La limite planétaire
On peut admettre avec René Passet, qu'il était raisonnable
aux débuts du capitalisme, de considérer que les prélèvements
sur la nature étaient gratuits. Aujourd'hui que les équilibres
de la biosphère sont en jeu, la globalisation rencontre la limite
planétaire au niveau des ressources aussi bien que des pollutions,
des externalités positives comme des externalités
négatives qu'on ne peut plus rejeter à l'extérieur
d'un monde fini. La course au profit et à la croissance n'est plus
tenable. Malgré l'individualisme triomphant de la marchandise, la
tempête nous traite universellement et nous devenons responsables
collectivement du climat, que nous le voulions ou non, car il est désormais
lié à notre production, effet de la totalisation de l'activité
humaine.
Le dérèglement du climat
Il faut prendre la mesure de cette responsabilité. Bien sûr
le climat n'a jamais été stable et les anciens déluges
ou glaciations ne devaient rien à l'activité humaine mais
aujourd'hui l'accélération dépasse les variations
naturelles, détruisant les coraux par exemple. On peut d'autant
moins compter sur la nature pour absorber cette accélération
que nous sommes dans un cycle de réchauffement solaire. Il n'y a
aucun moyen d'éviter un réchauffement beaucoup trop rapide
dans les 50 prochaines années car l'effet de serre se produit avec
retard et le soleil sera de plus en plus actif. Le premier effet thermique
est un accroissement du phénomène de refroidissement par
la vapeur d'eau, ce qui se traduit en déluges de pluie (qui peuvent
reverdir le Sahara), en fonte des glaces et montée du niveau de
la mer submergeant les îles, le Bangladesh, La Hollande... Enfin
la disparition ou la perturbation des courants marins devrait nous priver
de l'effet tempéré du Gulf stream, refroidissant sensiblement
le climat français (le réchauffement de la planète
peut signifier ainsi froid et humidité pour nous). Tout ceci n'est
que probable mais l'impuissance à en prévoir les effets n'est
pas pour nous rassurer car on sait qu'ils seront considérables.
A court terme c'est la multiplication des phénomènes climatiques
extrêmes qui nous menace, jusqu'à inquiéter déjà
sérieusement les compagnies d'assurance.
La capitalisme n'est pas durable
Il y a dans cette fin de l'irresponsabilité, une condamnation
de notre mode de développement au moment où la marchandisation
a tout envahi du gène au lien social et au savoir. Si on en croit
Wallerstein, le capitalisme comme économie-monde ne s'en relèvera
pas (le coût écologique sera insupportable au capitalisme,
couplé à l'affaiblissement des États et à la
force grandissante des salariés), mais ce n'est pas sans nous promettre
pour ces 50 ans à venir un chaos qui n'a rien de réjouissant
avant d'inventer une économie plus écologique.
- Externalités et rentes (marchandisation des ressources)
Le capitalisme comme rente
Le développement de l'industrie, le productivisme
capitaliste n'est qu'un processus d'extension continue de la marchandise,
une captation des ressources communes au profit de l'intérêt
privé. C'est d'abord un rapport social, rapport politique d'appropriation
des ressources naturelles et de reproduction des inégalités.
Ce rapport ne se reproduit pourtant que par sa productivité. La
base de l'utilitarisme libéral depuis Locke est le gain collectif
supposé de la propriété privée qui sort une
ressource commune, laissée à l'état d'épave,
de sa dégradation et permet de l'exploiter (d'améliorer la
terre par exemple). La base du capitalisme est ainsi la rente foncière
(l'appropriation des terrains communaux et l'accumulation primitive). On
peut exprimer le profit capitaliste comme une rente généralisée,
des ressources naturelles ou du travail salarié à la technique
et aux sciences, leur valorisation. Mais on atteint là une limite.
L'extension de la marchandisation
Notre époque de globalisation se caractérise par un totalitarisme
de la marchandise envahissant toutes les dimensions humaines. Ce n'est
plus seulement la nature, mais toutes les ressources de la personnalité
et de la culture qui sont exploitées, manipulées comme moyen
pour la production. En dehors des contraintes matérielles rencontrées
avec les pollutions et le dérèglement climatique, les externalités
sont de plus en plus immatérielles, notamment sociales. Si on peut
dire qu'une partie de plus en plus grande de la vie est marchandisée,
on peut dire aussi qu'une part de plus en plus grande est socialisée.
