Difficile, alors que notre société est confrontée à cette gangrène que constitue le chômage, d'être critique envers le dispositif pour l'emploi de jeunes qui à première vue semble aller dans le bon sens. Sans doute ne mesure-t-on pas assez ce que la mise en application de cette loi va modifier dans notre structure sociale.
Les emplois-jeunes sont des postes d'une durée de cinq ans proposés aux jeunes de moins de 26 ans quel que soit leur niveau de formation par des associations ou des collectivités territoriales afin de satisfaire des besoins émergents.
Concrètement, ces postes doivent recevoir l'aval du préfet. Le dossier doit montrer, notamment, comment l'organisme qui crée cet emploi compte le pérenniser au bout ces cinq ans.
Ces emplois à plein temps seront payés au SMIG !
Ils sont financés à 80% par l'Etat et des collectivités locales peuvent également contribuer partiellement en complément de ces 80%.
Ces emplois-jeunes risquent fort d'assécher durablement les créations réelles d'emplois (hors cadre emplois-jeunes) durant les cinq ans à venir sur les secteurs les plus concentrés, je pense notamment au secteur de l'animation sociale et culturelle, au secteur des métiers de l'environnement, bref le secteur associatif où la demande est criante mais les montages financiers difficiles à réaliser. Mais cette remarque s'applique sans doute autant pour les postes statutaires ou non dans la fonction publique territoriale.
Quand bien même une association ou une collectivité territoriale choisirait de ne pas tomber dans la solution de facilité financière en optant pour un emploi-jeune pour cet emploi, que pensez-vous que serait l'accueil des organismes financeurs vers lesquels se tournerait cet employeur potentiel ? Il lui serait sans doute répondu : " mais pourquoi donc ne créez-vous pas un emploi-jeune ? ".
Payer des jeunes au SMIG pour des emplois dont beaucoup, n'en doutons pas, seront des emplois qualifiés (les emplois jeunes peuvent être également des postes d'encadrement !), n'est-ce pas là une dévalorisation de fait non seulement des jeunes qui ne voient ni leur formation ni leurs compétences reconnues à leur juste valeur, mais plus encore une dévaluation probable des niveaux de rémunération des professions, notamment dans le secteur associatif.
Même si, pour une partie de ce secteur, des conventions collectives organisent les conditions d'emploi et les salaires, on sait également qu'elles ne sont pas toujours appliquées comme elles le devraient. Le marché de l'emploi fonctionnant comme n'importe quel marché, la concurrence avec une main-d'œuvre à bon marché conduira nécessairement l'ensemble des personnes en recherche d'emploi à réduire leurs prétentions soit salariales, soit, et c'est au moins aussi dramatique, sur les conditions d'emploi.
Il est tout de même déroutant de constater que ceux-là mêmes qui ont combattu le CIP que voulait instaurer Alain Juppé se sont ralliés corps et âmes au plan emplois-jeunes de Martine Aubry. Payer un jeune Bac+2 ou plus au SMIG, est-ce vraiment moins crapuleux que de le payer 80% du SMIG ?
Les emplois-jeunes sont des emplois comme les autres et non pas des emplois d'insertion comme les Contrats-Emploi-Solidarité (CES). Justement, quelle tentation pour les structures qui en ont le choix d'opter plutôt pour un emploi-jeune que pour un CES :
– durée d'emploi plus longue permettant une meilleure prise en main du poste par le bénéficiaire, et également moins de turn-over pour la structure d'accueil;
– possibilité d'avoir un personnel mieux formé, voire en complète adéquation avec le poste proposé.
Dès lors, on peut s'attendre à une baisse notable des offres de CES. Quelles perspectives subsisteront alors pour les demandeurs d'emploi les plus en difficulté pour lesquels le CES reste le plus souvent, et c'est déplorable, la seule porte ouverte vers l'emploi ? Ne risque-t-on pas d'assister à une marginalisation plus forte encore de ces personnes ?
