Il faudrait enfin qu'on discute sérieusement de notre responsabilité majeure d'écologistes face à la dégradation du climat qui a commencé ses ravages. Il ne s'agit pas de calmer le jeux mais au contraire d'annoncer les catastrophes à venir puisque les effets des émissions de CO2 se font sentir avec 50 ans de retard. Quoique nous fassions le climat va donc continuer à se dégrader ; comment ne pas tout faire pour empêcher le phénomène de s'accélérer avec la croissance retrouvée !
On ne peut se contenter de la poudre aux yeux des augmentations de l'essence alors que les ventes d'automobiles sont au plus haut. Croire avoir lutté contre la marchandisation de la vie en condamnant des "droits à polluer" sans bien comprendre ce qu'il y a derrière est tout aussi insuffisant. Il est vrai qu'on ne saurait accepter un "marché des droits à polluer" quand on se bat contre l'Ordre Commercial du Monde. Le seul débat valable est celui d'une politique globale et décidée de réduction des émissions de CO2 incluant une part réduite d'écotaxes, des réglementations limitant les puissances des moteurs, mais surtout des politiques de substitution (transports en commun gratuits, énergies renouvelables et amélioration des rendements, isolation). Mieux vaut ne rien faire que faire croire qu'on lutte pour la protection de la planète parce qu'on inflige à la population une augmentation de l'essence. Les Verts allemands ont beaucoup souffert de ce ravalement de l'écologie à des contraintes supplémentaires pour les plus pauvres et une simple mesure d'internalisation des coûts, dans une logique purement marchande.
Il faut se méfier des formules comme ce "marché des droits à polluer" qui d'une part est un mécanisme d'adaptation aux évolutions des entreprises privées, d'autre part résulte de l'attribution aux pays du tiers-monde de droits supérieurs à leur besoin actuel. Ces droits d'émission constituent des objectifs de réductions imposées de la consommation d'énergie non renouvelable, contrairement aux écotaxes ce ne sont pas les mécanismes du marché qui sont supposés réduire la consommation. Chaque État attribue aux gros industriels des "permis d'émission" représentant la quantité de pétrole qu'il peut consommer, ces permis devant être réduits année après année. Pour s'adapter aux évolutions des entreprises (reconversions, faillite, etc.), ces permis peuvent s'échanger sur un marché. C'est bien dans ce cas les politiques qui fixent les objectifs de réduction et l'attribution des droits d'émission, le marché n'a qu'un rôle d'ajustement aux marges. Il ne s'agit pas de permettre la pollution mais de la réduire. De même le marché international des quota transférables est la conséquence de l'attribution aux pays du sud de droits supérieurs à leurs besoins actuels afin de favoriser leur développement. Refuser ce système est renforcer les inégalités actuelles entre le nord et le sud.
Tout aussi trompeuse est la formule "pollueur payeur". Les termes évoquent une réparation par le coupable, une punition du délinquant, mais quand on justifie avec ce slogan les taxes sur les carburants, cela devient hélas une simple marchandisation de la pollution, l'évaluation de son coût. Le droit romain a connu la même dérive, passant de "l'oeil pour oeil, dent pour dent" valant compensation à une simple évaluation différenciée de la somme à payer dans une logique de l'équivalence semblable au fonctionnement des assurances (Legendre). Dès ce moment la marchandisation du vivant est assurée et le pollueur peut payer pour continuer à polluer sans remords. Nous ne pouvons accepter cette logique marchande réservant les "droits de polluer" et les produits bios aux riches pendant que les pauvres sont condamnés à la malbouffe et à des prix inabordables. L'efficacité de ces taxes est de plus très contestable.
L'argument d'Alain Lipietz qui prétend que ni les plus pauvres, ni les plus riches ne sont affectés par la taxe me semble extrêmement cynique et largement fausse. Certes les plus pauvres n'ayant pas de véhicules ne devraient pas consommer d'essence qu'ils ne peuvent payer. Cependant ils sont parfois véhiculés et doivent payer leur essence mais beaucoup de rmistes, en tout cas à la campagne, ont une voiture malgré tout, qui leur coûte trop cher et coûtera plus chère encore. Si les écotaxes devaient être efficaces, la taxation de l'essence pour financer les routes aurait dû faire baisser la consommation même si on n'appelait pas cela des écotaxes. Il ne s'agit pas de nier toute relation entre la consommation et le prix mais il ne suffit pas de s'en remettre au marché car cette relation n'est pas linéaire. Il est certain qu'à un coût trop bas il y a beaucoup plus de gâchis et qu'on peut empêcher d'autres sources d'énergie de se développer. Ensuite il y a une pente beaucoup plus douce, l'augmentation du prix n'ayant que peu d'influence sur la consommation jusqu'à un autre seuil où le produit de luxe est réservé à une élite. Plutôt que laisser faire le marché avec l'illusion d'un effet linéaire des prix sur la consommation, il faut avoir une analyse plus fine. Des écotaxes sur l'essence ne seront pas inutiles aux États-Unis où le carburant est très bon marché, ce n'est pas le cas en Europe. Il faut distinguer nettement aussi l'effet des taxes sur les industriels et sur les particuliers. Un industriel sera d'autant plus encouragé à investir pour réduire les coûts qu'on augmentera la taxe alors qu'un particulier n'a souvent pas le choix de ses moyens de déplacement (il y a aussi des pollueurs choisis et des pollueurs subis). Il n'y a aucune raison de traiter les deux catégories de la même façon. mais surtout, tout cela n'est pas à la hauteur de la tâche. Qu'au moins, si on croit que les taxes sont efficaces, on exige une augmentation des minima sociaux et du smic pour ne pas pénaliser encore plus les plus pauvres, mais on se trompe à se reposer sur de simples taxes pour réduire notre consommation.