Le rôle de l'État, loin de se réduire est de plus en
plus crucial dans les performances productives par ses investissements
publics mais il est aussi de plus en plus intégré à
l'économie et soumis aux intérêts privés. Ce
qui nous menace avec la production immatérielle, c'est l'extension
de la marchandisation à de nouveaux domaines affectifs et culturels,
la matière humaine exploitée dans tous ses aspects, devenue
gisement de profits, du gène à la connaissance, jusqu'à
devenir étranger à nous-mêmes, à tout ce que
nous sommes.
La lutte contre la marchandisation
C'est ici qu'il y a le plus grand danger actuel (OGM, brevetabilité
du vivant et des logiciels). Ainsi, ce qui peut paraître un progrès
pour le climat, d'une consommation plus immatérielle, menace encore
intérieurement tout autant nos bases vitales. C'est contre cette
marchandisation du monde que nous devons nous dresser, contre la globalisation
productiviste et pour une économie du développement local
et personnel. Cette production de l'homme par l'homme doit reposer
sur d'autres bases que l'appropriation, l'exploitation, le profit individuel
et la rente. Les logiciels libres notamment illustrent la productivité
de la mise en commun du savoir, de la coopération et du partage
dans la "nouvelle économie".
Externalités et valeur
La rente prétend donner une valeur aux ressources communes mais
la notion d'externalité devrait être comprise d'abord comme
une contestation de la valeur marchande au nom de ses conditions extérieures,
de ses conditions matérielles de reproduction, ses contraintes écologiques.
A partir de là se pose la question de savoir si les externalités
vont continuer à contester la valeur à partir de leur extériorité,
éprouvée comme une crise de la mesure, ou bien si
elles peuvent être chiffrées et valider au contraire une valeur
impliquant leur internalisation. La question est de savoir si la
prise de conscience de la priorité de la société et
de la vie sur l'économie mène à un autre mode de développement
ou bien s'il ne s'agit que de rendre celui-ci à peine un peu plus
durable en intégrant seulement dans ses comptes la reproduction
du milieu productif.
- Pollueurs payeurs : écotaxes ou plan global de réduction
C'est ici que commence la discussion sur la réponse écologiste à l'exploitation des externalités, les tentatives de chiffrage économique, le problème des écotaxes. S'agit-il simplement d'internaliser les coûts sociaux ou de changer le mode de production ?
Du nouveau
D'abord, ce n'est pas parce que la reproduction est une limite que
nous devons nous limiter à la reproduction de ce qui existe ou au
caractère reproductible d'un mode de production. L'impossibilité
d'un développement durable du capitalisme condamne globalement ce
système et nous oblige à construire un nouveau projet global
qui n'est pas la reproduction de l'ancien. Il nous faut inventer du nouveau
Notre critique du productivisme ne doit pas s'arrêter à son
caractère non durable mais attaquer sa logique quantitative inhumaine
et aveugle. Notre projet ne doit pas être seulement soutenable matériellement
mais aussi soutenable socialement.
Les limites de la reproduction
Ensuite, on ne peut mettre sur le même plan les externalités
sociales et les externalités naturelles ou vitales. Si pour toute
société, la reproduction du travailleur doit être assurée
globalement par le salaire et les charges sociales, il n'est pas si facile
d'assurer la reproduction de la nature ravagée par notre industrie
grâce à des écotaxes. On peut toujours déterminer
la valeur d'une qualification car c'est une valeur relative, il n'en est
pas de même avec nos conditions vitales qui ont une valeur absolue,
donc infinie.
L'internalisation des externalités
La prétendue internalisation des coûts de reproduction
est donc largement illusoire au-delà du coût de reproduction
du travailleur. Elle participe plutôt à l'extension du secteur
marchand en légitimant la transformation des externalités
en gisements de profits, des déchets à la vie elle-même.
Les tentatives de chiffrage sont trop arbitraires et dépendantes
du point de vue adopté, car on ne peut vraiment quantifier le qualitatif
et la plupart des pollutions ont des effets de seuils plutôt qu'un
effet continu, ou bien il y a combinaison de différents facteurs.
On peut bien sûr, comme les assurances, donner un prix à tout,
puisqu'on en donne même à la vie, et on peut suivre le glissement
du Droit romain de la sanction à l'évaluation d'une équivalence
des peines jusqu'à la simple amende dans une logique assurantielle
qu'on peut trouver inacceptable pour ce qui s'attaque à nos vies.
