Pour un pôle radical de l'écologie

1. Une motion sur un projet écologiste

On assiste à des tentatives répétées d'abandon de nos principes les plus radicaux. Devant ces dérives, qui nous alignent sur les autres partis, il faut se poser la question de savoir quel parti nous voulons et, si nous voulons grandir, voulons-nous d'une croissance artificielle ou d'un développement durable des Verts? Faut-il sacrifier le long terme à l'efficacité  à courte vue ou prendre le risque de sacrifier le court terme pour préserver l'avenir ?

Aucune motion ne va au-delà des problèmes tactiques alors que les enjeux écologiques se font de plus en plus pressants et que nous devons proposer une alternative au productivisme et à la marchandisation du monde.

Aujourd'hui les Verts sont des alliés rêvés pour une "gauche" de plus en plus libérale. Sans véritable projet ils acceptent tous les compromis voire les compromissions mais par contre se révèlent intraitables sur l'augmentation du prix de l'essence comme tout horizon et quelqu'en soient les conséquences sociales. André Gorz dénonçait déjà cet éco-libéralisme en 1974, lors du premier choc pétrolier. Il faudrait tout-à-coup célébrer les bienfaits du marché qui fait payer la rareté à son prix et refuser toute régulation permettant une transition plus douce à une augmentation il est vrai inévitable à long terme. Les écologistes servent ainsi à justifier toutes les hausses de taxe, toutes les contraintes supplémentaires qui s'imposent pourtant sans commune mesure avec leur influence, tête-de-Turc toute trouvée et fort utile pour leurs partenaires.

Plutôt que de croire à une grande victoire écologiste devant l'envolée des prix, il faudrait plutôt se rendre compte que la raison en est l'accélération de la croissance mondiale et l'augmentation des ventes de véhicules, c'est-à-dire l'augmentation de la consommation de pétrole. Il ne suffit pas de se faire mal pour que cela nous fasse du bien. L'urgence serait plutôt de construire une alternative à cette croissance qui n'est pas durable. Les mécanismes de marché ne nous dispenseront pas d'une mutation de l'économie qui doit être conduite collectivement.

Pour cela il faudrait que nous fassions de notre projet écologiste le principal enjeu des motions de premier tour, qu'on livre au débat public les choix économiques et politiques pour l'avenir, les regroupements tactiques pouvant se faire ensuite sur des bases claires plutôt que sur une absence de projet. Nous sommes pour la constitution d'un pôle radical de l'écologie qui se distingue explicitement d'une écologie gouvernementale simple alibi d'une croissance inégalitaire et destructrice.

2. Pour une rupture avec le PS

L'ancrage à gauche de l'écologie était nécessaire mais ne devait pas se limiter à l'alliance avec un PS de plus en plus libéral et conservateur, ni signifier l'abandon de la radicalité nécessaire du projet écologiste. L'expérience de la majorité jospiniste comme de la participation des Verts allemands au gouvernement montrent que nous devons rompre avec les "socialistes" si nous voulons conserver notre capacité d'alternative. C'est parce que nous sommes à gauche que nous devons refuser de nous laisser enfermer dans une alliance structurelle avec un PS de plus en plus libéral, contaminant jusqu'à nos pratiques internes. Plutôt que de soutenir tel ou tel leader dans sa conquête du pouvoir, nous voulons construire une démocratie participative capable de donner un prolongement politique aux forces alternatives qui renaissent partout dans la résistance à la marchandisation (De Seattle à Millau).

Nous ne pouvons rester complices du gouvernement alors que devant l'aubaine d'une croissance retrouvée, l'anti-productivisme n'est plus de mise, pas plus que l'augmentation des minima sociaux. Les pauvres et les chômeurs sont abandonnés devant la reprise, coupables de ne pas trouver du travail ou bien honteux de leur "inemployabilité". Pour quelles victoires pourrions nous donner notre caution à la fuite en avant libérale alors que les tempêtes nous menacent déjà ?

3. Contre la globalisation libérale, pour une économie plus humaine

Notre premier principe doit être de subordonner l'économie au social. Ensuite nous devons laisser à l'individu le maximum d'autonomie plutôt que de le subordonner à l'État. Les valeurs écologistes de responsabilité, de solidarité et d'autonomie sont indissociables.

Nous ne pouvons laisser faire la globalisation libérale et la domination de la logique économique sur la société. On ne peut accepter le mythe libéral d'un capitalisme populaire, de salariés-actionnaires réconciliant travail et capital. L'opposition des intérêts des salariés et des intérêts des actionnaires ne disparaît pas sous prétexte que les salariés seraient "propriétaires" de l'entreprise, comme ne disparaît pas la contradiction entre les producteurs et les consommateurs que nous sommes pourtant tous. C'est le salariat et le capitalisme que nous devons dépasser, leur productivisme insoutenable.

Soit on se donne comme objectif simplement une production plus économe et aseptisée, un renforcement des normes, des taxes et des contrôles. Le travailleur devra s'adapter alors à une société de plus en plus déshumanisée et inégalitaire, remplacée par l'extension du marché et par l'optimisation de la production de marchandise, selon la même pente que le productivisme actuel. La définition des "besoins sociaux", même déterminés "démocratiquement", se substituant au marché pour "subordonner" le travail et l'économie,  en nivelant les différences individuelles et en reproduisant un salariat simplement socialisé, ne peut qu'ouvrir la voie à des entreprises comme Vivendi pour les assurer au meilleur coût.

