La deuxième famille verte évoquée par Jean Jacob est celle du "naturalisme conservateur" du Suisse Robert Hainard (né en 1906) dont l'auteur estime qu'il s'est incarné politiquement dans la création des Verts et la figure d'Antoine Waechter. Cette pensée, précurseur de l'écologie profonde, critique la société moderne au nom de la défense d'une nature "vierge", éternelle, qui se ressent ("le sentiment de nature") plus qu'elle ne se pense. Intéressante par la radicalité de la coupure posée, par la mise en avant d'une altérité considérée comme insaisissable par la raison, cette réflexion est aussi porteuse de nombreux dangers par son anti-humanisme, sa tendance à utiliser les mêmes grilles pour les sociétés humaines et la nature. Robert Hainard n'évitera pas les propos eugénistes, anti-minorités, les appréciation ambiguës sur Mussolini ou Hitler qui lui vaudront la rupture avec certaines personnalités pionnières de l'écologie politique comme Solange Fernex. Dans la deuxième partie de l'ouvrage, qui nous amène des "avertissements du Club de Rome" sur les limites de la croissance à la personnalité de Daniel Cohn-Bendit, en passant par René Dumont, Jean Jacob se demande si l'écologie politique ne devient pas une forme de socialisme. Pour Jean Jacob, les écologistes en adoptant la notion de "développement soutenable" ont troqué leurs interrogations sur la nature contre une vision plus économique, et donc plus classique, du monde. Il montre là aussi les ambiguïtés, les impasses mais aussi l'élargissement que permet cette évolution en intégrant les questions du social et de la démocratie. Pour Jean Jacob, qui semble le regretter, l'écologie a ainsi perdu en originalité mais gagné en lisibilité.
Si l'ouvrage de Jean Jacob reste une référence incontournable, certains de ses choix de départs sont contestables et réduisent la portée de l'ouvrage. A un moment où l'écologie semble avoir oublié la question philosophique du rapport à la nature, cette étude était bienvenue pour rappeler combien cette question avait façonné la pensée verte. Pourtant, en n'analysant que des auteurs traitant du rapport à la nature, il omet (ou ne fait que survoler) des auteurs essentiels à la pensée écologiste comme André Gorz, Ivan Illich ou Murray Bookchin, des références libertaires qui ont préparé l'écologie politique (Elisée Reclus, Kropotkine, etc.), ou des réflexions moins académiques qui ont pourtant marqué une pensée commune ("L'an 01" de Gébé, les BDs de Reiser, etc.). Ainsi, à la différence de ce qu'il avait fait dans un des ses précédents ouvrages ("Les sources de l'écologie", Panoramiques, Arléa 1995) il créé une coupure artificielle au sein de la pensée écolo et on peut se demander s'il ne va pas à l'encontre de l'objectif que semble afficher le livre : montrer l'existence d'un corpus idéologique écolo qu'il serait nécessaire de rendre visible, étudié, discuté.