A propos du texte de Bernard Guibert et de la réponse de Jean Zin

Bernard a écrit:

>Le but de ce texte rédigé dans le cadre de l’intergroupe « revenus »,
>intergroupe commun aux commissions « social » et « économie » est de
>lancer un débat sur le Revenu social garanti (RSG) chez les Verts.

Ce débat n'est pas à lancer mais à continuer car comme le montre le site de Jean, la question est ancienne chez les Verts. Il me semble que la proposition d'un revenu garanti était déjà dans le programme de Waetcher.

Bernard a écrit:
>un projet de société à long terme, qu’on s’accorde tous à appeler un « développement durable »

Il n'y a pas consensus sur ce terme et la question n'est pas uniquement sémantique entre développement soutenable et développement durable. La question de la soutenabilité sous-tend que le développement soit compatible avec l'équilibre de la biosphère. La durabilité sous-tend que l'on prolonge le modèle actuel de croissance qui montre pourtant de nombreuses faiblesses.

> Les bénéficiaires potentiels sont :

Tout ceux et celles qui vivent avec moins de 4000 F en France. Cela dépasse les catégories de Bernard (les jeunes de 18 à 25 ans qui arrivent sur le marché du travail, ceux qui bénéficient des minima sociaux, tous les citoyens qui ont un revenu d’activité ou qui sont inscrits à l’ANPE.)

> Ce revenu est cumulable pendant un certain temps avec un revenu
> d’activité afin d’éviter la « désincitation à travailler ».

Il n'y a pas forcément consensus sur le point de la « désincitation à travailler ». A ma connaissance, aucune étude n'a montré le fait que donner un revenu à une personne sans contrepartie l'inciter à ne rien faire. Or ceci est une hypothèse forte du modèle néo-classique du marché du travail qui sous-tend que l'homme arbitre entre Travailler et Prendre des Loisirs. Travailler permettant de toucher un salaire qui lui permet de prendre des loisirs. L'homme est donc par nature un fainéant, cad qu'il préfère se prélasser que travailler. Il faut donc le contraindre physiquement comme le penser Taylor ou lui donner une carotte, cad un salaire. L'homme est ici un être rationnel qui maximise son bien-être. Ainsi, augmenter les minimas sociaux, c'est augmenter ce que les économistes appellent le salaire de réserve de l'inactif, cad le salaire qu'est prêt à accepter une personne pour travailler. Par là, on nie le fait que des personnes sont prêtes à travailler pour des salaires identiques à leurs allocations car le travail est une forme de socialisation. Pour faire sérieux, je vais citer une référence d'un rapport du CAE "Pauvreté et exclusion", p.88 : "Il n'existe pas aujourd'hui de démonstration d'un effet global de désincitation au travail engendré par les systèmes d'indemnisation." On nie aussi ce que Yann appelle la fuite, cad le désir de liberté de l'individu essayant de soustraire à toute forme de subordination. Or le salariat est par définition une forme de subordination puisque d'un point de vue juridique, un contrat de travail (salarié) est un contrat de subordination vis-à-vis d'un employeur contre le versement d'un salaire.

> « Activité » est à entendre au sens large : les associations et les
> entreprises « d’utilité sociale » du tiers secteur ont vocation à
> distribuer des revenus d’activité monétaires ou en nature.

Toutes les formes d'activités ne sont pas identiques. Les "anti-travallistes" ne défendent pas la fin du travail comme répond Jean car ce qui est important dans le choix d'un individu ce n'est pas tant le niveau de son salaire que la reconnaissance qu'il tire de son activité salariée ou pas. Ceci n'est valable bien sur qu'une fois que l'individu a satisfait ses besoins alimentaires. Si on reprend la distinction classique d'Annah Arendt, il y a deux grande catégories d'activité, le ponein et la poésis, la première regroupant toutes les formes de travail aliéné et aliénant et la seconde les activités où l'homme a la possibilité de créer et de tirer de cette création, une forme de reconnaissance. Si le RSG a un effet désincitatif, c'est bien par rapport aux boulots mal payés et peu valorisant.

>Pourquoi cette timidité apparente ? C'est que les coûts en jeu sont
>importants : la solution extrême d’une allocation universelle (versée
>à tous, femmes, hommes, enfants, actifs et inactifs, etc.) et
>inconditionnelle (quel que soit le revenu d’activité ou non) du
>niveau du RSG (50000 F par an), non imposable, pour 60 millions
>d’habitants représente 3000 GF (le PIB est de l’ordre de 8000 GF et
>le budget de l’Etat de 1800 GF).

J'irais plus loin que Jean, cette comparaison est malhonnête car il n'a jamais été question d'un tel mécanisme.