On n'arrivera pas à calculer le coût de la route par exemple,
indiscernable du système de production, on ne chiffrera jamais que
sa reproduction. On ne peut chiffrer les perturbations du monde enfin car
le monde comme totalité ne peut avoir de valeur mesurée puisqu'il
ne s'échange pas (L'échange impossible, Baudrillard).
Il ne peut pas plus y avoir une appropriation du climat, qui ne se divise
pas contrairement à la Terre vendue entièrement morceaux
par morceaux. Il faut donc renoncer à internaliser la folie d'un
système de production qui n'est pas durable.
Écotaxes ou écologie
Ce n'est pas une raison pour laisser le climat à son sort d'épave
dépravée mais la totalité a sa propre réalité
qui ne se réduit pas à la somme des parties et c'est aussi
pourquoi elle s'impose bien au-delà de ce que nous pesons face aux
marchés. C'est à un changement de système de développement
que nous devons nous confier et non à des taxes. D'Illich à
Gorz, la logique des écotaxes a toujours été dénoncée
par les écologistes, transformant une inégalité environnementale
en inégalité sociale sans nous préserver des destructions
industrielles. C'est dénoncer une vision libérale de l'écologie
confiant aux mécanismes de marché nos enjeux vitaux. Ce n'est
pas refuser toute écotaxe mais refuser qu'on se serve de l'écologie
qui doit "penser globalement" pour des recettes fiscales faciles, refuser
de considérer qu'on a commencé à résoudre l'effet
de serre sous prétexte qu'on a augmenté le carburant alors
que les ventes de véhicules battent des records. Il ne suffit pas
de se faire du mal pour que ça nous fasse du bien !
Contre un marché de la pollution
Non seulement la mesure des externalités est impossible mais
la logique marchande réserve le droit de se déplacer aux
riches et les OGM aux pauvres. La pollution ne peut pas être une
marchandise, il faut refuser la logique d'un "marché des droits
à polluer" qui est bien celle des écotaxes, et qui, en faisant
de l'environnement une ressource le soumet un peu plus au ministère
des finances quand ce n'est pas aux marchés eux-mêmes. Ce
n'est sûrement pas une raison pour laisser continuer le pillage gratuit
de nos richesses communes. Il faut faire payer les pollueurs mais sans
jamais considérer qu'ils payent le juste prix (le droit de continuer
à polluer) et que cela suffit. Il faut surtout engager des plans
globaux de réduction des pollutions et de régulation des
prélèvements sur nos ressources sans se fier aux seuls mécanismes
de marché mais par une réorganisation collective.
Penser globalement
Comme écologistes nous devons défendre des solutions
globales dans lesquels les écotaxes peuvent avoir un rôle
mais ne peuvent remplacer des objectifs beaucoup plus indispensables comme
l'amélioration et la gratuité des transports publics, les
subventions aux énergies renouvelables, l'isolation, etc. Ni surtout
remplacer la critique nécessaire du système lui-même.
Nos combats écologistes devraient être là et non pas
pour nourrir le ressentiment des pauvres contre les écologistes.
Il ne s'agit pas de s'opposer à la taxation des multi-nationales
qui trouvent toujours de bonnes raisons de ne pas payer la taxe, mais de
s'opposer à un impôt indirect injuste pour les plus pauvres
et sans efficacité écologique aux niveaux actuels (aux États-Unis
le carburant est trop bon marché et une écotaxe aurait un
rendement plus sensible). Il est trop facile de prendre l'argent des taxes
en remettant à plus tard la fin de l'injustice sociale et les investissements
nécessaires. Faire de l'écotaxe un facteur de régulation
des prix est déjà beaucoup plus positif. Nous sommes condamnés
à une approche globale intégrant la dimension sociale et
la garantie du revenu (ainsi nous devons réduire le transport par
camions mais il serait irresponsable de ne pas assurer la reconversion
des routiers).
La valeur des taxes
Le seul coût réel serait celui de la reconstitution du
milieu quand c'est possible (eau) mais, la plupart du temps l'objectif
des écotaxes, loin de tout "permis de polluer", d'un "coût"
social ou écologique, ne peut être qu'une diminution réelle
de la pollution, c'est donc aussi son acceptabilité sociale. Sans
avoir à se justifier en dehors de leur efficacité, taxes,
réglementations, subventions, investissements doivent viser une
diminution rapide des pollutions et une réorientation de la production
vers les énergies renouvelables et le développement durable.