Avant les élections législatives de mai-juin 1997, Martine Aubry, reconnaissant même ses erreurs passées, faisaient les plus vives critiques sur les mesures d'incitation à l'emploi pour telle ou telle catégorie de chômeurs. Elle expliquait avec brio et chiffres à l'appui que l'on ne créait ainsi aucun emploi mais ne faisait que modifier la répartition du chômage par catégorie. Un glissement des coffres de CES vers les emplois-jeunes prévisible et qui, nous l'avons vu, pose question ne semble pourtant pas inquiéter Martine Aubry.
Enfin, qui peut croire sincèrement à la pérennisation de 350.000 emplois émergents dans les associations et les collectivités territoriales dans 5 ou même 10 ans.
Il est probable, comme le soulignait Antoine Soto dans la Feuille Verte n°3 d'octobre 1997 dans sa conclusion, que pour le gouvernement, perdre le " challenge " des emplois-jeunes, c'est entamer durablement sa crédibilité. Pour cette raison, peut-on croire que les préfets ne seront pas appelés à n’être pas trop regardants sur les critères de pérennisation si les offres d'emplois sont jugées en quantité insuffisante. Antoine nous informe du peu d'idées innovantes et de propositions concrètes lors de la réunion sur le dispositif à Figeac. Figeac ne constitue sans doute pas un échantillon représentatif, mais cela n'est malgré tout pas de bon augure.
Rappelons-nous le nombre d'associations qui ont accueilli des " travaux d'utilité collective " puis des CES dans la perspective sincère et souhaitée de montrer qu'un besoin existait, d'en assurer la viabilité financière par leurs propres moyens ou en défendant avec de meilleurs arguments les projets de créations de postes auprès des partenaires financiers. 5 ans, 10 ans après ces besoins sont couverts... par des CES. Perversion des perversions, ses structures ne peuvent plus revenir en arrière sauf à supprimer des services souvent indispensables au colmatage social de nos quartiers, de nos villes et nos villages. Elles sont conduites à gérer le turn-over d'un public en difficulté, désabusé après des années de stages, en alternance avec des périodes de chômage et des CES.
Peut-on placer sur un même plan les emplois-jeunes tels qu’ils sont mis en place et la baisse du temps de travail ? Il y a une distance entre les emplois-jeunes sauce Aubry (contrat de 5 ans) et les 700.000 emplois créés en deux ans par le transfert des aides à l'emploi existantes et inefficaces que proposait le texte politique commun Verts/PS et dont rien ne disait qu'ils devaient être de durée déterminée ou qu'ils devaient ignorer les pratiques ou les conventions collectives en matière de rémunération.
Certes, aux jeunes que nous rencontrons, nous devons dire : c'est une occasion à ne pas laisser passer, cinq ans permettent, malgré un salaire désobligeant, de " pauser " ses valises et d’acquérir une expérience professionnelle. Mais ne les leurrons pas et ne nous leurrons sur les perspectives à long terme de ces emplois-jeunes. Beaucoup de ceux qui seront viables à cinq ans le seraient sans doute aujourd'hui (mais alors pourquoi les faire bénéficier du dispositif emplois-jeunes ?).
Le plan emplois-jeunes a reçu l'aval de l'Assemblée nationale. Encore une fois, à une prise en compte globale de la question de l'emploi on a privilégié une approche parcellaire. Saucissonner la question de l'emploi en s'appuyant sur des catégories de demandeurs d'emploi, fort artificielles au demeurant, n'a jusqu'à présent jamais fait progresser l'emploi. Le problème d'un jeune chômeur, ou d'un vieux chômeur n'est, d'ailleurs, pas d'être vieux ou jeune, c'est d'être privé d’emploi !
Il aurait été préférable de voir mieux promues les propositions de l'accord Verts-PS concernant la réduction du temps de travail mais aussi l'augmentation du pouvoir d'achat et le rééquilibrage des cotisations employeurs, en les asseyant sur les richesses produites.
Nous devons réfléchir ce que peut et doit être l'apport des Verts pour promouvoir et soutenir une dynamique globale en faveur de l'emploi au niveau départemental et faire des propositions tant au plan local que national pour éviter les dérives que risque d'engendrer le dispositif actuel.