Que reste-t-il de nos amours ?

Du mouvement au parti Vert.

 

" Qui dit organisation dit oligarchie " Roberto Michels

 

Et si finalement, l’utopie écologiste s’était, à son tour, laissée piéger par sa soudaine notoriété ? L’analyse sociologique et historique des mouvements politiques a dégagé certaines " lois " qui, un peu cyniquement, relativisent toute tentative de la nouveauté en politique. Ces réflexions précisent que toute formation partisane tente de se définir dans un premier temps par la nouveauté de son discours et de ses pratiques, puis, si elle réussit à s’assurer une certaine pérennité, elle subit une mise en conformité avec les pratiques et les discours dominants. La période d’intégration et de mise au pas est plus ou moins longue, mais semble, pour ces commentateurs, inévitable ! Le temps des Verts est-il venu ?

Dernier né des mouvements politiques français, il se présente comme la seule pensée politique originale de ce XXe siècle. L’argument est incontestable, si l’on accepte le postulat qu’il existe une " idéologie " écologiste. Il s’affirme aussi comme une force politique novatrice par ses pratiques, par son souci de penser et mettre en place une manière " autre " de faire la politique, avec comme axe central, une conception rénovée de l’égalité de tous (au-delà même de l’idée de citoyenneté) et une vision active de la démocratie participative. L’environnement constitue le pivot démonstratif. Il sert tout à la fois à démontrer l’inconséquence de nos choix économiques et politiques sur le long terme, mais aussi à révéler le déficit démocratique de notre construction du pouvoir politique. L’utopie qui anime ce mouvement qui émerge dans les années 70 est brouillonne, non-dogmatique, basée sur l’expérience et l’écoute, libertaire sans toujours bien s’en rendre compte. L’objectif est donc de bâtir une autre société…

Et puis, l’habitude s’installe… Inévitablement, semble nous rappeler quelques doctes et pessimistes analystes ! Les campagnes électorales s’enchaînent, les savoirs et les pratiques se mettent en place. Les militants et leur personnel dirigeant acquièrent une compréhension plus adéquate des nécessités du jeu politique, tel qu’il est, tel qu’il se pratique par tous les participants. Progressivement, le groupe dans son ensemble s’adapte à ces conditions extérieures qui s’imposent à lui. Ceux qui s’y refusent partes. Le début des années 90 est marqué par un important travail de mise à niveau des pratiques militantes internes et du discours électoral en fonction des impératifs du système politique. La routine bureaucratique participe aussi à ce phénomène.

Mais dans le même temps, on continue, rituellement, à affirmer sa différence, même si dans les faits, on remet en cause, échéance électorale après échéance électorale, les principes anciens du non-cumul des fonctions, du non-cumul dans le temps, du tourniquet, de la non-professionnalisation…

La situation n’est pas propre aux Verts français. Les études comparatives menées sur les mouvements verts en Europe confirment cette tendance (Delwit P., De Waele J.-M., Les partis verts en Europe, Bruxelles, éd. Complexe, 1999). L’ensemble des partis subit une évolution marquée par une intégration dans le système politique national, avec une propension plus ou moins importante à se mettre en conformité avec les règles propres à ces systèmes. L’influence exercée par la culture nationale sur la pratique militante est patente. Ce conformisme se constate aussi dans les pratiques les plus quotidienne, alimentaire comme vestimentaire… (voir les remarques tout à fait pertinentes, Florence Faucher, Les habits Verts de la politique, Presses de Sciences Po, 1999)

Au regard de la situation actuelle des Verts, incontestablement, la grande réussite de ce parti, mais surtout de ses dirigeants, est d’avoir réussie cette conversion. À présent, les Verts font partie d’une coalition électorale, fragile encore, mais qui a su être bénéfique pour chacun des partenaires lors des élections législatives passées.

Pour autant, les Verts ont-ils plus d’importance au niveau des idées ? Cela revient à tenter d’apprécier ce qui caractérise l’écologie dans l’opinion publique. Les études montrent que sur ce plan, les Verts peinent à offrir, encore, un contenu soutenable à leur discours. Seule la thématique de l’environnement reste associée à leur image. Mais les principaux axes programmatiques développés lors des dernières campagnes électorales, et notamment la réduction du temps de travail, thème classique de l’écologie politique, n’est pas associée aux Verts ! Il en est de même vis-à-vis de leurs partenaires, qui continuent à affirmer à qui veut l’entendre que l’écologie est l’affaire de tous, sous-entendu que l’environnement n’est pas la seule propriété des Verts. On ne relèvera pas la confusion entre écologie et environnement, signe d’une grande pauvreté de la réflexion de la classe politique sur ce qu’est l’écologie politique. On se contentera de saisir l’enfermement théorique dont fait l’objet le parti Vert.

