La fin de l'irresponsabilité

Après-nous le déluge
Ce qui fait l'actualité des changements climatiques, ce n'est pas la conférence de La Haye qui court à l'échec et ne mobilise pas les foules, c'est la multiplication des tempêtes aussi bien que la hausse de l'essence. Nous avons passé un seuil depuis quelques années, et nous sommes passés des prophéties de quelques écologistes à l'urgence éprouvée par tous de mettre fin à l'irresponsabilité productiviste.

Au début chacun se dit que ce n'est pas dramatique qu'il fasse un peu plus chaud, on est tous un peu frileux, nostalgie de l'Afrique originaire. Seulement après quelques grosses chaleurs, ce qui nous attend c'est une sorte de déluge, tout simplement, dès que l'évaporation augmente, comme au temps de la fonte des glaciations. Le réchauffement de la planète c'est aussi le mauvais temps chez nous, un été oscillant entre chaleur insupportable et de plus en plus de pluies. L'incertitude scientifique sur la question n'est pas fait pour nous rassurer. Il ne fallait pas prendre à la légère cette expression de l'irresponsabilité : après-nous le déluge.

Ce n'est pas nouveau, dira-t-on puisque c'est un phénomène naturel, mais ce qu'il y a de nouveau, c'est que, cette fois-ci, c'est vraiment la faute des hommes. Dans les mythologies antiques, le déluge était vécu comme la suppression de la création par son dieu créateur reniant sa créature à cause des péchés des hommes, de leurs disputes, leur égoïsme, leur éloignement du Dieu. Ce sentiment de culpabilité a fait progresser la conscience de soi en produisant le travail humain, l'agriculture, d'abord comme service aux dieux (faire le travail de la nature à sa place pour être utiles aux dieux et "gagner sa vie"). Pourtant, l'homme n'était pour rien dans les précédents déluges alors que c'est bien sa faute réelle, sa démesure qui le menace lui-même cette fois. Faut-t-il la colère du ciel pour comprendre enfin qu'on ne peut continuer à gaspiller nos ressources dans une vie d'enfer ? Chaque cyclone menaçant sera désormais chargé de notre culpabilité et les déluges à venir accuseront longtemps notre insouciance irresponsable. Il ne s'agit pas seulement d'un "réchauffement", non, après-nous le déluge !

L'autonomie de l'économie est bien réfutée par ses conditions vitales, ses "externalités négatives" et les limites planétaires que l'industrie ne peut plus ignorer. Comme le montrait déjà André Gorz en 1974, la réponse à cette contrainte prend deux formes opposées (Leur écologie et la nôtre). La première tente d'internaliser de nouveaux coûts écologiques par des taxes ou des mécanismes de marché alors que la deuxième exige un autre mode de développement, une alternative au capitalisme salarial.

Un capitalisme écologique n'est guère crédible, tentative de rendre un peu plus durable son productivisme destructeur qui le précipite vers sa fin malgré tout. Les changements climatiques sont d'abord la preuve d'un productivisme insoutenable et de la nécessité de construire une alternative, un développement humain plus économe. On ne réussira le pari contre l'effet de serre qu'à choisir un autre mode de développement.

En attendant, on ne peut rester les bras croisés ni laisser les pollueurs polluer gratuitement et sans limites. Il faut agir localement, au niveau de sa commune, et faire pression sur les États. Il faudrait réussir la conférence sur le climat de La Haye qui s'annonce hélas si mal, pourtant rien de pire qu'un échec qui repousse toutes les mesures de réductions (si insuffisantes encore).

Devant cet enjeu pratique les écologistes sont divisés et les Verts français hors jeu d'une négociation qu'ils récusent et à laquelle ils ne s'intéressent pas vraiment, laissant les ONG sauver ce qui peut l'être entre quotas d'émission de gaz à effet de serre et "marché des droits à polluer". Nous avons voulu donner les enjeux d'un débat qui reste bien embrouillé mais la véritable scission des écologistes passe entre ceux qui s'accommodent d'un capitalisme à peine tempéré, à peine repeint en Vert, et les artisans d'une véritable alternative, d'un développement véritablement soutenable.

Du prix du pétrole à l'épargne salariale ou à la démocratie dans l'entreprise nous ne devons pas laisser l'écologie échanger des illusions contre une extension de l'individualisme patrimonial et servir simplement de caution à une libéralisation qui n'est plus de saison. Nous devons plutôt profiter des potentialités de la "nouvelle économie" et du développement humain pour apporter une réponse écologiste aux défis de l'avenir.