Ce qui compte, ce n'est donc pas l'écotaxe mais la cohérence
d'un plan global de réduction des pollutions et de réorientation
des techniques, différencié secteur par secteur, loin de
toute logique financière quasiment magique. On ne s'en sortira pas
pourtant sans prendre le problème à la racine en offrant
une alternative au salariat productiviste et plutôt que de calculer
le coût de la dégradation de nos vies nous devrions viser
la plus grande amélioration faisable. Se battre pour des taxes serait
se battre pour le roi de Prusse (le ministère des finances), alors
que nous devons exiger des plans ambitieux de lutte contre les pollutions
ainsi qu'une véritable réappropriation de nos vies.
- Planification de réduction des quotas et "marché des droits à polluer" (La Haye)
Les quotas comme alternative au marché
L'alternative à la marchandisation de la pollution, c'est de
fixer des objectifs quantifiés de réduction des émissions,
s'occuper des quantités plutôt que du prix. Cela ne dit pas
comment on va arriver à ces objectifs mais on ne se fie pas ainsi
à de simples mécanismes de marché, on planifie un
objectif avec ses mesures de vérification. Dans ce cadre la fixation
de quotas d'émission de CO2 à Kyoto est un bon système
qui permet de planifier la diminution progressive des émissions
mondiales. Cette planification quantitative par pays est purement politique
et ne résulte pas d'un équilibre de marché. Il ne
s'agit pas d'un droit inaliénable qu'on pourrait céder mais
d'un objectif de réduction des émissions. S'il s'agit sans
doute d'un "droit à polluer" (en fait à brûler du pétrole),
ce droit n'est pas durable car il n'a aucune autre justification que sa
diminution planifiée. Ce ne peut donc pas être une propriété
mais cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas le risque. L'autre risque
vient du fait que, dans le contexte du capitalisme libéral, un tel
mécanisme ne peut s'appliquer sans des procédures d'ajustement
des bonus/malus, et une forme de marché donc. Il faut donc être
extrêmement attentif à réserver ce marché aux
ajustements à la marge ainsi qu'à le mettre sous contrôle
d'une agence internationale. Dans ces conditions, les Permis d'Émission
Négociables sont le contraire d'un marché de la pollution.
Les quotas ne sont pas un mécanisme de marché mais au contraire
de planification, à l'opposée d'un marché dont on
attendrait une réduction des émissions par le seul jeux des
prix.
La négociation de La Haye, pas d'échappatoire
Il y a pourtant bien le risque de l'instauration d'un "marché
des droits à polluer" car les USA (+Australie, etc.) tentent de
détourner ces mécanismes de flexibilité pour s'épargner
tout effort domestique alors qu'ils sont les principaux responsables de
la pollution mondiale mais il ne faudrait pas que les écologistes
en refusant ces dérives rejettent jusqu'à l'existence d'un
marché d'ajustement et donc la planification par quotas elle-même.
Il faut absolument réduire l'accès au marché à
5% des permis d'émission et surtout exiger une diminution effective
des émissions locales, pays par pays. Les mécanismes d'ajustement
ne doivent pas viser un meilleur rapport coût/efficacité mais
seulement les adaptations conjoncturelles. Il ne faudrait pas pourtant
que, sous prétexte de refuser un marché de la pollution,
on en arrive à dispenser les pollueurs de toute mesure contraignante
et mesurable, en faisant simplement échouer la négociation
de La Haye.
Agarwal, les mirages de l'égalité et les risques du
marché
Au-delà des marchés d'ajustement, contrôlés
par une agence internationale, il faut bien admettre pourtant que certaines
logiques de quotas pourraient mener à un véritable marché
de la pollution. Ainsi, même si on n'en est pas du tout là,
les propositions d'Agarwal, qui a été proposé pour
le Nobel alternatif, sont séduisantes mais dangereuses. Elles partent
d'un principe égalitaire qu'on ne peut qu'approuver à première
vue (chaque être humain devrait pouvoir dégager 500kg de CO2)
mais qui est arbitraire en ce domaine et qui comporte un véritable
risque de marchandisation de la pollution en instituant cette fois un marché
généralisé des droits d'émission posant beaucoup
de questions. Au pire, des pays pauvres pourraient se trouver dépouillés
de leurs droits vendus d'avance, au mieux ils deviennent dépendants
d'une rente annuelle qui peut aussi bien empêcher le développement
plutôt que de l'encourager selon son mode de répartition.
