PLEIN EMPLOI JOSPINIEN :

LE TURBIN SANS LES TALBINS
 
Le plein emploi de papa, c¹était, soit la version hard : les femmes à
l¹usine d¹armement et les hommes au front, les camps de rééducation par le
travail ou les porteurs de lunettes dans les rizières, histoire de leur
apprendre ce qu¹être productif voulait dire... soit la version soft, où les
charmes de la production en série de bagnoles et autres merveilles
interchangeables fabriquées en masse permettaient à un fordisme défunt
d¹assurer au plus grand nombre la garantie de perdre sa vie à la gagner...
Mais, le règne dictatorial du "one best way" taylorien qui depuis
l¹entreprise organisait la société a vécu. Aux grèves sauvages, au turn over
incontrôlable, à la fuite hors de l¹usine, opposés par le travail à
l¹exploitation, le capital répond depuis 25 ans par l¹imposition d¹une
discipline hors de l¹usine. Cette discipline hors les murs touche
directement toute la société pour retourner le contrôle de la mobilité au
profit du capital. Le salaire n¹est plus un investissement nécessaire à la
massification de la consommation et à la croissance des profits mais un pur
moyen de contrôle.

Le plein emploi d¹aujourd¹hui, celui que nous annonce Lionel Jospin pour
dans dix ans, est donc tout différent de celui d¹hier : c¹est celui vers
lequel tendent les Etats-Unis avec leur 4% de chômage et leur 2% de
population active derrière les barreaux ; c¹est celui du glissement
progressif vers le workfare, c¹est-à-dire l¹obligation de travailler
lorsqu¹on dépend des superbes allocations généreusement versées par les
social-démocraties européennes, en France en Allemagne, en
Grande-Bretagne... c¹est la société rêvée où des millions de salariés
pauvres "working poors" misérablement payés à accomplir des tâches inutiles
ou nuisibles, n¹auraient plus l¹outrecuidance d¹alourdir les chiffres du
chômage et, partant, le scintillant bilan gouvernement de la gauche
plurielle.

A l¹heure où 87% des embauches sont des contrats à durée déterminée
n¹ouvrant le plus souvent aucun droit à l¹assurance chômage où le travail
intérimaire connaît une expansion sans précédent, où des centaines de
milliers de jeunes privés de revenu sont contraints de se vendre à bas prix
au premier Mac Do venu pour payer leurs études, échapper à leur famille ou
en compléter les ressources, le gouvernement Jospin affecte un excédent
budgétaire de 68 milliards de francs à l¹allégement des impôts pour les
classes moyennes et à une baisse de la TVA pour des secteurs d¹activité où
la précarité règne en maître (bâtiment, restauration...). Autant de services
dont les prix ne baisseront que parce qu¹ils bénéficieront à ceux qui ont
les moyens de se les offrir.

De l¹augmentation des minima sociaux (chiffrés par le même Jospin à 70
milliards en janvier 98, coïncidence ?) avec lesquels tentent de survivre 6
millions de personnes en France il ne sera pas question : l¹horizon radieux
du plein emploi promis sous décade serait sans conteste assombri si par
malheur, chômeurs et travailleurs précaires se trouvaient en position de
refuser les CES de vigiles à mi-temps et autres emplois-jeunes à la Cogema
dans lesquels on voudrait à toute force les insérer.

Monsieur Jospin, nous n¹irons pas dans votre plein emploi, nous avons bien
mieux à faire qu¹être embauchés dans votre usine. Vous le savez
pertinemment, nous y travaillons déjà de manière intermittente ou précaire
en fonction des besoins de votre économie et voulons que ce travail soit
reconnu et payé. Nous ne demandons pas qu¹on nous trouve une activité, nous
n¹en manquons pas. La disponibilité que vous exigez de nous, nous savons en
faire usage pour notre compte, c¹est à dire pour tous. Ce qui nous oppose à
vous c¹est de vouloir conquérir collectivement les moyens de développer
librement les activités et les formes de coopération productive que nous
jugeons belles et nécessaires.

Vous avez su par le passé utiliser des mois de salaire conséquents et
délicieusement libres de toute contrainte afin de réaliser vos projets.
Lorsque des personnes malveillantes vous l¹ont reproché vous leur avez fort
justement répondu que vous en aviez "profité pour agir". Nous aussi, nous
agissons et nous produisons tous les jours des choses infiniment plus
passionnantes et utiles que de reconstruire le Parti socialiste en vue de
gagner les élections législatives... ou présidentielles.  Aujourd¹hui plus
encore qu¹hier, lorsque vous ne voulez à aucun prix relâcher la contrainte
salariale qui s¹exerce sur la multitude, lorsque vous nous refusez à
garantir à chacun des moyens d¹existence, comme le réclament les mouvements
de chômeurs et précaires, vous vous posez en défenseur de possédants arc
boutés sur leurs privilèges.

Soyez attentifs toutefois : ceux que vous dites assistés et à quoi vous
promettez l¹emploi comme une récompense sont tout prêts à mordre la main que
vous leur tendez : la violente inégalité sociale que vous cherchez par tous
les moyens à maintenir pourrait bien susciter de nouvelles nuits du 4 août.