Quel bilan dressé de cette institituionnalisation soudaine des verts ? Elle reste relative. D’abord, il faut encore une fois insister sur leur quasi absence dans de nombreux lieux de décisions effectives dans l’aménagement du territoire par exemple, au niveau des agglomérations ou encore des conseils généraux, mais aussi au niveau communal… Ensuite, elle résulte d’une évolution générale du système politique français depuis les lois sur le financement public des partis politiques. Grâce à ce financement, les Verts ont pu se doter d’une organisation matérielle inédite. On peut à présent établir des projets financiers sur le long terme, mais à la condition de s’assurer une présence significative sur le plan électoral, lors des élections législatives (d’où un délicat travail d’évaluation budgétaire sur la nécessité de présenter ou pas des candidats…). Surtout, leur entrée dans les instances nationales du pouvoir (Assemblée et Gouvernement) est la conséquence directe d’une alliance électorale avec le Parti socialiste. Les dirigeants Verts ont su manier les outils de l’analyse électorale, des sondages d’opinion, du recours aux experts en général, pour peser dans les négociations. Il s’agit là d’une pratique des plus classique utilisée par tous les partis, mais qui dénote une compléte transformation des stratégies contractuelles entre les partenaires ; si la discussion d’un contrat reste une priorité idéologique affichée, dans la pratique, la négociation des sièges est devenue une priorité indiscutable. Et l’impérieuse nécessité de recaser les sortants va accéler, comme pour les autres partis, cette tendance. Relative enfin, car on peut déplorer que bien souvent, leur présence médiatique est cantonnée dans un rôle d’agitation folklorique (dernière campagne de Daniel Cohen-Bendit, petites phrases de Noël Mamère…).

Tout cela confirment que les Verts sont à présent anxieux de répondre aux deux impératifs fondamentaux pour tout organisme politique : se donner à voir et s’assurer de sa propre importance. Ces deux impératifs aboutissent à une surreprésentation du rôle et à une position dominante des leaders au sein de tous les partis. Les Verts, malgré leur dénégation continuelle et incantatoire, n’ont pas échappé à ce mécanisme. Par exemple, les leaders verts ont tendance à confondre leur action avec la perception qu’en a l’opinion publique et les autres acteurs politiques. Imperceptiblement, comme en témoigne de nombreuses prises de position publiques, le personnel politique professionnel des Verts est passé du " nous " au " je ", redéfinissant ainsi, symboliquement, les marques du pouvoir au sein de la structure. Entre l’image de soi, l’image que l’on offre de soi et l’image que les autres perçoivent de soi, il y a un continuum de la communication et de l’action qui est extrêmement difficile à construire et entretenir.

Mais, entend-t-on régulièrement, les Verts progressent sur le plan électoral… Faut-il rappeler que la présence institutionnelle des Verts résulte plus d’une offrande, à la fois bienveillant et complaisante, mais surtout comptable de la part de son paternaliste allié socialiste, que d’une percée foudroyante de l’écologie politique dans en France. N’oublions pas que si aux législatives de 1997, l’alliance avec le PS permet une réussite vraie réussite politique, en réalité les scores obtenus par les écologistes là où ils se présentent en position de concurrence ne sont pas très élevés (4 % environ avec 1 % gagné dans les circonscriptions "réservées"). Au cours des années 1995-96, ils stagnent autour des 3 % lors d’élections partielles, cantonales ou législatives (voir Boy D., Villalba B., " Le dilemme des écologistes : entre stratégie nationale et diversités locales ", in Perrineau P., Reynié D., Le vote incertain. Les élections régionales et cantonales de 1998, Paris, Presses de Science Po, 1999, p. 143-162.). Au total Les Verts ne disposent régulièrement que d’un capital d’environ 5 % des suffrages exprimés. Habilement gérées dans le cadre d’une alliance, ces voix ont permis de percevoir d’importants bénéfices politiques. Mais le fait est là, Les Verts ne retrouvent pas le niveau de leurs scores du début des années 90, comme le montre le score de D. Cohen-Bendit aux Européennes, comparable avec celui d’Antoine Waechter, avec un écho médiatique et intellectuel sans commune mesure !

Une vraie question demeure ouverte : la position enviable des Verts français est elle en fin de compte sans effet sur leur réussite électorale ? Pourquoi le gain incontestable de notoriété dû notamment à la présence d’une Ministre de l’environnement Verte n’est il pas converti, du moins jusqu’ici, en capital électoral ?