>La solution « minimale » garantissant une différentielle de 4000 F
>par mois à toute la population vivant au dessous du seuil de pauvreté
>(2/3 du SMIC par unité de consommation, ce qui correspond très
>approximativement justement au niveau garanti par la différentielle)
>évaluée à une dizaine de millions de personnes reviendrait à 250 GF,
>soit un facteur 10 par rapport au RMI actuel (20 GF environ).

Il n'y a pas de notion d'unité de consommation dans notre proposition, cad qu'on n'applique pas d'échelle de dégressivité en fonction de la taille de la famille car le RSG est versé à la personne. Le niveau de 25O GF est calculé comment ?

>On sait qu’il y a consensus (avec le PS notamment) pour un RSG tel
>qu’il est défini plus haut. Comme complément d'une activité ?
>corriger les injustices du taux marginal d’imposition sur
>les bas revenus qui induit une « véritable trappe à pauvreté ».

La trappe a pauvreté est lié à la notion de désincitation. Ce concept est assez litigieux, déduit de l'approche marginaliste néo-classique et de l'hypothèse de rationalité de l'homo-economicus. Comme le suppose la notion de trappe, la trappe est un piège dans lequel est tombé le pauvre. Le niveau de prestation est si proche du niveau du salaire minimum (le SMIC) ou la différence est si faible que le pauvre a plus intérêt à rester sans travail qu'à travailler ! On peut dire tout cela autrement en disant que le taux marginal de prélèvement est élevé entre la situation d'inactivité et de travail. Or, tout cela nie les études économétriques faites sur des cohortes de chômeurs. Il n'y a pas d'effet "niveau de prestation" sur la sortie du chômage. Par contre, il y a des effets stigmates. Les personnes passées par des situation de CES ou de RMI ont très peu de chance de trouver un CDD et encore moins un CDI. De plus, il est toujours facile de dire que la faute revient au niveau élevé des minimas sociaux et jamais au niveau faible des salaires. Il ne faudrait peut-être pas oublié que la part des salaires dans la VA a diminué de plus de 20% depuis le début des années 80. En utilisant le langage de l'homo-economicus que des niveaux élevés des prestations pousse à la hausse les salaires car les pays occidentaux seront toujours perdants vis-à-vis aux pays du sud dans les produits intégrant beaucoup de travail non-qualifié à moins de payer avec des cacahuètes nos salariés et nombre de boulots mal payés (nettoyage, services domestiques, ...) le sont non pas à cause de la concurrence extérieure (car elle n'existe pas) mais à cause de l'absence de règles (utilisation de sans-papiers pour baisser les charges salariales, non respect du code du travail par manque d'inspecteur du travail). L'autre conséquence est bien sur d'automatiser les métiers où l'homme est inutile ou quand il y a des risques pour sa santé (une bonne substitution capital/travail). Le pb étant comme on se partage la VA si il y a peu d'homme pour la produire. En conclusion le principal problème est une problème de redistribution de la VA.

>La réforme dessinée ainsi par le PS se limite à ce premier pas : il
>s’agit d’une conception keynésienne où le marché du travail est
>sécurisé (à la différence de la conception libérale, il ne s’agit pas
>d’une marchandise ordinaire), mais où le salariat garde le monopole
>de l’intégration sociale.