Soit on veut remettre l'économie à l'endroit, sur sa base sociale, et on se donne comme objectif le développement personnel, la production de l'homme par l'homme plutôt que la consommation de biens.

Ce n'est ni en généralisant le salariat, ni en démocratisant le capitalisme, ni en s'imaginant réorienter les multinationales sur des buts éthiques ou politiques qu'on rendra notre développement soutenable mais en se réorientant sur l'économie locale et le développement personnel, en partant des hommes eux-mêmes, de leurs compétences, de leur vie et non des "besoins de la production". Il faut "penser à l'envers" du fordisme. Renversement de perspective, grâce aux nouvelles technologies, de la production de masse à la production singularisée. Il faut partir de la personne, de ses capacités et de ses projets. Small is beautiful et il vaut mieux des milliers de cigales qu'une grosse mutuelle bureaucratisée éloignée de cette économie locale, économie de face-à-face. Il vaut mieux créer des régies et des coopératives municipales, favoriser le travail indépendant et artisanal aussi bien que des formes d'associations et de réseaux locaux (SEL) grâce à un revenu garanti et un capital risque d'État, un droit à l'initiative économique, etc...

4. Pour un revenu garanti (droit à l'existence)

Très concrètement, cela veut dire rejeter le vieux principe "qui ne travaille pas ne mange pas" responsable du maintien sous la contrainte de la nécessité et reconnaître qu'il n'y a pas de liberté sans indépendance financière. Mettre la vie avant le profit, le social avant l'économie, c'est vouloir donner sa place à chacun, favoriser son expression, la valorisation de ses talents, c'est faire de l'économie un développement local et solidaire, plutôt qu'une croissance soi-disant durable. C'est redonner sens à une véritable fraternité, à notre être-ensemble et privilégier le long terme sur l'intérêt immédiat.

Ce qui était hier encore une pure utopie morale est désormais une nécessité de la nouvelle économie de l'automatisation et de l'immatériel (du développement des activités culturelles à la coopération logicielle) comme le reconnaissent de plus en plus d'économistes (notamment A Gorz et les intellectuels écologistes de Transversales). Les instruments de cette "libération du travail", de la sortie du règne de la nécessité économique et du dépassement du salariat, au stade de la production immatérielle et automatisée, sont:
- Droits fondamentaux au logement, aux soins, à l'assistance, à la formation
- Un Revenu Social Garanti individuel d'un montant suffisant (75% du smic)

5. Pour un développement local et personnel (libération du travail)

Ces garanties vitales contre la nécessité ne seront pas suffisantes pour changer la production si elles n'assurent pas l'accès aux moyens de production et à la reconnaissance sociale. L'ordinateur est devenu le moyen de production universel accessible à tous mais il ne faut pas laisser le privilège de l'initiative économique aux riches. Pour cela il faut offrir l'équivalent des anciens terrains communaux :

- Des coopératives et des régies municipales de développement local ainsi que des Systèmes d'Échanges Locaux favorisant les échanges en circuit court et abritant des activités autonomes ou coopératives (Bookchin montre qu'en dehors d'une propriété municipale les coopératives sont soumises au productivisme).
- Une assistance et une formation individuelle tout au long de la vie. Ce que tentent déjà de faire de grandes entreprises. Droit au conseil et au soutien (coach) entre l'Éducation Nationale et la médecine générale.
- Enfin, accès au droit à l'initiative économique pour tous (subventions, prêts, Capital Risque d'État).

Les droits à l'existence et à la valorisation personnelle donnent les bases d'une sortie du productivisme salarial, d'une véritable solidarité fraternelle en donnant à chacun les moyens d'être autonome. Délivrés de la contrainte vitale, il sera possible d'organiser localement une production plus écologique (production intégrée zéro déchet, circuits courts, agriculture biologique et artisanats locaux) sans négliger l'ouverture à l'extérieur et notamment la coopération nord-sud, mais aussi une coordination globale par le biais d'une planification souple des investissements publics.

6. Pour une démocratie participative

Loin d'une simple "prise de pouvoir", ce développement local doit s'appuyer sur une participation active des citoyens, facilitée par le revenu garanti, sur l'expression des minorités plutôt que sur le nivellement des différences, sur une démocratie vivante enfin. Il est favorisé par les évolutions de la production vers l'immatériel et par le développement des réseaux valorisant les connexions, les singularités et non plus la production de masse. Il doit s'appuyer sur un système d'éducation lui-même divers et respectant la diversité des talents mais qui doit pouvoir s'étendre sur toute la vie.

Dans notre action politique, nous ne pouvons accepter d'être en contradiction avec ces principes d'une démocratie participative sans réagir résolument (cumul des mandats, professionnalisation, parité). Notre combat est pratique, pour changer la vie par nos luttes de tous les jours et le développement d'alternatives vécues (agir localement). Il est idéologique : il nous faut défendre publiquement nos convictions écologistes aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des Verts, ouvrir des espaces de contestation, de contre-pouvoir pour les Citoyens au lieu de conforter un pouvoir local illusoire et devenir une caution écologiste du libéralisme en nous attaquant simplement aux nuisances les plus visibles (penser globalement). Enfin, l'enjeu est d'inventer entre-nous les pratiques collectives d'un avenir écologiste, délivré de la concurrence de tous contre tous.

Jean Zin 09/2000