LE REVENU D’EXISTENCE
Depuis
février 1999, notre groupe de travail s'est constitué au
sein du comité parisien des 8-16-17-18ème, avec pour objectif
de réaliser un dossier surle
revenu d'existence, d'analyser les expériences s'y afférant
et enfin d'élaborer un questionnaire en vue d'une enquête
sur les représentations sociales de la notion de "patrimoine commun
à l'espèce humaine".
Présentation
du dossier :
Aujourd’hui,
le constat est frappant : nos économies occidentales produisent
de plus en plus et la pauvreté augmente, s’accompagnant inéluctablement
de l’exclusion progressive de million de personnes livrées au désespoir
et à la violence. Le modèle actuel de développement
économique ne permet plus d’assurer le plein emploi et la cohésion
sociale.
Les
mutations technologiques permettent chaque jour des gains de productivité
conduisant à une croissance peu productrice d’emplois. Au lieu de
permettre une diminution générale du temps de travail, l’économie
réalisée est quasi exclusivement reversée dans la
sphère spéculative.
De
nouvelles voies de développement économique et socialdoivent
être explorées. Nous présentons ici l’une d’elles,
l’allocation universelle ou revenu d’existence.
Dans
son acceptation la plus large, cette allocation consiste en un versement
social distribué de façon égalitaire et inconditionnelle
à tous les citoyens. Selon les auteurs, elle peut cependant comporter
certaines restrictions.
Le
mode de répartition actuel se révèle caduque. Le travail
est à ce jour la seule méthode d’acquisition d’un revenu,
d’une couverture sociale et d’une retraite. Malheureusement, l’accès
à l’emploi étant raréfié, il devient nécessaire
de déconnecter une partie du revenu de l’activité salariée.
Dans cette optique, le versement d’une allocation universelle répond
à cette attente.
Pour
certains analystes, cette allocation peut également constituer un
outil de lutte contre le chômage, en évitant les freins classiques
du retour à l’emploi (allocations chômage non cumulables et
conditionnelles).
De
plus, il apparaît que nos sociétés, confrontées
à une nouvelle donne mondiale, doivent passer par une période
de mutation profonde et douloureuse. L’allocation universelle rendrait
cette transition économique moins difficile sur le plan social.
Toutefois,
l’allocation universelle fait également l’objet de critiques. La
plus importante tient dans la crainte de voir, une fois cette allocation
versée, les pouvoirs publics se désintéresser du problème
du chômage et l’accepter comme une fatalité. Il est évident
que l’allocation ne peut être utilisée de manière isolée
et la vigilance concernant l’emploi doit être maintenue.
Tout
aussi important, le salariat fonde, par les prélèvements
sociaux, notre système de solidarité (retraite, santé,
chômage). Il est donc nécessaire d’accompagner l’application
de cette allocation par une refonte du système fiscal actuel.
Enfin,
concernant le risque de désincitation au travail, les études
effectuées aux Etats Unis dans les années 70 démontrent
que ce risque est marginal, les populations bénéficiaires
du welfare maintenant leur recherche d’activité salariée,
facteur principal d’intégration sociale à ce jour.
Dans
le cadre de ce dossier, nous vous présentons quatre fiches synthétisant
les propositions des auteurs suivant :
-
Jacques DUBOIN
-
Jean-Marc FERRY
-
Philippe VAN PARIJS
-
André GORZ
En
conclusion, nous tirerons un bilan de ce travail collectif.
______________________
Jacques DUBOIN (1878
– 1976)
Sa
définition du revenu social :
C’est
une somme proportionnée aux besoins de l’âge et égale
pour tous, versée régulièrement. “ Cette distribution
est la contrepartie du rôle joué dans la production présente,
ou de celui que l’on a joué dans la production passée, ou
de celui que l’on jouera dans la production future.
Du
plus jeune au plus ancien, chaque membre de la société perçoit
donc le revenu social
Emise
en proportion de la production crée dans l’année, elle est
distribuée aux consommateurs qui s ‘en serviront pour se procurer
ce dont il ont besoin. Cette monnaie est ainsi réduite à
un instrument de distribution. Gagée uniquement sur la production
annuelle, elle s’annule à la dépense : elle disparaît
dans la consommation des produits qui lui servent de gage.