Aujourd’hui l’expérience du compromis permanent dans le cadre d’une alliance dominée par le Parti Socialiste constitue la réalité quotidienne. Pourtant, quel que soit le travail accompli par nos députés ou notre ministre, l’expérience du Nord-Pas-de-Calais montre bien que le PS pratique plus une politique de tolérance que de véritable partenariat avec les Verts. Marie-Christine Blandin a, de l’avis de tous les commentateurs, non seulement un bilan valable, mais en plus une méthode de travail apte à renouveler les pratiques de la décision publique. Mais que pèse un bilan face à la notoriété et le poids politique d’un Michel Delebarre ? N’oublions pas non plus que les résultats des urnes n’ont pas non plus plébiscité l’action de M.-Ch. Blandin (Villalba B., " La rose et le myosotis. La gauche plurielle aux élections régionales de 1998 ", in Dolez B., Laurent A. (dir.), Des roses en mars. Les élections régionales et cantonales de 1998 dans le Nord/pas-de-Calais, Lille, Presse universitaire du Septentrion, 1999, p. 33-49). Que ce soit vis-à-vis des électeurs ou des structures politiques " alliées ", la force politique des écologistes reste marginale, au sens qu’elle ne peut jouer que dans des marges réduites. D’ailleurs, en 1998, en terme d’élus, avec, au total, 70 sièges de conseillers régionaux, les Verts ont perdu 38 des 105 sièges gagnés en 1992.

Il ne s’agit pas d’analyser ce que sont aujourd’hui les Verts au regard d’un temps idyllique, qui serait censé incarner l’âge d’or de l’écologie politique. Pas plus que de Paradis perdu, il n’existe une écologie politique perdue. L’écologie politique est entrée à présent dans l’ère du réalisme politique. Le tournant s’est effectué en 1993-1994, où le tabou des alliances politiques s’effondre. Non pas que les stratégies d’alliances n’aient pas eu cours antérieurement, mais à partir de cette période, il devient officiellement possible d’envisager une alliance électorale avec le parti socialiste. La désignation de cet " allié objectif " rend légal un discours de l’écologie ancrée à gauche, met fin par conséquent au " ni-ni ", et surtout, permet la mise en place de pratique professionnelle dans la conduite du parti. Insensiblement, l’on passe du mouvement vert au parti vert ; le terme lui-même n’effraie plus les militants…

Finalement, ce que l’on peut le plus regretter chez les Verts, c’est le double discours qu’ils développent et animent au sein de leur propre mouvement et face à l’opinion publique. Le double discours peut se résumer à travers l’émergence d’un personnel politique, vivant à présent pour et par la politique, selon la définition classique du sociologue Max Weber, et le maintient dans le même temps d’un discours de la différence. Plus clairement, l’ambiguïté du discours écologiste, pour peu que l’on se donne la peine de l’étudier, réside dans la juxtaposition d’une image idéalisée par le groupe et ses leaders (" la différence ", " l’intégrité morale ", " l’absence de distance avec le citoyen de base "…) et la pratique effective du groupe et des leaders dans les activités politiques (" le compromis électoral ", " la professionnalisation des élites dirigeantes vertes ", " l’électoralisation du débat interne ", " la bureaucratisation interne du mouvement ", " la concentration verticale du pouvoir "…). Il est intéressant de lire les livres écrits par, pour, ou autour des dirigeants Verts actuels pour constater la juxtaposition de ces registres de la justification. À les lire, ils-elles sont des acteurs innovants, parfaitement investis dans leurs nouvelles fonctions, conscient des " vrais enjeux " de la politique, mais pourtant toujours le-la même, conforme à l’esprit du " mouvement ", et, à les en croire, prêt à tout quitter pour retourner dans la société civile… Et pourtant, la même " permanence " depuis des années au sein des institutions dirigeantes des Verts, le même " sens du sacrifice " pour se présenter aux élections internes et externes, le même " sentiment dans la propre importance " de leur discours, sans oublier un " sens visionnaire " réaliste… Le constat est banal, présent dans toutes les formations politiques et participe largement à la construction de pans entiers de la langue de bois politique, tant décriée par les Verts.

Le paradoxe final est parfaitement illustré par l’objet de cette revue : contribuer à renouveler le débat au sein des Verts. En effet, l’agitation intellectuelle des différentes minorités au sein des Verts (notamment sur des enjeux sociaux comme la toxicomanie, les Sans-papiers…) est le principal alibi et justification pour une grande partie des militants et la quasi totalité des dirigeants pour maintenir cette illusion identitaire… " Nous " restons nous-même, car nous sommes en mesure de continuer un débat interne vif, animé, sans tabous, ouvert à tous, et pesant sur les décisions futures du mouvement…

Bruno Villalba

bvillalba@hp-sc.univ-lille2.fr