 municipalités sur 467 dans l’Etat. Si le BP était partisan nous ne l’appliquerions que dans les 26 municipalités. Cette thèse tombe d’elle-même.

 

Stela : Pour la distribution des ressources, différents critères sont appliqués comme la priorité thématique d’une région, sa population, la structure et la carence de ses services, avec un système de notation pour chacun. Il y a une étape ensuite qui consiste en l’application d’une formule mathématique. Ainsi, le BP, proposé à la sauce de la participation populaire, applique une formule scientifique, mathématique, c’est cela ?

 

Bira : Je dirai plutôt ceci : la méthodologie du BP est objective. Elle évite les critères subjectifs qui pourraient favoriser X ou Y. Il est fondamental, pour un processus de gestion publique participative, qu’il y ait un règlement avec des critères progressifs de distribution des ressources entre les régions de l’Etat. Et nous travaillons avec des critères de distribution, par exemple, pour le financement de travaux ou de services publics.

Dans le secteur de l’agriculture, par exemple, il y a là comme critère pour une région : la priorité donnée au thème de l’agriculture, les carences agricoles et les indices de productivité, ainsi que la population, qui est aussi un critère de distribution. Là où il y a plus de populations, un plus grand besoin de ressources se fait sentir. La combinaison de ces trois critères : carence d’infrastructures ou de services, population totale de la région et priorité thématique établie par la région permet de distribuer les ressources aux régions de façon objective.

 

Dans le secteur de la santé, on procède de la même manière. On travaille sur la décentralisation municipale de la santé, par exemple, avec des financements qui prendront en compte : l’indice de mortalité infantile, la capacité et l’efficacité du Système Unique de Santé de la Municipalité, la population totale, la population infantile, la population adulte et les priorités établies.

 

Stela : Le Budget Participatif est reconnu comme une forme de gestion publique efficace par les organes de la Banque Mondiale, la BID et l’ONU. Mais elle rencontre également des adversaires. Qui a peur du Budget Participatif ?

 

Iria : J’ai eu l’opportunité de discuter avec une mission de la BID qui était là au début des assemblées, et ils étaient très intéressés de savoir que leurs financements pour l’agriculture passeraient par le Budget Participatif. Et l’agriculture, comme thématique, fut prioritaire dans 15 des 22 régions. Cette conjonction et le fait que la participation populaire priorise ses financements intéresse la Banque Mondiale.

Une des choses qui effraie tant les ennemis de la participation populaire - et non du Budget Participatif – est l’organisation qui va en advenir. Il se crée une organisation dans laquelle les gens vont commencer à avoir une pleine conscience de la distribution des ressources. Même si les ressources sont encore beaucoup plus faibles que les besoins et demandes, mais bien administrées et avec le contrôle social, elles " rendent " beaucoup plus car elles sont appliquées à des priorités. Nous avons des cas, par exemple, dans certaines villes, où les écoles qui ont été faites par les gouvernements étaient vides. Il y a eu des discussions avec la communauté pour savoir quelle meilleure utilisation pouvait en être faite et ainsi diversifier les équipements publics.

 

Nous avons des ponts qui aboutissent nulle part. À moins que ce ne soit pour les delta-planes. Cela fait des années et des années qu’ils sont à moitié réalisés, énormes, pharaoniques, et la communauté se demande ce qu’elle peut bien faire du pont. Il faut les terminer car y a beaucoup d’argent public investi et la communauté en a besoin. Mais ils n’ont jamais été planifiés dans les priorités de l’Etat.

Sur les discussions des priorités, il y a eu des débats très tendus, dans certaines régions, par exemple avec le thème des infrastructures routières contre celui de l’agriculture. Ceux qui défendaient les routes disaient qu’elles étaient indispensables pour l’écoulement des récoltes. Les agriculteurs, en particulier les petits, avançaient que cela ne servait à rien s’il n’y avait pas de financement pour les plantations. Cela reflète le type de débats qui prenait place dans les assemblées, car les deux choses étaient nécessaires simultanément. Une belle route sans récolte diminue l’efficacité de l’investissement qui est fait. Aussi, nombreux sont ceux qui ont priorisé la récolte en premier et la route ensuite.

