- Edito - |
Il ne s'agit en aucun cas de remonter aux sources, de retour en arrière à la première utilisation du mot ou du concept pour se conformer à son origine. L'écologie-politique ne se réduit pas à la science écologique comme le socialisme ne se réduit pas à la sociologie. Nous devons au contraire rappeler les proximités de l'écologie scientiste avec l'hygiénisme, le malthusianisme mais surtout avec divers fascismes jusqu'à l'horreur insupportable de l'espace vital nazi. La "nouvelle écologie" qui sert de cache-sexe à la "nouvelle droite" se nourrit encore de ces vieilleries biologisantes et racistes. Il y a aussi l'écologie new age qui recycle une mystique taoïste réduite à l'immédiateté de techniques spirituelles marchandisées ou bien à un positivisme crétinisant sans commune mesure avec la voie traditionnelle.
L'écologie-politique ne doit rien à une quelconque tradition "naturaliste" mais elle constitue l'émergence de nouvelles exigences en réponse aux impasses de l'industrialisation et de la marchandisation du monde. C'est l'exploitation intensive des ressources naturelles qui a ébranlé les rapports de l'humanité à la nature, outrepassant les limites naturelles dont l'écologie veut préserver l'équilibre et la diversité comme elle recherche partout, et notamment entre les humains, l'altérité et l'échange comme véritable richesse. L'écologie est la négation de la séparation de l'économie, la nécessité de prise en compte de la nature et de la réappropriation de nos vies. Elle pose la question de nos véritables fins : quelle société, quelle vie voulons-nous ? Au-delà de l'environnementalisme, l'écologie est donc un projet de société alternatif au capitalisme salarial. Il y a bien là continuité avec une tradition anti-capitaliste, celle des luttes sociales, de la démocratie et de l'intérêt général. Il nous faut ainsi puiser dans la tradition révolutionnaire et socialiste, au sens large, l'essentiel des exigences de justice et de solidarité ainsi que la critique de la logique du profit, de la domination et de l'exploitation.
Dans cette continuité historique, l'écologie introduit malgré tout une rupture essentielle avec le modèle productiviste et massifiant. Le paradigme écologiste met en cause les fondements de l'économie, pas seulement sa répartition, en mettant en avant notre responsabilité, notamment avec le principe de précaution, mais aussi les limites planétaires, le négatif du progrès et de la production, l'épuisement des ressources et la prise en compte des cycles biologiques. Il y a passage du quantitatif au qualitatif, à la conscience de soi de la production, à notre responsabilité planétaire. Le point de vue global de l'écologie fonde enfin la valorisation de la diversité et de la coopération, de l'autonomie et de la décentralisation dans une société largement autogérée qui n'est pas le lieu du combat pour la survie mais d'une assistance mutuelle, d'une communauté humaine et conviviale. Contrairement au communisme ou au libéralisme, l'écologie veut préserver liberté individuelle et liberté collective donnant autant d'importance à la personne qu'à la communauté.
Malgré ces ruptures, nous sommes clairement du côté du mouvement social, à gauche si ce mot a encore un sens, en tout cas opposés à une écologie libérale autant qu'à l'écologie de droite des hiérarchies naturelles. Mais nous ne pouvons nous réduire à une troisième gauche qui lorgne plutôt à droite et ne prend pas la mesure de ces ruptures dont nous voulons au contraire souligner l'urgence. C'est bien les deux bouts que nous devons tenir, l'ancrage dans l'histoire de l'émancipation sociale mais aussi la nécessité d'une nouvelle approche globale et multidimensionnelle de la politique, respectant les singularités locales et refusant de prendre les moyens pour fins ou de traiter les sujets vivants en simple objet. Nous voudrions participer, avec cette revue, à l'élaboration collective de l'écologie-politique comme projet d'avenir pour une planète dévastée. Car si jamais l'écologie n'a été aussi nécessaire, nous voulons montrer qu'elle est déjà possible.