Jean Marc FERRY
Sa
définition de l'allocation universelle
Revenu
social primaire distribué équitablement et inconditionnellement
à tous les citoyens majeurs de la communauté politique de
référence (Union Européenne).
L'attribution
de ce revenu est à rattacher à un droit social (droit politique)
; il s'agit à la fois d'un revenu d'existence et d'un revenu de
citoyenneté.
Constat
et fondement d'une allocation universelle
La
crise actuelle, d'après Ferry,nous
appelle à réfléchir sur un nouveau paradigme de la
répartition : distribuer un revenu de base à tous les citoyens,
quelle que soit leur situation dans la production. C'est en développant
un droit indépendant au revenu, lequel favoriserait l'essor d'un
"secteur quaternaire" d'activités personnelles, non mécanisables,
que le droit au travail cessera d'être une hypocrisie.
Pour
lui, la production s'affranchit des facteurs de production traditionnels,
en particulier le travail; si l'Europe veut rester compétitive,
il lui faut prendre l'option de la technologie de pointe et automatiser
le plus possible l'appareil de production pour lutter contre le "dumping
social".
"Il
est impossible d'exister socialement, d'être citoyen sans revenu.
Il est donc juste de reconnaître un droit au revenu."
Modalités
techniques et moyen de financement
Elle
devrait représenter 15 % du PNB (3000 F) et pourrait être
en partie autofinancée car, au terme d'une réflexion globale
sur le revenu disponible, elle se substituerait à une série
de dépenses : allocation de chômage de longue durée,
etc..
En
Europe le chômage de longue durée représente entre
30 et 60 % du chômage total des états membres, le coût
financier de l'allocation universelle pourrait être assez rapidement
amortie par la substitution qu'elle permettrait d'effectuer sur certaines
prestations sociales.
Ce
revenu primaire brut, cumulable avec d'autres revenus serait taxé
au taux marginal. La croissance additionnelle induite par son instauration
générerait des recettes fiscales directes et indirectes qui
viendraient alimenter le budget de l'état.
Cette
allocation est par elle même peu redistributive mais elle s'appuie
sur la redistributivité préexistante de nos systèmes
sociaux, et singulièrement sur la progressivité de l'impôt
sur le revenu des personnes physiques.
Le
coût financier net d'une telle disposition est bien inférieur
à son coût apparent.
Développement
d'un secteur quaternaire
L'allocation
universelle doit être accompagnée par des politiques extrêmement
actives qui sanctuariseraient fiscalement des activités socialement
risquées pour permettre au secteur quaternaire d'émerger.
Actuellement
les exclus de la grande production n'ont plus de secteur d'accueil, et
la notion de secteur quaternaire figure l'idée de ce secteur d'accueil.
Il
représenterait une émergence d'une économie sociale
en opposition à l'économie mondiale, une économie
reposant sur des activités socialisantes, une économie qui
reste intégrée aux sociétés civiles.
Philippe
VAN PARIJS
L’allocation
universelle : Un moyen efficace de lutte contre le chômage.
Perçu
hier comme une utopie, le revenu minimum inconditionnel est remis à
l’ordre du jour face à l’échec manifeste des différentes
politiques de lutte contre le chômage mises en place ces dernières
décennies.
Tabler
sur la croissance et la réduction du temps de travail pour retrouver
le plein emploi apparaît beaucoup plus utopique !
Cependant
deux blocages demeurent lorsqu’on évoque la mise en place d’un revenu
minimum inconditionnel : un blocage moral qui empêche d’imaginer
un revenu perçu sans contrepartie d’untravail
et un blocage intellectuel qui empêche de voir comment l’instauration
d’un droit au revenu entraînera la restauration d’un droit au travail.
Percevoir
une rente à vie peut être considéré comme un
mode de rémunération de la fainéantise mais si l’on
y regarde de plus près, le revenu minimum permet bien plus de rémunérer
une activité sous payée (ex : les parents au foyer) qui contribue
à la mesure de chacun au développement de notre société.