Que sont les quotas transférables par rapport aux écotaxes ? Une vente en gros mais surtout qui ne s'applique qu'aux industriels et s'engage sur des résultats plutôt que de s'en remettre au prix. Ce n'est pas le marché qui est supposé ici réduire les émissions, il n'a qu'un rôle d'adaptation. C'est donc beaucoup plus acceptable que les écotaxes et non pas moins. Ici c'est une réduction effective qui est exigée, pas un simple coût supplémentaire qui serait un véritable "droit à polluer". Les "droits à polluer" devraient sans doute être une taxation en rapport avec les investissements nécessaires pour réduire les émissions de CO2, mais l'essentiel c'est l'objectif de réduction. C'est exactement ce qu'il faut faire : des résultats, pas du baratin. Cela ne veut pas dire que là aussi il suffit de fermer les yeux et de laisser faire les marchés sans garde fous. L'argument principal pour des "quota transférables", c'est de préserver le développement des pays du tiers-monde et de constituer un transfert de technologie aux pays les moins avancés. C'est donc à l'international que c'est intéressant et surtout pour le tiers-monde. Mais il ne faut pas que le montant des "quota" (donc pas tout) soit trop important car le gros des réductions doit se faire dans les pays industrialisés puisque ce sont les plus gros pollueurs. Le libéralisme actuel est bien inadmissible. Un quota de 10% serait par contre tout-à-fait acceptable. Nous devons donc exiger une limitation et un meilleur contrôle de ce mécanisme, c'est l'objet de la négociation. Mais quelle critique peut-on faire à un système qui réduit ses émissions locales tout en aidant les pays moins avancés à améliorer leurs rendements énergétiques ? Quelle est l'alternative à court terme ? Le marché de ces transferts doit être mieux organisé mais il ne faut pas se tromper de cibles, c'est l'insuffisance des mesures que nous devons critiquer, pas le transfert aux pays pauvres de la réduction des émissions de CO2. La marchandisation de la vie est bien avancée, nous devons nous y opposer de toutes nos forces mais pas en s'opposant à ces mesures nécessaires à notre solidarité planétaire.
2. Mesures symboliques ou solution globale
Le premier pas de Kyoto est bien timide mais aujourd'hui que la croissance est revenue pour une longue période, la question se fait plus pressante. Comment pourrons-nous supporter plus longtemps ce productivisme effréné ? Bien sûr cette croissance pourrait être une croissance écologique, un développement des personnes, des services, de la formation, des biens immatériels. Bien sûr les potentialités sont là mais il faudrait la volonté d'en tirer parti au plus vite car il ne faut pas se cacher que la croissance actuelle est encore immensément destructrice et qu'on ne pourra plus longtemps encore dire "après-nous le déluge".
Il ne faut surtout pas confondre les limites que doit se donner une économie destructrice, les contraintes écologiques les plus urgentes, avec les propositions écologistes qui veulent changer les règles de l'économie. Je voudrais souligner l'opposition des approches entre cet environnementalisme technocratique et une écologie transformant le travail et la société. Les écologistes ne sont utilisés là que pour porter le chapeau de mesures qui seraient de toutes façons prises, limitant ainsi leurs exigences sur des dossiers plus stratégiques. C'est comme cela qu'on perd sa capacité critique pour simplement habiller d'idéologie une taxation à la marge des pollutions n'améliorant guère notre vie. On accumule les coûts : coûts sociaux, coûts écologiques, coûts fiscaux, la bête grandit démesurément et dépense de plus en plus alors qu'il faudrait réduire la pollution à sa source, réduire la concurrence à mort, réduire la pression à produire, consommer et polluer. De même, la notion de développement durable se borne à une mince couche de bonnes intentions sur un productivisme destructeur qu'on veut déranger le moins possible. On ne peut dire que prendre en compte cette notion de développement durable soit rien. C'est vraiment un minimum. Quelques projets "positifs" suffisent à prétendre durable un saccage qui continue en effet.
Plutôt que de présenter l'écologie comme une contrainte supplémentaire, nous devons plutôt montrer que l'écologie est la réappropriation de notre vie. Ce n'est pas contre la population, les entrepreneurs ou les automobilistes que l'écologie doit s'imposer mais, bien plutôt, c'est pour eux comme pour nous, libérer notre vie. La transformation du travail, le temps libéré, le revenu garanti qui constituent des réponses au productivisme sont aussi une véritable amélioration de notre quotidien et non pas une pression supplémentaire qui nous accable.
Il ne s'agit donc pas d'opposer des solutions réglementaires aux écotaxes, rejouer l'opposition de l'État et du marché, mais d'opposer des mesures symboliques et partielles, sans réelle portée, avec des solutions globales pour résoudre les problèmes à la racine et obtenir de véritables résultats. Les écotaxes ne peuvent avoir qu'une portée limitée dans ce cadre. Leur utilité me semble surtout d'égaliser les prix avec les énergies renouvelables mais il ne faut pas en faire payer le prix aux plus pauvres. Les quotas transférables sont un bon système a priori car exigeant un résultat (ce qui est gagné est gagné), mais nous n'arriverons à maîtriser le climat que si nous pouvons dépasser le productivisme capitaliste pour un développement plus humain et solidaire. Il ne suffit pas de taxer la croissance pour récolter les fonds destinés à réparer quelques uns de ses dégâts. Il faut rapidement développer les transports en commun et les énergies renouvelables ainsi qu'abaisser la pression à la consommation. Ensuite nous pourrons demander des réductions plus importantes de nos pollutions à la hauteur des enjeux vitaux de l'avenir.