Prétendre au retour du plein emploi, c'est prétendre que le plein emploi a
existé, alors que le chômage est une donnée constante des sociétés
capitalistes. Même pendant les Trente Glorieuse, qui restent pour beaucoup
une référence, le chômage était de l'ordre de 3%, sans oublier que cette
période constitue une exception et correspond à un moment très particulier.Le chômage a accompagné le développement du capitalisme, et dès le milieu
du 19ème siècle, Marx parlait d'armée de réserve industrielle, permettant
de peser sur les salaires. Le lien entre salaire et chômage a été démontré
depuis longtemps : quand le chômage augmente, les prix et les salaires
baissent et vice-verça. Les politiques de désinflation mises en place par
tous les gouvernements, qui exigeaient une baisse relative des salaires
(les salaires augmentant moins vite que la productivité), ont mis au
chômage des millions de personnes. Ces politiques ont répondu au désir des
entreprises de rétablir leur profit rogné par les salaires pendant les
années 60-80. C'est ainsi qu'entre 81 et 96, la part de la Valeur Ajoutée
Brut consacrée à la rémunération des salaires est tombée de 69% à 60%,
alors que la part affectée à la rémunération du capital est passée de 4,48%
à 10%. Pour ceux qui ne s'en doutaient pas encore, le chômage est lié et
est nécessaire au capitalisme. Eliminer le premier, c'est donc éliminer le
second.
Tertiairisation du travail
D'autre part, dans les secteurs industriels, la mécanisation puis
l'automatisation ont fait que le besoin en main-d'¦uvre a fortement
diminué, et on est passé à une économie tertiaire, les services
représentant 70% de l'emploi total. Les "spécialistes" prévoyaient que les
emplois supprimés dans l'industrie seraient complètement compensés par les
emplois dans le tertiaire, mais ce dernier connaît également de gros gains
de productivité. Avec l'informatisation des tâches qui peuvent être
standardisées, des secteurs comme les banques et les assurances ont
supprimé des emplois alors que le nombre de produits proposés ne cesse de
croître, et les nouvelles technologies de l'information et de la
communication vont encore mettre pas mal de personnes à la recherche d'un
emploi. Devant cette baisse du nombre global d'emplois, certains proposent
de développer les emplois dans le tiers secteur, c'est-à-dire introduire le
secteur marchand dans la sphère privée et micro-sociale. Destructrice des
quelques liens de solidarité qui peuvent encore exister, cette proposition
conduirait à ce qu'une majorité soit au service d'une minorité, renforçant
la hiérarchie sociale.Les politiques de l'emploi se basent aujourd'hui sur le retour à une forte
croissance. Même si elle entraîne la création de quelques emplois (le plus
souvent précaires), la croissance ne permettra jamais d'absorber tout le
chômage. Le taux d'équipement des ménages est tel que nous sommes passés à
une période de remplacement et non plus d'acquisition. Alors qu'on pourrait
concevoir des équipements avec une longue durée de vie, les appareils sont
volontairement fragilisés afin d'accélérer leur remplacement. De plus, afin
d'accroître la consommation, on crée de nouveaux besoins avec tous les
dangers écologiques que cela représente (déchets, dépenses d'énergieŠ). Ce
passage d'un marché d'acquisition à un marché de remplacement fait que l'on
ne pourra plus avoir des taux de croissance de l'ordre de 5%. D'ailleurs,
depuis 1980, le taux moyen de croissance est autour de 2 à 2,5%, et est
conforme aux prévisions à long terme. Il est alors difficile de parler de
crise (il n'y a eu que quelques années de récession durant ces vingt
dernières années), et le chômage chronique et massif constitue la nouvelle
donne. Cette fixation sur la croissance fait que l'on ne se demande plus
quoi, comment, pourquoi produire, alors que la production devrait partir de
la réponse à ces questions. Tout est réduit à ce taux de croissance qui est
censé représenter le bonheur des gens, alors que la croissance signifie
aujourd'hui toujours plus de précarité pour une grande majorité d'entre
nous, et toujours plus de profits pour une minorité de crapules.
Prétendre revenir au plein emploi par la croissance est aujourd'hui
socialement et écologiquement dangereux
C'est refuser de prendre en compte l'évolution du capitalisme et le passage
au post-fordisme avec ces nouvelles méthodes de production et de gestion,
qui font que la précarité tend à devenir le nouveau modèle. Alors que le
travail se fait intermittent, le droit à un plein revenu reste lié à un
emploi à temps plein.Dans ce contexte, l'idée d'un revenu garanti est de procurer des moyens
décents d'existence à toutes et tous, de pouvoir refuser les boulots que
l'on estime indésirables, et de pouvoir renverser la flexibilité en notre
faveur. Si le revenu garanti n'est pas en soi anticapitaliste, les
perspectives qu'il propose permettraient de construire de nouvelles
alternatives. Pouvoir se réapproprier son temps, créer des lieux et des
activités en dehors du secteur marchand, élaborer des formes
d'autoproduction, construire de nouveaux rapports entre nous... peuvent
être des perspectives qui doivent accompagner la revendication du revenu
garanti.Pour terminer, puisque le salaire ne peut plus être le terrain conflictuel
sur lequel s'opposaient les classes antagonistes, l'obtention d'un revenu
garanti pourrait être la nouvelle revendication permettant de réunifier les
intérêts des chômeurs, précaires, intermittents, étudiants, retraités,
immigrésŠ mais aussi des salariés, et ainsi de reconstruire une résistance
face au capitalisme.
Thierry
No Pasaran