Par ailleurs, l’étude minutieuse du comportement du chômeur
au sein de notre système actuel permet de mieux comprendre comment
le revenu minimum pourrait être un outil efficace de lutte contre
le chômage.
Le
chômage est un piège qui maintient les bénéficiaires
des allocations ASSEDIC et du RMI dans une situation qui paradoxalement
les exclut d’un retour à l’emploi. En effet , le différentiel
entre le revenu net salarié et le montant de l’ allocation est parfois
nul voire négatif compte tenu du coût engendré par
l’obtention d’un emploi (transport, garde des enfants…) ce qui n’incite
pas à accepter cet emploi mal rémunéré. De
plus, l’assurance chômage, en garantissant un revenu régulier,
apparaît bien plus rassurante que le retour à un emploi précaire
ou l’incertitude des rentrées d’argent est très angoissante
et ou tout licenciement signifierait l’entrée dans une spirale infernale
d’endettement durant la période de retour des allocations .
Il
faut noter par ailleurs, que le nombre de personnes dont le revenu salarié
est proche des minimas sociaux tend à augmenter du fait de la mondialisation
des échanges qui met en concurrence, par produits interposés,
nos emplois peu qualifiés avec les emplois du même type dans
des pays où la rémunération du travail est plus faible.
Ceci pousse les entreprises à réduire les salaires des emplois
peu qualifiés.
On
en arrive donc à la conclusion que la solution serait de permettre
au chômeur qui retrouve un emploi de conserver ses allocations et
de les cumuler avec les revenus de son travail salarié. Si ce cumul
est limité dans le temps, le risque de retomber dans l’exclusion
se présente de nouveau. C’est à ce stade que l’idée
d’une allocation cumulable à vie apparaît intéressante.
Modalités
techniques et mise en application :
Pour
simplifier le système et le rendre plus flexible, VAN PARIJS suggère
le don d'une somme équivalente à chaque individu et de l'intégrer
au revenu imposable (sans changer le système fiscal actuel) afin
de le donner pleinement seulement à ceux qui en ont réellement
besoin avec un coût de gestion administrative faible.
Quant
au financement, l'auteur parle, en 1996 d'un montant relativement faible
de 1500F, indexé sur le PNB (Produit National Brut), dans un premier
temps, afin d'éviter un trop grand bouleversement dans l'équilibre
financier de l'état.
André GORZ
Sa
définition du revenu social garanti :
Le revenu social est une somme
suffisante allouée à toute personne, sans aucune contrepartie
ou condition. Cette somme n’est pas liée à la “ valeur ”
du travail mais à celle des besoins, permettant à chacun
de ne pas dépendre des contraintes du marché (comme le sont
les produits).
De
l’inconditionnalité :
Ce
point essentiel reste le plus difficile à accommoder avec nos représentations
du
devoir et du travail (“ piliers de la civilisation ”). L’auteur lui-même
a longtemps refusé l’idée d’un revenu social qui permette
de “ vivre sans travailler ”.
S’appuyant
sur les récents écrits d’Alain CAILLE et Ahmet INSEL[1],
il se rallie aujourd’hui à une inconditionnalité du revenu
et de l’activité. Cette notion d’activité, plutôt que
de travail, permet de prendre en compte toutes les tâches accomplies
en dehors de la sphère marchande. Il rajoute que “ seule l’inconditionnalité
du revenu pourra préserver l’inconditionnalité des activités
”, rappelant avec justesse que l’activité n’a de sens que si elle
est accomplie pour elle-même et choisie par celui qui la pratique.
Modalités
techniques et moyens de financement :
Pour
instaurer un revenu social, André GORZ envisage, dans la lignée
de Jacques DUBOIN et, plus récemment de René PASSET et Jacques
ROBIN, la mise en place d’une “ économie plurielle ”, avec différents
types de monnaie, dont une “ monnaie de consommation ”[2]
qui financerait ce revenu social.
La
multiactivité, enjeu de société :
Les changements qui accompagneront l’instauration du revenu social garanti devront permettre de restituer à chacun le libre usage de son temps ? D’où la possibilité de s’engager dans différents types d’activités, marchandes ou non, rentables ou pas. Ces changements modifieront progressivement le calcul de la “ valeur ” du travail basé sur les taux horaires.