Ceci n'est pas une conception keynésienne mais ce qu'on appelle dans le jargon économiciste, une conception des économiste de la synthèse (entre les classiques et Keynes (qui a d'ailleurs décliné l'offre). Citons à ce propos Keynes lui-même : "Le problème économique peut être résolu. (...) Ce qui veut dire que le problème économique n 'est point, pour le regard tourné vers l'avenir, le problème permanent de l'espèce humaine. (...)Si le problème économique est résolu, l'humanité se trouvera donc privée de sa finalité traditionnelle. Ainsi, pour la première fois depuis sa création, l'homme fera-t- il face à son problème véritable et permanent: comment employer la liberté arrachée aux contraintes économiques ? (...) Toutefois il n'est point de pays ni de nation qui puisse, je pense, voir venir l'âge de l'abondance et de l'oisiveté sans craindre. Car nous avons été entraînés pendant trop longtemps à faire effort et non à jouir. Pour l'individu moyen, dépourvu de talents particuliers, c'est un redoutable problème que d'arriver à s'occuper. (...) Pendant longtemps encore le vieil Adam sera toujours si fort que chaque personne aura besoin d'effectuer un certain travail afin de lui donner satisfaction.(...) Quand l'accumulation de la richesse ne sera plus d'une grande importance sociale, de profondes modifications se produiront dans notre système de moralité. Il nous sera possible de nous débarrasser de nombreux principes pseudo-moraux qui nous ont tourmentés pendant deux siècles et qui nous ont fait ériger en vertus sublimes certaines des caractéristiques les plus déplaisantes de la nature humaine. Nous pourrons nous permettre de juger la motivation pécuniaire à sa vraie valeur. L'amour de l'argent comme objet de possession, qu'il faut distinguer de l'amour de l'argent comme moyen de se procurer les plaisirs et les réalités de la vie, sera reconnu pour ce qu'il est: un état morbide plutôt répugnant, l'une de ces inclinations à demi criminelles et à demi pathologiques dont on confie le soin en frissonnant aux spécialistes des maladies mentales. Nous serons enfin libres de rejeter toutes sortes d'usages sociaux et de pratiques économiques touchant la répartition de la richesse et des récompenses et pénalités économiques, et que nous maintenons à tout prix actuellement malgré leur caractère intrinsèquement dégouttant et injuste parce qu'ils jouent un rôle énorme dans l'accumulation du capital. " (J. M. Keynes, "Perspectives économiques pour nos petits-enfants", 1930, in Essais sur la monnaie et l'économie, Paris, Payot, 1971, p. 133-138)" Pour les marxistes, lisez Lafargue, Droit à la paresse. Un lien se trouve sur le site de Jean. Sinon, il coûte 10F dans la collection Mille et une nuit. Le risque de ces positions pseudo-morales est d'instaurer le workfare, de rétablir les ateliers nationaux... Pour être aussi provoquant que Sloterdijk, les nazis ont essayé de la faire avant nous à grande échelle : Arbeit macht frei.

>dépasser le travail salarié en supprimant le travail.

Même dans les meilleurs livres de science fiction avec plein de machines, il reste toujours du travail

>Pour l’école « travailliste » l’intégration dans la société reste
>fondamentalement le travail (et la protection sociale qui lui reste
>historiquement liée). La priorité reste la réduction massive du travail ;

Si quelqu'un veut répondre aux arguments de Friot.

>pérenniser le RSG permet d’atténuer l’aliénation et l’exploitation du
>salariat en métamorphosant le travail en activité ou en œuvre.

On est tous sur cette position. Transformer le ponein en poésis en reprenant la typologie de Arendt. On ne veut pas atténuer l'aliénation ou l'exploitation mais la supprimer. Et cela passe si ce n'est par la suppression du salariat au moins en le vidant de sa substance. Car le salariat reste toujours une relation de subordination. Pour ne pas passer pour le gauchiste de service, citons Alain Supiot, dans Critique du droit du travail : "La montée apparemment inexorable du chômage en europe conduit à traiter le travail comme un bien rare, dont il conviendrait d'envisager le partage. Or le travail ne peut être défini comme un bien, et il n'est pas plus rare que les hommes et les femmes valides. Son partage n'a de sens que si l'on envisage le travail abstrait, celui qui s'objective en un salaire. En revanche, on voit mal comment partager le travail concret, celui qui exprime la personne du travailleur, et qui l'exprime dans ses oeuvres. Car, vu sous cet angle, le travail n'est pas réductible à une quantité de temps ou d'argent, il a la nature juridique d'une liberté fondamentale de la personne." "Le travail ne peut pas ni ne doit être réduit à la forme historique particulière qu'il a prise dans les sociétés industrielles depuis le xix eme siècle, c'est-à-dire l'emploi salarié à plein temps. La forme salariée n'est qu'un moment dans lequel, pour le première fois, il a pu être conçu comme une liberté inhérente à tout homme, et non plus comme une contrainte réservée aux classes inférieures de la société. Mais ce premier pas - celui de la liberté formelle - était lié à la notion du travail abstrait, de travail objet de négoce. Le mouvement ouvrier, dans sa tentative pour magnifier la figure du travailleur, est resté prisonnier de cette conception réductrice du travail, ainsi que l'a bien montré Lafargue (...)" En fait, il faut voir que le système productif, que le rapport salarial ont profondément changé par rapport à la période fordienne sans pour autant tomber dans le monde magnifique de la nouvelle économie. Or rester aujourd'hui dans le monde du rapport salarial fordien, c'est justifier le workfare. De plus comment l'a souligné Jean, les Verts sont contre le productivisme. La RTT ne permet pas de lutter contre le productivisme à l'inverse du développement du tiers-secteur.

>A. « L’anti-travaillisme » :
>Pour l’école anti-travailliste la réalité du travail s’évapore et
>s’évanouit dans notre société du fait des fantastiques bonds de la
>productivité dus à la dématérialisation de la production, à
>l’automatisation et à la révolution informationnelle. En conséquence
>le travail ne mérite plus aucune considération et on ne doit plus lui
>accorder aucune valeur morale .Valeur n’a pas ici le sens de valeur
>économique marchande ou monétaire. C’est la disparition de la «valeur travail ».

