Dominique Méda: La fin de
la valeur « travail » - La pleine activité: pour quoi,
pour qui ?
Il me semble que cela est le contraire de ce que l'on nous présente généralement aujourd'hui comme nouvel idéal sous le terme de « pleine activité ». Car la plupart des tenants de cette conception visent simplement à étendre de manière plus ou moins artificielle le nombre d'activités productives et à faire prendre en charge les nouvelles par les personnes les moins susceptibles, paraît-il, d'obtenir un emploi classique. Ils continuent à croire que le seul mode d'intégration et de participation sociale est le travail et proposent qu’il soit en quelque sorte réservé aux nouveaux « handicapés sociaux » (que nous pourrions tous être un jour) des formes de « travail » plus douces, plus protégées, et subventionnées. La pleine activité ne devrait-elle pas plutôt s'appliquer à la société dans son ensemble et à chaque individu en particulier ? L'expression signifierait dès lors qu'il devient possible, pour chacun, de développer l'ensemble des activités humaines, activités productives permettant d'acquérir un revenu et constituant une des manières de contribuer au fonctionnement social, activités individuelles culturelles au sens large (éducation, apprentissages divers...), activités amoureuses, amicales et familiales, spécifiquement privées, et activités politiques, de participation aux débats et aux tâches propres à la cité, collectives et non rémunérées ou rémunérées indirectement, sans lien avec la tâche exercée, par le biais par exemple de la distribution d'un revenu spécial qui pourrait venir s'ajouter au premier. Cet idéal de « bonne société
» peut paraître utopique, en particulier parce qu'il implique
que la réduction de la place du travail et les investissements en
formation que requiert la répartition de l'ensemble des emplois
disponibles sur la population active soient bien organisés, que
des lieux et structures spécifiques soient mis en place pour permettre
l'exercice d'une véritable démocratie locale et surtout parce
qu'il suppose des individus désireux de se réinvestir dans
de telles activités. C'est là le double défi auquel
sont confrontées nos sociétés et dans la résolution
duquel l'économie ne peut nous apporter aucune aide car il y va
de la subsistance, à long terme, de nos démocraties, long
terme que l'économie se refuse, de fait, à prendre en considération.
De ce fait, la réflexion la plus urgente à entreprendre concerne
peut-être l'opposition, par laquelle nous semblons encore structurés,
entre Gemeinschaft (communauté) et Gesellschaft (société
conçue comme agrégation d'individus) et qu'il nous faut certainement
aujourd'hui dépasser, pour penser, contre le nouveau communautarisme
qui vient, une communauté politique plus solidaire. Si telle est
bien la question, qui n'est pas exclusivement sociale, il est sans doute
vrai que nous disposons des moyens de réaliser une telle communauté,
pourvu que nous le souhaitions, et « qu'il n'y a pas de problème
de l'emploi ».
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