Depuis la déréglementation des marchés
financiers, nous avons droit aux louanges éternelles des libéraux
qui veulent tout confier à la sagesse des marchés. Les banqueroutes
du Mexique, de la Thaïlande et de Hong Kong, incitent à un
discours plus réaliste sur la fonction des marchés qui devraient
décider de notre vie.
Mais à mon sens, le marché a une
autre fonction essentielle : diminuer le risque de l’investissement en
lui donnant une forme liquide. Si l’investisseur ne pouvait placer son
argent que dans des actifs immobilisés ou difficilement négociables,
cela constituerait, à l’évidence, un obstacle important à
l’investissement. Telle est la fonction essentielle des Bourses de valeurs
: faciliter l’investissement en le rendant révocable à tous
instants, ce qui " calme les nerfs de l’épargnant et lui fait courir
plus volontiers les risques ", pour reprendre les mots de Keynes.
[...]
La liquidité impose aux agents de s’intéresser en priorité à la psychologie collective du marché. Pour cette raison, on la qualifiera d’autoréférentielle. Ce qui intéresse les opérateurs, c’est ce que les autres pensent ou, plutôt, ce que les autres penseront à l’instant qui suit. Autrement dit, face à un événement, la question pertinente n’est pas tant son effet sur la valeur fondamentale des titres que l’interprétation que le marché en donnera. Telle est la source des comportements de surréaction.
Chacun peut croire, en son for intérieur,
par exemple, qu’il n’y a pas de raisons objectives pour que les titres
français soient fortement affectés par les événements
du Sud-Est asiatique : il n’en sera pas moins vendeur s’il pense que les
autres opérateurs le croient. Il s’ensuit une autonomisation des
croyances collectives du marché qui acquièrent, ce faisant,
le statut de vérité objective. On comprend alors l’importance
de l’imitation. Tous les analystes ont mis, à juste titre, l’accent
sur le caractère moutonnier des paniques boursières. Il s’agit
en fait d’un mimétisme stratégique.
[...]
On peut démontrer rigoureusement que certaines bulles [financières] sont tout à fait compatibles avec un comportement rationnel des agents : chacun anticipe la hausse, qui, en effet, se réalise. Les cours ne sont pas le reflet des données économiques fondamentales ; ils sont l’expression des croyances partagées des acteurs financiers.
[...]
Le moindre incident imprévu peut transformer cette fragilité structurelle en une vague d’insolvabilité en chaîne.
Depuis le krach, chacun sait que le marché
doit être assaini, la bulle financière crevée.
La position de Hong Kong est objectivement menacée depuis son passage
à la Chine et le Japon est très fragile. Comment, après
l’expérience de la fragilité financière, les optimistes
du capitalisme heureux peuvent-ils encore y croire ? Car, aux risques des
comportements irrationnels des marchés, s’ajoute le caractère
cyclique des crises qu’on a toujours voulu nier dans les périodes
d’euphorie ainsi que les risques écologiques de la prédominance
du profit immédiat. Nous sommes obligés de mieux faire.