On n'est plus du tout dans le contexte de quotas d'émissions en
diminution planifiée mais bien de droits permanents et d'un pur
mécanisme de marché supposé compenser les émissions
à la longue entre Nord et Sud, ce dont on peut douter. Il ne suffit
pas de mettre en place une légitimité conventionnelle, valable
universellement, il faut en vérifier les effets, la réalité
concrète. Qui est propriétaire des droits : les hommes ou
les États. Qui en bénéficiera? Sous quelle forme?
Si le droit de chacun à l'égalité est toujours aussi
juste, c'est bien aussi au nom d'un droit égalitaire formel que
le couple démocratie + capitalisme a produit les plus grandes inégalités.
Il n'y a pas enfin de véritable égalité devant la
pollution ou le climat selon l'endroit où l'on se trouve. On ne
ferait ainsi qu'instituer un nouvel actif universel, renforçant
encore la financiarisation de l'économie et de la pollution. Si
nous sommes résolument pour le partage des richesses, et le développement
des pays pauvres, par contre l'égalité des "droits à
polluer" n'est pas un objectif écologiste, seulement leur diminution
globale. C'est pourquoi les quotas d'émission ne se justifient pas
en dehors de leur diminution planifiée. Dans ce cadre, il s'agit
de raisonner en terme d'objectifs (de quotas) et non pas d'évaluation
des coûts (taxes) ni même de prétendre à une
véritable justice.
Soutenir les ONG
C'est bien compliqué, car nous devons refuser des mécanismes
de marché comme les écotaxes ou un "marché des droits
à polluer" mais cela ne doit pas nous amener à refuser un
marché d'ajustement des quotas planifiés, sous contrôle
d'une agence internationale, dès lors qu'il ne s'agit bien que d'ajustements
aux marges et non pas d'échappatoire à des engagements contraignants
de réduction. Il faut se méfier ici des idées trop
simples. Malgré l'urgence, on ne peut faire l'économie d'une
analyse concrète des enjeux de La Haye, mais c'est dans ces matières
difficiles qu'on doit faire confiance aux ONG, au moins faire appel à
leur expertise plutôt que de se décider de loin sur des critères
purement idéologiques ou même de simples mots. C'est la supériorité
de la démocratie participative sur une démocratie médiatique
: ne se fier ni à la démagogie, ni aux experts officiels.
Ainsi, la position du CAN (Climate Action Network) semble la seule raisonnable
(des règles claires, pas d'échappatoires), au-delà
de la posture idéologique (mais est-ce communicable? N'y-a-t-il
pas là une limite). Il faut s'appuyer sur le refus d'une marchandisation
du monde pour faire de La Haye un nouveau Seattle, empêcher toutes
les dérives vers un marché de la pollution, pas pour empêcher
un accord contraignant de réduction des quotas alors que la croissance
mondiale pousse au contraire à la hausse les émissions et
que le réchauffement s'aggrave dramatiquement. Plutôt qu'un
mécanisme de marché comme les écotaxes nous devons
défendre une réduction des quotas et plutôt qu'un marché
des droits à polluer nous devons limiter l'échange de permis
aux ajustements conjoncturels, à un système de bonus/malus
par rapport aux objectifs planifiés.
Pour un projet alternatif
Devant le retour de l'inflation, il est essentiel de comprendre qu'il
nous faut défendre la garantie du revenu et la régulation
des marchés tout autant que la diminution de notre consommation
énergétique et non le niveau des écotaxes qui devraient
plutôt assurer une certaine stabilité des prix. Au lieu de
jouer les ayatollahs du prix de l'énergie, il faudrait prendre,
secteur par secteur les mesures différenciées qui s'imposent,
dans un plan global qui doit être attentif à ne pas aggraver
la situation des plus pauvres, sans se fier donc à la douteuse magie
de simples mécanismes économiques. Pour gagner ce pari contre
l'effet de serre, il faudra pourtant bien sortir de la société
de marché telle que nous la connaissons et défendre une nécessaire
alternative, profiter des potentialités de l'économie immatérielle
pour réorienter l'économie sur le développement local
et personnel. Le jour où l'écologie ne sera plus assimilée
aux écotaxes mais à une réappropriation de nos vies,
à un monde plus humain, nous aurons fait beaucoup plus pour l'avenir
de la planète qu'en augmentant le prix de l'essence (ce pour quoi
il n'y a pas besoin de nous). S'il faut dès maintenant réduire
nos pollutions, il ne s'agit pas de rendre un peu plus durable le pillage
de nos ressources mais bien de défendre un projet alternatif, véritablement
soutenable dans lequel garantie du revenu et régulation des marchés
seront indispensables à une production plus économe.