L’auteur
affirme que “ pensée jusqu’au bout de ses implications et de ses
conséquences, la société de la multiactivité
n’est pas un aménagement de la société de travail.
C’est une rupture : une société autre ”.
CONCLUSIONS DU
GROUPE DE TRAVAIL
Au
regard des propositions que nous vous avons présenté, nous
soutenons que le revenu d’existence permettra une redistribution plus juste
des richesse produites par l’ensemble de la communauté humaine,
à chacun de ses membres.
Le
revenu d’existence apparaît comme le moyen de :
-
lutter contre la misère, voire de l’éradiquer
-
rééquilibrer le rapport de force employeur / employé
et la “ gestion ” des “ ressources humaines ”
-
développer une économie alternative, solidaire et écologique
Cette
économie implique que les bases (les “ fondamentaux ”) de cerevenu
reposent sur :
-
l’inconditionnalité de l’attribution du revenu
-
la cohérence de son montant de sorte à ce qu’il soit suffisant
pour vivre
-
sa garantie inscrite dans la constitution afin d’en assurer la pérennité
Parmi
les modalités techniques proposées par les auteurs, nous
reprenons l’idée de financer le revenu d’existence en consacrant
une part des richesses produites par une communauté à cette
allocation.
J.M
FERRY avance une estimation calculée sur le PNB, mais il abouti
à un montant qui ne peut assurer l’existence. Nous pensons que nous
pouvons aujourd’hui définir un pourcentage sur la richesse produite
au niveau européen.
Nous
n’avons pour l’instant, ni les outils ni les moyens de préciser
la part du “ Produit Européen Brut ” qu’il sera nécessaire
de consacré au financement du revenu d’existence, mais ce n’est
qu’une question technique.
Un
revenu d’existence au sein de la communauté européenne est
une première étape que nous pensons possible à moyen
terme, le but étant qu’à long terme, le sens et la réalité
du mot “ communauté ”, puisse inclure tous les membres de l’espèce
humaine.
Nous
avons bien conscience que le revenu d’existence soulève des questions
d’ordre philosophique, bien plus que technique. Mais les unes ne sont pas
dissociables des autres. C’est pourquoi nous avons essayé d’aborder
ce sujet sous différents angles et à partir de plusieurs
points de vues, tant sur les questions pratiques que sur les fondements
philosophiques du revenu d’existence.
Le
constat premier qui a motivé ce travail, est que nos société
n’ont toujours pas trouver de solution à la misère. Nous
conclurons donc ce dossier par ces quelques mots de Victor HUGO :
“
Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère
supprimer ”.
Elisabeth
BRISSIEUX, Soïg SALUN,Marc
CORNIC,
Arnaud
GUIGNARD et Daniel BENAIM. BIBLIOGRAPHIE EUZEBY
Chantal, Mutations économiques et sociales en France depuis 1973,
Ed. Dunod, 1998. FERRY
Jean-Marc, L'Allocation universelle. Pour un revenu de citoyenneté,
Ed. Cerf , 1995. GORZ
André, Misères du présent, richesse du possible,
Ed. Galilée, 1997. JARROSSON
Bruno & ZARKA Michel, De la Défaite du travail à la
conquête du choix, Ed.Dunod, 1997. JAVEAU
Claude, LAMBERT Monique & LEMAIRE Jacques, Excluant ... exclu,
Ed. de l'ULB, 1998. LAMBERT
Jean-Paul, Le socialisme distributiste: Jacques Duboin, Ed. L'Harmattan,
1998. MARECHAL
Jean-Paul, Le Rationnel et le raisonnable. L'économie, l'emploi
et l'environnement, Presses universitaires
de Rennes, 1997. ROMIEU,
André. Un Revenu et une activité pour tous, Ed. L'Harmattan,
1998. VAN
PARIJS Philippe, Refonder la solidarité, Ed. Cerf, 1996 La revue du MAUSS,
Vers un revenu minimum inconditionnel ?, Ed. La Découverte
/ MAUSS, n° 7, 1er semestre 1996.