L’organisation et les ajustements pour l’année prochaine sont déjà fixés. En premier lieu, beaucoup de suggestions sur la façon de faire le processus. Personne ne veut rester à l’écart.

Une autre chose est de commencer par les assemblées régionales, en établissant les lignes directrices et en y intégrant ensuite les villes d’une même région. Parce que les gens vivent, même s’ils habitent un petit village, autour d’un pôle. Et l’idée de la participation populaire, à travers le Budget de l’Etat, est d’intégrer toutes les villes sur la carte du développement. Ce n’est plus seulement un groupe de 30-33 villes gravitant autour d’un pôle, qui doit se développer chaque fois davantage, mais c’est aussi les municipalités des alentours qui doivent projeter leur propre développement conformément à leurs vocations, pour avoir les investissements nécessaires. C’est une préoccupation qu’avait un groupe de maires avec qui nous avons eu l’opportunité de discuter, qui rejoint des questions que Bira a soulevées, selon laquelle une ville pôle maintient une domination politique sur la région. Une ville de 200 000 habitants, c est une chose, une de 5-6 millions d’habitants, c’en est une autre. Les forces politiques des villes sont différentes, et les petites municipalités passent par l'entonnoir politique de la région. C’est la fin de ce système. Qu’elles soient petites, moyennes ou grandes, toutes les municipalités ont leur façon de participer directement, au niveau de l’Etat et c’en est fini de l’entonnoir.

Ces relations changent et à partir de là les villes vont se battre à pied d’égalité autour du budget de l’Etat et créer un mouvement régional, car la municipalité n’est pas isolée de la région, la région n’est pas isolée de l’Etat et l’Etat n’est pas isolé du pays. Aucun d’entre eux n’est une île. C’est une nouvelle culture qui consiste à discuter ce qui est commun aux villes et de ce qui fait partie de la vocation propre au développement de chacune. C’est ce que nous espérons voir s’accomplir l’année qui vient : travailler avec les indicateurs sociaux, avec le développement, avec la population, avec les critères déjà travaillés cette année et qu’il s’en crée de nouveaux pour que tout le monde ait les mêmes conditions de se battre pour des financements à l’échelle régionale.

 

 

Bira : La reconnaissance nationale et mondiale du Budget Participatif par la BID et la BIRD peut se comprendre. Ce sont les banques qui veulent que les ressources arrivent à destination et soient utilisées. Elles voient, dans l’expérience du Budget Participatif, la transparence avec, à travers ce processus, l’élimination de la corruption. C’est pourquoi elles reconnaissent le Budget Participatif comme efficace dans la gestion publique, par son efficience, par sa transparence et par le contrôle de la société. Et, de ce fait, l’expérience de Porto Alegre est indiquée dans divers pays d’Amérique Latine comme référence de critère de financement par celles-ci. Il est logique que le Budget Participatif soit reconnu internationalement, par les universités, les gouvernements, montrant que, parti d’une expérience de niveau municipal, maintenant élargi à l’échelle de l’Etat du Rio Grande do Sul, il répond de manière contemporaine à la crise de légitimité de l’Etat contemporain.

Le Budget 2000 a été un premier processus. Il a permis d’accumuler de l’expérience, et chaque année nous allons l’améliorer, le gouvernement apprend et la société civile également. L’une des questions importante sera de vérifier que le Budget de l’Etat sera bien traité régionalement. Les municipalités d’une région devront tenir des réunions préparatoires visant à choisir les thèmes prioritaires pour que dans les Assemblées Publiques Municipales soient levées les questions de ces thèmes. C’est une question importante que la population commence à saisir avec le mûrissement du processus.

Une autre question qui se pose de manière concrète et que nous prévoyons de traiter en Décembre est celle de la révision du règlement interne, des critères méthodologiques et de répartition des ressources entre les régions, à discuter au Conseil, pour le Budget 2001, visant à modifier les items que nous voulons améliorer. Le processus d’autorégulation que nous entendons marquer à date fixe est prévu pour décembre de cette année.