Faux, valeur est pris au sens économique. Quand des apôtres de la nouvelle économie, C. Shapiro et Hal R. Varian écrivent qu'"il faut fixer le prix [d'un bien d'information] en fonction de la valeur du bien pour les consommateurs et non pas en fonction du coût de production", c'est bien que la valeur-travail est dépassée. Si eux n'en tirent pas toutes les conséquences macroéconomiques, nous le faisons en utilisant les concepts de General Intellect (cf. articles dans le site de Jean), en réinterprétant les externalités comme le fait Yann :" Si l'on définit le travail immatériel comme l'activité produisant le contenu culturel et informatif de la marchandise et de son cycle de production, or remarque que le dépassement du travail matériel, physique permet de réintégrer la description de ses composants des éléments qui constituent des externalités positives évacuées de la transaction de marché"; "le travail immatériel est la nouvelle figure de la sur-valeur relative, donc de la valeur tout court" (Futur Antérieur 39-40, la revanche des externalités"

>La machine à produire des richesses fonctionne toute seule et avec de
>moins en moins de travail : la réduction du temps de travail débouche
>sur la multiplication d’activités autonomes (Gorz), libres et
>auto-gratifiantes : plus besoin de compter ni de monétiser.
>Le « tiers secteur » a vocation à remplacer les deux premiers secteurs de
>l’économie de marché et de l’économie publique (administrée, monétaire, non marchande).

Nous vivons autopoietique où l'homme passe son temps à s'épanouir tandis que la machine remplace l'homme dans les tâches les plus ingrates. Ceci est la vision du "Meilleur des Hommes", le summum des systèmes totalitaires bio-politiques, niant les désirs existant en chaque être. Nous sommes loin d'être des naïfs. Le RSG permet à des individus de faire autre chose que des activités aliénés et aliénantes. Mais 4 000 F reste toujours une somme faible. Le RSG permet seulement de promouvoir de nouvelles dynamiques sociales, de monétiser toutes ces activités que le PIB n'arrive pas à prendre en compte (bricolage, aide entre amis, etc.)

>Cette école reproche à l’autre de s’accrocher aux valeurs d’une
>société de classes révolue et de vouloir perpétuer les « privilèges »
>corporatistes (salariés à vie, grèves de décembre 95) d’une classe en
>voie d’extinction, le prolétariat.

Merci de nous prendre pour des libéraux qui utilisent le RSG comme cheval de Troie pour détruire les "privilèges".

>1. Contenir l’ultra-libéralisme :
>La priorité pour cette école est négative : il s’agit d’éviter le
>démantèlement de la protection sociale et des protections (SMIC,
>assurance chômage, retraites, code du travail, etc.) qui font que
>grâce à l’acquis des luttes le travail n’est pas une marchandise
>comme une autre. Or la version ultra-libérale du RSG permet cette
>libéralisation absolue du marché du travail.

Mais le libéralisme est là, promu insidieusement par les socialistes, utilisant chaque loi pour l'introduire petit à petit (loi sur les exclusions, loi sur les 35h, etc.) C'est le PS qui par son vote empêche de passer l'amendement Taxe Tobin, c'est le PS qui laisse le régime fiscal des stocks-options en l'état, qui maintient la loi Pons sur les investissements dans les Dom-Tom, c'est un ministre socialiste qui introduit l'entreprise dans les écoles, qui privatise la recherche française, ou pire encore, qui privatise les résultats de sa recherche (loi sur l'innovation), qui oblique les doctorants les thésards français à signer un contrat avec leur université les dépossédants des résultats de leur recherche. La liste est longue. Si au moins, le Ps était un parti social-démocrate, on aurait qu'à s'opposer à son productivisme mais en étant un parti social-libérale, on doit s'opposer aussi à son libéralisme qui insidieusement démantèle le code du travail actuel.

>Il ne s’agit pas de supprimer toute comptabilité
>des entreprises ou de la Nation, mais au contraire de les
>perfectionner pour prendre en compte, au nom de l’éthique et de la
>justice (distributive)

Vaste programme mais qui ne sera possible que le jour où les politiques auront compris qu'il y a de la richesse ailleurs que dans le PIB. D'ailleurs, c'est que j'ai dit à Jean, cet été; Il croyait que le RSG pouvait à terme entraîner une baisse du PIB car les activités monétisés diminueraient. Je lui ai répondu que ce jour-là, l'INSEE changera ses conventions de mesure pour prendre en compte cette richesse tout comme elle l'a fait pour mesurer la richesse produite par les administrations publiques et privées.

>4. Le financement du tiers secteur :

On est tous d'accord sur ce point